Il n’y avait pas trente-sis mille solution pour devenir riche, le dur labeur, il n’y avait que ça pour remplir l’estomac du jeune navigateur. L’argent se faisant rare, rares étaient les occasions de vider quelques bouteilles de rhum. L’abyssal n’était pas plus enchanté que ça. Couper du bois ? Il n’en avait pas vraiment la carrure. Fin et sec, c’est à peine s’il avait la peau sur les os. Mais par sa volonté, il arrivait tout de même à se démener avec sa Hache d’emprunt. La seule consigne qu’il avait eu en échange de cette arme destructrice, ramassé du bois, le plus possible. C’était bien son intention, de toute manière, il ne pouvait pas vraiment rechigner sur le boulot qu’on lui proposait. Le bonhomme qui avait eu l’amabilité de le redirigé vers l’orée des bois, jusqu’à la zone artisanale des Bûcheron, lorsque l’abyssal réclamait à boire sans en avoir les moyens d’en consommer. Il en était devenu pathétique, il en avait presque oublié ses principes, mais la débauche était plus facile d’accès. Se laisser dériver par monts et vaux, sans se soucier de ce qui nous entoure, c’est bien trop facile.

Alors pour étanché sa soif, il se mit couper du bois, férocement et sans relâche. Il abattait sa hache avec force sur le tronc d’arbre qui commençait à perdre son écorce. Il y a ce dicton qui lui revenais en tête et qui le faisait rire par moment, inexplicablement, un truc du genre «  Entre le tronc et l’écorce, il ne faut pas mettre le doigts »

Morgan Barreta – A bas moi, j’y mets carrément la Hache ! Ahahah !

Son engouement revint comme une traînée de poudre s’embrasant à la suite d’une faible étincelle. Et toute une journée, il trima dans son bois, coupant plusieurs arbres sans y voir le temps qui s’écoulait entre deux. Parfois, une simple blague ou un simple ressentiment pouvait effacer l’ennui du temps et la douleur de l’effort, il en avait la preuve, même s’il ne le réalisait pas vraiment. C’est lorsqu’il commença à fatiguer qu’il se rendit compte du travail effectué. En ramassant toutes ces bûches et en les ramenant auprès des artisans à l’orée de la forêt, il traîna sa cagette bien lourde à l’aide d’une corde. Le jeune invocateur n’avait plus de force, mais c’est le résultat qui compte, n’est ce pas ?

Morgan Barreta – Et mon dû dans cette histoire ?! J’veux d’la piecette ! Sans ça, j’fais comment pour abreuver mon gosier ?

Bûcheron – T’ira vendre ça toi-même à l’hôtel des ventes gamin, tu te feras ta propre idée de ta récompense.

Le demi-abyssal prit un certain temps pour réfléchir aux propos de l’artisan. Vendre ces rondins à l’hôtel des ventes ? Lui ? Et comment s’’y prend-on ? Lui qui n’avait fait que voler et piller, explorer et découvrir. Il n’avait jamais eu l’occasion de vendre quoi que ce soit de toute sa modeste vie de pirate, alors comment devait-il s’y prendre ? Mais cela ne sembla pas plus l’alarmer que ça, au contraire, il sembla même s’en amuser d’avance. Certainement en pensant au grabuge qu’il ferait à ce moment là. Il est comme ça, c’est Morgan quoi.

Bon ! Je vais t’apprendre à couper du bois ! Vu qu’t’es pas capable de tenir une hache correctement !
Cause toujours, tant qu’j’ramène du bois, c’est bon pour moi !
Nan ! Parce que tu vends d’l’écorce trou d’fion ! Tu coupes rien ! T’arraches !
Aaahh ! C’est pour ça qu’j’ai pas réussi à vendre ma camelote la dernière fois ! Bon, vas-y ! J’te r’garde !
Tu prends le manche comme ça, bien droit. Ta main forte en haut, ta main faible en bas. T’es droitier ?
Ambidextre
Bas tu positionnes tes mains dans un sens ou dans l’autre, peu importe. Le mouvement doit venir des hanches et la hache doit être bien à l’horizontal. Comme ça ! Yarh !
J’dois faire aussi le Yarh ! ?
C’est important d’exprimer sa détermination, sa aide à se concentrer. Vas-y essaye !
D’acc. J’me concentre. J’me tords un peu. Genoux fléchis. Faut qu’la lame soit toute droite. Yarh !!
C’est bien, tu apprends vite, mais c’est pas encore ça … J’ai dis à l’horizontal !
A oui ! C’est pas l’même horizontale quand j’suis sobre. C’est pour ça. J’recommence. J’me concentre. Genoux fléchis. J’me tords un peu, le mouvement vient des hanches. La lame toute droite …
Non, horizontal !
La lame à l’horizontal. Yarh !!
A ce rythme, tu vas l’éplucher l’arbre. Bon, j'reviens te voir quand t’en auras fini avec celui là. Y en a une bonne dizaine qui t’attendent aujourd’hui …
Mais c’est sérieux ?! Mais la taverne aura fermée bien avant !!
A toi d'te dépêcher !
Oh bordel ! C’est parti ! J’vais tailler du rondins !

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pris le temps de m’occuper de mes amis les végétaux. Mes voyages intempestifs avaient eu raison de ma persévérance, malgré tout, une certaine culpabilité était venue m’accompagner, grandissant petit à petit à côté de mon estomac. Je n’arrivais plus à tenir en place et n’arrivais plus à penser à autre chose, si bien qu’un jour, ce fut la goutte de trop !

Je m’étais laissé guider vers les bois environnant, loin de la forêt de Sylfaën, mais qu’importe, les seigneurs végétaux ne règnent pas uniquement sur les bois des Sylfes, mais surtout tout le continent Dùralassiens. Je pouvais donc entreprendre ma tâche sylvestre même loin de mon lieu de travail habituelle. Je m’en étais aperçu que trop tard, je culpabilisais à nouveau, me rendant compte que j’aurai pu m’en rendre compte plus tôt.

Les bois qui entouraient mon petit campement improvisé n’étaient guère bien grand, mais suffisamment pour que je puisse soutenir les plus ancien et les accompagner dans leur voyage vers l’éternel et l’infini. Mère serait fière de tous ces efforts ! Avec le temps, j’avais réussi à faire abstraction de toutes ces voix que j’entendais à longueur de journée. J’aurai aimé leur dire à tous que je n’étais pas l’un de ces humains qui ôtait la vie par nécessité ou par désir, mais répéter cela à tous les arbres ou animaux que je croisais, je n’en aurais pas fini …

Je remarquais du coin de l’œil, à une centaine de pas d’ici, un petit arbre rabougri, isolé des autres et dont les branches s’affaissaient pour tendre petit à petit vers le sol. Les geais passant dans les parages ne s’attardaient pas bien longtemps sur ses branches, remarquant que celles-ci ne seyaient guère à leur poids plume. Je m’approchai de ce dernier et lui tin ces propos.

Lonann Alhazred – Mon bon vieil ami, le temps vous emporte bien tristement. Me permettriez-vous de vous ôter ces quelques boutures et de donner une secondes jeunesses à vos pousses ?

Sureau malade – Cela faisait bien longtemps que l’on ne m’avait pas parlé ainsi ! L’arbre sembla grincer des branches lorsque l’une d’entre elles tomba sur le sol. Comme vous pouvez le voir, la maladie m’emporte, mes frêles boutures n’arriveront probablement pas à maturité…

Lonann Alhazred – N’ayez crainte, je m’en chargerai et m’en occuperai tout le temps où je résiderai dans les parages !

Sureau malade – Fort bien, fort bien. Dans ce cas, je prie pour vous et ces jeunes pousses, pour l’avenir tout simplement. Mon temps s’est écoulé et je n’ai dorénavant plus rien à offrir si ce n’est le bois de mon écorce. Je vous le cède bien volontiers, faites en bonne usage !

Afin de lui prêter serment et lui partager ma bonne volonté pour le voyage qu’il s’apprêtait à entreprendre, je sortis ma frestel et entamai un petit morceau en son honneur. Le champ sembla toucher les bois environnant et les oiseaux chantèrent en cœur devant ce trépas imminent. Si les arbres pouvaient verser des larmes, j’en étais persuadé, celui-ci en aurait laissé couler le long de son écorce toute sèche. Puisse t-il vous rejoindre, grande Mère !

La journée venait à peine de commencer que l’invocateur en était déjà fatigué. La veille, il avait rôdé autour des bars longuement avant de choisir le lieu du crime. Il s’était enquillé un peu trop d’alcool et avait fini dans la rue avant de retrouver, difficilement, le lieu de son domicile. Un mal de crâne plutôt tenace s »tait attaché à lui et ne semblait pas vouloir le quitter. Il faut dire que les boissons à base de fruit, il aimait ça et l’enseigne proposait de cocktail à tout les goûts. Il s’était arrêté sur l’un d’eux proposant du rhum à la fraise et n’avait plus voulu quitter cette boisson de la soirée. Le tavernier, fatigué de devoir lui dire de baisser d’un ton et de se calmer, fatigué de devoir le rappeler à l’ordre et de lui faire des avertissements, prit les choses en main et se débarrassa de Morgan en toute sympathie. Il l’avait prit par le col et lui botta les fesses si violemment qu’il se retrouva la tête écrasé sur la terre humide. C’est peut-être à cause de cela qu’il se frottait frénétiquement la tête dans l’espoir de se dévêtir du mal de tête qui le rongeait.

En se levant, il avait découvert une nouvelle forme de gueule de bois. La tête posée sur la table, fixant le cadre de la porte comme s’il attendait quelqu’un, plus aucune force ne le parcourais. Seuls quelques sentiment semblaient le traverser de temps à autre, comme la fin, ou la fatigue, la soif ou le désire. Des états trop passager pour lui donner vraiment envi de se lever, car pour pouvoir faire l’ensemble de ses choses, il avait besoin de se lever et d’aller travailler à l’orée de la forêt. Il décida alors de se purifier dans la source d’eau la plus proche, pensant que cela pouvait lui changer les idées.

Morgan Barreta – C’est sans doute d’là qu’vient l’expression « Lavé de tout ses pêchés ». Les pêcheurs sont tous des alcoolos en réalité !

Pourtant, se laver ne dissipa pas la douleur à sa tête. Cette dernière s’était atténuée, mais rien ne changeait. Il lui fallait maintenant aller dans les bois pour aller couper du bois. Il enfila sa tenue habituelle, ses bottes, une longue veste capée à capuche et un pantalon assez ample puis, il se dirigea vers la sortie. Une fois dehors, il se rendit compte que le soleil n’appréciait pas sa présence, le dardant de ses rayons de soleil. Le demi-Abyssal n’avait d’autre choix que de se couvrir le visage avec ses mains pour se protéger de son agressivité et continua à avancer malgré sa cécité partiel. En quittant la ruelle où il logeait ces derniers temps, il fut suivi par un petit chat noir à peine plus gros qu’un rat. A force de passer et repasser dans les rues d’Ishtar, il connaissait non seulement les recoins, mais aussi les gens des alentours et les animaux abandonnés qui squattaient certains coins de la cité. C’était le cas de ce chaton qui suivait régulièrement le sang mêlé en espérant recevoir de sa main quelque chose pouvant satisfaire son estomac. Malheureusement, il n’avait lui-même pas assez pour se nourrir correctement, il n’était donc pas en position de lui donner ce qu’il désirait. Ce dernier s’en rendis compte après avoir constaté qu’il s’était suffisamment éloigné de la cité et rentra, laissant Morgan à ses aventures de bûcheron. Il s’en alla mordre quelques brindilles d’herbe afin de se purger et quitta le marin en quête de nourriture.

Arrivé près de l’atelier des bûcherons, il reçu l’ordre de couper certains tronc de Sureau un peu plus loin, menaçant de s’abattre sur les chemins avoisinant l’orée du bois. Son supérieur se permit d’ailleurs de lui rappeler les traditions de la coupe du bois avec une hache, rappelant que la dernière fois Morgan n’avait pas été à la hauteur du travail demandé. Il n’y pouvait rien, il apprenait comme il le pouvait et à son rythme. Il tenait, cela dit, sa hache à l’horizontal et s’était amélioré à la tranche. Et en reprenant son travail là où il l’avait laissé, il constata qu’après quelques escarmouches sur le tronc que sa migraine l’empêchait de travailler convenablement. Chaque coup porté sur le tronc le sonnait de plus en plus, ravivant la douleur alors qu’elle commençait à s’estomper avec le temps. Il réussit tout de même à abattre un arbre, mais se contenta de ce dernier avant de repartir voir l’ancien de l’atelier et de lui annoncer que la journée était terminée pour lui. La douleur avait eu raison de lui et il était rentré se coucher avec cette douleur lancinante à l’arrière du crâne. Une fois allongé, il ferma les yeux et se concentra désespérément afin d’oublier le mal de tête.

Morgan Barreta – Par Tungstène ! Faites que ça s’arrête !