Veronia s'essuya grossièrement le visage ensanglanté d'un revers du poignet tout en continuant de dépecer soigneusement le sanglier. Plus le cuir était proprement ciselé plus il valait cher. Et davantage lorsqu'il était débité en grands morceaux. Mais l'argent n'avait jamais été une fin en soit pour la centaure. Ce n'était qu'un moyen parmi tant d'autres d'obtenir ce que l'on voulait rapidement et souvent sans grande difficulté. Fort heureusement pour elle, Veronia avait d'autres méthodes peu orthodoxes pour acquérir les objets ou informations désirés.

La fille de Magnésie n'avait pas pris le soin, cette fois-ci, de vider l'animal de son sang et d'en faire offrande à sa génitrice divine. Elle n'était pas à l'origine de ce gibier, mais elle travaillait sereinement sous l'oeil attentif de son client. C'était le troisième animal qui subissait les gestes vifs et précis du couteau qu'elle tenait dans la main droite. Ronger jusqu'à l'os comme on disait... Ici aucune perte n'était à déplorer, et c'était sans lassitude qu'elle procédait à la découpe des derniers morceaux de viande.

La chasseresse et le client, d'un commun accord, avaient convenu qu'elle garderait les défenses des sangliers et leur cuir, tandis que lui prendrait la viande. Cela variait son plaisir car elle appréciait débiter la chair animale bien que son espèce n'en consommait guère. Il y avait ici un travail de précision et une délicatesse insoupçonnée dont peu de gens pouvaient en apprécier le sens.

Á l'arrêt, le regard figé, elle observait à l'horizon. Seul le vent qui traversait l'épaisse frondaison faisait écho dans la forêt Silfaën. Et ça... ça n'avait rien de normal. Aucun chant d'oiseaux. Aucun animal en vu. La centauresse resserra la poigne sur sa lance et se munit de son bouclier dans l'autre main. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle n'était pas la prédatrice ici, mais plutôt la proie... Elle poursuivit sa route avec vigilance, espérant se tromper sur ce mauvais pressentiment qui l'accompagnait depuis son entrée dans la végétation. Á l'origine en quête d'un sanglier, elle supposa rapidement qu'on la pistait depuis une bonne demi-heure.

Soudain, le sifflement caractéristique d'une flèche retentit. Un vif bondissement sur le côté, à l'abri derrière un arbre mort, la sauva de justesse. Sauf que l'analyse était fausse. Complètement erronée. Veronia comprit instantanément de quoi il s'agissait lorsque le projectile traversa sa couverture inerte, laissant une lame en sortir et dégoulina d'un liquide violacé... Dès lors, la centaure n'avait plus aucun doute, il s'agissait de Nagas. Et ces derniers n'étaient pas là pour parlementer... la lance qui venait de la manquer de peu en disait long sur les intentions de ces maudits reptiles.

Son souffle se coupa un instant. Elle resta immobile en quête d'une minutieuse réflexion pour la suite des évènements, mais en réalité, cela n'était guère pertinent pour l'heure. Il manquait les informations cruciales à une riposte adaptée. Le nombre d'assaillants. Leurs capacités offensives ou défensives. L'avantage de la surprise, ils venaient de le perdre. La déduction établie par le type d'armes et de poison utilisé était aussi une information pertinente. Elle s'adapterait ainsi plus facilement à l'agressivité des Nagas en se servant de son aversion profonde pour cette race.

Son regard se posa sur une plante alentour tandis que son ouïe capta les mouvements proches des Nagas. Un moment d'absence de la centauresse avant qu'elle ne tourne sur elle-même, bouclier dressé et lance prête à fondre sur l'ennemi, elle cabra. Chargeant à vive allure vers les trois ennemis désormais distincts sous ses yeux, elle éleva son bouclier tandis qu'une lance projetée fut déviée. Á son tour, elle arma son bras et propulsa le projectile mortel qui tua sur le coup l'un d'entre eux.

Fondant bien trop rapidement sur les deux derniers ennemis, elle dégaina son épée et une danse mortelle commença entre les trois protagonistes. Le bouclier encaissait les coups, par moment l'épée parait avec vivacité tandis que les contre-attaques pleuvaient. Les reptiles se servaient de leur mouvance et de leur surnombre pour déstabiliser la centauresse, mais c'était sans compter sur la puissance de sa croupe qui envoya valser une de ces vermines d'un coup de sabot bien placé, le laissant pour mort la tête sanglante avachie contre un tronc d'arbre. Le dernier assaillant était plus habile et performant que les autres. Á plusieurs reprises sa lance fit mouche. Sa garde fut toutefois brisé lorsqu'il reçu un coup de bouclier au visage avant que l'épée ne l'éventre dans toute sa hauteur... laissant ainsi ses organes joncher le sol.

Sans s'attarder sur les lieux Veronia récupéra ce qu'elle pu trouver d'intéressant sur les cadavres, les dépouillant sans gêne, avant de tomber sur un morceau de parchemin. Elle comprit alors qu'ils avaient été embauchés pour la tuer... Une chasse qui n'avait guère était productive, mais qui laissa dubitative l'équidé.

Le groupuscule de paysans regarda la centauresse comme si elle constituait leur dernier espoir. Veronia toisa la petite bourse posée sur la table devant elle et riva ses yeux sur chacun d'entre eux. Chétifs. C'était l'adjectif le plus représentatif pour ces gens de la basse société. Misérables pouvaient tout aussi bien leur convenir. Mais en réalité cela n'avait que bien peu d'importance pour elle. L'appât du gain n'était pas son objectif premier. Ici il était plutôt question d'aider ces pauvres gens tout en prenant du plaisir à chasser la raison de leur malheur ; un puma.

Ainsi, pendant plusieurs jours elle pista l'animal. Il était difficile à suivre puisque très régulièrement en mouvement, ne s'arrêtant à priori que pour festoyer ou se reposer. Mais la centauresse en avait vu d'autres et chasser un prédateur lui avait valu quelques frissons. Et un pécule non négligeable verser par ses clients. Mais elle retourna quelques jours plus tard leur rendre leur bourse, préférant conserver la matière première saisie sur sa proie.

La tradition voulait que le sang de l'animal chassé soit apporté en offrande à Magnésie. Mais elle ne procéda pas à une purification du liquide vital pour cet usage, non. Ce n'était qu'une requête d'un ancien client vampire. L'équidé ne cherchait pas à comprendre les motivations de cette engeance. Elle n'avait que peu d'intérêt pour son état, mais s'il contribuait à remplir ses poches de piécettes, ma foi, c'était un travail comme un autre.

Ainsi, sur la table où elle officiait,un petit vagabond qu'elle connaissait bien était assis. Le chat, dont il était question, reniflait avec grande envie ce doux parfum qui chatouillait ses narines de carnivore. S'en approchant doucement, prêt à tremper la langue, elle ajouta.

Escarmouche... tu as déjà oublié ce qui t'es arrivé la dernière fois que tu m'as volé une partie de mon dur labeur ?

L'animal fit les gros yeux avant de venir lécher sa fesse droite. Le bougre n'avait pas oublié le coup qu'il avait reçu la dernière fois. Il avait gagné ce sobriquet, peu après la rencontre de la centauresse. Combien de fois avait-elle crisé le voyant se servir dans les abats récupérés sur ses proies chassées. Moult fois ces deux là en étaient venus aux mains. Ou aux dents, pour le félin qui avait tenté en quelques occasions de la mordre. Enfin, cette fois-ci il préféra détaler, laissant la centauresse seule.

Ayant terminé sa besogne Veronia se demandait bien ce qu'elle pourrait faire. Et puis, d'un coup, elle songea qu'il faisait beau aujourd'hui, que c'était un temps à manger des fraises. Soit, mais en cette saison, ce n'était plus très évident. Tout à coup, elle pensa à une solution magique. Et c'est naturellement qu'elle fit route pour trouver Tungstène.

Marchand:

Bondissant par dessus le rocher, la centauresse arma son bras profitant de son élan, sa cible dans le collimateur, tandis qu'un de ses congénères vint la percuter sur le côté, la faisant rater sa cible. Elle s'écrasa sur le flanc avant de se remettre sur pied. Un jeune centaure qu'elle formait à la chasse avait eu la bonne idée de rendre leur session un peu plus, comment dire, compétitive. Ici, il n'y avait qu'une proie pour deux chasseurs. Une suggestion qu'avait grandement apprécié Veronia, puisque d'après elle, rien ne valait une expérience en conditions réelles. Se battre pour son pécule, ça demandait un peu plus de tripes que d'être seul en chasse, et ce, sans obstacles.

Ainsi, le jeune centaure ne se laissait pas marcher dessus, et ça ne donnait que davantage du piment à cette activité. Mais il ne s'attendait pas à ce que la guerrière soit aussi récalcitrante... En effet, il s'arrêta net et fit de gros yeux lorsqu'une lance vint se planter dans un arbre, au niveau de ses yeux, à l'horizontal, lui barrant violemment la route. Tandis qu'elle rattrapait son retard par une course effrénée, son adversaire reprit ses esprits, esquivant l'obstacle pour se remettre en route avant de s'apercevoir que quelque chose entravait ses mouvements au point de finir au sol. Et d'un sourire malicieux la centauresse victorieuse alla terminer sa session de chasse, tandis que son apprenti tentait de se libérer du bolas dont il était prisonnier. Ce n'était que partie remise...

La centauresse, accompagnée de son vautour, talonnait la cible. Presque 20 minutes qu'elle traquait le vil malandrin qui l'avait dépouillée de son récent butin. C'est donc dans les rues et ruelles étroites de Baldorheim que la poursuite avait lieu. Déterminé, ou transpirant plutôt à grosse gouttes à l'idée de se faire attraper, le voleur ne relâchant pas le rythme, courant certainement plus pour sa vie que pour les quelques récompenses de chasse subtilisées à Véronia. Il fallait se mettre à sa place une minute. Fuyant une adversaire de la corpulence de la centauresse, le tout accompagné du fracas incessant de ses sabots lancés à vives allures, autant dire qu'il entendait très bien le bras de la Justice le suivre de près. Et plus il perdait du terrain, plus il entendait la sentence approcher.

Soudain, l'équidé sembla penser que sa cible allait changer de direction. Ainsi, elle projeta rapidement une lance au carrefour, détournant l'humain d'une potentielle échappatoire, le forçant à suivre la route principale. D'une part, elle savait que sur une large voie relativement linéaire elle pourrait le rattraper aisément, mais d'une autre part car elle savait que ce chemin lui permettrait d'envoyer ce maraud dans un cul de sac. La crainte de se faire pourfendre, l'individu continua dans la direction souhaitée tandis que la centauresse récupéra sa lance au passage tout en continuant à lui coller l'arrière train.

Le son caractéristique des bolas fusa dans les airs et le malotru s'échoua contre les pavés de la ruelle. Face contre terre, il tenta de se défaire de ses entraves mais le coup de bouclier qu'il reçu au visage l’assomma net, sans aucun doute. Récupérant ses affaires la centauresse repris sa route au pas tandis qu'on entendait déjà un groupuscule de garde s'affairer autour du brigand.