La pression que me mettaient les Daims ne semblait pas faiblir, bien au contraire, leur rage ne cessait de croître à chaque instant. Ces pauvres bêtes devaient sans doute vivre un calvaire en ce moment, aveuglé comme ils l’étaient. Mais je ne devais pas courber l’échine maintenant, derrière moi, Greil se relevait péniblement et se rapprocha pour mettre un terme à la vie du cervidé que je tenais par les bois. Mais je n’avais pas assez de bras pour le protéger de toute part et l’un des Daims avait fini par me contourner pour s’en prendre en traître au général. Du coin de l’œil, j’avais pu suivre l’action de l’animal contournant rapidement mon barrage et foncer sur l’humain, mais quelque chose de tout à fait inattendu se produisit.

Greil, alors en position de faiblesse, se vu secourir par une créature ailée qui s’était jointe au combat, saisissant le daim et l’emmenant haut dans le ciel. J’en fus tout à fait sidéré ! Un griffon, qui passait par là, avait décidé de prendre la défense du vieux soldat et l’avait certainement protégé d’une terrible menace. Le prédateur emmena sa proie très haut dans le ciel, griffant et déchirant la chair de sa proie avant de la laisser retomber sur le sol dans un sinistre fracas. Je régurgitais ma salive en voyant la scène se dérouler, entendant l’écho de se terrible son … le bruit des os de fracassant contre le sol. Allié ou ennemi, je n’osais pas imaginer être emporté aussi haut dans le ciel pour y voir le vide qui défile sous mes pieds. L’homme se rapprocha de moi, face au groupe de Daim nous faisant encore barrage, et me rassura d’un ton amical.

Greil – Je te présente Griffure, mon Griffon. Les daims ne vont pas tarder à charger de nouveaux, j’espère que tu es prêt.

Le soleil n’était plus en vu, malgré les quelques rayons s’échappant encore de l’horizon, et l’obscurité commençait à s’étendre peu à peu. Le plan que j’avais eu en tête un peu plus tôt ne pouvait qu’échouer. Attendre la levée de la lune pour riposter ne nous avancerait à rien, le combat serait terminé bien avant. Il valait donc mieux accélérer les choses maintenant, d’autant plus que le compagnon à plume de Greil semblait veiller sur nous depuis les cieux, ce qui était plutôt une bonne chose. Rassuré par cette nouvelle présence, j’agrippais de ma main libre un autre Daim, qui continuait à me charger sans relâche depuis quelques temps, et l’envoya paître un peu plus loin en prenant soin d’ajouter de la hauteur dans mon lancé. L’animal hurla tout du long de son vol plané avant de se taire brusquement, s’écrasant un peu plus loin. Petit à petit, le nombre de nos opposants diminuait. L’autre Daim toujours entre mes mains, je décidais de le plaquer au sol afin de l’immobiliser, ce qui allait grandement nous faciliter la tâche. Réduit à deux charges, le troisième continuant désespérément à me donner des coups de bois, la donne avait changée.

Lonann Alhazred – Je suis prêt ! Répondis-je au général sans quitter les daims du regard. Il faut tenir encore un peu.

Se transformer demande de l’énergie, se mouvoir également, il était évident que je ne pouvais garder cette forme éternellement, mon rythme de vie n’y était pas habitué. La fatigue commençait à s’enrouler autour de mes membres, m’alertant que je puisais déjà sur mes réserves. En tant que vagabond, je ne me nourrissais que de ce que je chassais, mais ce n’était pas suffisant pour reprendre réellement des forces et se préparer à ce genre de combat inattendu. Il me faudrait chasser davantage et me nourrir bien plus si je voulais me transformer plus longtemps, sinon la faim risquerait de venir me tirailler l’estomac. Ce n’était donc pas le moment de dépenser des forces inutilement durant les prochains échanges. Comme on dit toujours : Prudence est mère de sûreté.

L’intensité du combat commençait à retomber, l’apparition du Griffon à son imposante prestance avait eu raison de la détermination des daims à nous piétiner. Toutefois, ces derniers n’obéissaient plus à l’ordre naturel des choses, contrôlés par la rage par une entité supérieur, les deux cervidés encore debout chargèrent ensemble pour délivrer leur ami enfoui sous mes griffes. Le général, armé de sa hache, n’avait pas eu le temps d’en finir avec la proie à terre. Prit pour cible, il eut tout juste le temps d’esquiver l’assaut meurtrier des deux pantins aux longs bois, l’un d’eux parvint même à me faire lâcher prise sur leur compagnon, le libérant de mon jouge.

Les multiples assauts encaissés jusqu’à lors commencèrent à avoir raison de ma ténacité, mes muscles endoloris réagissaient à retardement, tandis que la puissance de mes poings faiblissait à vu d’œil. Je me savais incapable de poursuivre le combat sous cette forme indéfiniment, je m’y étais trop peu habitué et me retrouvai inexpérimenté au cœur de la mêlée. Le fait d’être aux côtés de Greil me rassurait dans un sens car je le savais grand guerrier et stratège à la fois, c’est ce que j’avais pu remarquer depuis que nos chemins s’étaient croisés il y a quelques heures. D’une manière générale, la vieillesse était la marque de l’expérience et de la sagesse, il est donc naturel de se fier à plus ancien que soit, mais la situation restait tout de même tendu pour nous, malgré l’expérience de ce dernier et la force surhumaine dont je pouvais faire preuve. L’appui du Griffon apparaissait presque comme une bénédiction pour nous, à un moment aussi critique que celui-ci. Le vieil homme, gardant malgré tout la tête froide face à l’adversité, continuait d’observer les déplacements des Daims et semblait pensif dans son regard. Son poing se resserrant sur sa lourde hache, Greil sortit de son silence et ordonna notre prochaine contre-attaque. Il était temps d’utiliser mes dernières forces sans modération !

Greil – Griffure va attaquer le Daim du milieu. Je prends celui de gauche et toi celui de droite …

Son compagnon se chargerait du Daim auquel je m’étais frotté au début, un morceau de ses bois s’était cassé au fur et à mesure du combat, nous laissant ainsi à Greil et moi-même les deux autres Daims. Le vieil homme s’avançait tranquillement vers le troupeau, du moins ce qu’il en restait, sans quitter du regard le Daim qu’il s’était fixé d’abattre. J’en fis de même avec celui qu’il m’avait attribué quelques instants plus tôt, me fiant à son jugement, j’étais près à donner ce qu’il me restait de force pour mettre un terme à ce combat. Débordant sur le flanc droit, j’attirais ainsi l’attention de ma cible pour qu’il ne s’occupe plus du Soldat ni de son ami ailé. Ce dernier répéta l’opération de son côté, laissant le Daim du milieu au petit soin avec Griffure qui ne l’avait pas quitté de son regard perçant.

Loup, qui avait assisté au combat depuis les branchages des arbres à proximité, s’était échappé de son abri pour nous rejoindre et nous prêter main forte. Alors que je m’étais élancé le premier sur ma proie, profitant de ma sinistre présence aux yeux des cervidés pour l’effrayer, Loup s’était approché discrètement sans que je m’en rende compte et avait surgit de nulle part pour immobiliser l’un des Daims à grand coup de croc dans les pattes. Maintenant qu’ils n’étaient plus que trois, mon ami avait sûrement jugé qu’il pouvait se rendre utile sans être un poids mort pour le trio. Malheureusement, malgré son soutien jusqu’à la fin du combat, mes forces m’abandonnèrent au moment fatidique, m’effondrant avant même d’avoir atteint le Daim effrayé devant moi. Peu à peu, je perdais en volume, rétrécissant progressivement jusqu’à reprendre mon apparence humaine. Ma queue finit par disparaître tout comme le manteau blanc que j’arborais un peu plus tôt, clôturant ma retransformation. Genoux à terre, j’essayais de reprendre mon souffle et de faire face à la douleur qui tétanisait mes muscles. Un rictus barra alors mon visage, un rictus amer accompagné d’une certaine rage. Echouer aussi prêt du but, sous les yeux de Greil, alors qu’il avait lui-même eu confiance en moi quelques instants plus tôt. Plus qu’une honte, je ne pouvais que contempler la bête devant moi d’un regard noir empli de colère sans même pouvoir l’atteindre, Loup continuant de lui mener la vie dur malgré ma faiblesse. Pitoyable. Pourtant, le voir continuer à se battre à ma place changeais peu à peu ma colère en espoir …

Lonann Alhazred - Oh Loup ...

Et Greil dans tout ça ? Et Griffure ?!

Le souffle court, je ne pouvais qu’admirer la combativité dont faisait preuve Loup. Tandis que mon corps subissait les foudres de la fatigue, mon compagnon de toujours parvenait à se débattre et à tenir à l’écart le Daim enragé. Ce n’était plus un petit louveteau, sa prestance et l’aura qu’il dégageait n’était plus celle d’un petiot ayant besoin qu’on le guide, mais bien celle d’un adulte empli d’assurance. L’espoir. C’est ce que je ressentais en le regardant ainsi, il ne renonçait pas, Greil et Griffure partageaient cette même assurance envers et contre tout. Mais c’est également cette même assurance qui devait me faire défaut … Je n’avais plus la force de me relever, mon corps entier était endoloris, chacun de mes mouvements me crispait de douleur, m’arrachant une grimace de tant à autre accompagné de quelques larmes. Les multiples coups et chocs reçus sous ma forme lupine commençaient à apparaitre sur ma peau pâle, formant une nuée de tâches aux couleurs abyssales.

Sans quitter mon frère d’arme du regard, subjugué par son acharnement, je continuais à tenir bon et tentais peu à peu de me relever malgré la difficulté. Je n’allais quand même pas finir mon aventure ici, il ne s’agissait que d’un obstacle parmi tant d’autre, il ne tenait qu’à moi de pouvoir le surmonter. Après un effort inconditionnel, je parvins à relever un genou du sol, supportant tout le poids de ma vie sur mes épaules. La lutte n’était point terminée ! Tout aussi soudainement que cette détermination naissante, Greil, qui tenait une lutte tout aussi acharné de son côté, prit une longue inspiration avant de siffler en pointant le daim que bloquait Loup du doigt. Instinctivement, j’avais tourné les yeux vers Greil puis sûr Griffure qui relâcha la dépouille de sa cible avant de prendre de l’altitude. Me regard croisa celui du Daim durant un court instant et l’inconscience prit le dessus sur mon corps. Je me ruais de nouveau, tyrannisé par la douleur, sur Loup, le saisissant dans mes bras avant de me replier quelques instants, laissant le relais au compagnon du général qui tomba à point nommé. Pourvu que l’on puisse tirer parti de l’effet de surprise qu’avait créé la monture du vieil homme.

Saisissant ma besace, je farfouillais hâtivement celui-ci à la recherche d’un quelconque remède pouvant me servir. Si j’avais ne serait-ce que les moyens de me battre à leur côté encore un peu, juste un tout petit peu … Alors nous pourrions peut-être … repartir ensemble.