Une autre journée s’amorçait dans la demeure de la thérianthrope. N’ayant aucune obligation en dehors de la ville sur le moment, la jeune femme avait donc décidé d’ouvrir boutique aujourd’hui. Après tout, Nysali n’avait pas à s’occuper de toutes les dépenses de la renarde et de sa petite famille. La rouquine s’étira donc, avant de se lever et de revêtir ses habits de marchande : un chemisier rouge, une jupe noire et une paire de bottines, histoire de ne pas se blesser dans son atelier. L’harenienne accrocha ensuite fièrement à sa ceinture ses insignes de guildes, à savoir le Cirque de l’Éclipse, l’Institut de Magie et son symbole argenté des Dragonniers, sans oublier son blason de la Garde Zéphyr. Des promotions étant en lien avec ses groupes, il lui fallait prouver sa propre appartenance.

Elle réveilla ensuite Danica et Petit Tambour, tous deux capables de suivre seuls la routine du matin, avant de se rendre dans la chambre de ses jumelles. Quelques minutes suffirent au changement des langes et à l’habillement, toujours en vert pour Jamila et en violet pour Loona. Une fois que tous eurent ensuite manger, c’était l’heure de se mettre au boulot. Les petites ayant désormais un an, Eyara les déposa dans une sorte de grande caisse de bois matelassée remplie de jouets adaptés à leur âge dans un coin de son atelier, tandis que l’adolescent et la fée nordique passaient du côté de la boutique. Il avait beau avoir treize ans, le gamin savait s’occuper des comptes et de l’inventaire, bien que l’arlequine et Danica gardait toujours un œil sur lui, au cas où il aurait besoin d’un coup de main.

La journée allait bon train, les pièces remplissaient peu à peu la caisse de la boutique. Lorsqu’il y aurait bientôt un manque d’un article, Petit Tambour venait lui faire signe et la renarde le notait pour en sculpter de nouveau. Les potions et les enchantements avaient moins la cote que ses articles en bois, mais il y avait tout de même quelques ventes. L’heure du repas du midi approchait, lorsque soudain, un bruit de verre brisé attira son attention. L’adolescent avait-il brisé une fiole ? Ou bien avait-il un problème avec un client ? Sans attendre, Eyara se pointa du côté commercial.

- Que c’est-il passé ?

Danica et Petit Tambour pointèrent la vitrine, en morceaux.

- Y’a un caillou qui à atterri dans la vitrine.

-  Et on sait pas d’où il vient.

L’arlequine envoya la fée et son protégée veiller sur les jumelles, tandis qu’elle investiguait la situation. Mais la jeune femme n’eu qu’à mettre les pieds dehors pour rencontrer le coupable. Les sens aux aguets et sa queue touffue battant l’air, la rouquine porta son regard sur le coupable.

- Je suis absolument confus pour cet accident, je...

Ses oreilles s’étaient tournées vers l’inconnu avant son regard. Il semblait chercher ses mots. Et, son flair aidant, la maman cru comprendre un brin la situation : l’homme sentait le lion à plein nez, mais son odeur mêlait encore un brin l’humain. ”Sans doute un mordu qui ne se contrôle pas encore. Et il semble avoir besoin d’aide en plus.” Pourquoi ne pourrait-elle pas lui proposer son aide, dans ce cas ?

- Ce n’est rien, je la ferai réparer. Vous allez bien ? Vous semblez soucieux. Je peux peut-être vous aider ?

Il l’a dévisage un moment avant d’enfin prendre parole.

- Merci pour votre compréhension, Madame. N'hésitez pas si je peux vous aider pour les réparations. Mes moyens sont maigres... mais mon âme volontaire.

Moyens maigre ? Âme volontaire ? Comme ses vêtements semblaient en piteux état, ce qui tendait à prouver ce point.

Je ne pourrais vous dire que je vais bien sans mentir, mais ne saurait non plus spécifier l'aide dont j'aurais besoin... Je…

”C’est bien ce que son odeur me disait, c’est un löwen mordu.” Il lui faisait un peu penser au mari de l’une de ses cousines : pour respecter la coutume de son clan, celui-ci avait accepté d’être mordu et de devenir un thérian, dingo dans son cas, par amour. Les premières années avaient été une adaptation difficile, mais il avait fini par s’y faire et à maîtriser un minimum sa bête intérieure. Ce lion avait simplement besoin d’un coup de main dans se style, sans doute.

- ... m'appelle Gabriel.

Voilà qui concluait sa précédente phrase. Il lui tendit alors la main, un tant soit peu crade, afin de la saluer, probablement. Nullement gênée par cette saleté, après tout, les siennes aussi l’étaient, entre ses blessures avec ses outils, ses teintures à bois, les peintures et tout le reste, il n’y avait rien de propre là dessus. L’arlequine lui fit donc un grand sourire en acceptant de lui serrer la pince.

- Moi c’est Eyara. Heureuse de te rencontrer, Gabriel.

Il lui fit ensuite une proposition intéressante.

- Que diriez-vous d'un échange autour d'un thé ? J'ai quelques parfums dans ma besace.

-  Je ne suis pas une amatrice de thé, mais certes, nous pouvons aller échanger à l’intérieur. Ça sera déjà plus frais que sous le soleil du midi. D’ailleurs, j’allais bientôt préparer le repas pour ma marmaille, je vous invite si vous avez faim.

Son sourire était toujours présent à ses paroles. Visiblement, l’harenienne n’avait pas en crainte une possible transformation de sa part.

- Eh bien si cela ne vous dérange pas, j'accepte avec plaisir votre hospitalité.

La jeune femme le laissa ensuite entrer dans sa boutique avant de l’y suivre. Elle ferma rapidement son commerce pour l’heure du repas, puis avisa le regard de Gabriel sur l’animal dormant sur le comptoir.

- Ne vous inquiétez pas, Kalsak* n’est pas méchant, mais il fait un très bon archéoptéryx de garde lorsque c’est nécessaire. Il est principalement dressé pour mes numéros du Cirque, mais il sait reconnaître les perturbateurs qui oseraient s’en prendre à mon commerce.

La bestiole préhistorique releva la tête à l’entente de son nom, mais se recoucha bien vite.

- Eyara, je vous remercie pour votre accueil, les gens sont généralement moins amènes à mon égard, depuis... deux mois.

”Voilà pourquoi son odeur est encore en partie humaine, c’est vraiment récent sa morsure.” Elle guida néanmoins Gabriel de l’autre côté, dans son atelier, en partie bien rangé, sauf sa table de travail, où l’attendait tous les autres. Non loin de l’endroit où se trouvait les jumelles, un coin tranquille derrière un rideau violet ouvert laissait également voir une table remplie d’objets divinatoires.

- Petit Tambour, Danica, je vous présente Gabriel. Il va rester avec nous pour le repas.

Le gamin et la fée le saluèrent poliment.

- Vul’sol**, tu veux bien aller fermer la caisse avant de monter nous rejoindre, s’il te plaît.

- Tout de suite !

Prenant ensuite ses filles dans ses bras, Eyara les présenta rapidement au nouveau löwen. Jamila, la rouquine en robe verte, préférait cacher son visage contre sa mère, tandis que Loona, la petite blanche en robe violette, ne cessait de regarder Gabriel de ses grands yeux bleus remplis de curiosité. L’arlequine se dirigea ensuite vers l’escalier au fond de la pièce, invitant le mordu à la suivre à l’étage, où se trouvait la cuisine et la salle à manger.

L’étage était également très spacieux. Une grande pièce servait à la fois d’espace de jeu d’une part, d’une petite cuisine bien fournie d’une autre, et une table pouvant accueillir près d’une dizaine de personnes entre les deux. Sobrement décoré, l’endroit ne contenait que le mobilier de base, un perchoir et un immense nid fixé au mur non loin d’un couloir, celui-ci menant sans doute aux chambres. Deux volatiles fixèrent le petit groupe à leur arrivé : un corbeau, qu’Eyara présenta sous le nom d’Urz***, et Ashlak, la vautour géante au plumage blanc. Le plus gros des oiseaux poussa un cri, mais fut bien vite calmé par sa maîtresse.

- Ce sont d’autres de mes bestioles pour mes numéros. Ashlak est protectrice, mais pas agressive. Oh et, ne faites pas attention si vous entendez des sons sur le toit, j’y ai une petite écurie pour mes deux montures volantes.

La maman installa ensuite ses filles avec quelques jouets et proposa à Gabriel de prendre place à table avant de s’attaquer à la préparation du repas. Elle alluma son petit four et commença une préparation mélangeant plusieurs légumes et haricots. Il n’y avait visiblement aucune viande au menu du midi. Avec l’expertise de quelqu’un habitué à nourrir plusieurs personnes rapidement, l’harenienne coupait ses légumes à une vitesse surprenante.

- Alors, si vous commenciez par me parler un peu de ce qui vous arrive ? J’ai bien senti votre appartenance au lion. Bien qu’étant renarde de naissance, je peux sans doute vous donner quelques conseils, lança l’arlequine en balançant sa préparation végétale dans une poêle en demi-sphère, avant de la placer sur les flammes.

La renarde s’étonna que son oiseau réagisse de cette façon avec Gabriel. Peut-être était-ce ce qu’il dégageait qu’Ashlak appréciait plus. Après tout, il avait le sang d’un lion désormais, alors peut-être cela lui rappelait-il sa savane d’origine ? Mais la jeune femme se concentra plutôt sur l’histoire du löwen.

- Eh bien, je menais une vie un peu semblable à la vôtre car j'appartenais à un cirque itinérant. J'y étais acrobate et "dresseur" de lion. Sur la route d'Ishtar, nous sommes tombés sur un village traumatisé par les Thérianthropes, et notamment les homme-lions. Ils ont mis Mello - mon lion - en cage, étaient agressifs à son égard...
Je n'ai pas réussi à suffisamment calmer Mello, il allait attaquer, je me suis interposé et…

Il releva alors sa manche, révélant la cicatrice encore fraîche de sa morsure.

- Ils m'ont enfermé dans la cage, en prévision du monstre que j'allais peut-être devenir, avec Mello, où ma... "transformation" a commencé et…

Il s’arrêta, semblant être à bout de souffle. La rouquine releva la tête, préférant garder un œil sur la sécurité des siens plutôt que sur le repas. La respiration du mordu s’était accélérée, comme s’il était pris d’une angoisse soudaine. Discrètement, elle changea ses ongles en griffes, juste au cas où le löwen deviendrait agressif soudainement.

- Désolé… marmonna-t-il finalement.

Voilà qui calmait les craintes de l’arlequine, encourageant celle-ci à ranger ses griffes et reprendre la préparation du repas.

- L’angoisse est normale, principalement dans les premiers mois, voire années. Ton corps et ton esprit s’adaptent peu à peu à ce nouvel état, et, comme à l’adolescence, des changements s’opèrent. Il faut simplement être patient.

Elle lui laissa le temps d’assimiler cette information avant de poursuivre.

- Pour ma part, je suis thérian de naissance, mais ma vie n’a pas toujours été rose non plus. Certes, je ne me rappelle pas de ma propre première transformation, je n’avais que deux ans environ à l’époque, mais nous sommes sept dans ma fratrie. J’ai vu la transformation des plus jeunes, sans compter celles de ceux se faisant mordre pour rejoindre notre clan. Je sais comment cela peut être douloureux et difficile. C’est d’ailleurs une crainte que j’ai, car celle de mes filles viendra normalement dans l’année. Bien que nous soyons toutes thérian par héritage, la première fois est toute aussi douloureuse pour nous que pour un mordu. Mais par la suite, pour l’un comme pour l’autre, cela finit par se calmer. Le simple fait que vous ne vous êtes pas transformé devant moi sous le coup de la peur est déjà une preuve d’un minimum de contrôle, ce qui est bien.

Petit Tambour arriva alors, grimpant les marches quatre à quatre, une bourse à la main et Danica le suivant en voletant. L’harenienne lui demanda d’aller ranger leurs gains de l’avant-midi, avant de revenir mettre la table, ce que l’adolescent s’empressa de faire.

- Avant que vous ne me le demandiez, non, cet enfant n’est pas comme nous. C’est un jeune humain confié au Cirque il y a deux ans, je crois, peut-être trois. Je veille sur lui depuis presque l’automne dernier, mon amie n’ayant plus autant de temps pour lui qu’avant. C’est par contre un flûtiste de talent et nous faisons nos numéros ensemble. Bien qu’étant divinatrice à l’origine, j’ai appris à faire des acrobaties aériennes avec ma ménagerie, bien plus simple à mettre en place qu’un numéro de divination à grande échelle.

Petit Tambour revint alors et commença la seconde tâche confiée par sa protectrice, sortant assiettes et ustensiles du placard. Eyara s’affairait déjà à mettre du pain et du fromage au centre de la table, avant d’installer Jamila et Loona dans des chaises adaptées à leur âge non loin de sa propre place. Elle servit ensuite de généreuses portions à tous d’un sauté de légumes et haricots, tandis que le jeune garçon apportait un pichet d’eau et des gobelets pour tous.

- Bon appétit !

Tous commencèrent à manger, mais Eyara gardait l’oreille attentive, au cas ou Gabriel aurait des questions.

- C'est très bon, merci. J'imagine avec peine la complexité de savoir qu'un événement si violent va arriver à vos filles sans pouvoir s'y opposer... N'y aurait-il pas des méthodes ou des potions qui permettraient de rendre le processus moins douloureux ?

Bien sûr qu’il y en avait, mais il s’agissait de remèdes en général complexes à avoir, raison pour laquelle personne ne s’en servait chez les Kilab.

- Si, il en existe, mais ils sont si chers que mon clan a pour habitude de faire sans. Et puis, c’est un peu un rite de passage, cette première transformation. Elle nous permet de comprendre que la vie n’est pas aussi rose qu’on ne le pense, et que notre chemin dans cette vie sera parsemé d’embûches. C’est … culturel principalement, donc je ne sais pas si tu comprendras.

La renarde mangea quelques bouchées avant que Gabriel ne reprenne la parole.

- Je suis désolé si vous avez eu peur que je me transforme. Je suis plutôt chanceux à cet égard là : en dehors de mes nuits et des pleines lunes, je ne me suis que très rarement transformé contre mon gré... et jamais volontairement, d'ailleurs.
Comme vous, je n'ai pas choisi cette... nature. Mais ce n'est ni mon enfance ni mon peuple.
Savez-vous si quelqu'un a déjà été capable d'inverser le processus ?

Un sourire mi-triste mi-amusé apparut à ses lèvres. Combien de gens lui avait posé cette question, par le passé ? Trop, en vérité. Mais pour son clan, la thérianthropie était un don, un cadeau offert par les dieux. S’en débarrasser était comme un sacrilège. Mais l’harenienne pouvait comprendre que ce n’était pas le cas de tout le monde, les mordus principalement. En général, ceux naissant avec ce pouvoir, du moins ceux qu’Eyara avait rencontrés, n’en parlaient pas et ne semblaient pas non plus vouloir se débarrasser de leur don de métamorphose.

- Si un remède existe, ce que je doute fort, et bien je ne le connais pas, j’en suis désolé. Il te faudra apprendre à vivre avec ton nouveau sang löwen. D’ailleurs, sache que ce pouvoir est héréditaire, si jamais tu engendres un enfant avec une humaine ou une elfe. Les halfelines sont compatibles aussi je crois, de part leur hybridation elfique. Les autres races, de mémoire, résistent au sang de lion. Et si la mère est également thérianthrope, c’est son animal à elle qui est transmit dans la grande majorité des cas.

Si vraiment il n’appréciait pas son cadeau, alors autant le prévenir sur les possibles conséquences que cela pouvait créer. La rouquine profita du moment silencieux qui suivit, laissant le jeune homme assimiler toutes les informations, pour donner pain et fromage aux jumelles, après avoir tout coupé en plus petits morceaux. Loona était visiblement la plus gloutonne des deux filles, puisque son assiette était déjà en bonne partie engloutie, tandis que les deux autres enfants prenaient leur temps et que la petite fée avait pris place au centre de la table et croquaient dans les aliments biens trop grands pour elle.

- Du coup, si j’ai bien compris, vous avez été dans un cirque, mais  vous l’êtes plus ? Peut-être qu’Azriel voudrait bien vous prendre au Cirque de l’Éclipse alors, il est toujours à la recherche de nouveaux talents pour les spectacles.

- N'oublie pas, vul’sol que c’est Holy, et non Azriel, qui gère le recrutement. Et puis, ça c’est juste si Gabriel le désire.

L’arlequine tourna son regard vers le nouveau löwen.

- Rien ne t’y oblige, mais le petit à raison, si tu cherches un travail où un endroit où t’installer, il y a sans aucun doute une place dans notre grande famille. Et puis, il y a d’autres thérians dans la troupe. Jack par exemple, est un mordu également. Il sera sans doute plus apte que moi pour t’expliquer les changements qui se produiront chez toi. Et Holy est comme moi, une thérian par héritage. Du coup, je suis sûre qu’à plusieurs, on pourrait t’aider.

- Je vous remercie pour ces informations... Même si avoir une descendance ne semble... pas dans mes projets ou mes cordes, disons.

Eyara eut un petit sourire malicieux à ses paroles, avant de répondre.

- J’aurais tendance ici à ne jamais dire jamais. On ne sait pas ce que la vie pourrait nous réserver. Vois-tu, je me suis marié il y a presque deux ans, et je ne pensais pas devenir mère aussi rapidement, mais les filles sont arrivées pratiquement neuf mois après mon mariage. C’était … un mariage arrangé, en quelque sorte, et nous pensions tous deux avoir du temps pour apprendre à nous connaître. Et au final, pas du tout. Et puis, après avoir élevé ma fratrie assez nombreuse, je ne désirais pas être mère tout de suite, je voulais profiter de la vie. Mais voilà, c’est deux petites fripouilles sont là, mais je ne le regrette aucunement.

Et tout était vrai, bien sûr. Certes, la jeune femme avait prit soins de ses frères et soeurs après le décès de leur mère, mais jamais elle ne se serait douté le devenir aussi rapidement. Surtout que bon, l’harenienne c’était marié à un âge où la plupart des femme de sa génération étaient déjà mère d’une ribambelle d’enfants. Dans sa tête lorsqu’elle avait quitté son clan pour voyager et découvrir le monde au-delà du désert, jamais cette idée ne lui avait traversé l’esprit. Et même si Vlad n’était plus là, cette expérience avait redonné à Eyara son instinct maternel, au point où l’arlequine pensait adopter d’autres enfants, peu importe leurs origines raciales. Ce qui lui permettrait au passage, d’une certaine façon, de prouver à son père, qu’être un thérian canin n’était pas la seule manière de faire partie de la famille. L’important, c’était les liens du cœur, l’amitié et l’amour. Le sang ne faisait pas tout.

- Je suis très touché par votre gentillesse. En effet, le cirque Zoltane était à la fois mon travail, ma famille et ma maison. J'y avais... mon amour, aussi. Et j'ai tout perdu après ma transformation... Ils ont pris peur de moi, et sont partis sans moi. Je suppose qu'ils n'avaient jamais connu de thérians avant, quand j'arriverais un peu mieux à me contrôler ou que... j'aurais trouvé une autre solution, je pourrais les rejoindre à nouveau !

Voilà qui ramena la renarde au présent. Gabriel était enthousiaste, mais qu’il semblait y avoir un truc caché derrière, mais Eyara n’en tint pas rigueur pour le moment. Après tout, chacun avait des secrets qu’il ne désirait pas forcément partager, et ce début potentiel d’amitié que ressentait la rouquine lui disait de sagement attendre. Si Gabriel désirait parler, qu’il parle, mais elle ne le forcerait pas. Mais son histoire, en quelque sorte un brin similaire à la sienne, bien que l’abandon de son mari ne soit pas pour les mêmes raisons, lui fit tout de même un petit pincement au cœur.

- Cependant, ne croulant ni sous l'or ni sous les propositions, je serais heureux d'avoir en attendant un endroit où pouvoir me produire ! Il faudrait que j'aille en discuter avec Holy, c'est ça ?

Puis il se tourna vers Petit Tambour, tandis que la jeune femme confirmait d’un hochement de tête la réponse à sa question.

- Et du coup tu te produis déjà sur scène à ton âge ? Chuis super impressionné tu peux être fier de toi ! Est-ce que ça te dirait de me montrer un peu ce que tu fais ?

L’adolescent qui avait terminé son assiette, tourna la tête vers Eyara, qui lui donna la permission de quitter la table pour aller chercher son instrument, le sourire de nouveau aux lèvres en voyant l'énergie du petit. Il disparut bien vite dans le couloir des chambres et, bien vite, un fatras se fit entendre. Il fallait donc se douter que Petit Tambour n’avait pas la chambre la plus rangée du quartier et que, par le fait même, son instrument se retrouvait quelque part dans le bordel de la pièce. Amusée, la mère de famille poursuivit la conversation.

- Petit Tambour est un orphelin des rues de Stellaraë. Il a été adopté par une stryge blanche il y a quelques années, avant d’être confié au Cirque pour je ne sais quel raison. C’est Holy principalement qui veillait sur lui jusqu’au début de l’automne dernier, où j’ai pris la relève. Il a beau n’avoir que treize ans, environ parce que même lui n’est pas sûr, et bien il faut dire que c’est un flûtiste de talent. Depuis le printemps, c’est lui qui joue l’ambiance musicale de mes numéros, aidé d’une flûte enchantée. Par contre, j’espère qu’il va prendre son instrument normal pour cette fois. Je sais qu’il maîtrise de mieux en mieux sa magie, mais je préfère ne prendre aucun risque dans ma maison. Et si jamais tu veux discuter avec Holy pour une possible intégration, ou avec les autres membres de la troupe, la tournée est actuellement à BaldorHeim mais, si tu n’as pas peur de voler, je pourrais t’y conduire dès demain si tu veux. Avec deux montures volantes, on y sera rapidement.

Le jeune garçon revint sur cet entrefait avec une simple flûte de bois, tout heureux de l’avoir trouvé et au plus grand plaisir de la renarde au choix de son instrument.

- Je joue avec mam’zelle Eyara depuis quelques mois maintenant ! Je suis flûtiste. D’habitude, je prends un instrument magique qui fait apparaître des animaux de brume, mais je sais que pour mes entraînements ici, mam’zelle Eyara préfère que j’utilise ma flûte de bois. D’ailleurs, là c’est l’un des premiers airs que j’ai appris, t’es prêt ?

Et, sans attendre la réponse, l’adolescent s’installa et commença à jouer, pour le plus grand plaisir de tous, surtout Loona qui le regardait d’un air émerveillée. Sans doute voudrait-elle apprendre elle aussi, dans quelques années.

Elle avait bien remarqué les réactions de Gabriel lorsque la rouquine parla de son mariage, mais n’alla pas plus loin. Il valait mieux lui parler de ce genre de détail une fois qu’il aurait plus d’informations sur son clan, mais rien ne pressait. Il semblait également surpris qu’Eyara lui offre une balade aérienne jusqu’à la troupe, ce qui mit un nouveau sourire sur le visage de la maman. Mais, pour l’heure, la vedette allait à Petit Tambour et à son talent de flûtiste. L’adolescent joua une mélodie que la renarde n’avait pas encore entendue de son répertoire, et le trouva, comme toujours, très talentueux. Une fois son numéro terminé, il s’inclina devant les autres comme lorsqu’un numéro se terminait et que le duo saluait la foule charmée. La maman se joignit bien sûr aux applaudissements, juste après avoir retiré l’assiette de Loona qui, en tapant sur sa tablette, risquait de faire un joli désordre culinaire.

- Bravo !  C’était très beau, merci de m’avoir partagé ça ! J’ai hâte de voir ce que ça donnerait avec tes animaux de brume…

- Pour ça, va falloir venir soit voir nos numéros, soit venir dans la troupe !

Il avait bien sûr répliqué en rigolant. L’harenienne avait dit de ne pas le forcer, alors l’enfant préférait en rire, tout en l’invitant à au moins venir le voir en spectacle. Mais bien vite, Gabriel s’était tourné vers la rouquine, changeant de sujet.

- Je n’ai jamais volé de ma vie mais c’est l’un de mes rêves depuis que je suis tout petit ! Je ne pourrais dignement pas refuser cette proposition !  L’avantage c’est que je n’ai pas plus d’affaires à préparer… En revanche, j’ai remarqué que depuis ma... transformation, les animaux semblent beaucoup moins m’apprécier qu’avant, y compris ceux que je croyais parfaitement connaître, comme le lion qui m’a mordu. Est-ce quelque chose de courant chez les nouveaux thérians ?

La jeune femme prit le temps de réfléchir. Pourtant, elle n’avait pas remarqué tant de changements dans le comportement de ses bêtes lorsque le löwen s’était manifesté. Certes, Kalsak avait relevé la tête à son arrivée, mais l’arlequine mettait sur le compte d’avoir prononcé son nom lorsque le mordu avait porté son regard sur lui. Urz ne semblait pas s’en faire non plus, et Ashlak semblait curieuse.

- Bonne question en fait. Mes volatiles ont pas mal tous réagit de la manière habituelle malgré ta présence. Peut-être ma vautour, mais je me dis que c’est justement ton sang de lion qui doit lui rappeler sa savane natale. Mais en même temps, j’ai personnellement dressé chacun d’eux, ça les à sans doute habitués à ne pas craindre les gens comme nous ? Il faudrait voir avec Vroska* et Shakab dans ce cas. Ça ne serait pas l’idéal d’avoir un accident en plein vol parce que l’une de mes bêtes réagit mal.

- Quand est-ce qu’on part rejoindre la troupe, mam’zelle Eyara ?

L’enfant marquait un point. Plusieurs choix étaient possibles : directement cet après-midi, auquel cas il lui faudrait contacter Nysali pour venir régler l’histoire de la vitrine, de toute façon il y avait peu de clients en après-midi, et filer en direction de BaldorHeim, soit attendre le lendemain et faire de même. Ou bien attendre quelques jours et aller à Kastalinn. Ils étaient à la fin de la période dédiée à BaldorHeim, et risquaient donc de rater le convoi. L’arlequine exposa les trois solutions à Gabriel et le laissa déterminer leur départ, précisant qu’au besoin, elle pouvait lui faire une place où dormir en attendant le départ, contre un coup de main au besoin, bien sûr.

- Eh bien, partir demain me semble très bien : je suis tout juste arrivé à Stellaraë après quelques jours de marche plutôt pénibles, alors je serais ravi de pouvoir profiter de votre accueil cette nuit pour me reposer... et de mettre la main à la pâte avant cela ! J’apprends en ce moment le métier de bûcheron... je pourrais vous aider sur les découpes de bois les plus grossières, par exemple ?

Elle allait lui répondre, mais Gabriel enchaîna directement :

- Avant cela, si je puis me permettre d’abuser de votre patience et de votre hospitalité, rien ne me ferait plus plaisir que pouvoir me laver histoire de retrouver figure... humaine.

"C’est vrai qu’il ne sent pas la rose." La rouquine accepta donc l’idée de partir le lendemain. Elle envoya Petit Tambour montrer la salle de bain au löwen et lui montrer où se trouvait le puits afin qu’il puisse remplir son bain, tandis que Danica était envoyé quérir le verrier pour réparer la vitrine. Ne restait plus qu’à mettre les filles au lit pour la sieste d’après-midi. Tandis que Gabriel était au bain, Eyara en profita pour sortir quelques vieux vêtements de son mari qui traînait dans une armoire, au cas où il reviendrait. Vlad et le mordu faisant sensiblement la même taille, le jeune homme pourrait au moins avoir des fringues propres … et presque neufs aussi, ce qui l’aiderait pour sa présentation au Cirque. De toute façon, ces vêtements lui seraient bien plus utiles.

Les jumelles dormaient encore lorsque le löwen sortit de la salle de bain, alors la renarde l’invita à descendre dans son atelier. Si Gabriel était apprenti bûcheron, elle pouvait fort bien lui passer commande de temps à autre pour le bois, et préférait donc lui indiquer de suite le niveau de souplesse et la qualité du bois requis pour ses créations. Elle était passée maître absolue dans son art récemment, et désirait maintenir un haut niveau de qualité, même pour les articles pour débutant. Aussi, l’arlequine indiqua son intérêt pour les essences sylvestres si jamais le jeune homme en trouvait par hasard durant ses cueillettes.

Le soir venu, la vitrine était de nouveau comme neuf. Après le repas du soir, Eyara invita Gabriel à la suivre sur le toit, afin que ses montures s'adaptent déjà à ce nouveau passager, mais surtout pour voir leur réaction. Une petite écurie de deux boxs en bois avait été construite à l’opposé des escaliers. Le toit offrait d’ailleurs assez d’espace pour que deux bêtes s’envolent sans se nuire, mais sans plus. Dans le box gauche se trouvait une griffonne aux plumage de feu et aux grands yeux verts. Dans l’autre se trouvait un hippogriffe noir et blanc répondant au nom de Shakab. L’harenienne sortit en premier sa propre monture mi-aigle mi-lion. Vroska fit d’abord sa curieuse, reniflant et jaugeant le löwen de manière méticuleuse. Elle ne montra aucun signe d’agressivité, ce qui était somme toute un bon point. Shakab cependant fut plus complexe. L’animal, plus jeune et plus énergique, agissait presque comme un chien à renifler le löwen et à vouloir jouer avec lui. Mais au final, tout semblait bien se dérouler.

Et, lorsque vint le temps de dormir, la maman offrit au löwen une boisson calmante de son cru, afin d’éviter les cauchemars ou autres qui pourraient provoquer une transformation nocturne involontaire. Le jeune homme lui avait dit que celà arrivait, mais qu’il ne maîtrisait pas. Alors, plutôt que de courir des risques inutiles, puisqu’il dormirait au salon, autant le lui proposer.

Bien sûr que son ouïe surdéveloppée avait entendu la porte d’entrée. Mais la jeune femme se doutait que Gabriel reviendrait, qu’il n’était sans doute sortit que pour prendre l’air. Profitant de son absence, la maman avait tranquillement réveillé sa famille, les préparant pour le voyage au passage. Certes, tout le monde avait des vêtements de rechange dans sa roulotte au Cirque, mais il fallait tout de même s’habiller en conséquence, l’air à leur hauteur de vol étant plus frais, sans compter celui de la destination, nourrir les bêtes et préparer les selles et harnachement des montures également. Heureusement que l’adolescent vivait avec elle, ce qui lui donnait un sérieux coup de main, tout en lui inculquant l'entraide et la gentillesse, deux qualités importantes pour l’harenienne.

Au final, Gabriel fut plus rapide à rentrer que ce que la maman croyait, celui-ci arrivant avec des pâtisseries tandis qu’elle habillait des jumelles babillantes et s’échappant au moindre regard tourné comme les deux petites fripouilles qu’elles étaient. Heureusement, les petites n’allaient pas encore trop vite sur leurs jambes, ce qui aidait la rouquine. Alors qu’elle arrivait enfin dans la pièce commune, une fillette rigolante sous chaque bras et les cheveux en bataille, l’harennien salua le löwen d’un mouvement de tête. Visiblement, les petites avaient énormément d’énergie ce matin-là.

- Bonjour, Gabriel. Bien dormi ? C’est gentil de mettre la table et d’avoir acheter quelques pâtisseries au fait, j’vais nous préparer des fruits pour accompagner le déjeuner.

Petit Tambour arriva alors du toit, Danica sur l’épaule, les mains couvertes de traces de sang. Il avait visiblement nourrit toute la ménagerie avec de la viande fraîche. Plus aucun oiseau n’était dans la pièce d’ailleurs.

- T’as donné quelques cristaux à Boris aussi ?

- Oui ! J’vais me laver les mains !

Pas besoin d’en dire plus. L’adolescent savait visiblement quoi faire le matin sans qu’on lui demande. Une routine qui était donc bien ancrée. Une fois Jamila et Loona installées dans leur chaise, la rouquine s’attaqua à découper des fruits, comme promis : fraises, bananes, pommes et oranges s’ajoutèrent donc au centre de la table dans de grands bols, permettant à tous de piocher dedans. Lorsque son protégé et la fée revinrent du nettoyage, la maman invita tout le monde à table pour le repas. Tout le monde semblait avoir faim, ou hâte de partir car, bien vite, il ne restait plus rien.

Après avoir tout ranger, la maman fila un instant dans sa chambre, avant de revenir avec une cape chaude et de la tendre à Gabriel.

- Tiens, il fera froid dans le ciel, même au-dessus d’Harena, et là où nous allons. Ce ne serait pas le moment de prendre froid.

L’arlequine lui fit un clin d'œil avant de prendre ses filles, de les installer contre elle de son ingénieux système de foulard et de filer vers le toit. Voilà qui serait donc le moment fatidique des présentations des montures et du mordu. La maman commença par la plus docile des deux, Vroska. Ouvrant la porte du box, la rouquine laissa la bête faire quelques pas sur la pierre froide du bâtiment, laissant la créature au plumage de feu s’étirer et ouvrir ses ailes. Restant loin au début, la griffonne finit tout de même par s’approcher de Gabriel, le reniflant dans tous les sens. Voyant cela comme un bon signe, Eyara laissa donc son hippogriffe sortir à son tour. Shakab, plus protecteur, fonça directement vers le löwen, le reniflant à son tour. Quand la maman comprit qu’il n’y aurait aucun souci avec le nouveau passager, elle scella Vroska pendant que Petit Tambour faisait de même avec Shakab. En quelques minutes, les deux montures étaient prêtes pour le voyage. La rouquine grimpa ensuite son archéoptéryx et son élémentaire de pierre sur la griffonne, dans des sacoches de selles adaptées, puis se tourna vers Gabriel.

- Grimpe avec Petit Tambour. Shakab est moins chargé que Vroska à la base, il pourra tenir le rythme. J’ai peur que ce soit pas le cas de Vroska si je t’ajoute en plus de moi et les jumelles. Aussi, il y a des sangles au niveau des jambes, chaque selle en a deux paires. Pour sécuriser le vol, alors, n’oublie pas de les nouer.

- Viens, je vais te montrer !

Sans attendre, l’adolescent grimpa à sa place, à l’avant, et commença à s’attacher à la selle, indiquant ainsi au löwen où les positionner.