14 Octobre 790 :Il faisait un vent glacial, ce soir-là. Comme si le désert lui-même sentait la mort planer alors que ce jour était censé être celui d'une naissance.
Maëlys de Sablevent retenait à grande-peine des plaintes de ses lèvres serrées. Elle endurait une véritable agonie. Son utérus allait se déchirer. Elle en était sûre.
Les contractions avaient commencé, il y avait plus d'une heure. Malgré une infusion de passiflore et d'armoise pour faciliter le travail, le bébé ne naissait pas. Et cela devenait dangereux.
- Il y a un problème, dit la sage-femme. Il va naître par le siège.
- Faîtes tout ce qu'il faudra, gémit Maëlys. Peu importe ce qui peut m'arriver. Ne laissez pas mourir mon bébé.
- Je vais faire mon possible.
L'accoucheuse était une dame de vingt-six ans qui avait déjà de l'expérience. Néanmoins, elle savait que malheureusement, les enfants ne survivaient pas toujours.
A l'extérieur de la pièce, le baron Ervan de Sablevent tournait en rond comme un lion en cage. Sa femme souffrait. Sa femme souffrait et il n'y pouvait rien. Il y avait une petite heure de cela, il avait envoyé sa nourrice coucher le petit Aetas, qui, du haut de ses cinq printemps, ne comprenait pas très bien la situation. Il savait juste que Mère était en train de donner naissance à son petit frère ou à sa petite soeur et que ce ne serait sûrement pas fini avant tard dans la nuit. Il n'avait pas très bien saisi que cela se passait mal et il avait été vexé d'apprendre qu'il lui faudrait probablement attendre l'aube pour saluer le nouvel arrivé dans la famille.
La peur au ventre, les muscles tétanisés pour la première fois depuis très longtemps, il contempla longuement la lueur des flammes des lampes à huile qui éclairaient le couloir de son palais. Qu'avait-il fait pour que sa femme soit ainsi châtiée ? Pourquoi les dieux imposaient-ils une épreuve si cruelle ? Il pouvait attendre ses gémissements et chacun d'eux lui faisait l'effet d'un coup de lame sur son propre coeur. A ces lamentations de douleur se rajoutaient les hurlements du vent dans les dunes.
Lorsque la sage-femme reparut, le chignon qui retenait ses cheveux châtains était presque défait. Ses yeux gris-vert avaient une lueur désolée.
- Mon Seigneur, vous allez avoir une décision extrêment difficile à prendre. Le bébé est très mal placé et nous ne parvenons pas à délivrer la mère. Si vous voulez sauver l'enfant, il faut nous autoriser à l'opérer.
La gorge du seigneur se noua. Il eut l'impression qu'on venait de lui planter un couteau dans les entrailles. Un nuage de douleur descendit sur lui, mais sa voix fut ferme quand il répondit :
- Je vous l'accorde. Sauvez notre enfant.
Quelques instants plus tard, les cris d'un nourrisson plein de vie retentissait, alors que Maëlys expirait.
- C'est une fille, décréta la sage-femme en tendant l'enfant au baron.
- Elle tient de moi, dirait-on, commenta le baron, la gorge serrée. Bien... Très bien...
Il énonça d'une voix plus forte :
- Puisque tu seras ma lumière dans l'obscurité, tu te nommeras Eryan, la brillante. Puisses les dieux t'accorder une longue vie heureuse...
Mai 798 : Un dur apprentissage.- Plus souple, les pieds, mademoiselle ! Là, vous manquez d'agilité et de vitesse.
Le maître d'armes virevoltait autour de la fillette, qui ne parvenait pas à le toucher. Arcus avait toujours été un maître dans son art. Sa chevelure retenue par un catogan se balançait élégamment derrière lui alors qu'il feintait sa protégée. Il faisait chaud, en ce début d'après-midi, et la cour du château de la baronnie se parait des rayons d'or de l'astre du jour. Seules les ombres mouvantes émises par le haut pin-parasol ombrageaient quelque peu le terrain d'entraînement en y apportant une fraîcheur bienvenue.
Le Maître et l'élève ne se laissaient distraire par rien ni personne, emportés dans leur danse des lames. Tantôt, ils se rapprochaient vivement l'un de l'autre, tantôt, ils s'écartaient jusqu'à se retrouver chacun à l'une des extrémités du terrain. Arcus semblait fait de vif-argent, Eryan était semblable à une brindille que le vent pouvait aisément emporter. Elle dansait autour d'Arcus sans le quitter des yeux, une flamme farouche scintillant dans ses grandes prunelles noires. De temps à autre, une raie de lumière s'accrochait dans ses cheveux, révélant leurs reflets de cuivre.
Eryan suait et sa bouche était parcheminée. Le cordon de cuir qui enserrait son front et retenait ses cheveux à l'arrière était complètement trempé. Mais Arcus était intraitable. Il pivota et frappa, atteignant son élève sur le côté. Elle tituba légèrement, mais ne tomba pas, évitant de justesse une seconde frappe.
Elle leva les deux bâtons courts qui lui servait d'armes et bondit de nouveau. L'homme se fendit, et l'instant suivant, posait son épée de bois sur la gorge de sa protégée.
- Encore morte, Mademoiselle.
Eryan poussa un soupir :
- Je ne serai jamais aussi forte que vous.
Arcus esquissa un sourire :
- Ce n'est pas cela l'objectif, Mademoiselle.
- Alors qu'est-ce donc ?
- Que vous soyez bien plus forte que moi. Un vrai maître ne l'est que si son élève le dépasse ! Alors accrochez-vous et recommencez !
De nouveau, Eryan se concentra, observant chaque mouvement du maître d'armes. Cette fois, quand le bâton se leva, elle parvint à esquiver le coup et se glissa derrière l'homme. Elle leva ses armes, prête à frapper.
Le bâton la cueillit de nouveau et un léger coup la frappa à la mâchoire. Elle retomba au sol, ressentit une légère douleur au derrière.
- Bien, bien, ce n'était pas si mal ! On progresse pour l'agilité, mais comme je disais tout à l'heure, il va aussi falloir être plus rapide, Mademoiselle !
Eryan se releva de nouveau.
Le bâton la frappa à la jambe droite, puis au flanc gauche, et il brûla également sur une épaule. Elle jura, mais cette fois, elle ne tomba pas.
- Et la détermination aussi, c'est important !
- Oui...
Elle baissa vivement la tête pour éviter un autre coup, et l'instant suivant, elle se rua sur Arcus. L'un des bâtons de la fillette le frappa droit sur l'épaule.
- Voilà, première touche ! la félicita-t-il. Vous voyez, quand vous le voulez...
Depuis un balcon, le Baron de Sablevent observait le spectacle, un mince sourire aux lèvres.
Eryan serait la fierté de la famille.
Juin 810 : A l'amour comme à la guerre, à la guerre comme à l'amour et dansent les poignards...
Une belle matinée se levait sur le château de Sablevent. Une agréable brise fraîche courait sur la peau et dans les cheveux d'Eryan. Elle plissa les yeux et se concentra.
Assis face à elle, son frère Aetas affichait sa moue la plus suffisante, une de ses boucles noires lui tombant sur les yeux.
- Alors, soeurette ? On sent venir la mort ?
Eryan eut un petit ricanement :
- Ne sois pas si sûr de toi, frère. Tu sais conquérir vite, mais tu ne sais point garder ton avantage...
Elle déplaça sa tour sur l'échiquier.
- Hop ! Echec à la dame, mon seigneur !
Les prunelles noires d'Aetas s'emplirent d'une lueur appréciatrice.
- Joli. Je ne l'avais point vu, en effet ! A mon tour, alors...
A cet instant, l'un des gardes s'avança dans la cour.
- Monseigneur Aetas et Damoiselle Eryan, le Baron de Rouge-Enclave vient d'arriver en visite.
- Il fallait s'y attendre, soupira Eryan.
- Vas-tu le recevoir ?
- Ai-je vraiment le choix, Aetas ?
Depuis ses dix-huit ans, Eryan se retrouvait régulièrement courtisée par des prétendants, pour les uns point insensibles à la beauté de son regard d'obsdienne et de sa peau aux reflets cuivrés comme le sable du désert au couchant, pour les autres, attirés par les coquettes terres de la baronnie de Sablevent. Néanmoins, aucun ne s'était autant attiré le mépris d'Eryan que le baron Markarès de Rouge-Enclave, qui occupait les terres voisines. Cet homme tourne autour des terres de Sablevent comme un sale moucheron autour d'un fruit mûr, songea la jeune femme. Mais s'il a le malheur de nous défier un peu trop, je l'écraserai.
- Dîtes à ce cher baron que je vais aller à sa rencontre, fit donc Eryan en se levant.
Ce matin-là, la jeune femme avait enfilé une longue robe violette dont les bretelles fines étaient ornées de fines perles. Des bracelets dorés ornaient ses biceps et la jupe était fendue sur un côté, laissant voir ses longues jambes. Une partie de ses longues boucles brunes étaient nouées en fines tresses dans lesquelles étaient également enchâssées des perles brillantes. Ainsi donc, elle était tout en beauté et prête à parler au dit soupirant.
Elle le rejoignit dans l'un des jardins adjacents. Ce dernier était particulièrement prisé pour accueillir les invités, car il possédait d'élégants massifs carrés aux belles fleurs roses et blanches qui entouraient un petit bassin d'eau turquoise. Un décor buccolique idéal pour se ressourcer.
Markarès de Rouge-Enclave se tenait donc là, vêtu d'un habit noir, or et rouge à la mode du désert. Le pantalon bouffant noir était décoré d'une ceinture aux broderies d'or complexe et l'étole écarlate qui couvrait son épaule brillait sous le soleil. Sa barbe venait visiblement d'être taillé et Eryan songea que si l'on s'arrêtait au physique, n'importe quelle femme de la cour du royaume aurait apprécié un tel soupirant.
Mais point elle.
- Eh bien, Baron ? le salua-t-elle. Quelle affaire pressante vous amène donc ici ? Je suppose que vous n'êtes point simplement venu contempler nos fleurs ?
Le Baron lui fit un délicat baise-main pour la saluer et plongea immédiatement ses yeux dans les siens :
- Je suis venu pour une affaire point si pressante que cela, mais néanmoins importante à mon coeur. Voilà bien cinq ans que vous êtes femme et apte à être courtisée.
- Alors, je ne vais point vous faire perdre plus de temps. Je ne souhaite pas que vous me courtisiez, Baron.
L'homme la regarda et éclata d'un rire franc :
- Au moins, vous avez le mérite d'être directe. Soit, je ne saurai outrepasser le consentement d'une dame... Mais serait-il possible néanmoins de me voir considérer comme un ami ? Peut-être qu'en nous connaissant mieux, vous pourriez vous voir venir pour moi une quelconque... inclination...
En prononçant cette phrase, il lui avait effleuré le bras. Eryan s'écarta vivement. Elle avait une vague nausée à la pensée d'avoir dû laisser cet infâme la toucher.
- Je vous le répète, Baron, car je ne me suis visiblement point faite comprendre. Je ne veux pas que vous me courtisiez. Ni maintenant, ni jamais.
- Et pourquoi donc ? Avez-vous donc un avis si... négatif sur ma personne ?
Oh que oui, songea-t-elle. Elle détestait son profil de rapace, le regard plein de concupiscence qu'il portait sur elle. Et plus encore, elle haïssait également la façon dont elle l'avait vu, les quelques fois où il avait visité son père, porter un regard de convoitise sur les riches tableaux et belles soieries du château. L'on ne pouvait se fier à un tel homme. Elle le savait. Aussi pesa-t-elle soigneusement ses mots :
- Mon frère Aetas sera l'héritier de la baronnie, monseigneur. Aussi, pour ma part, je n'ai jamais ressenti d'attraction pour le mariage, ou pour le désir de fonder un foyer. Mes aspirations sont autres. Voilà pourquoi je ne puis accéder à votre demande.
L'homme eut un sourire qui était ouvertement méprisant. Ses prunelles d'onyx brillaient d'une lueur mesquine qui déplut profondément à Eryan. Il décréta :
- Soit... S'il doit en être ainsi... Veuillez donc m'excuser si je vous ai importuné, Damoiselle. Je dois maintenant aller m'entretenir avec votre père.
Août 810 : La mort arrive...
Eryan siffla et tendit le bras.
L'oiseau au somptueux plumage gris argent décrivait de grands cercles, défiant les vents. Ses grandes ailes se déployèrent, cachèrent un court instant l'astre du jour. Enfin, l'animal exécuta un grâcieux piqué pour rejoindre le bras de sa maîtresse.
- Tu es aussi pressé que moi, hein Horus ? La chasse sera bonne aujourd'hui. Peut-être raménerons-nous du lièvre ? Ou de l'oiseau d'eau ? Un canard, peut-être ?
Si le désert autour de Sablevent abritait peu d'animaux, les oasis débordaient de gibier savoureux. Bien évidemment, il fallait se montrer prudent à cause des requins des sables et des cobras qui pouvaient se trouver dans la zone. Malgré tout cela, Eryan aimait les longues parties de chasse et les promenades. Vêtue d'un long sarouel violet et d'un haut de cuir décoré d'or, elle avait pendu ses dagues à sa ceinture et pris un arc au cas où elle croiserait une gazelle, bien que ce ne fût pas son arme de prédilection.
Talonnant sa monture, elle avança à travers les dunes jusqu'à une magnifique palmeraie bordant un lac dont les eaux se paraient d'éclats couleur lapis-lazuli sous le soleil. Et sourit.
Une horde de canards et de geais étaient en effet en train de s'y nourrir et de se reposer. Sans hésiter, Eryan lâcha son animal dans les airs :
- Allez Horus. A toi de jouer, mon ami !
L'animal monta très haut dans le ciel, semblant vouloir rejoindre le royaume des dieux. Puis soudain, il piqua en avant. Les canards s'envolèrent de panique, mais il était déjà trop tard. Le redoutable prédateur percuta de plein fouet l'une des bêtes, la tuant instantanément. Eryan s'approcha sans se presser, laissant Horus se délecter des entrailles du malheureux oiseau.
- Bien, Horus. Bien, bien, bien !
Elle le récompensa d'un morceau de viande séchée, l'incitant ainsi à lâcher sa proie, puis mit le canard dans sa gibecière. Il était maintenant temps de rentrer au palais.
Un vol de flamants roses opportunistes et visiblement ravis de la fuite des canards passa au-dessus d'eux pour aller piquer vers le lac. Un très léger souffle de vent souleva ses boucles brunes. Eryan sourit. La journée était magnifique. Elle aurait bien aimé faire une baignade dans l'oasis, mais des affaires importantes la retiendraient au palais dans l'après-midi. Seconder un baron n'était jamais une mince affaire, et il y avait toujours du travail, en particulier depuis qu'une bande de pillards s'en était pris à l'un des villages sous leur protection, la semaine passée. Aussi poussa-t-elle un léger soupir de frustration, se consolant en pensant au délicieux canard qui serait servi au dîner grâce à l'habileté d'Horus.
Alors que les hautes murailles de Sablevent pointaient au milieu des dunes orangées, elle vit soudain la silhouette d'un cavalier se découper à l'horizon. Visiblement un messager qui filait à grande vitesse. Son coeur rata un battement : était-il arrivé un malheur en son absence ?
Lorsqu'il s'approcha de plus près, elle le reconnut alors comme étant Wilfred, un fidèle serviteur de la maison. Ses grands yeux verts brillaient d'effarement.
- Mademoiselle ! Vous voilà, s'écria-t-il.
- Mais que se passe-t-il, Wilfred ? On dirait que vous allez m'annoncer un décès !
- C'est justement... je...
- Allons, parlez !
- V... votre père ! Il a été assassiné ! Un homme de main avait réussi à s'infiltrer parmi les gardes ! Et nous redoutons que votre frère ne tombe dans une embuscade. Nous... nous devons le prévenir...
- Par les dieux...
Eryan talonna de nouveau son cheval, espérant ne pas le crever avant l'arrivée. Un vent sec et brûlant se leva soudain, mais il n'empêcha pas le sang de la jeune femme de se glacer.
Aetas était parti vers l'est ce matin, avec une troupe d'hommes, afin d'apporter un convoi de vivre au village qui avait été victime de l'attaque des brigands.
Alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques lieues de la place, une odeur de brûlé leur frappa les narines et en mettant sa main en visière, Eryan put voir une colonne de fumée s'élever dans le ciel. Une odeur âcre lui frappa alors les narines. Une violente angoisse lui monta à la gorge, elle tira son arc.
Ils arrivèrent au milieu d'un tas de ruines encore en flammes, où une dizaine d'hommes se battaient. Les lames s'entrechoquaient sauvagement en émettant des éclairs lumineux. Eryan bondit de sa selle, tira ses dagues. En un bond, elle se retrouva sur l'un des belligérants, lui planta sa lame dans la nuque. Wilfred, quant à lui, s'était armé d'une épée courte et se débrouillait comme il le pouvait, bien qu'il ne fut pas un escrimeur hors pair. Sa lame alla s'enfoncer dans la poitrine d'un homme armé d'une hâche. Celui-ci cracha une gerbe de sang avant de s'effondrer. On entendait déjà les cris des vautours qui planaient au-dessus du potentiel charnier.
Les lames sifflaient, les membres et les têtes volaient, le sang éclaboussait les murs et le sol. Le sable s'en abreuva jusqu'à ce que sa belle couleur jaune pâle devînt sépia. Eryan volait d'adversaires en adversaires, rapide et agile comme un cobra.
Les hommes d'armes de la famille de Sablevent portaient bien leur réputation. Ils frappaient avec bravoure et eurent finalement le dessus sur les bandits. Eryan esquiva de justesse la lance d'un des soudards, le feinta. L'instant d'après, sa lame lui ouvrait la trachée. Il s'écroula dans un gargouillis, du fluide écarlate ruissella sur sa poitrine. Un autre se rua vers elle, une hâche à la main. Elle eut tout juste le temps de faire un bond sur le côté pour l'éviter. L'instant suivant, elle se jetait sur lui, l'une de ses dagues lui perforant les côtes. Pendant tout ce temps, une lugubre question hantait son esprit comme un leitmotiv maléfique ; où était Aetas ? L'avait-on tué ?
L'inquiétude la perturba tellement qu'elle tomba à la renverse en tentant d'esquiver le coup d'un homme porteur d'une épée bâtarde. Celui-ci se rua aussitôt sur elle, l'épée à deux mains levée, prêt à la couper en deux...
Et se figea en crachant du sang, alors qu'une lame jaillisait soudain de sa poitrine. Wilfred était venu au secours d'Eryan. Il retira sa lame, le bandit tomba au sol dans une mare vermillon. La jeune femme se releva aussitôt, remerciant son compagnon d'un signe de tête. Un dernier homme se battait avec l'un des gardes de Sablevent. Eryan banda son arc et tira, atteignant sa cible droit dans la gorge. Les cliquetis des armes firent alors place à un silence morbide, entrecoupé uniquement par les cris des vautours et les gémissements d'agonie des blessés.
- Je crois que c'est terminé, dit Wilfred en s'essuyant le front.
- Aetas ! AETAS !
A présent que tout danger était écarté, la jeune femme cherchait son frère. Une violente inquiétude lui mordait le ventre.
Où est-il ? Par tous les dieux, où est-il ? Faîtes qu'il soit vivant, je vous en prie !
Enfin, elle le trouva.
Et crut que son coeur allait s'arrêter de battre.
Le beau jeune homme brun était écroulé contre un pan de mur. Du sang coulait d'une énorme blessure, mais il était encore conscient. Eryan sentit sa gorge s'assécher. Il y avait beaucoup trop de sang. Beaucoup trop...
- Aetas !
- Petite soeur...
Il suffoqua. Eryan le saisit par les épaules :
- Non, Aetas ! Reste conscient ! Dis-moi qui étaient ces hommes ! Qui a fait ça ?
- C'est... L'un des hommes... Je l'ai reconnu... il...
- Oui ?
- Je crois... qu'ils travaillent pour le Baron de Rouge-Enclave. Mé... Méfie-toi de lui, Eryan... C'est un... vrai scorpion... AH !
- Aetas ! NON !
Mais les grands yeux bruns d'Aetas venaient de se voiler et il avait rendu son dernier soupir. Cette fois, Eryan prit la pleine mesure de ce qu'il venait de se passer. Elle serra violemment les dents, malgré la vive douleur qui lui enserrait la poitrine, cligna plusieurs fois des yeux. Elle essuya rageusement une larme qui menaçait de couler et se releva. Une noble de Sablevent n'exprimait jamais son chagrin en public. La mort est injuste, elle survient à n'importe quel moment, c'était là la première loi du désert.
Et brusquement, la violente souffrance dans sa poitrine se mua en une fièvre glaciale, une rage tellement violente qu'elle crut en suffoquer. Ceux qui avaient orchestré cela allaient payer leur ignoble crime. Elle ne savait pas encore comment, mais elle leur ferait payer.
- Gardez à jamais ce jour funeste en mémoire ! énonça-t-elle d'une voix ferme et forte. Ce jour où mon père et mon frère bien-aimé ont péri par la félonie des Rouge-Enclave ! Un jour, nous leur rendrons sang pour sang !
- Sang pour sang ! crièrent les uns.
- Vive notre baronne ! crièrent les autres.
Baronne.
Le mot résonna dans sa tête. Eryan se rendit compte que son avenir ne lui appartiendrait jamais plus.