C’était d’abord une peur grandissante dans les hautes instances de la Garde Royale. De longs débats effrénés et intenses sur la question de la place de l’humanité en ce monde. Les Gardiens ont la noble tâche de défendre le royaume et le Roi contre toute menace, vint elle de l’extérieur comme de l’intérieur. C’est dans l’exercice, un peu trop zélé, de cette mission que naquit cette peur : celle de voir la fin du peuple des Hommes. L’humanité, certes en supériorité numérique, s’incline fasse à bien des espèces dans plusieurs domaines. Pire encore, imaginer un seul instant les autres royaumes faire cause commune contre Stellaraë serait synonyme de catastrophe. L’idée d’exploiter le potentiel humain est alors apparu comme une évidence.
L’agogé, mis en place par les hautes instances des Gardiens, vise à façonner l’humanité de demain. Pas seulement des soldats, mais des êtres sculptés dans le bois brute de la discipline. Des individus exceptionnels pour la gloire de Stellaraë.
Le projet fut adopté unanimement et les fonds nécessaires à une telle entreprise débloqués généreusement. La cellule agogéenne avait donc carte blanche :
“Faites ce qu’il convient de faire, Gardiens. N’hésitez pas, soyez intransigeant.”
Lorsque Caelan vint au monde, comme tant d’autres orphelins de la belle cité de Stellaraë, il fut examiné. S’il avait été petit, malingre, chétif ou difforme, il aurait été rejeté.
Répartit en plusieurs petits groupes, ces enfants délaissés de la cité se sont vus attribué, ce qu’ils appelaient, une “Révérende-Mère” : une mère de substitution pour ces orphelins afin de leur prodiguer affections, amour et éducation nécessaire au développement d’un enfant.
Les premières années de vie de Caelan et de ces enfants furent paisibles. Ils avaient à manger, boire et de quoi se divertir. Les révérende-mères veillaient à tisser un lien de fraternité entre tous les enfants de manière à établir une grande famille. Caelan grandit au milieu de ce qu’il lui apparaissait comme une grande famille avec de nombreux frères et soeurs ainsi que des mères affectueuses.
Les révérende-mères fournissaient un travail indispensable pour l’agogé. Elles construisaient les bases solides de ce programme eugénique visant à créer des êtres humais exceptionnels.
Caelan désigna comme sa maman la révérende-mère du nom de Blanche. C’était une dame réellement soucieuse des enfants qu’elle avait à charge et doté d’une douceur infinie. C’est elle, on peut le dire, qu’il lui enseigna la bonté et l’amour. Elle entretenait un soin particulier pour Caelan.
Mais ce n’était que la première étape de cette agogé…
Vint l’âge de ses sept ans. Caelan et ses nombreux frères et soeurs furent déportés dans les Terres Désolées dans le sud du royaume, bien loin des yeux des civilisations de Duralàs. Abandonnant les révérendes-mères au profit d’instructeurs vétérans parmi les Gardiens.
Là-bas, ils furent sévèrement mis à l’épreuve. Ils reçurent une instruction martiale des plus extrêmes, quitte à frôler la mort pour intégrer tous les principes de l’escrime, de la stratégie militaire et de la philosophie de la guerre.
“Plus vous transpirez ici, moins vous saignerez sur le champ de bataille !” répétait froidement l’instructeur en chef.
C’est à cet âge là, dans cet enfer isolé de tout, que Caelan se confronta à la peur poussée à son paroxysme. Elle fut insufflée par son instructeur en chef du nom de Mercer. Ce dernier prodiguait cette éducation avec beaucoup de zèle. C’était dans ses moments là, un glaive en bois à la main, face au monstre qu’était son mentor que la peur le tortura. Se débattant comme un petit diable, Caelan ne pouvait espérer se sortir de cet enfer. L’homme devant lui était terrifiant, persuadé du bien fondé de ses actes. Caelan, en larme et transit de peur, lui faisait face. L’instructeur lui rendait chaque attaque donné par le tout jeune Caelan par un coup de sa main non armé, motivé par l’idée que ces émotions pouvaient être chassés de cette façon.
Pire encore, l’instructeur en chef du nom de Mercer semblait lui aussi délivrer une sévérité supérieur à l’égard de Caelan. Lorsque les enfants devaient courir 500 mètres pour mériter le repas du soir, Caelan devait courir 500 mètres de plus. Au cours d’escrime, Mercer lui attacha une main dans le dos. Des exemples de la sorte se comptait par dizaine.
Il y a des violences qui marquent le corps par des ecchymose ou des écorchures, mais celles qui marquent l’esprit et l’âme sont les plus profondes.
Courbaturé, essoufflé, fatigué, contrarié, souvent blessé, tel était les fins de journées de ces enfants arraché à une vie pire que celle d’enfants des rues de la cité de Stellaraë. Lorsque leurs petits corps atteignaient leurs limites, les instructeurs disciplinaient leurs esprits avec la philosophie, la stratégie ou des enseignements plus généraux.
Le meilleur souvenir de Caelan fut de retrouver soeur blanche dans cet enfer. Elle avait organisé une visite impromptue avec quelques-unes des autres révérendes-mères afin de constater du déroulé de l’agogé.
Elle fut horrifiée et profondément attristé de l’état dans laquelle se trouvait ses enfants. Elle étreignit Caelan et ce dernier dans un murmure lui souffla : “J’ai peur, Soeur Blanche…” en guise d’appel à l’aide.
Voyant les ecchymoses, les écorchures et les regards sombres des enfants, Soeur Blanche se dirigea vers la tente du responsable de cet enfer…
***
“Vous allez beaucoup trop loin ! Ce n’est pas ce qui était prévu avec ces enfants !” s’insurgeait la révérende-mère Blanche contre l’instructeur en chef.
“Demain ce ne sera plus des enfants ! C’est un mal nécessaire. Leurs esprits se construit maintenant. Ils doivent connaître la souffrance ! Ce n’est que par une parfaite discipline que ces enfants deviendront l’avenir de Stellarae !” répondit avec ferveur Mercer.
“J’en informerais le Roi de ce que vous faites subir à ces enfants !”
“Allez-y ! Est-il seulement au courant de ce que nous faisons ici dans ce trou perdu ? Il partagerait mon point de vue à n’en point douter. Depuis trop longtemps nous sommes encerclés par des ennemis qui vivent 100 fois plus longtemps que nous, des ennemis plus robustes, plus fort et plus ingénieux que nous. Quel est notre place dans ce monde, ma chère ?”
“Nous n’avons pas que des ennemis.”
“Nos alliés d’aujourd’hui peuvent très bien être nos ennemis de demain. Dans cette éventualité, l'agogé sera la réponse à toute menace.”
Le vieil homme tourna les talons vers le camp de fortune ou résidait de manière spartiate ce qu’il appel “l’avenir de l’humanité”. Les enfants se trouvaient dans ce qu'ils appelaient "Le Cercle". Le principe est simple : un enfant demeure au centre, seule et les autres enfants et instructeurs autour, à tour de rôle, armés d'un glaive en bois, lui asséner une attaque franche. Celui au centre devait esquivé paré ou encaisser...
“Attention, révérende-mère. Ce ne sont pas vos enfants.”
“Je sais. Vous savez que ce programme demande beaucoup d’argent et de moyen. Votre commanditaire peut couper vos vivres à tout moment.” fit remarquer Blanche.
“Nous avons une personnalité importante dans nos rangs.”
“Vous croyez vraiment ses rumeurs ?”
“Non, mais notre commanditaire le croit. Tans qu’il pensera que nous avons un sang royal parmi nous, il fera en sorte que ce programme parviennent à son terme.”
***
Ce qui permit à Caelan de survivre, c’était cet espoir placer en la personne de Soeur Blanche. Elle allait en parler au Roi et le Roi dans sa grande bonté allait demander à l’agogé de s’arrêter. Il en était sur…
Non. Cette éducation rude dura encore quatre ans. Quantre longues années à aiguiser sa survie, ses sens, refoulé autant que se peut ses larmes. Son espoir d’être sauvé s’envola et se mua en colère. Soeur Blanche avait-elle fait le nécessaire ? Le Roi avait-il cru ses paroles ? Trouvait-il cela normal comme traitement pour des enfants ?
De toute évidence, le monde entier se moquait bien de ce que subissait lui et les siens dans ce sable aride sous ce soleil infernal.
Ce qui réellement mis un terme à l’agogé, ce fut hélas, le décès d’une des soeurs de Caelan, Aliénor. Arrivé à l’adolescence, les enfants commencèrent à manifester un mal être de plus en plus profond. A tel point qu’Aliénor fugua en pleine nuit, loin du camp de l’agogé.
Ils retrouvèrent son corps déchiqueté le matin par un Démon Capra.
Le point de rupture était atteint par l’ensemble de la petite communauté. Il eut une rebellion, même chez certain Gardiens à l’encontre de Mercer. Les enfants se soulevèrent contre la tyrannie du Chef instructeur au cours d’une sanglante journée. Acier, sang et larmes furent une nouvelle fois versé pour la dernière fois avant que chacun ne s’échappe dans la solitude.
Caelan avait tout de suite pris la fuite, préférant ne pas plonger dans les abîmes de la vengeance et tiraillé par sa peur. Laissant derrière lui le carnage, il avait prit les provisions nécessaires pour le voyage de retour à Stellaraë.
Il prit soin d’éviter les différentes menaces, autant que se peut et arpenta les principaux axes routiers. Le retour fut difficile tourmenté par la soif, la peur et la fatigue.
Âgé alors de 14 ans, il retrouva la belle cité de Stellaraë. A bout de force, il croisa la route d’une famille de paysans du nom des Granell revenant du marché de la cité. Ils le prirent en pitié et lui vinrent en aide. Ils l’adoptèrent en quelque sorte. Ils avaient cruellement besoin de main d’oeuvre et Caelan pour s’acquitter de sa dette à leurs égards travailla dur à leurs exploitations. De plus, dans leur ferme dans les plaines d’Aràn, loin de l’oeil des Gardiens, il pourrait se reconstruire en goûtant à une vie simple.
Il enterra son armure et son équipement sous un rocher. Le travail à la ferme était dur aussi, mais ô combien plus sain et paisible. Là, au milieu des bovins et des sols fertiles, il se reconstruisit. Le soir avant de s’endormir, il écrivit ses mémoires et philosopha sur sa vie.
Il goûta à dix ans de paix en tant que paysans chez la famille Granell, mais il savait que son destin n’était pas ici. Ses grandes aspirations allaient bientôt le conduire hors de la ferme à la rencontre de son destin…