Je comprenais ce qu'il voulait dire, même si j'avais décidé de continuer à faire la moue d'un air têtu, en feignant le contraire. Si parfois, je pouvais faire preuve de clairvoyance, et parler avec une certaine sagesse. Avoir le port altier et la posture d'une reine. Le naturel pouvait revenir au galop et je redevenais cette jeune femme fragile et pleine de crainte qui ne m'avait jamais vraiment quitté.

Jack était l'une des rares personnes avec qui je pouvais encore être elle. Je ne pouvais être qu'elle, car devant lui, il m'était impossible de me cacher. Il lisait sur mes traits aussi aisément que dans un livre ouvert. Il n'y avait pas de louve marquée par la Lune à ses côtés, il n'y avait que Holy. Et il savait que j'étais chamboulé par cette prise de conscience subite, et que mine de rien, j'en jouais pas mal.

Évidemment je comprenais cette sensation grisante, lorsqu'au cœur des éléments mortels, on pouvait regarder les dieux dans les yeux et leur dire "pas aujourd'hui". J'étais sûrement la mieux placée pour savoir ce que ça procurait de se frotter à la mort et d'en réchapper en vie. J'ai machinalement passé ma main sur une petite marque pâle tout près de mon épaule. Il était difficile de la voir à l'œil nu, à moins de s'approcher très près, mais au touché, je pouvais sentir un relief sur ma peau lisse. Une cicatrice plutôt récente, d'une blessure profonde qui avait eu du mal à guérir.
Et malgré tout, j'avais aimé cette sensation... Le danger...

Je lui rendis son baiser avec cette tendresse qui me caractérisait. Je ne savais plus alors si je pleurais d'amour ou de tristesse, mais après avoir posé mes deux mimines pâles sur ses joues, j'ai souris.

"J'espère bien être plus légère que ton bateau..." Avais-je rétorqué par la suite.

Et puis alors que j'avais les yeux fermés, et que mon corps de lune flottait dans l'eau chaude. J'ai senti ses yeux qui me couvaient chaleureusement et qui ont embrasé mon âme. J'ai souri de plus belle, sans vraiment écouter ce qu'il disait par rapport à cette effet de bulle et de cocon. J'ai laissé le temps en suspend plusieurs minutes, savourant cette sensation brûlante.

Je finis par briser le silence, à contre cœur.
"C'est bien dommage que le temps nous manque... Et que l'on doit sortir de l'eau, avant que mes conseillers ne viennent nous chercher par la peau du cou."

Dis-je d'un air taquin en arrêtant de flotter, ramenant mon corps dans le bassin en des gestes plein d'une pudeur feinte. Je me suis éloignée de mon amant, cherchant par là le courage de quitter ce merveilleux endroit.

Il me ramena vers lui avec une telle rapidité que j’en eu le souffle coupé. J’avais à peine eu le temps de sentir l’atmosphère s’alourdir, sans voir les éclairs onduler à la surface de l’eau avant qu’une vague de désir n’explose en mon âme. J’avais lâché un grognement de plaisir en sentant sa prise se resserrer si brusquement autour de moi et de la proximité si intime de nos deux corps. Durant un instant, tout contrôle sur mes instincts primitifs s’envola. Un frisson me parcourut délicieusement alors que je sentais son souffle caresser mon cou puis mon oreille. J’avais soupiré d’aise, les yeux fermés.
Et cet instant fut bien trop court à mon goût, mais je me fis violence pour lâcher ses bras, me demandant ce qui, plus tôt, avait pu le troubler…

J’ai malgré moi monté les petits escaliers de pierre menant sur les bords du bassin, disparaissant derrière le rideau de soie afin de récupérer les habits que m’avaient apporté mes suivantes. Je mis plus de temps que prévu à enfiler ma robe pleine de rubans et de nœuds complexes à nouer, avant de lacer le corset brodé de fils de soie argenté, cintrant ma taille avec sensualité.
La robe légère de soie elfique, de bleu marine et d’argent, semblait flotter autour de moi à chacun de mes pas. Et sur le sommet de ma tête, j’avais replacé le diadème au saphir mangé par un dragon argenté. Mes cheveux de lune tombaient en cascade dans mon dos, peu désireuse de prendre le temps de me coiffer. J’avais ensuite rejoint Jack qui avait retrouvé sa tenue sombre de capitaine pirate et je le trouvais tout à coup, beaucoup trop habillé.

Je gardais pour moi le cheminement de mes réflexions, bien que mes yeux traduisaient parfaitement mes pensées. De vils traîtres qu’étaient mes prunelles d’azures et de poussière d’or… Me dis-je en scrutant une dernière fois les fresques enchanteresses et les lumières pâles du bassin.

« J’aimerais beaucoup… » Lui avais-je répondus des étoiles pleins les yeux, j’avais tout à coup hâte que cette journée se termine. Et j’appréhendais beaucoup moins le Conseil qui nous attendait.

Motivée par une énergie toute neuve, j’avais entendu Jack appeler Rosy, et puis mes joues s’étaient empourprées à sa remarque… J’avais totalement oublié la jeune louve… Nous sommes donc sortis des bains, passant les énormes portes de pierre, pour la retrouver dans le couloir. Et étrangement, je n’osais pas la regarder dans les yeux.

« Humf… Désolée de t’avoir fait attendre… Rosy… » Avais-je balbutié d’un air coupable, avant de prendre le chemin du palais.

Nous étions dans la partie la plus basse d’Astre-Lune, qui comportait ce couloir secret, mais aussi les cuisines, les autres bains, qui eux, étaient bien connut des habitants du château. Les quartiers des serviteurs s’étendaient plus loin, avec tout le confort luxueux dont pouvaient jouir n’importe quel habitant du royaume. Nous sommes remontés par de grands escaliers de marbre, avant de traverser de nouveaux couloirs colorés. Jusqu’à atteindre la tour qui comportait la salle du conseil, la salle de toutes mes décisions militaire en général. En d’autres termes, elle ne servait pas si souvent que ça… Je dus lutter contre moi-même pour ne pas me blottir de nouveau dans les bras de mon amant, pour revenir à un état d’insouciance tel qu’il n’existerait plus que nous dans l’univers, encore euphorique de ce moment que nous avions partagé, il était dur de rester concentré sur ce qui nous attendait.


Ils étaient tous là. Au nombre de cinq, les vieux loups étaient assis autour d’une immense table en marbre. Au milieu, était comme taillée dans la pierre, une lune de sang, mangée par deux pics speluncien dans un triangle à la pointe montrant le sud.

« Eh bien… C’est pas trop tôt ! Voilà donc le Pirate… Maugréa l’un d’eux en me voyant arrivé d’une démarche noble, et pas pressée pour un sous, accompagnée de Jack et de Rosy.

-Je suis votre reine, j’aurais pu vous faire attendre jusqu’au petit matin si l’envie m’en prenait. Veuillez-vous adresser à mes invités, avec plus de respect. Répondis-je sèchement, mon ton annonçant la couleur. Il se ratatina sur sa chaise, cloué sur place. Bien. J’espère qu’en m’attendant, vous avez fait autre chose que vous vous empiffrez de gâteau de Lune, et qu’Ulrich vous a fait un résumé de la situation. » Grognais-je en m’approchant de la table, déroulant une carte de Spelunca.

Ulrich, la mine pas très fière devant mon regard d’inédite colère, acquiesça silencieusement. Je me détendis un peu, finalement, ils n’étaient pas totalement idiots. Je pris un mooncake sur le grand plateau magique qui en faisait apparaître en continu. N’ayant pas mangé depuis… J’ignorais depuis combien de temps, j’étais affamée. J’ai mordus dans le gâteau, me rappelant la sensation divine que de se remplir l’estomac. Évidemment, il y avait d’autres plateaux garnis d’autres types de nourritures, qui attendaient Jack et Rosy s’ils le désiraient.

« Alors voilà, on va devoir aborder plusieurs choses… Le plus important étant que les frères loups ont rassemblé leurs forces, et j’ignore comment. On n'a pas les fonds nécessaires pour s’en occuper dans l’immédiat, mais ils ne vont pas s’arrêter là. Donc… Pour l’instant je ne sais pas comment en va faire pour gérer ce problème.

En attendant, voici Jack Moinow, le Gouverneur d’Ishtar, je l’ai fait venir parce que… Je l’aime… Mais ça je me suis interdit de le dire, alors que mes yeux se perdirent dans les siens. Parce qu’il peut nous aider, sur bien des domaines et… Je te laisse continuer. » Troublée, mon moral ébranlé par cette déclaration que je ne pouvais faire… J’ignorais que cela me perturberait autant. J’avais tout à coup très envie de quitter la pièce, je me sentais prise au piège et je jetais de petits coups d’œil presque imperceptible à la porte. Comme chaque fois que je me sentais étouffé.

En réalité je n’avais cure d’une alliance avec Ishtar, tant que je l’avais, lui. Alors en parler sans pouvoir révéler le reste me semblait inapproprié. Les lycans qui me faisaient faces m’observaient avec curiosité, une pointe d’inquiétude peut-être, mais surtout, beaucoup d’incompréhensions. Ils attendaient de comprendre enfin la situation, pendus à nos lèvres.

La mine et la remarque amusée de la jeune lycane n’avait rien arrangée à mon malaise, pas plus que le fin sourire de Jack. Mais j’avais fini par lâcher un petit rire amusé. Rosy était la première personne à ne pas voir notre proximité d’un mauvais œil. Et ça avait du bon. Une sorte de normalité qui me faisait voir la jeune pirate comme une véritable alliée.

Assise sur un siège identique à tous les autres présents autour de la table, le seul signe qui montrait mon statut était la couronne posée sur le sommet de mon crâne. Pour le reste, je n’appréciais pas d’afficher mon rang comme un vulgaire trophée de chasse. Plus loin dans la pièce, au sommet de plusieurs marche en pierre, sous de grandes fenêtres encadrées de tentures aussi colorées que le reste du château, étaient posaient deux trônes de marbre blanc et de granit gris. Ceux-ci étaient clairement là pour l’apparat, mais servaient encore moins que cette salle.

La carte d’Ihana Sydän était déroulée devant moi, j’avais ramené mes mains jointes sous mon menton. La présence de Jack m’avait imposé un certain calme, et une reconnexion brutale avec l’instant. À présent, je ne fixais plus la porte, mais chacun de mes cinq conseillers avec le regard perçant de la Louve.

Bien que j’aurais été totalement en mesure de le faire moi-même, je laissais à Jack l’opportunité de leur faire la morale. Ils étaient dissipés, et la disparition de Giulia les avait grandement affectés. J’avais toujours pris de grandes pincettes avec eux afin de les préserver. Aussi, avaient-ils bien du mal à voir en moi la Reine qu’elle avait été. Ni même une reine, tout court d’ailleurs. Bien que je ne puisse pas le voir derrière moi -j’aurais dû pour cela, détourner mon regard du spectacle que m’offraient ces vieux loups- je sentais la force qui émanait de mon amant, son aura se chargea d’électricité sombre, mais il ne perdit pas le contrôle pour autant. Je l’ai noté dans un coin de mon esprit, pour plus tard.

Mes loups, en ne me voyant pas bouger d’un iota pour l’arrêter, se firent plus petits dans leurs chaises, comprenant instinctivement que Jack était une autorité à suivre et à écouter dans cette pièce. Chez les loups, les étiquettes étaient bien moins importantes car l’instinct primait sur de ridicules concepts humains. Aussi quand ils devaient user de mot pour mettre les choses au clair, un loup n’avait plus cas gronder un bon coup pour se faire comprendre. Si certains tentèrent néanmoins de montrer les crocs sous ce lourd assaut un poil intrusif, je les calmai rapidement, en découvrant les miens pour appuyer un peu plus le discours de mon compagnon.

Ils captèrent instinctivement la symbiose qui nous unissait, mais était beaucoup trop occupés à essuyer la tempête Jack pour s’en soucier plus que ça. Une fois que l’atmosphère s’allégea et que le capitaine fit une pause, j’en ai profité pour glisser, avant de passer à la suite.

« En mourant, ma grand-mère m’a confié une partie de ses souvenirs… Si bien que j’ai parfois l’impression de l’avoir connu… Mais ce n’est pas le cas et cela m’attriste de ne pas avoir pu la côtoyer comme vous. Je ne suis pas Giulia, et je ne compte pas laisser ces terres se rendormir, ou être détruite par quelques criminels qui ne croient pas en moi... On va protéger nos terres, et on va avoir du boulot. J’espère que vous ne comptiez pas vous endormir sur vos lauriers… »

J’avais parlé d’un ton à la fois doux et ferme, un drôle de mélange qui finit de calmer mes conseillers. Si certains froncèrent les sourcils lorsque Jack parla de son mentor frère loup, ils n’osèrent faire aucun commentaire, et c’était tant mieux. Ils écoutaient avec une étonnante discipline, et je ne pus m’empêcher de lâcher un sourire en regardant Jack, lorsqu’il posa machinalement sa main sur mon épaule pour zieuter la carte. « On a l’air de vrais partenaires, capitaine. » Murmurais-je mielleusement à son oreille alors qu’il passait sa tête tout près pour analyser les distances affichées sur la carte. J’en ai profité pour me tourner vers les vieux loups, pour annoncer mes ordres.

« Ulrich et Alran, vous irez voir Tina au port, vous lui demanderai un rapport de tout ce qu’elle a pu voir de suspect, ces derniers jours. Ne revenez pas tant que vous n’avez pas de noms.
Jipert et Dolce, vous allez faire briller les murailles, chargez une équipe de réparer la moindre brèche, faites-moi un inventaire de toutes les armes que possède Astre-Lune, je veux que tout soit remis à neuf dans les plus brefs délais.
Et Popin, faites venir Maëlys, elle gère les troupes… Et les entraînements militaires… Enfin, bon, elle fait des trucs. »

Et puis j’ai suivis le regard de Jack sur la carte, il jaugeait les distances entre le port et le château, puis entre les parois naturelles du volcan d’Ihana Sydän, vers le nord.

« Attends, l’échelle est plus petites que sur tes cartes de navigation, en fait, les distances son beaucoup plus grande que ça, en réalité. J’avais commencé à dessiner de nouvelles cartes à l’échelle officielles de Stellaraë mais, j’ai pas eu le temps de finir donc… Tes doigts… Je lui ai pris la main, pour raccourcir l’écartement de ses doigts. En fait, il faut au moins trois heures de cheval par la route, pour aller du port à Astre-Lune… Et d’Astre-Lune au Nord du volcan, je dirais… Au moins une journée de marche. Là, juste au-dessus du palais, à l’Est se trouve la grande entrée, et là l’ouest… Le petit passage qui mène vers Spelunca Ouest… Autant dire que vers le Nord, y’a rien. Ou du moins, rien de cartographié. »

L'idée de briser la distance qui séparait nos lèvres m'avait grandement traversé l'esprit, nos âmes vibraient sur les mêmes ondes et cette complicité qui se liait entre nous était irréelle.
Si bien que je faillis oublier de répondre alors qu'il continuait de parler stratégie militaire.

"Creuser sur le sol volcanique pourrait être un poil dangereux... Vers les parois, je n'aurais pas hésité mais les portes d'Astre-Lune s'approchent de zones plus fines entre nous et ce qu'il y a en dessous de nous... Et crois-moi, je n'ai pas envie de créer un passage vers là-bas..."

Peut-être m'inquiétais-je pour rien mais si mes calculs étaient bons, Ihana Sydän seraient quelque part au-dessus de Dasikon Teras, le sous-sol où vivaient les dinosaures de Tungstène. Et une partie seraient encore gorgée de lave incandescente.

"Hors de question que je te fasse travailler à la forge pendant ton séjour... les lycans d'Astre-Lune sont très capable de s'en occuper. Avais-je répondu derechef, avant d'ajouter, me disant que si c'était une manière pour lui de se rendre utile, je ne devrais pas l'en empêcher. Enfin après, si tu veux aiguiser et graisser quelques lames pour t'occuper... Rien ne t'en empêche."

Je lui rendis son sourire, alors que je profitais peut-être un peu au passage du contact de sa main. Et je suivis le cheminement de ses réflexions avec beaucoup d'intérêt. Jusqu'au moment où son doigt s'arrêta sur une zone, près de la zone nord de la paroi volcanique. Sa question me fit sourire, et j'attendais avec impatience la réponse de mes conseillers. Ce fut Ulrich qui brisa le silence en premier.

"Évidemment, il y a six mois, avant le Réveil, avant que notre chère Reine vienne nous libérer. Il n'y avait rien à cet endroit. Voilà pourquoi rien n'est cartographié. Le volcan était impénétrable. Ses parois étaient épaisses et totalement infranchissables.
Mais avec le Grand Effondrement et la destruction du Mur de Spelunca... Eh bien... Rien n'est plus sûr. Il n'est pas impossible que des passages se soient creusés dans la roche à ce moment-là...
Après tout, une grande partie s'est détruite vers la mer... Je suis désolé, mais à moins d'aller directement voir de quoi il retourne, je crains que vous n'obtiendrez pas de meilleures réponses ici, Capitaine Jack Moinow."

Il avait l'air très ennuyé et les autres hochaient la tête, en accord avec ses propos. Cette petite phrase avait visiblement réussi à délier leur langue car Ulrich déjà enchaînait.

"Dites-moi... Je serais curieux de savoir quel genre de relation vous entretenez avec notre Reine, noble gouverneur d'Ishtar ? Astre-Lune, aura-t-il une alliance signée de vos deux mains ? Où devons-nous seulement obéir aux ordres d'un loup qui nous est totalement inconnu et qui n'a, à priori, aucun droit d'autorité sur nous..." Avait-il demandé non sans crainte, avec politesse et sans animosité aucune. Il était simplement curieux.

J'avais levé un œil embarrassé à mon conseiller, et même si une certaine colère m'avait envahis, je ne pus la laisser librement courir sur lui, car sa demande était totalement légitime. Après tout, de quel droit laissais-je Jack avoir plus de pouvoir à ma table, que mes propres conseillers ? J'ignorais quelle serais sa réaction, mais réfléchissant à l'accord que je ne voulais pas évoquer en l'état... Je pris la parole précipitamment, avant lui.

"Nous nous sommes unis... Devant Mère-Lune." Avais-je lâché du ton se voulant le plus naturel possible, avant que je ne réalise ce j'avais annoncé. Un silence de mort se mit à planer dans l'assemblée, avant que des murmures se mirent à jaillir en tous sens. Et moi je les ai regardées avec des yeux de flétan, honteuse car ce n'était pas vrai...

Les loups d'Astre-Lune croyaient en la Lune et deux loups s'accouplant à sa vue scellaient une union pure et solide... Personne ne pouvait remettre en question pareille symbole, car les volontés de la Lune ne se discutaient pas. C'est elle qui décidait d'unir ces loups auprès d'elle. Autant dire que c'était, chez les lycans Speluncien, bien plus significatif qu'un simple mariage.

Évidemment, j'avais déjà raconté cette histoire à Jack... Et je n'osais pas tourner ma tête vers lui, m'empourprant plutôt comme une pivoine en me tortillant sur ma chaise.
Les vieux loups face à moi avaient cet avantage d'au moins être follement respectueux des traditions. Les murmures finirent par s'apaiser et l'attention se reporter sur nous.

"Très bien... Ma Reine. Reprit Ulrich avec un respect que je ne lui connaissais pas. Qu'en est-il de l'alliance avec Ishtar alors ? Votre union, la rend-elle plus favorable encore ?"

Je le regardais encore plus démuni qu'au départ et je me maudis intérieurement. Ça ressemblait fortement à un guet append, alors qu'il en était rien... Et donc pour la toute première fois depuis mon terrible mensonge, j'ai osé relever un regard coupable vers mon amour.

"Eh bien... Pour l'instant, ce serait beaucoup trop se précipiter que de parler d'alliance. On devrait d'abord se débarrasser des frères loups, car sans royaume, Ishtar n'aurait pas grand-chose à tirer d'une alliance avec Astre-Lune, tu ne crois pas, Jack ?"

J'espérais qu'il comprenne... Que si j'avais éhontément menti devant mes conseillers, ce n'était pas par intérêt, mais par amour, car ils ne l'auraient pas toléré autrement et je ne voulais plus me cacher.

« Mais… Je n’ai pas d’armée, Jack… Lui avais-je finalement dit tandis qu’il continuait à énumérer toutes les troupes à placer stratégiquement sur mes remparts et dans ma ville. J’ai bien quelques hommes prêts à se battre, mais… Cela ne constitue en rien une force militaire solide. Mais peu importe, car je me rendrais moi-même dans le nid de vipères où vivent les frères-loups, je trouverais la brèche dans mon volcan et j’irais leur régler leur compte. » Dis-je finalement d’une détermination nouvelle, car si je coupais la tête du serpent alors il ne pourrait plus venir menacer mon peuple, non ? Certes… Cela voulait dire quitter Astre-Lune un temps… Et se livrer à bons nombres de dangers… Et risquer une attaque surprise entre temps, mais… Avais-je seulement le choix ?

« Pour ce qui est des armes… Il faudra d’abord voir celles qui tiennent la route, parce que les antiquités qui datent du premier âge-là, je suis pas sûre. Il ne faut pas oublier que cette région a été figée dans le temps durant des siècles, et tout ne s’est pas très bien conservé... Cependant, en forger de nouvelles nous coûterait beaucoup trop cher en coût de production, mais aussi en coût des matières premières. Ces montagnes qui nous entourent sont faites essentiellement de granit, de marbre et de roche volcanique, les minerais s’y font rares. Il nous faudrait donc d’abord en faire parvenir jusqu'ici… C’est pas une solution très rapide. Alors on devra se débrouiller avec ce qu’on a. » Le constat était fait, et n’était pas très reluisant. Mais pas catastrophique non plus.

Par la suite, je me suis tu telle une statue de marbre, les mains de nouveau jointes sous mon menton en posture d’écoute. Le rouge pivoine qui colorait mes joues ne voulait pas disparaître alors que je scrutais le déroulé de la scène en laissant la parole à Jack et à mes conseillers. Sa question fit table rase et les cinq énergumènes se regardèrent d’un air entendu. Visiblement, ils avaient déjà réfléchi à la réponse avant notre arrivée, sûrement durant la longue attente dont on les avait accablés… Ulrich, le porte-parole du club des cinq, répondit pour tous.

« Eh bien c’est-à-dire que… De notre temps, les pirates n’étaient que de petits voyous pillards sans fois, ni lois. Alors nous tenons tout d’abord à vous présenter des excuses, Gouverneur. Comme l’a si bien évoqué notre Reine, Astre-Lune sort d’un bien long isolement qui a coupé toute notre communauté du monde durant des siècles. Le temps passait bien différemment ici…

Alors… Comprenez bien qu’en vous voyant débarquer comme ça, quelques inquiétudes nous ont traversé l’esprit, mes confrères et moi-même. Mais nous nous rendons compte à présent que le temps nous a rattrapé, que nous sommes bien loin de cette époque où les loups n’étaient que des loups, et où les pirates n’étaient… Que des pirates –si vous voyez ce que je veux dire-. Ainsi, nous nous en remettons au jugement de notre Reine et de la Lune, car si elles vous ont choisis, vous… Alors nous les soutiendrons. »

Je fis les yeux ronds face à autant de sincérité, le vieil homme semblait vraiment dépassé par le temps, et par l’époque qui avait bien changé depuis Spelunca. Mais il semblait comprendre que j’étais tout à fait apte à les guider sur la bonne voie et surtout, que la Lune en avait décidé ainsi. C’est fou comme mêler des forces divines aux problèmes les rendez tout de suite moins compliquer à résoudre… Et puis Jack reprit la parole, répondant concrètement à la question posée plus tôt.

Il commença d’abord par évoquer ce que nous perdrions à refuser une alliance. Je lui ai, par ailleurs, jeté un petit coup d’œil curieux à l’évocation de Sitlanta, car aux dernières nouvelles, l’économie mise en place n’était pas dans ses plus beaux jours. Une alliance avec la cité sous-marine était donc certainement annonciatrice de bonnes choses ! Et puis je l’ai écouté parler, le laissant nous citer tous les avantages à l’accepter. Et ils firent écho en moi, puisque c’était globalement tout ce que j’avais argumenté face à mes conseillers, juste avant de partir pour rencontrer le Gouverneur d’Ishtar. Mes yeux étaient pourtant fichés dans ceux des cinq hommes qui hochaient la tête d’un air approbateur, car je ne voulais rien rater de leurs réactions. Le discours faisait sens à leurs oreilles et ils virent en Jack, non plus le voyou pirate qui était entré dans la pièce, mais un véritable dirigeant, et un allié de choix pour notre petit pays. En somme, un alpha prêt à soutenir notre meute.

« Et Astre-Lune… Une fois rebattit et en bonne santé, saura rendre à Ishtar tout le soutient qu’elle lui aura apporté, et au centuple, je l’espère bien ! » Répondis-je, les yeux brillants d’émotions en les plongeant dans le regard plein de confiance de Jack. Évidemment, je me sentis tout à coup encore plus ridicule. Mais je m’en fichais, car je n’avais pas besoin de la Lune pour sentir ce lien qui nous unissait, déjà si fort. Je me perdis un moment dans ses prunelles noisette, avant de balayer d’un regard plein de confiances l’assemblée.

« Alors messieurs… Avez-vous d’autres objections ? J’attendis un moment… Mais le silence qui me répondit était annonciateur de bons augures. Alors après avoir attendu le temps adéquat, je repris. Bien, je crois qu’une union avec Ishtar reste tout à fait envisageable, Gouverneur. Basée sur la confiance et l’unicité ! Qu’en dites-vous, Capitaine ? » Terminais-je d’un regard complice, ayant pris soin de reprendre le terme qu'il avait employé, car ça me plaisait bien...

J'ai sursauté face à Jack, fronçant les sourcils d'incompréhension devant son cri des plus instinctif. J'eus un petit mouvement de recul tout aussi instinctif, perplexe, essuyant la pesanteur de son aura. "Jack... ?" Lui avais-je demandé, inquiète. Mais il se reprit et développa tout de suite d'un ton plus doux, plus rassurant.

Je l'écoutais parler sans rien dire, il avait raison... Mais pourquoi cela lui tenait tant à cœur ? Je gardais cette question pour moi, pour le moment, le laissant venir poser ses mains sur mes épaules doucement. Ensemble on dominait l'assemblée, j'avais l'impression qu'il me donnait de la force, et surtout celle de lui faire confiance. On faisait front ensemble.

Alors j'ai regardé mes conseillers d'un air tout à coup, très sérieux.

"On est tous d'accord pour dire que tout ce qui c'est annoncé dans cette pièce, y restera tant que nous n'aurons pas éradiqué la menace qui pèse sur Astre-Lune. Chacun de vous cinq connaissez nos secrets et auprès de la Lune, vous les garderez comme vous avez gardé ceux de ma Grand-Mère avant moi." Ils acquiescèrent, comprenant le poids de mes mots qu'ils assimilaient parfaitement.

Mais je ne répondis pas immédiatement à Jack sur le fait qu'il aille tout seul affronter les frères loups. Je n'aimais pas cette idée, même si je devrais certainement m'y résoudre. Quoiqu'il en soit, ce petit souffle nous laisserait du temps et je comptais en prendre le plus possible avant de rendre ma décision.

"J'organiserais des entraînements, sur la base du volontariat. J'imagine que beaucoup de jeunes lycans voudront en découdre et une petite éducation militaire ne pourra pas leur faire de mal... Je ne vois pas Astre-Lune comme un fort de guerre, mais... Tu as raison, je dois me rendre à l'évidence... Avoir des gens capables de se battre ne sera pas du luxe... Et puis je ne dois pas oublier la nature de mes loups." Les lycans était par nature, de fervent défenseurs de leurs territoires et il ne me serait pas difficile d'en motiver la plupart à faire partie de ses défenses.

"Château-Rouge possède de nombreuses ressources et de par nos accords, j'attends des cargaisons des terres vampires qui ne devraient plus tarder, j'ignore juste si elles arriveront à temps... La force armée des Crocs de Spelunca est trop fébrile pour que l'on puisse compter dessus pour le moment. Bientôt je l'espère, toutes les pièces de ce gigantesque puzzle finiront par s'imbriquer..."

On pouvait sentir une certaine hâte, ainsi qu'une profonde lassitude dans mes propos. Voilà des mois que je travaillais d'arrache-pied pour que mon royaume tienne debout et bientôt, je verrais enfin le fruit de mes efforts récompensé, mais cela n'était pas assez rapide pour moi et je commençais à m'essouffler dans mon effort...

Alors lorsque Jack se rapprocha de moi pour prendre ma main -qui se réchauffa instantanément dans la sienne- pour y déposer un insolent baiser, j'eus l'impression de ressentir une vraie bouffée d'air. Je me sentis soutenue, tout à coup et j'étais heureuse de pouvoir partager tout ça avec lui. Je lui souris en retour et d'un claquement de doigts, je fis apparaître plusieurs bouteilles d'alcool, dont du rhum et de l'hydromel. Des verres se remplirent par magie, et j'en ai ramené un à mes lèvres.

"Eh bien... Buvons !" M'exclamais-je alors que mes conseillers eurent droit à leurs propres verres.

À sa promesse, je n'avais rien rajouté. Je le regardais simplement, de deux prunelles apaisées. Il était beaucoup trop facile de me blottir dans son aura, de me reposer sur lui en m'abandonnant à la fatigue que j'avais accumulé ces dernières semaines et comme si c'était fait exprès, le contrecoup de tout ça se fit ressentir à cet instant.

Je me rendis compte que jusqu'à ce moment-là, où je voyais mon amant... Mon amour, clamer haut et fort qu'il se battrait pour ce en quoi j'avais foi, j'avais retenu mon souffle. Depuis ce moment-là où je l'avais revu à Ishtar, jusqu'à maintenant, une toute partie de moi se rongeait les sangs, avait peur, espérait.
Redoutait ce qui aurait put se passer durant son séjour à Astre-Lune.

Mais maintenant que je me trouvais assise en sa compagnie, devant les cinq loups m'ayant fait Reine après Giulia... Mon cœur ne se gonfla plus que d'amour et oublia tout le reste. Et alors que je le regardais, une larme roula le long de ma joue, une larme de joie. J'avais par la suite acquiescé, évidemment qu'un lycan n'avait pas besoin d'arme... Suis-je bête ? J'étais bien la première à me jeter crocs et griffes en avant dans la mêlée.

Pour autant, je m'inquiétais de son plan. Je ne voulais pas qu'il parte affronter mille dangers sans moi... Alors il me quitterait et moi, je n'aurais plus qu'à attendre son retour afin de réceptionner les cargaisons Ouest ?

"Je n'aime pas que tu partes sans moi, Jack. Même si c'est pour moi... Surtout si c'est pour moi. Avais-je simplement dit, pour lui donner mon avis, sans pour autant lui intimer quoi que ce soit, car je le savais, il le ferait quoique je puisse dire.

"Mais il a raison. Avait répondu Ulrich. Vous exposez serez bien trop visible. Il faut soigner votre image, Ma Reine... Et battre la campagne à la recherche de nos ennemis n'aidera pas à la garder comme elle doit être.

-Je n'aime pas que vous soyez d'accord, tous là..." Avais-je simplement répondu d'un air bougon, buvant une nouvelle lampé d'hydromel. Après avoir pouffé à la remarque de Jack.

"Éh bien ce n'est qu'un petit tour de passe-passe qui évite de faire un aller-retour aux cuisines." Riais-je de plus belle. Je me sentais si légère... Si moi-même ! Alors que pourtant la fatigue se faisait grandement ressentir, et la douceur du miel alcoolisé n'arrangerait certainement pas mon état.

J'ai soupiré, il me renvoyait les mots que je lui avais moi-même dit, et à juste titre. D'une manière bien plus douce, cela dit et à cette pensée, mon regard se fit plus farceur.

"Évidemment, je serais toujours avec toi, où que tu sois... Et si jamais tu as besoin d'un brin de réconfort et de soutien, tu n'auras cas regarder la Lune et tu sauras que je la regarde aussi au même instant. Ton hurlement je l'entendrais à travers elle."

Et puis Rosy me fit rire alors que je les écoutais débattre.

"Elle part avec toi et c'est pas négociable, il faudra bien quelqu'un pour être lucide pour deux !" Je n'y croyais pas vraiment moi-même, mais il fallait que je soutienne Rosy.

"Et puis à force de tourner en rond dans le palais, elle va finir par manger tous les coussins d'ennuis..."

Ça, c'était pour la taquiner, mais notre regard complice échangé face à la remarque de Jack nous réconciliation aussitôt. On pouffa face à son air faussement bougon.

"Je me demande surtout de qui elle peut bien tenir ce caractère de bourrique moi !"

Terminais-je en appuyant sur le sous-entendu avant qu'il ne change totalement de sujet... "Tu t'en tires bien, pour cette fois !" C'est que, à force, je commençais à connaître la combine.

Pendant ce temps, mes chers conseillers discutaient entre eux, de tout et de rien, le conseil, c'était visiblement naturellement terminé et tous profitaient des petits gâteaux et du bon rhum, faisant s'envoler tout résidu de tension.

"Tu vois que la magie peut avoir de bons côtés aussi !" Rétorquais-je amusée, avant qu'il ne devienne un peu plus sérieux, il approcha son verre ambré du mien qui avait la douce couleur du miel.

"Aux unions de toute sorte, et à Ishtar, et Astre-Lune... À nous..." Souriais-je en rapprochant mon verre à mes lèvres. Je faillis m'étouffer face à la réaction de Jack, faisant résonner mon rire cristallin en doux échos dans la pièce.

"Évidemment que c'est du vrai ! "Répondis-je entre deux crises de fou-rire, et je n'avais pas ri comme ça depuis bien longtemps ! La fatigue jouant peut-être un peu dans le processus.
Je réussis à me calmer au bout de ce qui sembla être une éternité. Et l'émotion m'envahit un instant tandis que je pris la bouteille dans ma main. Je souris alors que de bons souvenirs envahirent mon esprit.

"C'est un vieil ami, qui m'avait donné ces bouteilles. Il n'avait rien d'un pirate mais, il adorait le rhum et le distillait lui-même. Il avait un bateau aussi, sur lequel j'avais fait mon tout premier voyage en mer, d'ailleurs. Sur l'étiquette, il y avait un corbeau. J'ai reposé la bouteille sur la table en m'étirant comme un chat, c'était y'a une éternité maintenant." Et je bus une nouvelle gorgée de mon hydromel avant de chercher une position plus confortable sur mon siège, en vain.

Évidemment, ses mots, murmurés à mon oreille, eurent l'effet escompté et le loup se trouva bien malin devant ma peau de Lune devenue rouge pivoine. Je n'osais pas le regarder tant je me sentais ridicule, à dire vrai, je me demandais encore ce qui m'était passé par la tête...
Je réussis pourtant à lui glisser un petit regard en coin, maudissant ce corps beaucoup trop clair pour cacher le moindre de mes sentiments. Ne pouvait-il pas rester pâle comme l'astre lunaire ?

"Que devrais-je savoir ?" Demandais-je précipitamment, coupée dans mes réflexions, à la jeune pirate. Mes yeux étaient devenus deux billes curieuses qui la fixaient rondement, avant que Jack ne la coupe, ne lui accordant que le fin sourire victorieux qui était accroché à ses lèvres. J'ai froncé les sourcils, bougon et frustrée, qu'avais-je raté hein ?

Minerva fit une diversion magistrale en sortant de sa cachette, la fée prôna haut et fort son indispensabilité dans cette quête, et je ne pus qu'acquiescer.

"Je sais que tu prendras soin à veiller sur eux... Minerva !" Lui avais-je répondu un peu sérieuse quand même.

Je sentis le regard doux de Jack posé sur moi, et mes yeux rencontrèrent les siens volontiers. Je lui répondis après avoir vidé mon verre.

"Oui, vous vous seriez très bien entendu, c'est clair ! Lui dis-je alors d'un ton certain, joyeux, mais triste à la fois en me rappelant de Greil et de ce même caractère de cochon qui les auraient certainement fort rapprochés. Oh non quel enfer, vous deux dans la même pièce, ça aurait été beaucoup trop d'un coup !" Riais-je de bon cœur, une nouvelle fois. Je préférais me remémorer les souvenirs joyeux que nous avions partagés, plutôt que la triste réalité. Mon rire disparut, tout comme ma joie, je n'arrivais pas à chasser ses ombres qui envahissaient mes pensées, à ces pensées. Jack s'enquit de mon état et j'acquiesçais finalement d'un air distrait.

"Oui... Faisons ça... Avais-je tout d'abord marmonné avant de lever les yeux vers mes conseillers. Messieurs, le conseil étant officiellement terminé, le Gouverneur d'Ishtar, sa seconde et moi-même prenons congé, je vous souhaite une agréable fin de fournée, vous savez tout ce que vous avez à faire dès l'aube."

Le silence était tombé d'un coup alors que ma voix résonnait dans la grande salle. Je me suis ensuite levée pour me diriger vers la sortie, j'avais tout à coup hâte de sentir un peu d'air et de solitude. J'ai marché sans rien dire un moment dans les couloirs à présent désert du château, sachant que Jack marchait à mes côtés, couvant mes gestes comme si je pouvais me briser comme une poupée de porcelaine. Je le laissais faire, appréciant ses attentions, et le réconfort qu'il m'apportait alors.

La poussière de fée m'avait fait éternuer, et je m'étais par la suite juré de ne plus oublier l'ego de cette si petite personne.

On marchait depuis un long moment dans le grand couloir éclairé par des bougies magiques, à pas rendu feutré par les tapis confortables sous nos pieds. Jack finit par briser le silence et mes sombres pensées. Le simple contact de sa main posée sur le tissu fin de ma robe de soie rosée me réchauffa instantanément, chassant les ombres et les lourdes cogitations qui accablaient mon esprit. J'ai levé mes prunelles d'azur et d'or vers lui et mon visage s'est éclairé. Je lui ai souris, en m'arrêtant devant une grande porte en bois gravée de belles arabesques.

"Tout va bien, lui répondis-je sincèrement, je pensais à ceux qui nous ont quittés et je me disais que... Enfin... Rien... J'oublie parfois la chance que j'ai de t'avoir à mes côtés... Voilà tout." Je me suis un instant blotti dans ses bras, craignant que ça puisse être la dernière fois... Mais sa force et son énergie effacèrent mes craintes et mes doutes. Je finis par me dérober à lui, le tirant par la main vers la grande porte, je l'ouvris avec joie. Que j'aimais cette pièce !

"Voici la bibliothèque d'Astre-Lune... Une de mes pièces préférée du Château." 

Partout, on pouvait voir des rangées de livres sur des étagères soigneusement entretenues. Des dizaines de fauteuils de formes et de tailles diverses et variés étaient disséminés partout dans les espaces sans étagères. Et tous les coins qui n'étaient pas pris par des fauteuils, étaient recouverts de tapis et de coussins de sols colorés.

Chaque fenêtre était équipée de divans recouverts eux aussi de coussins afin de permettre de longues heures de lecture à la lumière du jour. Une grande cheminée entourée d'autant de tapis, de coussins et de fauteuils que le reste de la pièce, trônait fièrement contre l'un des murs épargné par les livres. 

Une ambiance chaleureuse se dégageait de la bibliothèque, donnant envie d'y rester, de se blottir près du feu pour lire un bon livre. Toutes idées noires avaient définitivement quitté mon esprit, tant cette pièce avait le don de m'apaiser. Je me suis approchée d'une étagère en particulier, tirant un livre arborant une épaisse couverture de cuir. 

"Est-ce que vous voulez que je vous lise l'histoire Lycanne ? Elle raconte comment est apparut le tout premier Lycan, Renfir ! Il existe très peu d'exemplaires de ce livre." Dis-je fièrement en l'agitant devant moi d'un air triomphal.

Sans vraiment attendre leur réponse, je me suis assise au milieu d'une montagne de coussin tout près du feu, calant le vieil ouvrage sur mes jambes croisées en tailleur. J'ai commencé à l'ouvrir, feuilletant les vieilles pages avec délectation, comme une gamine prête à partager son jouet préféré. Mise à part nous, la bibliothèque était déserte, cette pièce n'attirait pas beaucoup l'interêt de mes sujets en temps normal.

Sous le jour déclinant, alors que les bougies, candélabres et feux de cheminée prenaient le pas sur la lumière douce du soleil traversant les grandes fenêtres de la bibliothèque, je n’avais pas raté la moue dubitative qu’ils avaient tirés face à l’énorme ouvrage que je tenais dans mes mains. Ma joie était telle que mon amant n’osa pas briser cet élan pétillant d’envie de leur partager un peu de ma culture. Un peu de ce que j’étais, et de ce qu’ils étaient, eux, désormais. Je fus plus que ravie lorsque Jack passa ses bras autour de moi, posant sa tête sur le sommet de mon crâne argenté. Le contact de ses lèvres dans mon cou me fit frissonner, embrasa mon âme comme l’on donnerait quelques morceaux de bois à manger à d’ardentes braises. « Grrr, ça suffit... » Avais-je grogné amusée, dans un vain effort pour paraître agacée. Me réchauffant dans sa douce étreinte.


« Bon alors... Je commence. » Je me suis éclairci la voix, avant d'arriver au passage qui m'intéressait. Alors des formes commencèrent à se former dans une brume fabuleuse s’élevant tout devant nous. Les massifs rocailleux de Spelunca se dessinèrent dans le brouillard vaporeux au centre du cercle que formaient les coussins sur le tapis, devant l’âtre brûlant.

« Il y a de cela plusieurs milliers d'années... À un âge si reculé dans le temps que les mots des contes et des légendes se sont quasiment effacés et que seul de légers murmures ont réussi à parvenir jusqu’à notre âge. Vivaient les premiers hommes.

Dans la brume, se dessinèrent des hommes et des femmes, de simples habits vêtus, battant la campagne en groupes.

Spelunca était habitée par de nombreuses tribus prospérant dans les grottes naturellement protectrices du massif… Les hommes étaient intelligents, mais fragiles, ils chassaient de petites proies mais évitaient par-dessus tous les loups, les plus gros prédateurs de la région. Ce n’était pas des loups ordinaires comme on les connaît aujourd’hui, c’était d’immenses loups pouvant atteindre la taille d’un cheval et dévorer un homme de quelques coups de crocs.

Une meute de loups brumeuse courait entre les roches et la pauvre végétation du massif.

Si les étés sont doux dans le massif, les hivers, quant à eux, sont rudes, froids, et la nourriture s’y fait rare. Ainsi, les hommes et les loups étaient en perpétuelles compétitions, chacun s’approchant toujours plus près du territoire de l’autre. Mais les hommes qui craignaient les loups, ont, au fil des années, imaginé des armes capables de défier ces immenses créatures de la nuit.

Plusieurs hommes faisaient face à un loup immense, armés d’arcs et de lances, une lutte terrible se dessina dans le tableau de la brume. Jusqu’au moment où l’animal succomba de ses blessures. Les hommes sautèrent de joie, victorieux.

La déesse de la Lune est la mère des loups, elle les a créés, les a choyés et a assisté à leurs déclins. Détruits par les hommes qui prenaient le pas sur leurs territoires et qui amoindrissaient leurs nombres. Ils s’accaparaient le peu de gibier qui réussissait à survivre dans ces terres froides.
Les loups géants ont presque tous disparus. La Lune avait le cœur brisé de voir ainsi ses enfants disparaître les uns après les autres.

Une femme à la peau pâle et à la chevelure d’argent apparut dans la brume, les mains ramenées sur son visage, elle était secouée de profonds sanglots.

La tristesse fit place à la rage et un profond désir de vengeance naquit dans le cœur meurtri de la Déesse. Elle dota son dernier loup d’une morsure empoisonnée.

Un loup énorme à la robe de jais se trouva face à la femme en blanc. Elle se pencha vers lui et lui embrassa le bout de la truffe, sa fourrure fut parcouru d’étincelles avant de disparaître dans le brouillard.

La déesse de la Lune voulait faire payer les hommes pour ce qu’ils avaient fait. Elle voulait les détruire comme ils avaient détruit ses enfants.


Les hommes ne craignaient plus les loups depuis bien longtemps, ils devenaient un mythe, une légende. Renfir était un puissant guerrier et un fin chasseur. Mais cet hiver-là était encore plus froid que les précédents. Il dut partir plus loin dans le fugace espoir de trouver pitance afin de nourrir son clan, sa famille. Sa femme et ses deux fils restés derrière lui.

Depuis plusieurs décennies, les hommes ne regardaient plus que ce qui se trouvaient au sol, et plus au-dessus de leurs têtes. Ses équipiers et lui-même ne virent pas l’animal leur plonger dessus, le loup éparpilla les chasseurs et enfonça si profondément ses crocs dans le bras de Renfir, qu’il faillit le lui arracher. Renfir lutta férocement. Ils ne savaient plus comment battre un loup. Il était armé d’un arc, qu’il balança entre les roches, inutile. Et d’une lance à la pointe d’acier.

Ralentis par sa blessure, la lutte semblait perdue d’avance… Le loup plongea de nouveau sur lui, de tout son poids sur la lance d’acier qui lui transperça les os et atteignit son cœur.

Un homme se battit contre un loup noir dans le brouillard. Ce dernier tomba à terre et Renfir se releva avec difficulté.

Il rentra à son village, traînant avec l’aide de plusieurs hommes la carcasse énorme de la bête. Sa fourrure devint une cape que le guerrier arborait fièrement, sa chair fut consommée des jours durant, et tous festoyèrent joyeusement. Le dernier loup n’était plus !

Des hommes, des femmes et des enfants dansaient autour d’un feu. Sous le regard protecteur du guerrier Renfir, dont le bras blessé avait été recouvert de pansement rougeoyant.

La déesse de la Lune ne perdait pas une miette du déclin de l’homme. Car bientôt, il se sentit faible, et sa vengeance tomberait sur ses perfides créatures. Sa blessure semblait s’être infectée, nombres des guérisseurs de son clan étaient à son chevet, en vain. Sa femme et ses enfants pleuraient en priant des dieux dont nous ne connaissons plus les noms aujourd’hui. La fièvre lui faisait voir des choses terrifiantes qu’il ne croyait pas. Il voyait des loups venir détruire son village, venir dévorer sa femme et ses enfants.

Les visions se dessinèrent dans la brume au fur et à mesure que je les lisais.

Mais une nuit de pleine lune, alors que tous dormaient paisiblement, ses visions se confirmèrent. Un énorme loup à la robe aussi noir que la nuit attaqua le village. Il était plus fort, plus gros encore, plus rapide que tous les autres.

Le lendemain de l’attaque, plusieurs morts étaient à déplorer, dont le premier-né de Renfir. Ce dernier quant à lui, se sentit soudainement mieux, la fièvre était passée, sa blessure avait totalement guéri, ne lui laissant qu’une fine cicatrice en forme de croc sur le bras. Son deuxième enfant avait été blessé, et tomba malade à son tour. Mais tous acclamaient le miraculé.

Le mois suivant, le même scénario eut lieu, et d’autres tombèrent malade… Et les mois d’après aussi… La déesse de la Lune ne comprit pas tout de suite pourquoi les humains ne mourraient pas de leurs blessures… Mais lorsqu’elle vit les hommes devenir des loups… Sa douleur, sa tristesse et son désir de vengeance disparurent, car en réalité, son poison n’était pas destiné à éradiquer les humains… Mais à faire vivre ses loups à travers eux… Un loup naît en chaque lycan.

Renfir devint son champion, son dernier loup et son premier lycan. Il était à l’aube d’une nouvelle espèce et il vécut bien plus longtemps que n’importe quel autre lycan…

La brume se figea sur la femme à la chevelure d’argent, accompagné par un loup à la fourrure de jais, je les observais un long moment, avant de les faire disparaître pour ne laisser que la lumière du feu éclairer la pièce. Il faisait nuit dehors à présent.

Cette histoire n’a rien d’amusante ou de joyeuse, mais je l’aime beaucoup. Évidemment, il en existe des tas de versions différentes… Et je pourrais vous lire d’autres chapitres… Fis-je en montrant la masse de pages qu’il restait après cette partie de l’histoire. Certaines racontent que la Lune descendait sur Spelunca sous les traits d’une belle jeune femme à la chevelure d’argent… » Mais j’ai fermé le livre, car je m’estimais déjà heureuse s’ils avaient suivi jusque-là.

Si j'avais senti sa tête se faire lourde sur la mienne et ses bras me serrer un peu plus au fil de ma lecture, j'espérais au moins qu'il avait été un minimum attentif à l'histoire.

"Jack... T'as vraiment rien écouté !" Bougonnais-je, outrée, levant mon menton vers le ciel pour pouvoir un minimum le regarder, les sourcils froncés. Puis mon regard se reporta vers Rosy, et pour finir vers le livre.

"Ce que j'en pense ? Je sais pas trop. Jack n'a peut-être pas tort, la brume a sûrement dû suivre le fil de mes pensées ? Répondis-je perplexe, sans vraiment avoir d'explication à donner. J'ai surtout suivi les descriptions du livre... Bredouillais-je à nouveau. Enfin techniquement... Je suis née d'un fragment de Lune, alors... l'idée n'est peut-être pas si saugrenue que ça ? Après tout, tu réagis bizarrement à mon contact, Jack. Ptetre que le loup qui t'a mordu était un peu plus important que ça... Mais non... Ce ne sont que des contes pour enfants, ça n'a rien à voir." Terminais-je en fermant définitivement l'ouvrage, sans pour autant réussir à me lever, bloquée par l'étreinte de mon amant. Je ne désirais pas plus que ça m'en défaire, me blottissant un peu plus contre lui en recouvrant ses bras des miens. Alors mon regard passa curieusement de Rosy à Jack, puis de Jack à Rosy. Il devait y avoir une explication moins... Enfantine, à ce qui lui arrivait, c'était forcément le cas !

"J'ai des tas d'ouvrages qui traitent de magies anciennes... Et de magies moins anciennes... On aura tout le temps de les éplucher demain et on trouvera une explication plus... Logique, à ce qui t'arrive, Jack." Car la réponse ne pouvait pas être aussi simple à trouver. Aussi simple que de lire un vieux conte pour enfant.

Jack fit une petite risette innocente à Holy tout en répondant.

« C’est que ta voix est si douce et mélodieuse, qu’elle me berçait comme les vagues sur la coque de mon navire. C’était si apaisant que je profitais du moment. »

Rosy elle, toujours son menton dans la paume de sa main, écoutait Holy lui donner son point de vue, peu convaincue. Elle répondait donc avec un brin de sarcasme.

  « Née d’un fragment de lune. T’es visiblement la seule à pas craindre qu’il te broies quand il perd le contrôle… mais oui tu dois avoir raison. Ça peut pas avoir de rapport… »

Laissait elle planer innocemment avant d’ajouter.

  « Et je connais un vieux sage qui dit tout le temps que les choses les plus évidentes sont souvent les meilleures solutions. »

Rosy esquissa un petit sourire en regardant Jack, qui fronça les sourcils.

[color:a9e1=‎#0000ff]  « Déjà je suis pas si vieux que ça. Ensuite, ça peut pas être aussi simple qu’un conte pour enfants. Même Holy te l’as dit. On verra demain si on trouve quelque chose de plus plausible dans cette montagne d’ouvrages…

Jack regardait les nombreuses étagères en soupirant. Rosy se retournait vers les étagères avant de se retourner vers eux en mettant son pouce vers l’arrière en écarquillant les yeux.

  « Là dedans?! tu as vus le nombre de bouquins que doit contenir cette bibliothèque?! On sera mort de vieillesse avant d’avoir pu trouver ce qu’on cherche je suis sûre! »

Protesta t’elle en mettant sa main devant son visage. Il y avait des livres partout, de toutes sortes et de toutes tailles.

  « Je préférais mon explication franchement… on gagnait du temps…

  « Pour l’heure, on devrait peut être aller se reposer un peu. La journée a été longue et j’ai pas la foi de chercher ce soir…et puis la nuit porte conseils non? »

Sourit il. D’autant plus qu’il n’avait vraiment pas envie de chercher une aiguille dans une botte de foin ce soir. Il préférait largement emmener Holy au bout de ce bassin à la limite pour qu’elle voit les étoiles, ou encore aller se reposer pour ce soir. Demain serait un autre jour, il devait rencontrer la responsable des entraînements des recrues, réfléchir à son plan pour trouver l’ennemi de la reine, et aussi à qui il emmènerait dans cette mission. En clair, il avait moins de temps qu’il ne l’aurait souhaité à accorder aux Massifs, et pourtant il y’avait au moins certaines choses qu’il devait accomplir avant de devoir se séparer de celle qu’il aimait. Mais cette fois il savait que ce ne serait qu’un au revoir. Il se reverrait rapidement.

Son compliment me radoucit instantanément. Je me blottis un peu plus contre lui, comblée.
Et puis les suppositions de Rosy ne me parurent pas si insensé, car après tout, ça expliquerait pas mal de choses... Mes yeux fatigués et mon esprit roulant au ralenti confirmèrent qu'il n'était plus temps à la réflexion compliqué. Nous avions vécu bien assez d'émotions pour la journée.

"Oui, on verra demain, et ne vous inquiétez pas, il y a un système de recherche magique qui nous permettra de vite trouver les ouvrages qui vont nous intéresser ! Bref... Allons-y, je n'ai pas oublié ce que tu m'as promis tout à l'heure ! Terminais-je en levant des yeux pétillants vers mon amant. Mais avant, voudrais-tu voir tes appartements, Rosy ? Je t'ai fait préparer la chambre Rubis, tu vas adorer !"

Branlement de combat, nous nous sommes mis en route et j'ai quitté avec regret les bras confortables de Jack. Je m'habituais décidément beaucoup trop vite à l'avoir auprès de moi, chaque seconde loin de son étreinte devenait d'interminables éternités.

Nous avons quitté la douce ambiance de la bibliothèque pour nous retrouver de nouveau à parcourir les longs couloirs du château, et après une volée de marches grimpées, nous sommes arrivés à l'étage des invités. Un couloir s'étalait de chaque côté de l'escalier, nous avons emprunté celui de droite, où quatre appartements étaient marqués par une porte, chacune d'une couleur différente. Une rouge, une bleue, une blanche et une jaune. Je me suis arrêtée face à la rouge, l'ouvrant sur une pièce immense, au centre de laquelle trônait un lit à baldaquin dont les rideaux étaient d'un rouge profond.

À l'image de l'ambiance général de mon palais, la pièce bien que grande n'en demeurait pas moins chaleureuse et confortable. Un petit salon pleins de fauteuils et de coussins entourait une cheminée, et une salle annexe était séparée de la pièce principal par un jolie rideau de soie de la même couleur que les rideaux du lit et les quelques tenture qui ornaient les murs de pierre grises, elle était muni d'un broc d'eau toujours tiède et de tout le nécessaire pour se pomponner et faire sa toilette.

Une table autour de laquelle se côtoyaient plusieurs chaises était garnit de plateau de nourriture sucré et salé, comme la convenance l'exigeait à la réception d'invités. Pour finir, de grandes fenêtres donnaient sur la cour du château.

"Tadaa ! Avais-je lâché face à Rosy, toute contente de lui montrer la pièce. Je t'en prie ! Prends donc tes marques, et si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, tire sur la petite clochette à côté de la porte, ça appellera un employé de maison qui viendra te servir."