Quelle délicieuse journée ! Un temps des plus doux envahissait le massif en cette saison qui réchauffait l'atmosphère, propice aux belles balades aux abords de la ville vampire.
J'étais sortie tôt de ma chambre ce matin-là, prête à embrasser la bise matinale sous les mines encore endormis de mes suivantes. "Êtes-vous tombée du lit ce matin ? Madame ? Nous ne vous voyons pas émerger avant que le soleil n'ait atteint le zénith, d'habitude..."

Je souris à Lysa, la plus bavarde des deux louves, avec un regard pétillant et plein de malice.
"J'ai fort bien dormi, si je puis dire, alors oui, me voilà d'humeur matinale. Allons seller les chevaux !"

J'avais la sensation, non l'intuition... Ou plutôt la certitude, que le monde me tendait les bras. Ici, au cœur de Château Rouge, je grandissais et je me sentais digne de mon destin. Ihana Sidän n'était plus très loin, et bientôt il aura retrouvé sa Reine. L'Alpha que tous les lycans attendaient, choisit de Mère Lune, la secrète complice d'Adam pour unifier ses enfants dans la paix et l'unicité. Le tout, la roue du monde grinçait et les fils de la toile se rejoindraient bientôt.
Comme c'était excitant ! Comment faire la grasse matinée avec tout un univers à façonner ? À sculpter dans une roche solide que le temps lui-même n’arriverait jamais à éroder ?
Tout ça en la sublime compagnie du Roi touché par le divin. Le fil de nos destinées respectives se croisait sur la toile, lié par les dieux eux même.

Les garçons d'écurie semblaient avoir rapidement reçu l'information de ma sortie, car sitôt mon petit déjeuné engloutit, les trois chevaux étaient apprêtés. Comme à mon habitude, je fis le tour de chaque sangle autour de la jument Speluncienne. Jeune et fougueuse, la fabuleuse pur-sang méritait les meilleures attentions.

Choisit dans les gigantesques écuries du château, j'avais tenu à terminer moi-même son dressage, déformation professionnelle d'une acrobate de cirque, probablement, mais Éléonor m'avait appris que c'était le meilleur moyen d'obtenir un lien solide avec un cheval et en matière d'équitation, j'avais toujours suivis ses conseils avec soin.

"Alors, lui avez-vous trouvé un nom, madame ? Me demanda Lysa, perchée sur un hongre bai. Les pur-sang Speluncien étaient de magnifique chevaux, aussi même les serviteurs avaient fier allure lorsqu'ils montaient dans ce pays.
Caressant l'encolure de ma jument alors que nous marchions au pas vers la sortie de la ville basse, je réfléchis un instant.

"Viens donc marcher à mes côtés, Lysa, je n'aime pas faire la conversation au vent qui me caresse le visage.

-oh mais... c'est contraire à l'étiquette.

-je me fiche de l'étiquette, je veux parler à une amie aujourd'hui, alors viens. La jeune lycanne à la chevelure de jais fit trotter sa monture jusqu'à atteindre mon niveau, je lui souris dès que je vis son doux visage. J'aime comment les rayons du soleil se reflètent sur sa robe à l'aurore... Donc Aurora, me semble être un nom approprié pour une jument de sa lignée."

La pouliche releva la tête en reniflant, comme pour m'affirmer que cela lui plaisait.

-eh bien je dois dire que c'est un très joli nom. La lycanne me souris sincèrement, sûrement pour la toute première fois depuis que je la connaissais, ce qui me ravissait un peu plus. Et comme une réflexion en amène souvent une autre, mon air se fit un peu plus sérieux, un peu plus curieux.

-Dis-moi, depuis combien de temps, êtes-vous au service de château rouge, toutes les deux ?

Demandais-je curieusement, alors que le rythme des sabots donnait le tempo à la conversation.
Lysa sembla hésiter un moment à répondre.

-Oh, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, Lysa... Tu n'es pas obligé de me répondre, si tu ne veux pas...

Mais c'est Agathe qui répondit finalement à la question, restait derrière, elle n'était pas très loquace et j'avais rapidement compris devoir m'y accommoder. Aussi respectais-je ses silences, autant que la moindre de ses paroles. En effet, elle parlait rarement pour ne rien dire et ses mots étaient désuets de fioriture.
Ce qui me rassurait le plus chez elle était sans doute le soin qu'elle portait à ma sécurité, se portant toujours à l'affût du moindre danger. Qu'il soit d'ordre physique, ou bien diplomatique.

-Nous étions esclaves parmi d'autres au sein d'une vieille et noble famille de vampire. Une longue et triste histoire pour beaucoup de jeune lycans à l'époque, j'en ai bien peur. Bien avant que le traité de Spelunca ne soit ériger par le Roi Vampire. Dès lors, notre statut est passé d'esclave à servantes. C'était déjà beaucoup. En réalité, ce n'est que peu de temps après votre arrivée, que l’on nous a fait quérir pour nous mettre à votre service. Dame Holy. Alors nous bénissons le Saint pour cet honneur qui est de servir notre Alpha. Peu des nôtres pourraient en dire autant.

-Oh, je vois. Souriais-je timidement. Encore peu accoutumé à mon nouveau statut. Merci de ta franchise, Agathe, et merci d'être aussi patientes avec moi. Mais..."

Mais ma phrase mourut sans même avoir pu atteindre le bout de mes lèvres. Nous marchions sur les routes qui s'éloignaient de la ville, là sur les sentiers, il nous arrivait de croiser des caravanes ou des convois marchant que je saluais d'un signe de tête. La rose de sang Speluncienne accrochée à mon corset brodé de fil d'argent ne laissait pas indifférents tous les passant. De même que mes longues boucles argentées commençaient à être connues dans les environs. Ma robe de coton et de tulle légère se fendait en deux parties, laissant entrevoir un pantalon renforcé de cuir pour une meilleure aisance à cheval.

-Avez-vous besoin d'aide ? Demandais-je avec sympathie, attirée par la mine déconfite d'une jeune marchande, de prime abord puisqu'il me semblait difficile de donner un âge à un vampire, dont le convoi était arrêté au bord de la route. Son aura dégageait une délicieuse mélodie. Et quelque chose vibrait en son cœur, que je ne saurais décrire. Même si elle me dépassait de plusieurs têtes et qu’elle était dotée d’une beauté époustouflante, je pouvais ressentir de la timidité, et une certaine fragilité qui transparaissait dans son regard ainsi que dans ses gestes.
M'étant pied à terre, suivis des deux jeunes femmes derrière moi, je fis le tour de la carriole dont la roue semblait bien amochée. Il faudrait certainement des heures pour réparer ça.

"Lysa, va donc quérir une voiture pour charger le convoi de notre amie, et une paire de bras supplémentaire ne serait pas de trop pour pouvoir porter tout ça." Je pouvais aisément distinguer de précieux minerais qui dépassaient des caisses, il y en avait beaucoup, donc un peu d’aide ne serait pas de trop. La louve ne discuta pas et sauta aussitôt sur sa monture, partant au petit galop vers les portes de la cité vampire.

La timidité et la gêne dont elle faisait preuve me touchèrent, et je n'affichais qu’un regard plein de compassion vers elle. Le tour finit de la carriole, je laissais au soin du cocher de s'occuper de son cheval, confiant ma propre monture aux mains d'Agathe qui était restée légèrement en retrait, saluant humblement lorsqu'elle le devait.

Et puis la vampire sembla retrouver ses moyens, se présentant avant de me tendre la main. J'hésitais un instant. Un temps pouvant se confondre avec de la crainte. Celle de provoquer quoi que ce soit au contact d'une autre âme comme il m’arrivait souvent de le faire... Mais le seigneur Van Cullen était déjà troublé, elle… Ou il… Semblait avoir bravé une grande part de sa timidité en se présentant à moi. Quelle déception pourrais-je provoquer en refusant une simple poignée de main ?
Alors sans plus réfléchir, je saisis de mes deux mimines pâles sa main tendue. Et les forces cosmiques vibrèrent sous l’astre du ciel, déclenchant une multitude de sensations en mon âme. Qui était Adiel ? Les notes de la partition de son cœur s’entrecroisaient d’une bien curieuse façon, comme si son âme jouait plusieurs morceaux en même temps.
D’ordinaire, les âmes vibraient avec individualité, l’Aura portait un seul voile coloré. Et dans ses yeux, une ombre passa avant de se rétracter au creux de son cœur. Elle me regarda, me transcenda, me jugea avant de disparaître. Si bien que je mis un instant à répondre, après avoir retrouvé un peu contenance, suite à cette curieuse expérience.

« Je suis honorée de faire votre connaissance, Seigneur Van Cullen... Je suis… Dame Holy Lorca… Hésitais-je un instant, n’ayant pas vraiment réfléchi à la manière dont je devais me présenter. Agathe s’avança, accomplissant une légère révérence.

-Reine louve, Holy Lorca. Rectifia-t-elle, on put lire tout le respect qu’elle me vouait dans son intervention, mais cela n’empêcha pas mes joues de s’empourprer de la gêne d’un titre aussi pompeux évoqué loin de la vie mondaine.

-Entre nous, Holy me suffit amplement, veuillez excuser ma suivante, elle porte beaucoup trop d’attention aux manières de la cour. Ici je ne suis qu’une Dame parmi tant d’autres. Souriais-je finalement, établissant moi-même une révérence envers le seigneur Adiel Van Cullen. Ne vous excusez pas, un vulgaire accident ne saurait entacher la magnificence qui se dégage de vous. Aussi, s’il en eu était autrement, le destin n’aurait pas fait en sorte que nos chemins se rencontrent. »

Souriais-je de nouveau avec bienveillance, curieuse, hypnotisée, par ce qui se dégageait de la vampire.

« C’est une belle cargaison que vous transportez, j’imagine que ce n’est pas pour n’importe quel forgeron du coin ? » Lysa risquant de mettre un moment à revenir avec voiture et garde, il n’y avait sûrement aucun mal à engager la conversation afin de faire passer le temps. Cela pourrait même faire oublier au Seigneur la gêne dont elle était victime.

Je souris, légèrement démuni face à l'effet que je pouvais produire sur autrui, un peu gênée, également. Mais au plus profond de moi, et mon âme semblait fourmiller d'approbation à ce sentiment naissant, germant doucement alors que je grandissais encore dans ce monde de géant. Je ressentais une certaine fierté, ce je ne sais quoi qui me faisait sentir à la bonne place, j'aimais ce sentiment, bien que je ne savais y mettre un nom dessus.
Lune gonfla le plumage corbeau de son corps de merle, créature physique et mystique à la fois, mon âme métamorphe était venue se percher sur mon épaule. Un petit oiseau aux contours légèrement vaporeux qui pourrait aisément tenir dans la paume de ma main.
Elle lissa ses plumes minutieusement alors que j'acquiesçais aux explications du Seigneur Adiel. Je jetais un coup d'œil au convoi immobilisé, comprenant là l'enjeu de sa livraison.

« Ainsi, je mettrais tout mon cœur à ce que vos minerais soient livré à bon port, Lysa ne devrait plus tarder à revenir avec du renfort, du moins, je l'espère ! »

Et alors que je pensais avoir totalement mis à l'aise la vampire, son trouble me surprit. Et alors que je sentais son esprit s'égarer au centre d'un tumulte vibrant d'ondes contradictoire, j'entendis et je sentis, plus ancré, plus dévoilé encore, cette Présence que j'avais crus entrevoir plus tôt.
Fugace, encore une fois, les mélodies entrelacées de son âme s'évanouir à nouveau.
Je finis par sourire, pouffant en cachant poliment ma bouche d'une mimine pâle. Ce qui me permit dans la foulée de cacher mon trouble face à lui. Ou à elle. Ou à eux ?

« Votre roi est un très bon roi, mais il n'est pas mon roi, soyez en assurer, Seigneur Adiel. Nous formons des alliances politiques et je profite, entre autre, de son influence et de sa protection, en attendant de pouvoir rentrer chez moi  afin d'y gouverner mon peuple… » Je me tus, craignant d’assommer le jeune seigneur de mes blablas politique, peu de vampires s’intéressaient à ce qui pouvait se passer de l’autre côté du massif, malgré ce que l’on pourrait croire, et ce que laisse entendre les légendes. De plus, j’ignorais le poids qu’avait ce marchand, finalement seigneur, dans la politique vampire. Ma faible connaissance de l’aristocratie me rattrapait parfois, me faisant sentir bien sot. Aurais-je dû connaître le nom des Van Cullen ? Était-ce une famille influente ou au contraire, se laissant être discrète ?

« Souhaitez-vous pique-niquer, Seigneur Adiel ? Je dois dire que mes sacoches de selles sont remplies de mets savoureux, gentiment préparés par la cuisinière de Château-Rouge, une femme charmante qui ne manque pas d’imagination culinaire… Il faudra de toutes façons un long moment pour que les gardes du château transfert la cargaison de la roulotte à la voiture… Et j’ai une faim de loup ! Enfin… Hum… » Je bégayais, balbutiais, perturbée par l’aura de la vampire.