Le Monde de Dùralas
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Bonjour Invité, et bonne visite sur Dùralas ! Nous sommes actuellement en l'An 811 du Ve Âge. Bienvenue à notre dernier membre : ibrahim Le Monde de Dùralas a précisément 4043 jours ! Contribuez en aidant et en faisant part de vos idées pour le forum ici Dùralas, le Dim 24 Nov 2024 - 1:15 La Spécialisation de classe s'obtient à Wystéria. Pour être à l’affût des dernières nouveautés, c'est ici qu'il faut aller ! |
| | Les murmures de l'Automne [Solo] | |
| | Auteur | Message |
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Shae ElendrisHabitant(e)
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| Sujet: Les murmures de l'Automne [Solo] Sam 28 Sep 2024 - 11:22 | | |
Les murmures de l'AutomneLe Logis du Chasseur est l'un des lieux de rassemblement les plus populaires de Kastalinn et des environs, et malgré son nom, si de nombreux giboyeurs le fréquentent assidûment, en réalité toute la populace kastalinnoise s'y retrouve volontiers. Le lieu est également prisé par les aventuriers et les commerçants de passage, à l'affût de rumeurs, de bonnes affaires, de quêtes épiques ou simplement de repos et d'un bon repas nordique. Ses murs ont été maintes fois les témoins de beuveries sans nom, de repas gargantuesques, de chamailleries et de retrouvailles après l'un de ces hivers rigoureux que le Nord connaît si bien. Ce soir, dans l'âtre imposant de la bâtisse, rayonne un feu d'une chaleur qui semble lancer un défi à l'automne et au froid qui approchent. Comme chaque année à cette époque, on se prépare à faire ses adieux à la clémence de l'été, et on profite de la douceur de ces dernières semaines d'abondance pour se retrouver avant que la neige n'isole les villages environnants. Devant le Logis, le fumet de deux sangliers qui tournent sur d'impressionnantes broches au-dessus de braises rougeoyantes aux ardeurs maîtrisées vient titiller l'appétit des Nordiques rassemblés ici à l'occasion d'un important repas clôturant la saison estivale. Cela fait maintenant des heures que la peau des bêtes craque et se dore, les carcasses tournant lentement, les imposantes broches étant manipulées à la force de bras endurants, qui seront remerciés à coups de pintes généreuses et de félicitations lorsque l'on se délectera de leur œuvre laborieuse. En attendant la dégustation tant anticipée, d'autres mains s'affairent autour des sangliers pour les arroser de jus et d'épices, assurant une tendreté parfaite à leur chair délicieuse. À mesure que la soirée avance, l'assemblée se réjouit au son des éclats de rire et des chopes qui s'entrechoquent, néanmoins au même moment, l'un de ses membres s'éloigne progressivement de l'effervescence environnante, se faisant si discret qu'il n'est bientôt plus qu'un murmure qui se faufile dans l'ombre du Logis du Chasseur pour s'y dissoudre et disparaître. Les vents qui descendent du Nord pour courir sur le visage de Shae Elendris lui chuchotent les récits de ces promesses de froid qui vous mordent le visage, prémices à la venue de la neige qui s'amoncellera prochainement dans les plaines d'Aràn. La grandiose robe automnale que la nature enfile à la cadence où les feuillages s'embrasent s'agitera tantôt et se soulèvera sous le souffle de la bise jusqu'à ce qu'elle soit emportée par les affres de l'hiver. Dans le cœur de l'homme du Nord, le blizzard a d'ores et déjà enveloppé la brume de ses doutes, et l'Arànien rejoint sa demeure et s'y engouffre tel un fantôme qui n'attend que son ultime délivrance. Pourtant, au sein de la tempête glacée qui avale son monde pour le plonger dans l'obscurité, il se surprend à chérir une flamme qui ne semble point vaciller en ces tourments. Les espoirs du Nordique sont de ces merveilles aussi fragiles que sublimes, et la froide et implacable logique que l'érudit apprécie tant pour son caractère prévisible et compréhensible ne semble avoir aucune prise sur eux désormais. La vie a appris à Shae à connaître son espèce, ses qualités comme ses tares, et l'humain le fascine autant qu'il génère chez lui un sentiment de mépris. Les grains du sablier du temps ayant fini par éroder l'intérêt et l'enthousiasme qu'il portait à ses semblables, bien peu d'entre eux sauraient aujourd'hui s'incarner en ce phare qui illumine son horizon face aux ténèbres galopantes. C'est probablement pour cela que la chaleur qui rayonne sur les tréfonds de son être ne leur doit rien, ce brasier d'espérance qui crépite chaque jour d'une ardeur nouvelle ayant été enflammé par un être pour lequel, pourtant, il n'aurait jamais imaginé ressentir autre chose que de la méfiance teintée d'une once de dégoût. Depuis combien de temps le cœur de Shae n'avait-il pas été aussi léger malgré le poids de ses inquiétudes ? Depuis quand ses pensées ne s'étaient-elles pas ainsi acharnées à se parer de couleurs aussi vives et agréables dans la grisaille de son esprit morose ? L'aurore, une fois venue, élança ses premières lueurs à la surface de l'océan céruléen des pupilles de l'Arànien, qui partit à leur rencontre dans la fraîcheur de cette première journée d'automne. Le chasseur nordique s'en va aujourd'hui davantage pour laisser son esprit gambader à ses côtés dans les plaines, plutôt que pour ramener un gibier quelconque, et si d'habitude ses chasses ne le portent guère à plus de quelques heures de la demeure des Elendris, ce matin, sa silhouette alourdie par une outre remplie d'eau à ras bord et une besace généreusement gorgée de provisions annonce un voyage d'une toute autre nature, dont les détails se précisent dans les peaux de bêtes, les couvertures et les vêtements qu'il emporte avec lui. Dans la radiance du matin, les vagues à l'âme de Shae s'échouent sur les courbes du pays d'Aràn qui soutiennent ses pas, et peu à peu, tandis que l'astre diurne qui s'élève dans les cieux parsemés de nuages grisâtres l'accueille dans sa chaude lumière, l'enfant du Nord sent la tempête glaçante qui rugissait en lui s’apaiser. Vêtu de sa sobre tenue de chasse en laine, composée d'une tunique beige recouverte d'une cotte brune et d'un pantalon de couleur similaire sous lequel il porte des braies en lin, Shae se livre à son Nord natal qui s'étend à perte de vue, quittant les chemins fréquentés pour se noyer dans les terres verdoyantes où la végétation ploie sous les caresses d'un vent qui se fait plus entreprenant d'heure en heure. Si l'horizon cachera encore pendant plusieurs jours les pics des sombres montagnes de Kanaan aux mirettes du Nordique, ses pensées, elles, commencent déjà à s'y balader malgré tout. Dùralas est trop grand pour qu'il se cantonne éternellement à cette infime portion dont il a fait son chez-lui, et s'il advenait qu'il existe encore en tant qu'être doué de conscience lorsque le printemps resurgira, l'érudit se fait la promesse solennelle que cette fois-ci, rien ne se dressera entre lui et cette vie d'exploration et d'aventure dont il rêve depuis l'enfance. Les pas de l'Arànien le portèrent à travers les plaines verdoyantes sans qu'il ne croise aucun de ses congénères, ce début de voyage à la rencontre de l'immensité de son pays lui apportant la solitude que son cœur semblait tant désirer. Un soleil combatif illumina son périple, qui fut préservé des intempéries, malgré les nuées qui se firent parfois menaçantes tandis qu'il arpentait le Nord en direction du levant. Ce n'est pas avant le soir venu que le firmament laissa ses masses moutonneuses l'assombrir pour de bon, alors que la plus radieuse de ses étoiles entamait son déclin dans un magnifique embrasement final annonçant l'avancée du crépuscule. Gorgeant son iris de ces trésors célestes d'or et de citrine nichés au cœur des mers de nuages, le Nordique s'installa pour la nuit sous la protection d'un groupe d'épicéas isolés aux branches fournies. Il ne fallut guère longtemps à Shae pour glaner quelques bois tombés au sol et en récupérer d'autres qu'il déroba en hauteur à l'aide d'une hachette pour s'en faire un support où déposer les peaux de mouton qui lui serviront de literie de fortune. Son corps enfin libéré de la charge conséquente qu'il a portée jusqu'ici depuis Kastalinn, Shae s'étire longuement dans les flammes du couchant, savourant le parfum terreux des herbes et des mousses qui parsèment les environs, ces fragrances se mêlant à celles du bois et de la sève des épicéas. Le Nordique s'abstint de s'offrir le luxe d'un feu revigorant, craignant d'attirer des créatures hostiles en maraude dans cet endroit isolé où personne ne l'entendrait appeler à l'aide. Au lieu de ça, pour cette nuit, il s’emmitouflerait du mieux qu'il peut dans le confort relatif de ses peaux et de ses vêtements de laine. Voilà bien longtemps que l'érudit n'a pas goûté aux joies des nuits en plein air, lui qui est tant habitué aux lits douillets couverts de soies délicates, le voilà aussi démuni et vulnérable que ses lointains ancêtres. Et pourtant, dépouillé à cet instant du luxe et de ses richesses, privé de l'aura de ses accomplissements qui n'ont aucune substance aussi loin du monde auquel ils appartiennent, il ne s'est jamais senti aussi entier et vivant. Alors, seul et sans rien devant le soleil qui abandonne les terres à la pénombre, ses sens sombrant dans les ténèbres aux côtés des dernières lueurs diurnes, l'Arànien s'adosse contre l'imposant épicéa sous lequel il a installé son campement, laissant ses pensées éclairer son esprit. La tempête qui hurlait en lui s'est définitivement essoufflée désormais, et si son cœur est toujours engourdi par l'écume de ses sombres et glaciaux états d'âme, une sensation de sérénité l’enveloppe peu à peu. Sondant ses abysses, Shae n'y distingue plus rien, comme si Silar n'avait jamais existé et qu'il se trouvait totalement hors de son emprise. Une vie aussi simple était-elle encore réellement à sa portée ? Un jour sera-t-il à nouveau libre et pourra-t-il en revenir à une existence aussi pure, débarrassée de tout ce superflu qui parasite toute notion de ce qui est vraiment important en ce monde ? L'érudit repense à cette démone aux déroutantes mirettes de feu, n'est-elle pas l'incarnation même de cette liberté à laquelle il aspire tant ? Pour elle, point de manigances ni de plans imbriqués les uns dans les autres, elle ne désire ni gloire ni richesse, elle veut simplement être libre. Quelle ironie qu'une créature qui se repaît des âmes des mortels se montre à ce point plus vertueuse et morale qu'eux. Au fond, les humains n'hésitent pas à s'utiliser les uns les autres, nombre de leurs plus éminents représentants ayant bâti leur héritage sur une pile de cadavres, pour beaucoup, la valeur de leur prochain ne se mesurant ainsi, tristement, qu'aux avantages qu'ils peuvent tirer d'eux. Ici, sous cet épicéa, ce monde glisse peu à peu hors de sa conscience, comme ces tatouages sur son torse, qu'il prenait soin de renouveler précautionneusement, la peur au ventre, et qui se sont aujourd'hui estompés jusqu'à presque disparaître complètement de son épiderme. La lune, qui vient remplacer le soleil dans la grandeur du ciel qui surplombe le Nordique, perce timidement les nuages opaques qui précipitent la venue de la nuit. Alors, ce que l'enfant du Nord confondait avec le silence se révèle à lui : les criquets, qui profitent des dernières nuits clémentes de l'année, lui dévoilent leurs stridulations, et tout autour de lui prend soudainement vie. Dans les hautes herbes, on se faufile, on gratte la terre, on émet d'imperceptibles couinements. Dans les arbres, il entend le bruit de petites griffes qui hissent un corps frêle et léger jusque dans les hauteurs, d'où une pomme de pin tombe quelques instants plus tard. Qu'il est loin le brouhaha des tavernes, des rues animées de Kastalinn et de Stellaraë, des courtisanes et des porcs aux mains baladeuses. Où sont donc ces cohortes d'humains bruyants qui hurlent et se bousculent, qui s'effraient tant qu'ils érigent des murs vertigineux pour se préserver les uns des autres ? Ici, sous ces quelques conifères qui ont pris racine dans cet océan verdoyant, Shae se sent comme sur une île inaccessible, loin de toute cette folie dans laquelle il pensait se sentir épanoui. Quelques gouttes d'eau tombées de la voûte céleste précèdent le doux murmure de l'ondée légère qui se dévoue pour bercer la nuit de Shae Elendris, qui rejoint la chaleur de ses laines et de ses peaux de moutons. Bientôt, le faible crépitement de la pluie qui vient jouer avec les épines des épicéas apaise les rêves du Nordique qui est, cette fois-ci, vraiment de retour chez lui.
Dernière édition par Shae Elendris le Dim 13 Oct 2024 - 20:10, édité 2 fois |
| | | Shae ElendrisHabitant(e)
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| Sujet: Re: Les murmures de l'Automne [Solo] Ven 11 Oct 2024 - 9:55 | | | Glissant des terres d'Aràn plongées dans la nuit, l'humidité et le froid, vers les rivages changeants du monde des rêves, l'inconscient du dormeur le promène entre les voiles tel une étoffe légère qui s'envole au gré des bourrasques joueuses. Provenant d'au-delà de l'horizon, pleurées par les ombres les plus sombres que la nuit puisse projeter, des lamentations s'évadent des entrailles de la terre, de ce lieu dont les murs suintent de l'éther et dont le sol est souillé du sang des chérubins. L'écho des sinistres incantations se répète implacablement tel un refrain maudit, tandis que les symboles sibyllins qui se tracent dans les réminiscences creusent de profonds sillons dans l'âme ainsi marquée au fer rouge de leurs empreintes impies.
Sous des cieux sans étoiles où brille une lune immense et sans éclat, l'érudit et une fille aux yeux de feu sont noyés dans la noirceur d'un néant insondable où aucune lumière ne pénètre, le brasier des chatoyantes prunelles brûlant et flamboyant désespérément pour lutter contre l'obscurité qui cherche à les engloutir. Alors, les griffes de l'Immatériel s'emparent des fils dorés du destin qu'ils avaient tissés avec allégresse et les désagrègent sans pitié. Les mains de l’Intangible se joignent à celles de l'homme du Nord pour présenter la pointe de la lame glacée face à son propre cœur, et lorsque l'abomination souffle sur la dernière lueur d'espoir, sur la dernière braise encore chaude pour la soumettre, emportant au loin bonté et humanité, l'érudit envoie l'acier quérir l'élan qui lui permettra de s'enfoncer brutalement en ses chairs.
La lame déchire le voile, et Shae bondit d'effroi hors de ces couvertures de laine, ses terreurs courant dans ses veines au rythme frénétique des battements de son cœur. Perdu dans la nuit des plaines d'Aràn, où ses pieds nus frissonnent dans les hautes herbes détrempées, l'homme sans repères cherche désespérément une source de lumière qui saura le réchauffer et le rassurer, mais seuls la pluie et le vent glacial sont là pour l’accueillir dans les vastes étendues qui se perdent dans la noirceur environnante. Si le Nordique emprunte le chemin que lui tracent ces songes, alors cette froide nuit de solitude dans le noir et ces cieux ténébreux d'où tombent des torrents de larmes seront bientôt ses seuls horizons, son inconscient lui en hurle la certitude.
L'ondée et la fraîcheur de la nuit encouragent le chasseur à rapidement retourner à l'abri des ramures des épicéas pour ne pas tremper davantage ses vêtements et grelotter de froid, le Nord ayant ainsi bien vite ramené son enfant à la raison sous une voûte céleste trop assombrie par les nuées pour qu'on ne puisse deviner à quel point l'aube est encore hors d'atteinte. Ses braies et sa tunique étant désormais trop humides pour supporter l'attente de la chaleur de l'astre diurne, qui ne saura peut-être point se libérer des nuages et de la pluie, l'Arànien est contraint d'offrir son corps nu aux caresses impétueuses des vents nordiques avant de retrouver la protection de ses peaux et de ses couvertures de laine dans lesquelles il se blottit, frissonnant.
Heureusement pour Shae, la nature miséricordieuse retient ses eaux, et le conifère séculaire qui étend ses myriades de bras pour le protéger tient bon, seules quelques gouttes chutant ponctuellement de ses branchages généreux. L'Arànien aurait aimé rejoindre les rives chaudes et sèches de rêves ensoleillés qui l'autoriseraient à rester en leurs contrées oniriques jusqu'aux aurores, mais l'obscurité dans laquelle il est noyé s'avère bien pâle en comparaison aux terreurs cauchemardesques qui rampent encore en ses abîmes à cet instant. Alors, effrayé comme un enfant, Shae n'ose se rendormir de peur de se faire happer par celui qui y rôde. Pour calmer son esprit, le Nordique laisse ses pensées retourner à l'âtre grandiose du Logis du Chasseur, à ses flammes crépitantes et à leur souffle brûlant qui lui léchait l'épiderme, à la cohorte de Nordiques que ses souvenirs décrivent désormais comme rassurants. Ainsi, blotti dans le sanctuaire chaleureux où sa psyché se réfugie tandis que son corps se réchauffe au sein des peaux de moutons, peu à peu, l'érudit retrouve la sérénité.
Les dernières heures de la nuit furent pour l'homme du Nord l'occasion de réfléchir à ce qui l'attendait et de se confronter une nouvelle fois à la réalité de sa condition. Il n'était qu'un humain aux prises avec des êtres aux dons dépassant largement les siens, et si son intellect était plutôt remarquable, il restait une force dérisoire face à des démons clairvoyants et des abominations de l'Immatériel qui existaient depuis des temps immémoriaux. Quelles étaient véritablement ses chances de parvenir à tromper les uns ou les autres ? Son salut ne tenait-il pas simplement à la pitié qu'ils pourraient ressentir en le voyant aussi faible et vulnérable ? Le cœur de l'Arànien était aussi morose que l'aurore qui finit par pointer ses premières lueurs mornes, étouffées par une grisaille persistante. Shae puisa alors dans l'une des plus formidables ressources que sa condition d'humain lui offrait : sa ténacité. Agrippant les doutes et la peur qui enserraient son cœur à la force de sa volonté, il les envoya choir dans les sombres abysses desquelles ils s'étaient extirpés, et si le ciel se décidait aujourd'hui à garder jalousement les rayons de l'astre solaire pour lui, alors il ferait de ses espoirs et de ses inspirations le fanal qui guiderait ses pas plus loin vers le levant.
Comme si les plaines d'Aràn se montraient admiratives de la persévérance de leur enfant, elles laissèrent les nuages se disperser, abandonnant quelques brumes opaques qui continuèrent à hanter le relief sous les pâles rubis des cieux étincelants. L'âme vaillante et la flamme de sa détermination désormais ravivées, l'homme du Nord récupère vêtements, couvertures et peaux, puis se restaure avant de reprendre la route. Pour ravir ses papilles et préparer son corps aux efforts à venir, il dévore quelques morceaux de pain rustique qu'il agrémente de viande de sanglier séchée et d'un délicieux fromage de chèvre kastalinnois, l'eau fraîche et désaltérante de son outre coulant agréablement dans son gosier pour clôturer ce modeste festin. Quand bien même le chasseur nordique est entraîné et endurant, ses jambes mettront quelques kilomètres à faire taire les signes de fatigue hérités de la veille et à laisser son esprit se faire à nouveau subjuguer par les ravissants atours de l'automne. Ainsi, dans les bosquets que croise Shae Elendris, pins et épicéas balancent avec insolence leurs branches toujours luxuriantes aux vents du Nord, aux côtés des bouleaux qui se sont couronnés d'or et des sorbiers enflammés, créant des contrastes enchanteurs avec les plaines verdoyantes teintées de jaune et de brun qui s'étendent à perte de vue.
La radieuse étoile du jour se hissa au cœur de l'azur, accomplissant son voyage quotidien, réchauffant ponctuellement la peau du Nordique lorsque les nuées se laissaient transpercer par ses rayons ardents, évaporant l'humidité de ses laines exposées aux ondées éparses et à la sueur de son périple. Le soir venu, engagé dans son déclin, l'astre merveilleux se révéla d'humeur créative, ne se contentant pas de disparaître derrière un fantastique horizon de feu. Ainsi, alors qu'il plongeait vers les courbes aràniennes dans le dos de l'enfant du Nord, dont l'ombre s'allongeait vers les sombres montagnes de Kanaan, il projeta ses innombrables traits de lumière au travers du rideau de fines gouttes de pluie qui se dressait devant l'érudit, jouant avec l'eau de ses éblouissants faisceaux. Dans les mirettes de Shae Elendris se reflétèrent alors les douces couleurs d'un ravissant arc-en-ciel qui semblait se tenir debout sur les contours de sa terre bien-aimée, prêt à l'accueillir sous ses pieds immatériels. L'Arànien poursuivit son chemin à travers le vaste Nord, l'arc resplendissant se dérobant à lui à mesure que ses pas déposaient leurs empreintes dans les plaines, jusqu'à ce que les lueurs magnifiques se ternissent et disparaissent dans les trésors du couchant.
Tandis qu'il approchait d'un nouvel îlot d'arbres perdus au milieu des vastes mers verdoyantes et qu'il songeait à s'y installer pour la nuit, l'iris bleuté du Nordique fut attiré par une bâtisse en bois toute proche. L'édifice, isolé de la civilisation, ayant été construit par des mains habiles et persévérantes, offrait des murs composés de planches joliment ouvragées et de poutres en bois massif, probablement de l'épicéa au vu des teintes arborées. La structure de la demeure soutenait un toit pentu recouvert de chaume, d'où émergeait une cheminée en pierre de laquelle aucune fumée ne s'échappait en cet instant, et alors qu'il s'approcha davantage de la maison par son côté gauche, où il découvrit une petite niche qui trahissait la potentielle présence d'un chien, l'attention de l'homme du Nord fut saisie par l'une des fenêtres dont le verre était brisé, et à travers laquelle il décida de poursuivre son investigation. Même si la plupart des ouvertures vers l'extérieur étaient visiblement calfeutrées, la lumière diurne pénétrait la pénombre par la porte d'entrée laissée ouverte et par une autre fenêtre brisée sur la paroi qui faisait face au Nordique. La première chose que remarqua Shae en glissant ses yeux à l'intérieur de la petite maison, fut un corps étendu sur le sol à proximité d'une table et de bancs en bois renversés. En posant ses pupilles inquisitrices sur le reste de la pièce, l'érudit distingua des tiroirs ouverts et des étagères malmenées, mais pas âme qui vive.
L'Arànien projeta son regard sur les nuées qui grouillaient au sein de la voûte céleste. Au loin, une sombre marée approchait avec de nouvelles promesses de précipitations, et cette bâtisse, ou le bosquet tout proche, pourraient lui fournir un abri providentiel en cas de fortes pluies, pour peu qu'ils soient sûrs. Le chasseur fit le tour de la maison, et alors que son iris azuré scrutait le sol, il y découvrit des empreintes de pas de petite taille, potentiellement celles de gobelins. Arrivant devant l'entrée après avoir gravi trois petites marches en pierre, il vit la porte de la demeure et ses nombreux impacts d'armes, signes supplémentaires d'une attaque probable. Voilà hélas le prix de la tranquillité dans les Plaines d'Aràn, certes, on y trouve mille endroits accueillants et paisibles où s'installer loin de tout, mais le jour où le péril se présente à la porte du doux foyer, on se trouve bien vite démuni. Les gobelins ne se déplacent jamais seuls, malgré leur nature primitive ils ont bien compris que l'union fait la force et que l'individualisme ne peut triompher du nombre. Certains humains ont hélas tendance à l'oublier, et lui-même, qui se plairait parfois tant à vivre seul loin des siens, ne peut en cet instant qu'aspirer à revenir à de meilleurs sentiments vis-à-vis de son espèce. Certes, les hommes sont souvent agaçants, mais force est de constater que si cette charmante demeure avait été construite près d'autres habitations, les mouches ne seraient pas en train de pondre leurs rejetons dans le cadavre de son propriétaire.
Pénétrant dans la petite maison, Shae trouve bien vite la carcasse humaine qui gît au centre de la pièce, le tapis de laine brun clair sur lequel il repose étant couvert de la mare de sang dont il s'est gorgé au fil des heures. Le cadavre est affligé de nombreuses blessures : une flèche dans l'épaule, une autre sur le flanc, de multiples lacérations sur le buste et les bras, une trace de perforation dans l'abdomen, et enfin ce crâne qui a probablement subi les assauts répétés d'un gourdin. L'homme étendu ici semble avoir été la victime d'une véritable sauvagerie, et hélas, il ne semble pas avoir emporté ne serait-ce qu'un seul de ses agresseurs avec lui. Pour le moment, le corps ne dégage aucune forte odeur de décomposition, et il semble épargné par les mouches, signes que le drame est encore très récent. Le désordre qui règne dans le reste de la pièce suggère un pillage en bonne et due forme, le groupe de Peaux-Vertes est vraisemblablement reparti avec autant de nourriture qu'il pouvait en emporter, les stocks paraissant vides, rendant peu probable une nouvelle visite de leur part.
En inspectant le reste de la maison, le Nordique remarque une trappe au plafond à l'arrière de la pièce, il en déduit qu'il s'agit surement de l'accès au premier étage où se trouvent logiquement les couchages de la chaumière, en revanche, aucune échelle n'est visible pour l'atteindre. En attardant ses mirettes sur le plafond en planches de pin sylvestre, le chasseur remarque plusieurs impacts de lances qui ont tenté de passer au travers, lui suggérant que quelqu'un devait se trouver à l'étage, ou s'y trouve encore en ce moment même. L'Arànien perd quelques instants à inspecter les environs de l'âtre de la cheminée qui jouxte l'emplacement de la trappe, mais rien, toujours aucune échelle. Le plus simple sera encore d'utiliser les meubles pour atteindre l'étage supérieur, impossible, cela dit, d'accomplir cette tâche de manière discrète. Avant de se lancer dans un bruyant remue-ménage qui risquerait d'attirer sur lui une attention indésirable, l'homme du Nord préféra laisser sa voix plus discrète quérir l'ouïe d'éventuels congénères toujours vivants de l'autre côté des planches de ce plafond de bois.
- Je ne suis pas ici pour vous faire du mal. Si quelqu'un se cache là-haut, manifestez-vous.
Personne ne répond au Nordique qui, en attendant, jette furtivement un œil aux environs par les diverses fenêtres de la demeure, au cas où une menace rôderait, avant de revenir aux côtés du cadavre. L'homme étendu devant lui devait avoir approximativement trente ans, et même si l'estimation peut être hasardeuse dans sa position actuelle, ce Nordique semble être plus grand que Shae d'une bonne tête. De longs cheveux bruns cachent en partie son visage marqué par la mort, et l'œil exposé à l'iris de l'érudit, dévoile un vert aussi peu commun qu'attrayant. Shae aurait pensé que contempler ainsi un corps délaissé par la vie serait plus perturbant, pourtant, cette scène morbide semble glisser sur la surface de sa psyché sans parvenir à la pénétrer. Dans tous les cas, cette dépouille ne pouvait pas rester là, ne serait-ce que par respect pour le défunt il allait falloir l'enterrer, et vu son gabarit, traîner le corps à bonne distance de la demeure n'allait guère être une partie de plaisir. |
| | | Shae ElendrisHabitant(e)
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| Sujet: Re: Les murmures de l'Automne [Solo] Dim 27 Oct 2024 - 9:39 | | | Les ténèbres du crépuscule s’avançant dans les plaines, l’homme du Nord abandonna son équipement de voyage dans la petite maison de bois, n’emportant que ses armes, son eau, des torches et de quoi les allumer. S’évertuant ensuite à rassembler le nécessaire pour offrir au défunt un lieu adéquat où profiter de son ultime repos, Shae s’empara d’une lanterne remarquée plus tôt durant son exploration de la demeure, elle illuminerait son chemin dans l’obscurité et serait plus pratique que ses torches pour le long labeur qui l’attendait et qui promettait de le priver d’une bonne partie de sa nuit.
En faisant le tour de la maison à la recherche d'une pelle capable d’affronter sa terre natale, l'Arànien découvrit un cellier et un stock de bois abrité des éléments par des panneaux de planches recouverts de chaume. La porte ayant également été forcée par les assaillants, Shae emprunta le petit escalier en pin qui menait sous la maison, et de la rencontre du silex et du métal jaillirent les étincelles qui embrasèrent les tissus imbibés de graisse de sa torche nordique, dont le flamboiement s'en alla défaire la noirceur de la pièce. À la lueur du bâton enflammé, Shae découvrit quelques outils entreposés là, aux côtés des céramiques renfermant les réserves de combustibles destinées aux diverses sources de lumière de la chaumière. Parmi les objets utiles, le Nordique trouva une pelle dotée d'une solide tête en fer forgé, qui lui serait précieuse pour la suite des événements. Les stocks de vivres entreposés ici avaient en revanche été pillés à l'instar des provisions de la demeure, toutefois, il semblait que les réserves d'herbes, de farines et de céréales aient été épargnées, aux côtés des carottes et des navets. En poursuivant son investigation au cœur des odeurs de bois et de terre, aromatisées de senteurs sucrées, l'érudit remarqua que les probables gobelins avaient également délaissé quelques pots de miel, dont certains étaient fracassés sur le sol, preuve que cette délicieuse douceur ne fut pas à leur goût.
Lorsque l’homme du Nord ressort du cellier, l’horizon a sombré dans la pénombre, les nuages menaçants ayant étouffé les derniers soubresauts de l’astre diurne, désormais disparu derrière le relief. Shae laisse la flamme de sa torche embrasser le foyer de la lanterne, qui s’enflamme à son tour, avant de noyer son extrémité brûlante dans la terre et les herbes humides. Emportant sa nouvelle source de lumière en l’attachant en bandoulière à l’aide d’une de ses cordes, le chasseur explore les environs des arbres qui poussent à proximité de la demeure, à la recherche de branches pour confectionner une civière destinée au transport du défunt. Avant de s’éloigner de la chaumière, Shae jette un regard discret vers la fenêtre du premier étage, cherchant à y déceler un signe de vie, mais rien : la pièce, quoi qu’elle renferme, semble vide de toute présence humaine.
Les abords de la maison dévoilent à l'iris azuré du Nordique un splendide paysage d'étendues herbeuses encore parsemées de fleurs aussi belles que coriaces, et en dehors du bosquet tout proche, quelques arbres isolés, typiques de la région, poussent çà et là. Tout en récupérant les branches les plus adaptées à leur rôle à venir, Shae en profite pour trouver un endroit propice où creuser une sépulture. C'est alors qu'il le vit : un chêne majestueux à l'orée du bosquet, une merveille plusieurs fois centenaire dont les feuilles automnales doivent flamboyer de manière grandiose en plein jour. L'Arànien aurait apprécié que son propre corps puisse se flétrir dans un lieu aussi serein et sublime, qu'on lui accorde le droit de retourner à sa terre bien-aimée et qu'on le laisse s'y reposer en paix pour l'éternité. Hélas, Shae le sait très bien, ce n'est pas le sort que son destin capricieux lui a choisi, alors autant qu'un autre malheureux puisse profiter de ce lieu époustouflant qu'il aurait aimé garder pour lui. Dès que le Nordique eut glané les branches en quantité suffisante, que ce soit en les trouvant à même le sol ou en les découpant à grands coups de hachette, il s'affaira à les tailler sous le couvert des arbres à l'abri des premières ondées du soir, puis il s'attela à la construction de la civière à la précieuse radiance de sa lanterne qui luttait contre la noirceur dévorante qui s'étendait désormais tout autour de lui.
Les cordes que le chasseur partit quérir dans ses affaires s'enroulèrent bientôt autour de l'ossature de bois qui prenait forme sous les goûtes de pluie encore éparses que l'Arànien pressentaient comme n'étant que des prémices aux averses abondantes qui détremperaient les champs sous peu. L'opacité du firmament, sans lune ni étoiles, lui donna finalement raison, et tandis que Shae se préparait à faire sortir le cadavre nordique de sa demeure en le traînant sur le tapis ensanglanté, le ciel pleura ses froides larmes avec peu de retenue, promettant à l'homme du Nord une nuit des plus difficiles. Dès qu'il eut libéré le carré de laine du poids de la table et des bancs de bois renversés dans un brouhaha conséquent, Shae se mit au chevet du défunt. Le Nordique décédé gisait à plat ventre, le bras gauche coincé sous le poids de son corps, tandis que son membre droit se tendait dans une dernière tentative désespérée d'agripper ce qui devait être une arme que ses agresseurs avaient visiblement emportée. Ses jambes, quant à elles, étaient partiellement recourbées.
Le défunt portait une tunique de lin d'un blanc qui détonnait avec les grandes taches de sang oxydé qui marquaient l'emplacement des morsures mortelles des armes qui s'étaient acharnées sur lui, et à l'instar de Shae, il portait un pantalon en laine brune typique de la région, ainsi que des bottes de cuir de bonne facture. Sur son buste se trouvait un gilet en peaux de mouton tannées, qui l’avait sans doute préservé de la fraîcheur de l’automne approchant, avant que son cadavre, délaissé par la vie, ne devienne qu'une froide dépouille. L'érudit extirpa alors les têtes de flèches du cadavre, le sang de son malheureux congénère ayant cessé de couler dans ses veines depuis des heures, le fluide vital ne souilla pas davantage la laine jadis brun clair du tapis, qui arborait maintenant une teinte rougeâtre s'assombrissant jusqu'à tendre vers le noir par endroits. Avant d'envisager de sortir le corps de la chaumière, Shae devait parvenir à le positionner correctement sur le tapis, jambes droites et bras le long des flancs si possible, afin de passer aisément la porte d'entrée. Hélas, comme anticipé par l'érudit qui disposait de quelques connaissances sur les cadavres et leur état post mortem, les muscles et les articulations du défunt étaient en proie à un état de rigidité cadavérique avancé auquel il allait devoir se confronter.
La posture des jambes du défunt ne facilita guère les tentatives de Shae visant à mettre le corps sur le dos, et ce n'est qu'au prix d'une lutte intense contre les muscles figés et les articulations peu coopératives que l'érudit parvint, au son des macabres craquements de la dépouille et des efforts prodigués par son propre corps, à le retourner et à le mettre dans une posture plus adéquate. Les bras du mort restèrent cependant croisés sur son torse de manière grotesque et malaisante. Les jambes du défunt, amenées à une position plus détendue et adaptée à son transport, Shae put enfin tirer le corps par ses membres pour le placer correctement sur le tapis de laine, puis il s'agenouilla à ses côtés, se recueillant brièvement.
- Pardonne-moi mon ami, mais il aurait été difficile de te sortir d'ici sans en passer par là.
L'Arànien ferma alors délicatement les paupières du mort, étendant une pénombre éternelle sur ses magnifiques yeux dont la couleur lui rappelait le Nord durant les clémentes et généreuses journées estivales, avant d'emmener le cadavre affronter l'extérieur. Shae s'empara de l'une de ses couvertures et en recouvrit le cadavre tandis qu'il revêtit son propre corps d'une cape de laine vert mousse pourvue d'une capuche. Alors prêt à rejoindre la nuit et cette pluie qui tombait maintenant avec malice, le chasseur déterminé traîna le cadavre en empoignant vigoureusement le tapis et, atteignant le cadre de la porte, il replia les bords du carré de laine, bien trop larges pour le franchir. Une fois dehors, l'entrée passée, l'Arànien se servit des trois marches de pierre qui permettaient l'accès à la chaumière afin de faciliter la mise du cadavre sur la civière. Enfonçant légèrement le portoir dans le sol dans le but d'éviter qu'il ne se dérobe à la manœuvre, le chasseur y glissa le défunt, aidé par la pente.
Le cadavre ayant désormais échangé son tapis ensanglanté pour la civière de bois sur laquelle Shae l'attacha sommairement avec ce qui lui restait de cordes, la fatigue s'abattit brutalement sur le Nordique, et l'espace d'un instant, il s'arrêta, gorgeant son ouïe du clapotis de l'ondée qui tombait sur le toit de chaume et au sein de la luxuriante végétation alentour. Son corps était las après cette seconde journée de marche à travers les terres d'Aràn, et l'énergie qu'il venait de sacrifier pour confectionner cette civière et y placer la dépouille de son congénère réclamait à l'homme du Nord un repos bien mérité, et non pas ces heures qu'il s'apprêtait à passer au froid, sous la pluie et dans la boue, à creuser la tombe d'un illustre inconnu qui devait peser plus de quatre-vingts kilos. Shae agrippa ses pensées qui s'échappaient vers ces envies traîtresses de confortables couvertures au coin d'un chaleureux feu de cheminée, et les fit taire en les noyant dans la symphonie de ses efforts et de ses pas qui s'avançaient droit dans la nuit.
Sur un sol de plus en plus détrempé, la civière commença bien vite à creuser des sillons qui rendirent la tâche encore plus ardue. Heureusement pour le Nordique, la cinquantaine de mètres à parcourir le fut avant qu'il ne s'épuise, et il atteignit la protection des branchage du chêne avant que la difficulté ne devienne réellement trop éreintante. Le cadavre, laissé partiellement à l'abri des intempéries sous les feuillages de l'arbre immense, l'endurant Nordique aux laines imbibées d'eau se délesta de son épée et de son fourreau pour s'armer de sa pelle et de ce qui lui restait de volonté afin de s'attaquer au creusage d'un trou suffisamment grand et profond aux seules chétives lueurs de sa lanterne.
La sueur et la pluie entremêlées ruisselant sur son visage marqué par la difficulté, Shae Elendris se battit contre sa terre natale bien-aimée, faisant naître petit à petit un trou dans ses entrailles tandis que l'eau, le vent et le froid, élançaient tantôt à tour de rôle, parfois conjointement, leurs assauts à l'encontre du Nordique qui trimait dans la noirceur de la nuit, sa modeste source de lumière comme seul réconfort. L'Arànien creusa ainsi pendant un long moment, percevant l'hostilité grandissante des éléments qui peu à peu affaiblissaient son organisme, et s'il n'avait pas mis autant de cœur à l'ouvrage dans l'élaboration de cette tombe, il aurait assurément été dévoré par le froid. Pourtant, malgré tout l'acharnement de l'homme du Nord à accomplir sa tâche, pour trois pelles de terre extraites, pratiquement la moitié retombait dans la tombe, que ce soit sous forme de boues emportées par la pluie ou par les parois qui s'affaissaient ponctuellement, l'obligeant à recommencer encore et encore, faisant face à une masse de plus en plus alourdie par l'eau.
Le pauvre humain qui n'avait pas mangé depuis le milieu de la journée s'épuisa malgré tout son courage, depuis combien de temps creusait-il ce fichu trou ? Deux heures ? Trois heures ? À ce rythme, cette tombe finirait par vraiment devenir la sienne. L'Arànien enrageait contre toutes ces maudites tentatives de la nature de l'empêcher d'offrir une sépulture décente à son congénère, l'ardeur de sa colère emportant pour un temps son désespoir au cœur de son brasier brûlant. Utilisant désormais cette vigueur nouvelle qui disparaîtrait bien vite elle aussi, Shae ôta la couverture de laine qui protégeait le défunt, avant de trancher les cordes qui le retenaient à l'aide de sa dague. Tirant le cadavre hors de la civière pour l'abandonner sous le chêne, l'homme du Nord empoigna sa hachette et s'acharna avec hargne à démonter le portoir par de puissants coups à l'allure vengeresse. La plupart des branches rapidement débitées, Shae les utilisa afin de consolider les parois de la cavité récalcitrante, les enfonçant dans le sol en utilisant la partie non tranchante de son outil comme d'un maillet.
L'homme du Nord reprit alors son labeur, pénétrant la terre de plus en plus profondément, ajustant les renforts des parois au fur et à mesure, se retrouvant toujours déçu par la profondeur estimée insuffisante de la tombe, jusqu'à bientôt ne devenir rien de plus qu'un instrument sans âme, répétant inlassablement les mêmes gestes jusqu'à ce que sa volonté ne s'émousse, jusqu'à ce que son corps ne se brise. À force d'acharnement contre le sort et ses propres limites, le vaillant et pugnace Nordique obtint enfin une sépulture de taille acceptable et aux bords suffisamment hauts pour y recevoir un corps qui pourra se reposer à l'abri des charognards. C'est aux prises avec une sérieuse aspiration à s'étendre au fond de l'abîme et à s'y laisser ensevelir que Shae se traîna finalement hors de son trou, peinant à se hisser hors du gouffre, grognant d'épuisement, rampant dans l'herbe et la boue glacée. Souillé de la tête aux pieds, trempé jusqu'aux os, l'Arànien retourna finalement auprès du mort qu'il allait enfin pouvoir mettre en terre. Hors de question néanmoins de simplement jeter le cadavre au fond de ce trou comme un morceau de viande dépérie, c'est donc encore une fois dans la douleur que Shae allait se soumettre à son obligation morale envers son congénère décédé.
Avant de descendre la dépouille dans les entrailles de la terre, l'homme du Nord récupéra les deux plus longs morceaux de bois rescapés de son portoir et les plaça au fond du trou afin de s'en servir comme d'une rampe de fortune qui guiderait le cadavre. Le Nordique s'échina ensuite à tirer le corps sans vie par les pieds jusqu'à la tombe, les deux branches adoucissant la descente du macchabée, tenant tant bien que mal et soutenant la peine de l'homme du Nord qui s'évita une hypothétique damnation éternelle pour avoir malmené un mort. Quand finalement les craquements du bois devinrent déchirures et cassures, le corps inerte avait suffisamment pénétré la sépulture pour ne pas s'y effondrer brutalement. Les derniers efforts du Nordique visant à mettre le cadavre en place lui parurent insurmontables tant il était à bout de force, impossible toutefois de laisser le corps dans ce trou béant qui allait bien vite se gorger d'eau sans le refermer. Si c'était pour l'abandonner ainsi, l'homme du Nord n'aurait jamais dû s'engager à lui offrir cette sépulture, et à plus d'un titre, ce labeur si pénible était désormais une promesse qui devait être tenue coûte que coûte par Shae. Alors, sa silhouette fantomatique abattue par les éléments et timidement détourée par la lanterne, l'Arànien peinant à sortir de la tombe grimpa tel un mort-vivant pour retrouver la pelle avec laquelle il se forcerait à achever son devoir envers le défunt.
D'une voix faible et éteinte, Shae Elendris offrit un regard et quelques mots finaux à l'homme au fond de sa tombe :
- Te voilà enfin en sécurité au sein de nos chères terres d'Aràn. Plus personne ne te fera de mal désormais, tu peux te reposer. Puisses ton âme trouver la paix.
Avant que la pluie n'inonde la sépulture, Shae s'attelle à la recouvrir en puisant dans ses ultimes ressources. La terre saturée d'eau est particulièrement pesante, l'homme du Nord a perdu toute notion de temps et ignore tant bien que mal tous les signaux de détresse que lui envoie son corps épuisé, que ce soient la fatigue, les crampes qui menacent ses muscles ou le froid qui le glace à travers ses vêtements détrempés. Chaque morceau de terre déposé sur le cadavre est un fardeau dont le Nordique s'acquitte dans l'adversité, sa conscience semblant disparaître dans d'obscures profondeurs en même temps que la dépouille sous la terre. Au bout d'une éternité de tourments, le monticule est achevé et l'Arànien traîne sa propre carcasse frappée par le vent et la pluie jusqu'à la chaumière, son esprit vide de toute attention ne s'arrêtant pas avant un long moment sur la radiance qui émane de la petite maison alors qu'on est au-delà de minuit. |
| | | Shae ElendrisHabitant(e)
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| Sujet: Re: Les murmures de l'Automne [Solo] Dim 17 Nov 2024 - 0:00 | | | Dans la psyché engourdie par la fatigue et le froid de l'érudit miroitaient les reflets d'une lumière diffuse provenant de la chaumière, et, aussi hagard le Nordique pût-il avoir été à cet instant, en lui était enracinée de la certitude de n'avoir laissé aucune lanterne ni torche allumée avant de quitter la petite maison. Shae expira un profond soupir au cœur des ténèbres nocturnes, exprimant toute la lassitude et la frustration qui submergeaient son esprit. Les pas de l'homme du Nord qui avançaient discrètement, couverts par le vent et la pluie, furent bien vite suivis du son du métal qui lécha le cuir mouillé tandis qu'il extirpait son épée de son fourreau et, dissimulant sa main gauche et sa lanterne sous sa cape afin de s'éclairer d'une lueur plus discrète, Shae s'approcha de la bâtisse aussi furtivement que possible.
Dans la demeure se trouvaient la totalité des vivres dont le corps du chasseur avait bien besoin, mais aussi des couvertures de laine, les peaux de mouton au cœur desquelles il rêvait de se blottir, ainsi que ces vêtements secs qui le délivreraient de sa tenue trempée et glacée. L'érudit n'est ni stupide ni téméraire : même au mieux de sa forme, il ne se risquerait pas à s'attaquer seul à un groupe de gobelins, alors, dans son pitoyable état actuel, il ferait tout pour éviter une éventuelle confrontation. Si Shae devait laisser ses biens derrière lui, alors soit ! Il survivrait dans le bosquet jusqu'aux aurores, moment où il se mettrait en quête du village le plus proche. Mais pour l'heure, l'homme était désireux d'estimer la nature du péril, si menace il y avait.
La maison isolée était cernée par plusieurs champs de hautes herbes et d'arbres aux ramures généreuses, qui sauraient garder l'Arànien caché au sein de leur luxuriance. Furetant d'un pas lent et fluide tout en abaissant sa silhouette, Shae s'approcha tel un fantôme, glissant d'ombre en ombre sous une pluie peu encline à lui accorder le moindre répit. Une fois près de la chaumière, profitant des angles morts offerts par les ouvertures qu'il savait calfeutrées, le spectre nordique se dirigea vers le cellier et s'agenouilla au pied de la fenêtre brisée, y tendant une oreille attentive. Nul bruit notable ne parvint à capter son attention : un retour des Peaux-Vertes était donc à exclure. Poussant son investigation, le Nordique éleva son corps éreinté et plongea son regard usé à l'intérieur de la petite maison.
Au centre de la pièce, là où avait reposé le cadavre, les bancs et la table avaient été redressés, et assise sur l'un d'eux, une femme aux longs cheveux blonds tenait un enfant apparemment endormi dans ses bras. Tous deux étaient emmitouflés sous une épaisse couverture beige, leurs visages baignés par le doux éclat d'une lampe à huile, la mère portant son regard vers l'entrée comme si elle attendait quelqu'un. L'Arànien replongea dans les ombres extérieures et partit quérir quelques réflexions dans les rouages grippés par l'épuisement de son esprit sinueux. Cette femme et ce gamin étaient probablement cachés à l'étage lorsqu'il avait visité la petite maison à son arrivée, et s'ils ne représentaient pas une menace pour le chasseur nordique rompu au maniement des armes, il venait d'ensevelir celui qui était logiquement leur mari et père dans une tombe creusée à la hâte. Se confronter à eux alors qu'il était souillé de la terre avec laquelle il venait de recouvrir un être qui leur était cher laissait l'homme du Nord aux prises avec une envie de se fondre dans la nuit et d'y disparaître. L'érudit à l'esprit logique, qui affectionnait les certitudes, celui-là même qui, hier encore, se rêvait loin des siens et de leur nature compliquée, n'était guère du genre à être à l'aise avec les effusions de larmes qui l'attendaient sur le seuil de cette chaumière perdue dans les plaines d'Aràn. Pourtant, au fond de son âme, Shae voyait briller cette conviction à laquelle sa conscience ne pouvait se dérober : apaiser le cœur de cette femme et de son enfant était la prochaine étape de son engagement à apporter la paix à cet homme décédé.
Il n'y avait guère plus d'élan de courage dans les entrailles du chasseur, la situation glissait simplement sur son enveloppe charnelle harassée par son existence, comme la pluie sur son visage gelé. Ainsi, il s'abandonna un peu plus au désespoir qui alourdissait ses pas, lesquels résonnèrent bientôt sur les marches de pierre jusqu'au seuil de la porte abîmée. Là, son épée rengainée, il présenta ses traits misérables à la veuve et à son fils : l'homme du Nord était trempé jusqu'aux os, son visage sali par la boue dévoilait une mine morne et une peau d'une pâleur qui n'aurait su cacher sa faim et sa prostration. Les laines nordiques boueuses et sales étaient tâchées de maintes traces de terre, de végétaux et de sang, s'égouttant peu à peu sur le sol. En face de Shae, la femme aux cheveux clairs comme un radieux matin d'été dévoila un visage tout aussi en proie à l'abattement que le sien. Ses pupilles bleutées avaient versé jusqu'aux dernières larmes de son corps, laissant son âme aussi aride que le désert d'Harena, peinant à échapper aux réactions erratiques d'un esprit qui avait sombré en de profonds abysses. Les deux Nordiques se fixèrent pendant un instant qui parut durer une éternité, leurs regards moroses s'apprivoisant dans le mélange des océans tourmentés de leurs pupilles céruléennes, aucun d'eux ne brisant le silence ambiant. La silhouette et l'apparence de Shae racontaient mieux le récit des dernières heures de sa vie que mille mots alambiqués, et la mine de sa congénère, reflet de ses tourments, en faisait autant.
L'enfant, blotti dans les bras de sa mère, remarqua à son tour l'homme sur le pas de sa porte et, immédiatement, ses grands yeux bleus aux reflets d'émeraude s'écarquillèrent avant de se gorger de larmes qu'il retint avec difficulté.
- Mon père est mort ?
Shae ne répondit pas immédiatement à ces mots portés par une voix vibrante de chagrin, espérant que l'univers daignerait le faire à sa place, lui épargnant ce rôle, quand bien même il savait que c'était impossible.
- Il a tué beaucoup de méchants ? Elva l'a aidé ?
Le blondinet, échappant au bras de la jeune femme et avançant de quelques pas vers Shae, laissa ses pupilles s'illuminer dans la noirceur de son chagrin, comme la foudre transcendant l'obscurité lors d'un orage violent. Ses mots s'abattirent dans l'atmosphère pesante de la pièce, s'apprêtant à déverser les nuées gorgées de pleurs qui lui étreignaient le cœur.
- Elva est gentille ! C'est une belle chienne grise qui ressemble à un loup ! Elle est gentille, alors elle défend la maison !
Ces premiers grondements de tonnerre lointains étaient encore bien timorés, mais déjà les mirettes du gamin débordaient sans qu'il ne s'en rende compte, ses sanglots perlant à petites gouttes sur son visage. Puis, alors qu'il se tenait maintenant devant l'érudit toujours silencieux, vint l'emballement : les mots du petiot noyèrent brièvement sa peine dans la radiance de l'astre immense qu'était son père tandis qu'il racontait son histoire.
- Elva a beaucoup aboyé, il pleuvait et dans les hautes herbes il y avait les petits monstres verts. Mon père nous a dit d’aller nous cacher et de rester discrets. Et puis il y a eu beaucoup de bruit, Elva a aboyé encore plus, elle a grogné, et les monstres ont cassé les fenêtres et ils tapaient à la porte. Boum ! Boum ! Boum ! Mon père s’est battu avec eux, il est très fort, une fois, il a même battu un puma !
Dans le regard du jeune enfant se tenait à cet instant une fierté immense, une brillance magnifique qui se ternit subitement tandis que le voile de la tristesse s’abattit à nouveau sur son cœur, ternissant brutalement ses pupilles. Shae chercha brièvement la mère du petit du regard, mais cette dernière enferma son visage aux creux de ses mains, laissant échapper quelques pleurs étouffés, profitant de ce bref instant où elle pouvait extérioriser son chagrin sans que son enfant n'en voie les larmes.
- Après, ils ont tapé le plafond, ils grognaient, ils riaient méchamment et ils cassaient tout, ils disaient des choses, mais je ne comprenais rien. On ne devait pas faire de bruit, alors je n’ai rien dit, j’ai mis les mains sur mes oreilles pour pas entendre.
Un dernier instant de calme avant la tempête pour Shae, pour l’enfant, le désarroi qui surgit de ses sombres réminiscences afin de lui enserrer la gorge.
- J’avais trop peur qu’une lance fasse un trou dans le parterre et qu’elle casse le lit où on se cachait, parce que ça fait mal. Si on se prend une lance dans le ventre on peut mourir, hein monsieur ?
Le chasseur aux laines toujours détrempées acquiesça en hochant la tête et offrit un sourire digne des ultimes lueurs crépusculaires au gamin, mais ce pathétique effort pour le réconforter s'avéra bien futile tandis qu'arrivaient les torrents de sanglots.
- Où est mon père ?
Les cordes vocales du gamin se serrèrent soudain, la tristesse faisant vibrer sa voix sur des tonalités que seul le cœur de Shae parvenait encore à comprendre. Sur le visage du jeune Nordique, des ruisseaux salés coulaient à présent, charriant dans leurs flots les éclats de son petit être brisé.
- Où est Elva ?
Si retrouver sa chienne pouvait réconforter ne serait-ce qu’un peu cet enfant, alors Shae aurait retourné toutes les plaines d’Aràn pour lui. Hélas, la carcasse du pauvre animal devait reposer quelque part aux alentours ou avoir été emportée avec le reste des victuailles par les gobelins.
- Où il est ?
Le petit courut se réfugier dans la douceur rassurante des bras de sa mère, y déversant sa peine de plus belle. La jeune femme serra alors la prunelle de ses yeux tout contre elle autant qu'elle le put, l'enveloppant de la chaleur de son amour, lui promettant à chaque battement de son cœur de le protéger et que désormais il ne risquait plus rien.
Shae, désireux d'atténuer les souffrances de l'enfant, tenta également de le consoler comme il le put, lui adressant quelques mots.
- Ton père s'est battu courageusement, j'ai emporté plusieurs dépouilles de gobelins jusqu'au bosquet, ces lâches étaient juste trop nombreux.
Personne ne répondit à l'homme du Nord, le gamin cédant davantage à sa souffrance. Shae savait pertinemment que malgré le malheur qui avait frappé cette chaumière, ils ne pouvaient pas s'y attarder, les Peaux-Vertes pouvaient revenir et il ne serait pas plus à même que l'homme qui l'avait enterré de défendre cette femme et son fils en cas de nouvelle attaque.
- Vous avez un endroit où aller pour les prochains jours ? Rester ici pourrait être dangereux.
L'iris azuré de la jeune femme retourna se mêler à celui de Shae, extirpant pour un temps la veuve des angoisses tentaculaires qui la happaient au fond de leur océan de chagrin. Sur un ton monotone, sa voix triste et fanée esquissa une réponse à son interlocuteur.
- Ma famille vit dans un village plus à l'est, à une petite journée de marche d'ici.
C'était décidé, le lendemain, le chasseur les accompagnerait en lieu sûr. Il était hors de question de les abandonner ici.
- Bien, je vous y escorterai. Nous partirons demain dès que vous serez prêts.
L'Arànienne, bien incapable d'ouïr les murmures de sa propre volonté, perdue dans le tumulte de sa détresse, se laissa porter par cet homme à la venue providentielle. Shae, quant à lui, était bien déterminé à achever ce qu'il considérait désormais comme sa quête personnelle, il n'aurait de répit qu'une fois ses congénères sains et saufs parmi les leurs. Avant d'enfin retrouver un lit confortable pour s'emmitoufler au cœur des couvertures et des peaux chaudes et douillettes, l'érudit échangea ses vêtements trempés contre un pantalon et une tunique de laine sèche, après s'être brièvement nettoyé. Il fut alors temps pour Shae de combler les besoins de son estomac qui criait famine, et, anticipant de se réapprovisionner dans le village voisin le lendemain, il partagea volontiers ses provisions avec ses hôtes.
Ni la blonde aux traits tirés, ni son fils aux yeux encore rougis par les larmes n'étaient en état d'avoir faim, leurs estomacs noués par l’affliction, mais la journée de marche qui les attendait promettait d'être éprouvante. C'est donc en se forçant qu'ils avalèrent sans appétit pain, fromage et viande séchée, qu'ils agrémentèrent de noix, de myrtilles déshydratées et d'un peu de miel du cellier, dont Shae avoua être particulièrement friand. L'érudit profita de ce repas partagé pour en apprendre davantage sur les habitants de cette demeure où le drame s'était abattu. Auda et Sven, l'homme qui était mort en défendant sa famille, s'étaient installés en ce lieu quelque peu reculé il y a maintenant quatre ans avec Askel, leur jeune fils alors âgé de trois ans. Ici, ils espéraient se tenir loin des conflits et des obligations imposées par la communauté et mener une vie en harmonie avec la nature, des aspirations qui faisaient écho à celles de l'érudit qui comprenait aisément de tels idéaux, tant il se serait plu à vivre lui-même une existence similaire.
Une fois le repas enrichi de quelques mots terminé, les trois Nordiques grimpèrent à l'étage en prenant soin d'y hisser l'échelle et de refermer la trappe. Bien que la carcasse de l'érudit fût à nouveau recouverte de vêtements chauds et secs, l'homme restait aux prises avec le sentiment d'être frigorifié. Dans la pièce que Shae découvrit aux lueurs de sa lanterne et de la lampe à huile d'Auda, se trouvaient deux lits et quelques meubles en bois où étaient rangés vêtements et affaires personnelles, ainsi que le conduit de cheminée qui montait à travers la pièce, ce dernier devant dégager une certaine chaleur en cas d'activité dans l'âtre.
Pour les quelques heures qui le séparaient encore des premières brillances de l’aurore, on proposa à Shae le lit d’Askel, qui avait plus que jamais besoin d’être auprès de sa mère. Le lit de bois était bas et le sac de lin rempli de paille qui servait de matelas offrait un confort très relatif à un adulte, toutefois, cette literie restait plus agréable que des peaux recouvrant des branchages comme lors de la nuit dernière. Les cordes entrelacées qui soutenaient le matelas s’avérèrent étonnamment bien tendues et promettaient à l’érudit que ce ne seraient pas elles qui allaient gâcher son sommeil. Tandis que les flammes s’étouffaient, permettant à l’obscurité d’emplir les lieux, Shae se pelotonna au cœur des épaisses laines nordiques en quête d’un peu de chaleur pour ce corps éprouvé. La pluie qui tombait inlassablement sur le toit de chaume, les geignements et les soupirs brisés se perdirent bientôt au loin, tandis que la conscience de l’homme du Nord s’en allait trouver refuge au royaume des songes.
Lorsque l'esprit de l'érudit remonta à la surface de sa psyché, les traits de lumière de l'astre diurne perçaient déjà à travers la laine des rideaux qui obturaient la fenêtre, annonçant un matin resplendissant qui tranchait avec la noirceur des derniers instants qu'il se remémorait de sa dure nuit. Posant son regard sur Auda et Askel, Shae fut rassuré de les voir encore paisiblement endormis, abrités dans la chaleur de leurs couvertures et de leur affection. La veille avait probablement été la journée la plus éprouvante de toute leur vie, et l'érudit ne pouvait que souhaiter que leurs rêves les eussent gardés loin de la douleur et des larmes qu'il retrouverait bien vite à leur réveil. Que les ondées les accompagnent ou que le ciel leur réserve son plus bel azur, la journée qui attendait les Nordiques présentait maintes promesses d'adversité, et les gambettes d'Askel seraient meurtries par des heures de marche à travers les plaines lorsque les ombres du crépuscule annonceraient la venue de la nuit prochaine. Shae, bien que reposé, pressentait son propre corps comme éreinté par la nuit passée : ses bras et son dos endoloris se souviendraient encore quelques jours du fardeau dont ils s'étaient acquittés, et ses jambes fatiguées râleraient probablement un peu avant de se mettre pleinement à l'ouvrage.
Après s'être sustentés et avoir rassemblé l'essentiel de leurs affaires pour le voyage, Auda et Askel demandèrent à être menés jusqu'à la tombe de Sven. En plein jour, sous les rayons d'un soleil généreux, le lieu s'avéra aussi grandiose et magnifique que Shae l'avait envisagé, le chêne séculaire présentant une foisonnante parure d'or qui avait commencé à prendre les teintes orangées du couchant par endroits. Avec son tronc massif et robuste, l'arbre paraissait prêt à affronter n'importe quelle tempête et veillerait sur la dépouille de Sven encore bien après que son fils et son épouse l'aient rejoint de l'autre côté du voile. Du bosquet qui s'étend aux alentours, on entend le chant des oiseaux et les caresses du vent à travers les feuillages qu'il emporte petit à petit dans un bruissement apaisant, les emmenant comme autant de pensées moroses qui disparaissent au-delà de l'horizon.
Le monticule de terre fraîchement retournée est toujours humide, et le chagrin qui se laisse choir sur lui, en ces larmes abondantes qui noient les mirettes d'Auda et d'Aksel, se mêle aux eaux de la pluie qui s'est abattue sur Shae durant ses heures de labeur. Les racines du chêne majestueux rampent pratiquement jusqu'à la sépulture qu'il protège, s'étendant autour, aux côtés des fleurs sauvages et des hautes herbes. De la nuit agitée de Shae, il reste la végétation malmenée et les sillons laissés par la civière qui a transporté le cadavre de la chaumière jusqu'à la tombe, mais déjà, par endroits, les plantes gorgées de pluie et de soleil ont commencé à se redresser, rappelant tout le caractère éphémère de l'emprise humaine sur ce monde.
L'écho de leurs adieux à Sven s'étant réverbéré jusqu'à sa dépouille qui repose en paix, les Nordiques se mirent en route l'âme en peine, parcourant ce même chemin qu'ils avaient arpenté jadis, pleins d'espoir pour y bâtir leur demeure, et sur lequel, aujourd'hui, ils marchent sans l'homme de leur vie. Auda et Askel reviendront-ils un jour en ce lieu où se trouvent à la fois leurs plus précieux souvenirs et leur plus grand traumatisme ? Ou cette chaumière des plaines d'Aràn, dans laquelle tant d'espoirs et d'efforts ont été insufflés, finira-t-elle abandonnée jusqu'à tomber en ruines, oubliée de tous ? Pour Shae Elendris, son voyage au sein de sa terre natale se termina lorsque la mère et son enfant retrouvèrent les bras apaisants des membres de leur famille. Son devoir envers Sven accompli, l'érudit ne put réprimer son aspiration profonde à retourner lui-même auprès des siens. Certes, son corps émoussé allait souffrir, que ce soit pour récupérer ses affaires abandonnées dans la petite maison ou pour rejoindre Kastalinn, qui se trouvait maintenant à plusieurs journées de marche de là, mais l'homme du Nord, sentant sa propre fin approcher comme la nuit qui recouvrirait bientôt le lointain de ses ténèbres, ne pouvait plus se contenter de disparaître dans l'abîme comme un fantôme pour finir oublié de tous. |
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