Redaka sirotait une bière, encore dans sa tenue de soirée, comme se levait par delà les collines du désert d'Harena un soleil de printemps.
Lentement, comme l'astre solaire gravissait les murs de la ville, des rayons dorés vinrent lécher la peau à nue du Djöllfulin assis à la terrasse d'une taverne du centre. Encore porté par des humeurs motivées par les substances, il se fendait d'un rire en voyant son partenaire de soirée aller régler au comptoir. Il avait heurté une table sur le chemin, et s'était vautré du haut de son mètre quatre-vingt dix, s'étalant copieusement au milieu des rares survivants du mercredi soir.
Quel beau jeudi s'entamait, pensa-t-il, en passant une main dans ses cheveux pour les changer de côté. La nuit lui semblait encore vibrante, pleine d'images ; poudre blanche inhalée, prestation terminée, fête consumée. Les avantages de travailler dans un bordel étaient limités, mais quelques fois on trouvait grand plaisir à accompagner des gardes en repos dans leurs barathons.
Comme son amant se relevait, lui faisant signe que tout allait bien, Redaka qui commençait à avoir froid dans sa tunique de soie mauve se tourna totalement vers le soleil levant. Presque immédiatement une sensation de chaleur l'enveloppait, et son sourire s'étirait de plus belle. Tout du moins jusqu'à ce qu'une ombre ne vienne troubler son occupation lézarde.
- Redaka ! Je ne pensais plus jamais te voir ! Laisse-moi t'offrir un verre, créature exotique des montagnes volcaniques !
Il ouvrait un œil sur un autre homme, dont il avait honteusement oublié le nom, bien plus vieux que lui, et le toisait des pieds à la tête. Plutôt bel homme, le daron arborait une barbe négligée et une armure qui laissait envisager une musculature suffisante à des exercices acrobatiques fort distrayants. Il entamait sa réponse d'un grognement amusé ;
- Si tel est ton souhait. Va au comptoir, le temps que tu revienne j'aurais terminé ma choppe.
- La dernière fois que tu m'as dit ça, je ne t'ai plus retrouvé. Je sais que si j'accepte tu ne seras plus là lorsque je tournerais le dos...
D'une mine compatissante, Redaka posait simplement une main sur l'avant-bras de l'inconnu (qui semblait quant à lui bien le connaître) et secouait la tête dans un mouvement qui signifiait "pas cette fois". Et l'homme tournait donc le dos.
Et Redaka s'en allait. Il laissait l'ivrogne de ce soir végéter ici, et le vieux relou aussi. Peut-être feraient-ils le bonheur l'un de l'autre, en tout cas il l'espérait.
Lui se contenta d'avancer fièrement, la tête haute, pleine des doux souvenirs d'une sainte nuit de plaisirs fauves, jusqu'à ce que les tissus qui ornaient son corps sculpté par la danse ne soient plus que rayons de soleil.
Sujet: Re: Aube [PW Caelan] Sam 9 Mar 2024 - 22:13
AUBE
FEATURING. Redaka
C’était la première fois que Caelan se rendait à Stellaraë depuis le début de l’agogé il y a 13 ans de cela. Il comptait sur le fait que personne ne le reconnaîtrait. Il n’était plus l’enfant qu’il avait été : l’adolescence avait été traversé dans les rudes conditions des Terres Désolées du sud et en éprouvant la plus stricte des disciplines par les Gardiens Vétérans.
Il ne donnerait pas son nom. Seulement, son nom d’emprunt afin de garder ce précieux anonymat. Il préférait apercevoir au loin un des ex-membres de l’agogés au loin sans que ce dernier le reconnaisse. Depuis la rébellion qu’il y avait eu, mené par ses frères, Caelan avait fui, préférant la liberté à la vengeance, la paix à la guerre.
L’émotion fut vive lorsqu’il aperçut les remparts de la belle cité. Les larmes lui montèrent aux yeux. On l’avait élevé dans un esprit patriotique vénérant la Cité tel une entité divine et à honorer son Roi jusqu’à la mort tel un Gardien exemplaire. Cela dès qu’il pu marcher.
Le centre cosmopolite de l’humanité et autres espèces de Dùralas est aussi bondé de monde que dans son souvenir hormis ce détail, il eut l’impression de redécouvrir sa cité. Il avait passé son enfance essentiellement aux alentours de la Tour Stellaroïse. Le reste de l’immense ville lui demeurait donc méconnu.
Dans un premier temps, son plan était de se mêler innocemment à la population. La plèbe. Tendre l’oreille. Recolter des informations sur Stellaraë, le Roi, La Garde. Comprendre le contexte actuel. Caelan avait passé toute ces années à apprendre à se connaître, à se dompter, se dépasser et s’élever, mais il ne connaissait rien de Dùralas.
Il déambula dans les rues de la ville en cette matinée illuminé par l’éternel soleil qui ne s’absenter jamais en cette région du monde. Les commerçants scandaient leurs offres exposants sur des étables leurs produits régionaux et leurs artisanats. Les odeurs d’épices saturaient l’air, le bruit des travaux se joignaient à la cacophonie et le flux ininterrompu des passants à la droite comme à la gauche de Caelan avait de quoi le rendre malade.
“C’est bien la même Stellaraë que dans mes souvenirs ? La même Stellaraë à qui nous devons offrir notre vie pour la défendre ?” se demanda Caelan.
Il ne lui fût guère longtemps pour repérer à la scintillance de leurs armures une patrouille de Gardien qui devait avoir le même âge que Caelan. Aucun d’entre eux n’avait fait partie de l’agogé, que ce soit en tuteur qu’en élève. Il ne prenait aucun risque donc à les suivre. Ils filèrent à travers ruelles et passages pour finalement pousser la porte d’un établissement inconnu aux jeunes yeux de Caelan. Une sorte de taverne, mais avec un Dieu sait quoi de singulier que le jeune homme ne parvenait pas à clairement identifier.
Il attendait quelques instants et poussa la porte à son tour. Il découvrit ce qu’il semblait être une taverne comme rarement Caelan avait pu en fréquenter avant aujourd’hui. Il y régner une atmosphère d’après fête avec des senteurs de parfums exotiques et de corps qui s’étaient dépensés, voir éprouvés.
Il reconnut le dos des deux Gardiens qui parlaient avec ce qui semblait être le gérant de l’établissement :
“Rien du tout ?” demanda l’un des Gardes. “Non, messieurs. Aucune nouvelle depuis la dernière fois.” répondit le gérant avec une pleine franchise. “Ce soleil nous as donné soif sous cette armure. Si tu aurais une bière fraîche avant que l’on continu notre patrouille.” demanda l’autre. “Mais bien entendu, mes braves messieurs. Tout de suite.” s'exécuta le gérant.
C’était visiblement des habitués à en juger le regard que posait le reste de la communauté de l’établissement sur eux. Une jolie jeune femme s’approcha de l’un des gardes avec entrain, mais ce dernier refusa poliment.
“Désolé, ma belle. Pas maintenant. Nous sommes en patrouilles.”
Caelan restait planté là devant l’entré, abasourdi par ce qu’il venait de voir et d’entendre. Des membres de la Garde ? Eux ? Ivrognes notoires négligeant leur responsabilité au profit d’alcool et de plaisir éphémères ?
“Pas étonnant que l’idée de créer un programme d’entraînement spécial est germé très vite dans la tête des dirigeants” pensa Caelan, déçu de ses pairs.
Il ne pu toutefois poursuivre ses divagations car quelqu'un attira son attention : un non-humain dans l’assemblé avec des cornes orné de bijoux de part et d’autre. Il était peu vêtu et affichait une attitude assez détendu. Le plus surprenant pour Caelan, c’’est que l’endroit transpiré une énergie assez particulière de luxure et plaisir dépravés : lui incarnait totalement cette énergie.
En bon élève stoïcien, Caelan avait énormément de recule et de lâcher prise sur la quête des plaisirs. Ses maîtres en philosophie de l’agogé l’avait prévenu :
“Les gens se rendant dépendant de leurs plaisirs finissent dans le vice”
Il ne méprisait aucunement ces gens dans ce domaine là. Après tout, c’est une sorte de commerce. La créature à l'apparence de démon se trouvait seul et assez à l’écart d’oreilles indiscrète. Caelan se dirigea vers lui :
“Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je m’appelle Kaliclès et je suis un simple voyageur errant. Je suis un peu perdu et je connais pas bien les us et coutumes de Stellaraë. Quel est cet endroit ?” demanda-t-il poliment de sa voix grave et posée.
Question innocente dont le seul but était de faire parler son interlocuteur.
MALICE
«Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre.»
Sujet: Re: Aube [PW Caelan] Mer 13 Mar 2024 - 10:29
Redaka avait regagné son poste à la "Queue de Phénix" ; sous la tutelle d'une femme d'un certain âge qu'on appelait Mère d'après ses propres consignes, le Djöllfulin avait rapidement gagné à la fois en assurance et en efficacité en tant que favori.
S'il avait eu l'audace de penser que pour un incube les travaux de joie s'avéreraient aisés, Redaka s'était à moitié fourvoyé. Les journées dans l'établissement se succédaient, entre les vapeurs opiacées, les encens floraux, et la sueur des nuits, sans qu'aucune ne se ressemble. Car les clients étaient nombreux, et leurs envies tout aussi diversifiées. En ce qui concernait les réservations du démon, elles allaient bon train depuis son arrivée. Redaka avait une culture certaine, une hygiène irréprochable, et ses danses reflétaient son caractère viril dans des mouvements énergiques que son élégance ne tempérait de précision féminine. Un ensemble qui plus vendeur que certaines filles rongées par les maladies, si sympathiques soient-elles, et une versatilité que l'on retrouvait peu chez les garçons de la Queue de Phénix.
De part son statut d'objet de luxe au sein de l'établissement, Redaka jouissait ainsi d'une liberté toute relative, et Mère le laissait aller et venir au gré de l'argent qu'il rapportait. Personnellement, il n'avait cure de l'argent -bien que cela constitue un problème pour des tâches mortelles pourtant capitales comme payer son loyer- et s'émerveillait au contraire de la différence des humains avec les Djöllfulins. Ces derniers pouvaient s'avérer si pieux qu'ils en oubliaient l'excitation empirique des domaines tangibles, là où les premiers étaient criblés de défauts qui rendaient poétiques leurs failles aux yeux de Redaka.
Il était donc assis, les jambes croisées et les deux coudes posés sur une table au fond du Phénix, en train de lire "Les Âges Duralassiens", lorsqu'une voix l'interpella. Ses yeux se firent rieurs, sans doute sous l'effet de l'herbe elfique qu'il mettait dans ses pipes, et il tourna rapidement la tête vers son interlocuteur pour lui sourire. Vif, l'air charmant, Redaka l'invita de la main à s'assoir face à lui avant de se concentrer sur son potentiel client. Il ne ressemblait pas aux hommes qu'il avait l'habitude de voir se diriger vers lui car celui-ci était propre sur lui, bien que ces caractéristiques physiques évoquèrent à Redaka des entraînements martiaux qu'il connaissait au travers des vantardises qu'on lui murmurait au creux des oreillers. La tenante lui avait préconiser de ne pas brusquer les clients, surtout les nouveaux, mais l'incube avait un appétit de défiance envers l'autorité, et savait que d'aucuns aimaient le piquant d'une répartie joueuse. Ainsi il ne se privait parfois pas de mettre à mal un ou deux égos, tant par plaisir que par jeu de séduction.
Il rit, rapidement, aux dires de l'étranger, et planta ses yeux dans les siens. Un regard sans romance, un corps dans un lieu de dépravation où nulle luxure ne nageait. Ses instincts de démon lui murmurèrent (non sans surprise) qu'il ne pourrait exercer sur Kaliclès nulle emprise.
- Bienvenue, étranger, à la Queue de Phénix. Je suis Redaka, Djöllfulin des Sombres Montagnes, mais selon ce que tu cherches je puis être tout autre.
Il levait le bras, tourné vers le tavernier, et d'un geste de main exécutait le signe pour qu'on amène boissons sur la table. Vivres bien entendu ajoutées à la note de Kaliclès, les coupe-jarrets faisant office de videurs à la sortie y veilleraient. Comme il croisait les mains sous le menton, tout amusé qu'il était, deux filles gravitèrent en direction de l'exotique beauté qui se trouvait en Kaliclès. Rapidement, le démon tourna vers elles des yeux emplis de marées tumultueuses, et usa de sa magie démoniaque pour instaurer la peur en leur cœur. Le Djöllfulin à la peau bleue était territorial.
Se penchant légèrement vers le voyageur, il ajoutait :
- Notre établissement propose aux voyageurs bien des miroirs de la réalité. Un havre de paix avant le front, un été incandescent au cœur de l'hiver, un ami par des temps de solitude. Ce que tu désires, Kaliclès, tu le trouveras.
Comme toujours lorsque sa nature d'incube échouait à charmer, Redaka désirait ardemment s'accaparer ce qui lui échappait.
Sujet: Re: Aube [PW Caelan] Jeu 14 Mar 2024 - 19:13
AUBE
FEATURING. Redaka
Caelan ne saisissait pas très bien la nature des propos du Djöllfulin. Aurait-il pu être tout autre ? Cette espèce était-elle capable de métamorphose ? Depuis le récent début de ses explorations de Dùralas, il s'était habitué à aller de surprise en surprise sur ce monde encore trop méconnu pour lui. Certaines espèces étaient effectivement capables de se changer. Par chance, la xénophobie exacerbée de son ex-mentor n'avait pas déteint sur lui. Il se contenta de regarder le démon bleu d'un œil curieux et un peu gêné suite au rire qu'avait suscité les dires de Caelan.
C'était à n'en point douter un lieu dédié à la luxure, comme l'avait confirmé Redaka dans ses propos et sur lui-même. Que faisait le jeune guerrier dans un endroit pareil ? Il aimait les nouvelles expériences, mais celle-ci, il n'en voyait guère les attraits. Il sentit la présence de deux personnes dans son dos s'approcher de lui. Caelan tourna très brièvement la tête avant qu'elles ne disparaissent. Le jeune homme comprit que Redaka venait de leur faire comprendre de ne pas s'approcher. Un frisson désagréable parcourut l'échine de l'Exilé quand il lui refit face. La rapide impression d'être une proie, une victime, lui traversa l'esprit. En bon adepte de stoïcisme qu'il était, il laissa cette idée le traverser avant de la chasser.
Un peu décontenancé par la proposition à peine déguisée de son nouvel interlocuteur, Caelan répondit sans grande assurance :
"C'est très aimable à vous, mais je ne suis pas sûr que vous puissiez m'aider. C'est la première fois que je me rends à Stellaraë et j'aurais aimé simplement me renseigner sur tous les aspects de la ville : le Roi, la sécurité, le climat qui règne ici, les rumeurs... Ce genre de choses. Je ne donne pas souvent crédit aux commérages, mais ils partent toujours d'une vérité plus ou moins déformée."
Drôle d'endroit pour un touriste curieux pour acquérir des renseignements. Cependant, Caelan avait foi en ce genre d'endroit. Il y avait beaucoup de passage ici et les gens parlent, même trop parfois. Peut-être que Redaka, au cours d'une nuit avec un client, avait-il entendu quelques rumeurs ? Ou tout simplement avait-il un avis sur la ville ? Lui qui visiblement travaillait et vivait ici.
Il ne put s'empêcher de jeter un rapide coup d'œil aux Gardiens restés au comptoir, occupés à discuter à voix basse. Il se retourna de plus belle face au démon bien apprêté avant de lui demander :
"Vous avez souvent affaire à la Garde Royale ?"demanda calmement le jeune Exilé.
Officiellement, Caelan en était un, dès sa naissance. De par son adoption au sein des forces des Gardiens, puis par l'éducation très spartiate qu'il reçut par la suite. Peu de monde chez les Gardiens seraient capables de le reconnaître, surtout après toutes ces années écoulées. Ceux-là, n'étaient point de l'agogé du tout.
Les odeurs inconnues pour le nez de Caelan qui émanaient de Redaka n'étaient pas désagréables à sentir, mais elles lui rappelaient les ambitions qui habitaient le démon face à lui. Le Djöllfulin et l'humain étaient chacun aux antipodes l'un de l'autre. L'épicurien et le stoïcien.
MALICE
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Sujet: Re: Aube [PW Caelan] Mer 27 Mar 2024 - 10:57
Leur conversation était ponctuée par les accords délicats d'un guitariste venu accompagner une danseuse, qui, deux éventails de plumes pour seuls vêtements, s'adonnait à diverses agilités sur la scène principale de la Queue de Phénix.
On le lui avait répété ; les raisons de la présence des clients ici ne devait en aucun cas être mise en cause. Pas un seul instant, du premier regard au dernier baiser, on ne devait faire se questionner les Hommes. Moult d'entre eux rentraient rouges de honte au foyer familial sur un éclat de lucidité, et nombreuses étaient celles qui versaient des larmes silencieuses une fois leurs secrets consumés. Ainsi, Redaka n'avait cure si le Sire face à lui s'était réellement rendu dans un bordel pour acquérir des informations ou si sa façade s'égrènerait au fil de la conversation pour dévoiler des motivations moins nobles. Tant que Kaliclès était de rendement.
Sa question posait cependant quelques problèmes d'ordre morale et éthique, et ce même aux yeux d'un démon courtisan. L'incube s'évertuait d'exister discrètement en la Capitale, pour cause, la cité du Roi s'avérait aussi gorgée de beautés sur lesquelles festoyer que d'exorcistes, chasseurs, et autres prédateurs naturels de son espèce. S'exposer à moufter a propos de l'ordre sensé maintenir la paix pouvait donc s'avérer piètre décision, tant la moindre enquête à son sujet pourrait débaucher sur une exposition non désirée de sa nature singulière.
Mais Redaka vivait pour l'adrénaline, et au fil du temps, comme il servait la Démone des Beautés, son appétit pour la chair n'avait eu d'égal que l'excitation qu'il ressentait à subvertir les ordres établis. Il y a dans le moralement mauvais un plaisir carnassier auquel il ne se refusait jamais. Il rit donc.
- La Garde Royale ? Volontairement ingénu, il s'étirait longuement, révélant des épaules bien faites et passant deux mains à la racine de ses longs cheveux couleur albâtre. Presque tous les soirs.
La réponse fut prononcée avec une défiance à peine contenue. Ses yeux sympathiques brillaient de l'éclat du chat qui désirait jouer, et son sourire dévoilait des canines particulièrement pointues. Comme la fille aux éventails les faisait battre, sous des arpèges toujours plus décadents, et laissait parfois paraître sa poitrine immaculée, Redaka prenait le ton de la confidence en une voix où nageaient des milliers de félins ronronnant.
Je pourrais te narrer à quel point un guerrier est bavard, lorsque la fatigue le gagne sur l'oreiller. Ce ne sont pas les souvenirs de stratégies militaires vantées qui manquent, pas plus qu'on ne m'a cent fois répété la hiérarchie de cette faction. Ou peut-être souhaites-tu savoir qui de mes clients m'a intimé, dans le brouillard festif d'aubes fiévreuses, être taupe pour le compte de la Congrégation ? Mais que dis-je ? Es-tu de ceux qui aiment qu'on décrive l'acte en lui-même ? Nomme ton prix, et spécifie ta demande Kaliclès, je suis Redaka et mon travail est de servir les voyageurs tels que toi.
Les affaires sont le plus grand régal d'un diable. Pensa-t-il, ses yeux soutenant ceux de son interlocuteur.
Sujet: Re: Aube [PW Caelan] Sam 30 Mar 2024 - 15:03
AUBE
FEATURING. Redaka
"Presque tous les soirs ?" pensa Caelan, affichant une mine de dégoût à cette idée.
Une vague de colère le traversa, mettant à l’épreuve l’âme noble du jeune homme. Jeune homme qui, arraché à une vie conventionnelle, s'était vu précipiter dans les affres de la souffrance et de la discipline la plus rude de l'histoire de l’humanité. Il faisait partie des rares élus ayant survécu. Son corps était une machine à tuer. Ses réflexes, aussi vifs que ceux d'un serpent. Son esprit, aussi éclairé qu’un zénith sans nuage. Tout cela sous la responsabilité des Gardiens et peut-être même du Roi lui-même. Tout cela, pourquoi ?
Constater que ses "confrères" Gardiens se vautraient dans l'alcool et la luxure tous les soirs, sans aucune discipline. Pourquoi avoir subi l'agogée, toutes ces innombrables épreuves, alors que le reste du corps armé de la Garde Royale n'étaient que de simples soldats, à peine plus valeureux qu’un grossier mercenaire ? Pourquoi ? La question lui brûlait le corps entier, mais le démon libidineux en face de lui n’avait évidemment pas la réponse à cette question. Il ne put réprimer un regard dans le dos à l’attention des deux gardiens toujours accoudés au bar, verre à la main. Ses mains se crispèrent de frustration. Il avait envie d’aller les secouer, les sermonner. Déverser toute sa haine envers cette injustice totale. Il n'avait pas eu le choix. Il était devenu ce que l’agogée voulait qu’il soit au nom d’un patriotisme fanatique, de la défense de cette belle cité qu’est Stellaraë.
Il en montrait plus que ce qu’il voulait à Redaka, bien aimable de répondre à ces questions inhabituelles vu ses prestations.
"Excusez-moi, Redaka, le voyage a été rude pour moi", justifia Caelan, espérant ne pas semer le doute dans l’esprit du démon bleu nuit.
Après avoir écouté attentivement les propos de Redaka sur ses activités et les secrets potentiels qui venaient à ses oreilles, Caelan en conclut qu’il pouvait lui apprendre bien des choses. Caelan s’assit à la table de Redaka, plongea la main dans sa petite bourse de cuir à sa taille pour en sortir quelques pièces sonnantes.
"Je prendrais bien un lait de chèvre épicé, si vous avez ce genre de boisson. Buvons ensemble et dites-moi", demanda gentiment Caelan. Le but n’était pas tant de consommer simplement, mais d’acheter, à travers cette consommation, les confidences de Redaka sur les sujets qui intéressaient le jeune homme.
"La Congrégation ? Ici ? Voilà qui est étonnant. Vos services doivent être des plus enivrants pour délier les langues comme celles œuvrant pour la congrégation de l’ombre. Impressionnant."
Ayant passé son adolescence entière dans les Terres Désolées, il connaissait assez bien cet organisme. Une des questions qui l'intéressait le plus était celle-ci :
"Comment se porte le Roi Brendan IV ? Sa monarchie est-elle approuvée par le peuple ?"
MALICE
«Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre.»
L'herbe elfique commençait à lui chatouiller le ventre, faisant remonter jusqu'à ses joues azurées des teintes joliment rosés. Redaka laissait sa tête s'enfoncer un peu plus dans sa paume, posée sur son menton, et ses yeux d'ambre détaillèrent avec honnêteté la beauté de Kaliclès.
Comme le voyageur parlait, l'incube renifla dans son ton la force et la fierté. Dans ses traits carrés il vit des puissances dissimulées et une véritable galaxie de possibilités. Dire que Kaliclès plaisait à Redaka était euphémisme, à ce stade, car le disciple de la Mère des merveilles ne vivait que pour le somptueux. L'humain possédait un magnétisme presque vertigineux, même pour un représentant de son espèce ayant fait de la séduction une arme létale. Quelque chose, chez lui, battait doucement à l'ombre. Une symphonie de percussions triomphales caressait ses cheveux légèrement frisés, pour se jeter le long de ses trapèzes développés. Là, en Stellarae, jamais le démon n'avait perçu d'énergie aussi puissante ; pareil au lépidoptère face à la flamme, Redaka se laisserait volontiers consumer présentement.
L'expression courroucée dont Kaliclès fit preuve s'ajouta aux perceptions du diable en une déflagration terrifiante. Il était taureau cerné d'éclairs, puis de nouveau titan de marbre, et Redaka se leva en lui souriant. Cette fois-ci une pointe de gêne perça dans ses traits, involontairement, et le succube lui fit non du doigt en voyant ses pièces avant de se diriger vers le bar. Là, il sauta par-dessus le comptoir, s'attirant les acclamations des gardes qu'il apostropha ironiquement pour l'image qu'ils donnaient des leurs et de leur sens de l'uniforme.
- Sois pas comme ça, Red. Ronan te cherchait, encore, au fait. fit d'un air défiant le plus bourru des deux. Redaka, tirant sa choppe de bière au tonneau, ne le regarda pas lorsqu'il répondit. - Le monsieur là-bas a déjà payé sa soirée, et il est poli contrairement à lui, et sobre.
Un mensonge. Mais ce qu'il ressentait en présence de l'humain, ces braises sacrées qui émanaient de lui, l'intriguait. Il lança la dernière partie de sa pique alors qu'il dépassait les Gardiens, verres à la main, pour aller servir Kaliclès. En s'asseyant, Redaka retourna sa chaise de manière à croiser les bras sur son dossier, tourner le dos aux piliers de bar et entrechoqua sa choppe de mousse à celle de lait :
- Trinquons, cher Kaliclès, tu payeras la prochaine. Tu sais tu n'as pas a t'excuser, je suis un garçon de joie, j'ai vu des colères plus grandes agiter mes clients. Pour la même raison, je ne sais pas grand chose du Roi Brendan IV. Je sais seulement lui être reconnaissant d'avoir accueilli mon peuple et son Exil sans méfiance. Le peuple l'apprécie, et notre quotidien est sûr. Je dirais donc qu'il est bon souverain.
Ses yeux se baladèrent un instant vers le sol, puis vers le plafond, comme si dire ce qui suivait lui coûtait :
- Justement, ce gars, c'est Ronan. Il est... un peu obsessionnel et je crois que détenir son secret ne me mette en danger. Je répondrais à toutes tes questions, je le promet, concernant ce que je sais de la Congrégation ici, de ce qu'il m'a dit en tout cas... Il va venir ici à la fin de sa journée aux mines de BaldorHeim, dans une heure à peu près.
Ses lèvres se pinçaient, et ses yeux se faisaient inquiets. Ronan était de toute évidence un agent double peu expérimenté, et s'était épris du démon de manière plus qu'irrationnelle. Tandis que sa main droite allait enserrer son bras gauche, Redaka demandait finalement à celui qui lui faisait face :
- M'aiderais-tu à lui faire peur ? Seul je crains de ne pas faire le poids, et les autres ne veulent pas s'impliquer, je crois que tous le redoutent un peu. Je ne les blâme pas.
Redaka prit une grosse gorgée dans l'attente de la réponse de Kaliclès.
L’aimable démon de la luxure fila en direction du comptoir pour chercher les consommations, laissant Caelan à ses songes un court instant. Redaka était un personnage sympathique et sa nature de démon laissait transparaître l’idée qu’il aimait réellement sa condition dans cet endroit. Bon nombre de femmes et d’hommes partageant l’humanité de Caelan se retrouvaient ici à exercer ce curieux métier de force pour échapper à la misère de la ville. Lui semblait prendre un plaisir certain à cajoler ses clients, s’adonner à des voluptés infinies et à s’enivrer de Dieu sait quoi.
Une personnalité à l’autre extrémité de la balance morale du jeune spartiate. Voilà ce qui suscitait l’intérêt du jeune homme pour ceux ayant emprunté “l’autre voie”, comme il désigne lui-même cette autre philosophie. Revenu d'entre les piliers de comptoir, Redaka trinqua avec Caelan, sous l’identité de Kaliclès. Cela peinait Caelan de devoir mentir sur son nom, lui qui était un avatar d'honnêteté et de vertu, d’autant plus à une créature aimable comme Redaka, mais l'urgence de la situation l’exigeait malgré lui.
Il éprouva une certaine empathie envers le démon bleu nuit pour être habitué aux débordements de certains clients. Tout individu ici-bas méritait le respect pour Caelan.
“J’espère malgré tout que la Garde assure la sécurité convenablement ici. Nager dans les eaux troubles des excès mène souvent à nager en pleine tempête. Je suis ravi d’apprendre que le Roi a gagné les faveurs des tiens et de toi. Tant de choses dépendent de lui.” répondit le jeune guerrier en portant le breuvage sucré à ses lèvres.
Caelan écouta avec une attention plus aiguë les propos de Redaka concernant Ronan. Ses paroles avaient le goût de la confidence. Caelan était embarrassé. Il se pencha en avant, plus près de son interlocuteur à cornes et chuchota à voix basse.
“Redaka, n’y a-t-il pas de milice ici présente pour te venir en aide ? Une quelconque figure de sécurité dans cet établissement pour résoudre cette situation ? Je serais ravi de t’aider, mais on parle d’un soldat au service de sa majesté, quand bien même ce dernier est un traître.”
Les répercussions d’une telle situation pouvaient être dramatiques pour Redaka et Caelan. Il serait préférable de reprendre contact avec la Garde Royale d’une autre façon que de se frictionner avec un des membres. Envisager cette solution mettait à mal Caelan, malgré ses bonnes intentions. Il prit un moment de réflexion durant lequel son regard se perdit sur le duo de gardes qui accumulait les verres vides sur le comptoir, au-dessus de l’épaule dénudée du démon de la luxure.
Il ne put réprimer un soupir d’exaspération en observant “la fine fleur de l’armée Stellaroïse”. Un naufrage ! Personne ne connaissait sa véritable identité pour le moment. Ce qui lui conférait un avantage. En revanche, son visage serait connu du Ronan en question et lorsqu’il se présenterait sous son vrai nom, cette histoire le suivrait. De plus, répandre la violence court le risque d’engendrer plus de violence encore. Un cycle sans fin. Lui faire peur ? Lui filer une correction ? Cela fonctionne un temps, mais il risque de revenir avec de la rancœur et là, les ennuis pour Redaka et Caelan ne feront que commencer.
“Redaka”, dit-il gravement et marqua une courte pause pour signifier la gravité de ses propos, “je peux te proposer de rester en ta compagnie jusqu’à son arrivée. Si ce dernier est mal intentionné à ton égard, tu n’auras qu’à dire que j’ai loué tes services pour la nuit. Si après ça, il s’en prend à moi par jalousie, ce sera entre lui et moi”, proposa Caelan rayonnant de sa sincérité et de son humanité.
Malgré les tourments dans lesquels il a baigné dans son enfance, la lumière en lui ne l’a jamais quitté. Ses mentors l’avaient plongé de force dans les affres de la haine et de la souffrance comme tous ces frères et sœurs. Caelan avait réussi le tour de force de conserver son humanité tandis que certains de ses frères étaient devenus autres choses, plus proches de la faune des terres désolées que de l’humanité tant convoitée dans ce programme.
MALICE
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