La seule manière de quitter Stellaraë, c'était de passer par le désert de Harena. La manière la plus sûr de voyager dans le désert était faire tout trajet avec des caravanes. Elles étaient multiples et regroupaient de nombreux voyageurs hétéroclites. Les plus forts proposaient juste leurs services pour défendre les autres, les autres se contentaient de payer. Shane avait réussi à faire partie d'un convoi sans débourser la moindre pièce et sans engager ses services (qui ne valaient pas grand chose). C'était Pyrhon, son ami et mentor assassin, qui lui avait trouvé cet ensemble de caravane. Elle le soupçonnait d'avoir utilisé des moyens de persuasion peu conventionnels pour cela, mais cela n'avait finalement assez peu d'importance. L'essentiel était qu'elle arriverait à bon port.

Elle se dirigeait ainsi vers le sud-est de Stellaraë. Elle avait toujours rêvé de voir la mer, alors Ishtar semblait la destination idéale. Il faut dire qu'elle n'y avait pas beaucoup changé. Libérée de toutes obligations, goûtant la vie de vagabondage, elle savait qu'elle aurait tout le temps du monde pour aller un peu partout.

Elle n'aurait jamais imaginé que ce serait ainsi. Voyager pendant des jours sans voir la moindre habitation, sans croiser la moindre âme en dehors des gens faisant partie du convoi... Du désert, à perte de vue. C'était à peu près ce qu'elle s'était toujours imaginée, mais elle avait été loin de penser comment elle se sentirait au milieu de ces vastes plaines et collines ensablées. En un mot, elle se sentait mal. Pas le moindre toit sur lequel grimper, pas la moindre barrière à esquiver... C'était morne. Monotone. Chiant à mourir.
Et on-ne-peut-plus énervant. Pour Shane qui avait toujours aimé courir, sauter un peu partout, pour se détendre et calmer ses nerfs à vifs, cet enfer de fournaise était un enfer psychologique pour elle. Elle était constamment à devoir chercher son calme en respirant profondément, se distrayait par tous les moyens possibles... Quelques amas de roches où elle pouvait bouger un peu dessus faisaient parfois l'affaire, aussi. Mais le besoin de se défouler d'une quelconque manière restait toujours dans un coin de sa tête.
Et avec ce besoin, la peur qu'à tout moment une attaque d'un monstre puisse arriver la rongeait. Elle ne savait vraiment pas comment elle arriverait à se contrôler dans une position de danger.

Après un peu moins de deux semaines de ce traitement, la Stryge cru qu'elle allait devenir folle.

Mais c'est alors que le convoi atteint l'Oasis. Cela faisait quelques jours que le meneur lui avait promis qu'ils y arriveraient. Compatissant, il la rassurait un peu quotidiennement en lui disant que cet endroit lui ferait un bien fou. Et en effet... De nulle part, il y avait de l'eau, des arbres. De nouvelles personnes qui s'y attardaient aussi - deux semaines à côtoyer les mêmes personnes, Shane n'en raffolait vraiment pas.
Un petit coin de paradis. Voilà ce qu'était l'Oasis.

Cela faisait deux heures que Shane s’entraînait, du côté opposé de là où les caravanes s'étaient installées pour la journée. Elle n'avait guère l'occasion de goûter à de la vraie solitude, sinon. La sécurité imposait de rester dans un rayon de cinquante mètres au grand maximum. S'élancer d'arbres en arbres, prendre un appui éphémère sur l'écorce des palmiers du bout du pied pour mieux rebondir au loin, sauter de cinq, six mètres et de se rétablir sans problème sur la roche, tournoyer dans les airs, atterrir, puis repartir...
Cela faisait deux heures que Shane se sentait revivre. Elle pouvait enfin bouger sans que plus de sable ne s'infiltre partout sous ses vêtements, elle se sentait de nouveau apte à défier la gravité des plus folles manières.

Quand elle fut trop essoufflée pour pouvoir faire quoi que ce soit, elle plongea dans l'eau affreusement salée, se rafraîchissant réellement pour la première fois depuis si longtemps... Rien ne pouvait gâcher ce moment.

Il voyageait depuis plusieurs mois dans le désert de Harena, gagnant son pain en accompagnant diverses caravanes ci et là. Celle qu'il avait rejointe était un peu particulière : en effet, le convoi ralliait le Nord-Est Sud, aussi le trajet était-il quelque peu long. Sa présence avait donc été chaudement requise afin de garder les esprits au calme... Soumis au joug d'un soleil pesant et des vivres limités, on risquait de vite s'échauffer.

Wyrm regardait le paysage défiler. Connu et pourtant toujours différent. Le stryge sourit, laissant une main se perdre dans le pelage de Geri. Le chien loup agita la queue de contentement, un peu fatigué par tous ces voyages et surtout, la chaleur.
Il observait les uns et les autres s'affairer ou bien simplement subir les assauts du soleil, puis ses yeux tombèrent sur cette silhouette qu'il surveillait depuis son arrivée : celle d'une jeune femme solitaire, dont la présence avait quelque chose d'étrange. Elle n'avait rien déboursé pour le voyage, ne le compensait par aucun service en particulier...
En fait, le ménestrel s'amusait à glaner des informations sur chaque personne de ce convoi - simple passe temps et satisfaction d'une curiosité caractérielle également. Ainsi, il avait découvert un mai cocu, un couple incestueux, un marchand ayant des liens avec des braconniers... Toutefois, les informations sur la mystérieuse restaient maigres. Il était donc intrigué.

Finalement, le convoi fit halte dans une oasis plutôt vaste : il y avait la place pour établir un campement. Et la femme disparut aussitôt.
Il ne lui en fallut guère plus pour que sa curiosité soit piquée. Il lui emboita donc le pas.

Cependant, il perdit rapidement sa trace : elle évoluait avec une telle aisance dans les arbres que même lui, pourtant pas maladroit, avait renoncé à la suivre. Il profita donc de cette part de nature pour se ressourcer et inspirer son imagination asséchée par le désert.
Le stryge se laissa tomber dans l'herbe fraiche, poussant non loin d'un cours d'eau et sortit son luth : les notes s'élevèrent, tranquilles, nonchalantes et un brin mélancoliques. Il goûtait à la moiteur de l'air en solitaire. Doucement, il glissa dans une douce somnolence...

Wyrm ouvrit les yeux.
Un bruit l'avait réveillé. Avait-il rêvé ? A la fois inquiet et curieux, le ménestrel se releva à la recherche de ce qui l'avait éveillé, l'air encore un peu endormi. Il émergea tout à fait une fois arrivé devant un minuscule lac... où se baignait la mystérieuse voyageuse du convoi.

"Ahem. Excusez-moi."

Il y avait tout pour que le moment soit parfait. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Shane n'aurait su dire exactement ce que c'était. Mais le sentiment diffus qui l'empêchait de rester deux secondes tranquille était revenu aussi vite qu'il était apparu. Aussi, quand la voix retentit, elle était sur le qui-vive.

"Ahem. Excusez-moi."

Elle se tourna aussitôt vers le nouvel arrivant, qu'elle reconnu aussitôt.
Oh. C'était lui.
Le ménestrel.

Elle avait été souvent enchantée par ces notes qu'il laissait échapper, parfois, le soir. Emportée par les mots qu'il faisait danser au dessus de sa musique. Il y avait dans son art quelque chose... d'aérien, qui la touchait tout particulièrement. Pourtant, la magie se brisait à l'instant où il posait son luth. Dès lors, il redevenait...
En deux semaines, Shane n'avait pas réussi à se décider sur un adjectif adéquat. L'homme l'intriguait énormément, mais elle n'avait jamais pu l'approcher. Elle éprouvait une sorte de répulsion. D'aversion. Elle ne pouvait pas l'expliquer. Mais plus elle se trouvait proche de lui, plus l'envie de le frapper prenait une place importante dans son esprit. Alors évidemment, ne cherchant pas les ennuis, elle s'esquivait à chaque fois, profitant de la moindre excuse pour partir à l'autre bout du convoi.
Et il était là, face à elle. Ne lui laissant, cette fois, aucun échappatoire visible.
Qu'est-ce qui foutait là, bordel ?

Elle se mordit furieusement les lèvres pour s'empêcher de réagir au quart de tour, lui hurler de dégager. Il n'y avait eu aucun "débordement" jusque là, et Shane ne tenait pas à ce que cela change, le tout était de garder un comportement normal.
Comme si se baigner après avoir couru comme une dératée était normal. Mais se contenter d'expliquer qu'elle voyait cela comme une opportunité de troquer du sable contre du sel ne serait sûrement pas suffisant pour lui faire oublier le regard assassin rouge qu'elle était en train de lui décerner.
Elle ne fit aucun geste pour s'approcher de la rive, ne préférant pas s'approcher. Elle débarrassa son visage de ses cheveux trempés d'un revers de la main. Déglutit violemment avant d'enfin saluer l'homme. De la manière la plus conviviale possible dans cette situation.

"Hey... Vous êtes là pour profiter de ce bel endroit ?"

Elle essaya un sourire. Asymétrique. Crispé.

Wyrm restait là, sur la rive, à la dévisager, le bras branlant en tenant son luth. Un instant seulement, son regard s'était perdu sur la beauté de ces courbes révélées par l'eau et le jeu de lumière mais il n'éprouva nulle envie : peut-être sa trop grande fréquentation des lupanars y était pour quelque chose. Toutefois, il savait au fond de lui, que cela était bien plus compliqué. Lui qui savait si aisément décrypter les émotions et les pensées d'autrui se retrouvait là, démuni et confus face à cette mystérieuse créature. Il était perturbé. Ni en bien, ni en mal, sans doute un peu des deux dans des nuances plus complexes...
Voulait-il lui répondre ? Il ne le savait pas. D'une part, sa curiosité le poussait à aller plus loin, quitte à faire le premier pas vers elle. D'autre part... Quelque chose le retenait. Son instinct, une intuition. Ce n'était pas de la méfiance -il avait perdu toute notion de prudence depuis une belle lurette.
Il ne savait foutrement pas.

Puis il le vit, ce sourire esquissé, comme forcé.
Il mit l'attitude de la femme sur le compte de la gêne : après tout, bien peu de gens n'éprouvaient aucun sentiment à voir un corps nu ou quasiment. Il fallait être aussi détraqué que lui...

"Je viens humidifier ma sèche inspiration. Désolé de vous avoir dérangée..."

Ce disant, son regard resta encore un moment fixé dans ses yeux avant de se détourner et de revenir sur ses pas.
Un pas.
Deux pas.
Trois...
Pourquoi avait-il l'impression de passer à coté d'un élément important ? Il s'arrêta, pensif. Puis d'une voix claire et haute, celle propre aux orateurs, il lui demanda :

"Qui êtes-vous ? J'oserai dire que vous m'intriguez... et malheureusement, je n'y puis faire grand chose je le crains."

Humidifier sa sèche inspiration... La tournure de phrase, si rêveusement poétique, mis un peu de sincérité dans le sourire de Shane. Mais elle désirait toujours plus que tout qu'il parte. Il la scrutait avec une intensité rare. Peut-être qu'il l'avait observé aussi longtemps qu'elle l'avait fait pour lui durant les deux dernières semaines ? Ou peut-être parce que le seul vêtement que portait Shane pour le moment était l'eau qui l'entourait. Elle ne considéra pas longtemps cette possibilité : il ne dégageait pas cette pugnacité si propre aux hommes emplis de désir, à moins qu'elle ne soit masquée par leur antagonisme profond...

Son dos. Quelques soient les intentions de l'homme, il ne fallait pas qu'il voit son dos. Malgré l'ancienneté de ses cicatrices, il fallait être aveugle pour ne pas voir les séquelles que l'amputation des ailes de la Stryge lui avait laissées, même à la distance respectable où se trouvait le musicien masqué. Que cachait-il, d'ailleurs, sous cette parure blanche ?

Shane ne put retenir son soupir de soulagement quand l'autre se détourna. Elle sentait sa hargne se calmer pour chaque pas qu'il faisait pour s'éloigner d'elle. Il n'en fit que trois avant de s'arrêter - elle en aurait pu en hurler de frustration.
Il reprit la parole, d'une voix différente, cette fois-ci. Plus ample, avec plus d'envergure, comme si elle se dotait d'ailes pour mieux voler jusqu'à son auditeur.

"Je suis Télys. Télys Arakane."

C'était le nom qu'elle avait utilisé auprès de tous les gens du convoi, le prénom de sa sœur, suivit du nom de son mentor. Une mesure de sécurité évidente, pour peu que le nom de "Shane Morthall" résonne chez ceux de Stellaraë comme le démon qui avait été abattu quelques mois auparavant. Elle ne savait pas à quel point son histoire s'était rependue dans la capitale, mais s'il fallait qu'elle l'apprenne un jour, elle ne voulait pas que ce soit à ses dépends. Même si l'homme n'avait fait qu'un bref séjour à Stellaraë, quand le convoi était passé par la capitale, dieux savent ce qu'il avait pu entendre, et retenu.

"Pourriez-vous ne pas vous retourner un moment, s'il vous plait ? Le temps que j'enfile quelques vêtements ?"

Elle ne se sentait pas à l'aise, le dos à l'air, à un angle de vue près que sa nature soit révélée, pour peu que le ménestrel ne soit pas jobard. Et, dans l'eau, elle ne pouvait fuir avec la même vitesse que sur la terre ferme. Elle regagna donc la rive et, prenant le soin de ne pas tourner son dos à l'autre. S'il se risquait un regard, il n'aurait pu voir que sa menue poitrine qui n'avait pas encore fini d'éclore et le reste de son corps couturé de cicatrices, mais pas son dos. Très hâtivement, une chemise raidie par la chaleur fut enfilée, suivie d'un pantalon. Le tout collait à son corps dégoulinant, mais c'était de loin meilleur à sa fragile nudité.
Une fois de nouveau présentable, elle regarda longuement l'homme. Elle pouvait partir, il ne pourrait pas la rattraper. Mais peut-être pouvait-elle aussi chercher à comprendre ce qui l'énervait si viscéralement chez lui.

"Et vous, quel est votre nom, à moins que vous ne le désiriez caché à l'instar de votre visage ?"

HRP:

Il prit sa question comme une acceptation à ce qu'il se retourne. Ce qu'il fit donc, faisant face à une jolie jeune femme. Il médita un instant ses paroles, un sourire amusé sous son masque. Plus elle parlait et plus il était intrigué : sa demande faussement pudique avait sonné bien étrangement alors qu'elle n'avait même pas fait mine de se cacher tantôt D'autre part...

"Wyrm. Enfin, il s'agit de mon nom autant que le vôtre l'est."

Il ne savait pas si elle lui avait menti, mais au vu de le peu de personnalité qu'il avait pu entrevoir, la possibilité n'était pas moindre. Il pensait l'apprécier. D'une drôle de façon m'enfin. Au fond, il savait qu'il ne la lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas mis le point sur ce qui faisait d'elle un tel centre de curiosité -du moins pour lui. Toutefois, à se montrer trop... insistant, elle risquait de se refermer, elle qui n'était déjà pas très extravertie et avenante.
Il choisit donc de faire le premier pas. Dans sa main, le masque qu'il portait : il lui montra sans malice son visage, ses yeux ciel et sa tignasse blanche. Ils contrastaient fortement avec la noire chevelure de la jeune femme qui encore se tenait à distance. Il lui sourit.

HRP:

Wyrm. Tandis que ce dernier se retournait, Shane laissa le nom faire le tour de son esprit, le temps d'en apprécier les consonances. Elle tiqua au sous-entendu de son interlocuteur. Avait-il deviné la supercherie ou était-ce une phrase totalement anodine ? Ou peut-être était-il tellement habitué aux faux-semblants qu'il avait comme habitude que les autres en fasse autant ? Elle cherchait une réponse adéquate, qui balayerait les doutes de l'homme quand il fit un geste qui la déboussola totalement. Il enleva son masque.

Elle fut frappée par... l'absence de ce qui aurait dû la frapper. Nulle cicatrice disgracieuse. Nul tatouage étrange. Nulle déformation... Un visage, tout simplement. Un visage beau.
Et il souriait, l'enfoiré, comme s'il était tout à fait à l'aise avec la situation. Alors que Shane était totalement désemparée. Elle recula de quelques pas. Mille questions l'assaillaient mais elle ne réussit qu'à en poser une seule :

"Qu'est-ce que vous voulez, bordel ?"

Elle cracha presque la phrase, comme si elle déversait un fiel de poison. Cette assurance, qui rendait Shane nerveuse, sonnait comme une menace pour la Stryge. L'homme voulait quelque chose de cet entretien. Comme s'il avait laissé tomber son masque... pour l'inciter à baisser le sien ? Mais elle ne pouvait abattre la moindre carte avant de comprendre quels étaient les enjeux de leur joute verbale.

HRP:

Il trouvait une certaine joie dans ces visages qui s'étonnaient de ne rien trouver de surprenant dans le sien. Tous s'attendaient à ce qu'il ait cachée une cicatrice ou bien un quelconque signe distinctif. Mais ce qu'il cachait n'était pas visible ainsi au contraire : c'est son masque qu'il tenait à garder loin des esprits. Il ne voulait pas que l'on devinât ses multiples facettes...
Toutefois, elle n'eut la réaction escomptée : rapidement, l'étonnement se mua en une sorte de peur mêlée à de la méfiance. Elle recula. S'éloigna de lui comme s'il était porteur de maladie. Pourquoi se montrer aussi... terrifiée ?

"Qu'est-ce que vous voulez, bordel ?"

Il lui coula un regard neutre, dissimulant loin de la réalité son inquiétude. Il ne laissa rien transparaitre. S'efforçant de conserver un esprit relativiste, détaché... Il finit par comprendre.

"Ainsi, vous aussi éprouveriez un malaise en ma présence. Ou que dis-je, une répulsion ?"

Il sourit doucement mais d'un sourire vide d'émotion. Elle allait finir par comprendre comme lui... Elle le savait déjà sans doute mais ses propres entraves l'avait peut-être empêchée d'en arriver là, qui sait ? Et il se jeta à l'eau. Alors qu'encore habillé il s'avança vers le petit lac, vers elle, il ôta sa veste, sa chemise...

"Je pense que nous sommes arrivés à la même conclusion, dame Télys."

Il se retourna, lui montrant son dos zébré de larges cicatrices d'un rouge encore sanglant. Elle ne le tuerait pas. Elle l'attaquerait peut être. Elle fuira sans doute.
Si le fait qu'elle soit une stryge noire lui importait peu au final -cela n'était qu'une lointaine et sourde réminiscence- cette femme ne devait pas avoir le même avis sur la question. Elle avait fortement réagi à sa présence après tout. Mais la situation ne pouvait pas rester en suspend : ils se trouvaient coincés en plein milieu du désert, dépendant tous deux de la caravane. Quand bien même ils s'ignoraient, trop de temps encore les séparaient de leur destination finale. D'ici là, les questions fuseraient à propos de leur mésentente et les conséquences pouvaient être désagréables. On l'interrogerait, elle qui semblait voir cacher sa présence et ses secrets à tout prix. On se méfierait de lui et sa paie en pâtirait...
Non, décidément, quitte à se mettre un peu en danger, il préférait trouver une conclusion à leur situation et aviser ensuite. Wyrm était un informateur, un stratège. Diminuer les variantes et possibilités garantirait ses chances de survie pour parler avec -ou non- quelque peu d'exagération.

Il ne savait comment, dans son dos, elle réagissait. Alors en attendant, il confia pour la première fois son histoire à une parfaite inconnue. Etait-ce un besoin ? Une autre de ses folies ? Parce qu'elle aussi avait perdu ses ailes ? Il n'avait la réponse et à mieux y réfléchir, il s'en fichait. Il avait juste besoin, envie d'en parler.

"Il y a quelques années, on me les a retirées en me prenant pour ce que je n'étais pas. J'ai perdu ma fierté, mes rêves, le ciel. Ma nature de stryge blanc aussi. Sans doute y avais-je logé cet ego qui permettait aux miens de se sentir supérieurs aux stryges noirs. Ou peut-être que ma haine viscérale envers mes cousins s'est envolée quand j'ai réalisé que le ciel m'importait plus que ces querelle.
Je ne cherche pas à me lier d'amitié avec vous ou bien que vous narguer.
Je cherche juste à comprendre notre situation et de pouvoir continuer le voyage sans que l'un ne craigne un coup de couteau de l'autre... Je n'ai que mes paroles et ce qui me reste d'honneur pour garantir mon absence d'hostilité."

HRP:

Impassible. C'en était rageant. N'y avait-il rien qui ne touchait cet être ? Il n'empêche, c'était sûrement pour le mieux. Voir son interlocuteur si insensible à sa hargne la faisait fulminer, mais ne la rendait pas folle, ce qui n'aurait sûrement pas été le cas s'il avait montré une quelconque peur ou bravache.

"Ainsi, vous aussi éprouveriez un malaise en ma présence. Ou que dis-je, une répulsion ?"

Le "aussi" fit tiquer Shane. Elle n'aurait jamais pensé qu'il puisse être également sujet à cette sorte de répugnance. Et cela n'avait aucun sens. Qu'est-ce qui pouvait donc faire que deux êtres éprouvent une si parfaite animosité instinctive ? Que ce soit aussi soudain, profond, viscéral ? Que, même par le physique, tout les opposaient ?
C'était... Comme si cet antagonisme entre Shane et Wyrm les dépassait complètement.

Shane se raidit quand il commença à se déshabiller. C'était... pour le moins inattendu. Elle recula encore un peu, ne comprenant pas ses intentions.

"Je pense que nous sommes arrivés à la même conclusion, dame Télys."

Il commença à se retourner. Comme par instinct, la stryge s'apprêta à lui bondir dessus. Si fort que devait-être l'homme et le loup qui l'accompagnait, un adversaire au dos tourné était une proie qu'il ne fallait laisser échapper.
Mais quand elle vit enfin ce que l'autre Shane laissa échapper un hoquet de surprise quand elle vit le dos de Wyrm. Toutes ces cicatrices... C'était un spectacle si familier... Mais qu'elle ne se serait jamais attendue à voir sur le dos d'une autre personne.
Son saisissement avait pris le pas sur sa pugnacité. Qu'importe les lois ancestrales qui la poussait à se battre, elle avait l'impression d'être en face d'un étrange miroir qui la reflétait exactement, mais dans son parfait opposé.
Et il se mit à parler. Et Shane l'écouta. Avec une attention sans faille, désireuse de connaître ce qui avait façonné cet être...

Et puis il lâcha enfin le mot. Stryge blanc.
Qui suffit à faire bouillir son sang si prompt à la colère.

Le regard de Shane s'enflamma de la haine millénaire qui liait les deux peuples. La vision du dos scarifié était la seule chose qui l'empêchait d'attaquer à l'instant même. La seule chose à laquelle ce qui lui restait de raison s'accrochait. Elle n'arrivait même plus à songer à fuir. Le seul fait de rester immobile lui demandait toute la volonté du monde.
Une sorte de cri étouffé sorti de sa gorge. Entre un feulement et un hurlement de rage.

Elle n'écoutait plus ce qu'il disait. Elle ne l'entendait même plus. Tout ce qui importait c'était ce cœur de Stryge blanc qui battait. Cette vie qu'elle se devait de détruire.
Elle s'élança. Dépourvue d'arme, de raison et de la moindre tactique. Avec la seule intention de nuire.

HRP:

Il la sentait bouillir -comme lui qui réprimait avec tant de difficulté une rage insoupçonnée. Il trouvait fascinant qu'un facteur autre que sa propre conscience ne le pousse à devenir belliqueux, mais sa curiosité menaçait de tomber sous les coups de son inconscient. Cette haine était donc autre qu'une "simple" querelle millénaire ? Mais elle n'était pas la première stryge noire qu'il rencontrait. Il y avait eu Rekhan aussi. Il ne savait pas s'il pouvait le considérer comme une connaissance mais l'homme lui était apparu sans animosité et surtout, sans lui faire éprouver la moindre répulsion...
Quoique...
Ne s'était-il pas montré plus franc envers l'inconnu qu'il avait été ? Des paroles lui avaient échappé, brisant son masque de neutralité. Vraiment... Wyrm sourit. Foutre ciel qui se jouait d'eux. Il aimerait bien savoir les origines de cette sourde colère.

Soudainement, il se retourna. L'instant de flottement explosa en nuances instinctives : il l'avait entendue courir vers lui grâce à l'eau. Et elle allait se jeter sur lui. Pour le tuer peut-être.
Il n'avait plus le loisir de réfléchir ; à peine de constater. Il laissa donc son corps se mouvoir indépendamment de son esprit...
Ses yeux clairs évaluèrent approximativement le trajet de la stryge, repérant dans l'instant l'absence d'arme. Il évita d'un bond le premier assaut, sans pour autant réussir à esquiver le suivant. Le ménestrel n'était pas un combattant. Sa force n'égalerait celle de la femme. Ne lui restait donc qu'à miser sur sa vitesse et son agilité... Il accusa plusieurs coups toutefois, mais réussissait à rester debout en amortissant, parant, déviant.

Si son endurance n'était pas nulle, il ne tiendrait pas longtemps ainsi : toutefois, Télys lançait toutes les attaques auxquelles il ne se contentait que de riposter de temps à autre. Elle était trop vive. Mais au fond, voulait-il vraiment l'affronter ?
Les minutes s'éternisaient, les souffles devenaient de plus en plus saccadés et bruyants. Et lui perdait sa combativité. Sa raison doucement lui revenait... A quoi jouaient-ils ? A quoi lui, il jouait bordel ?

Distrait par ses hésitations, elle trouva une occasion de l'atteindre avec assez de force pour le propulser sur la berge. Il grimaça lorsque le sol percuta son dos, pile où ses cicatrices semblaient de nouveau vives.
Il ne pouvait plus bouger. Ne le voulait plus.
Alors il resta là, allongé sur le sol, le nez vers le ciel et un sourire ironique sur les lèvres.

HRP:

Shane avait toujours jalousé les maîtres d'armes et autres bretteurs. Leurs combats étaient toujours étrangement fascinant. Ils semblaient danser sur le chant de leurs armes, ils semblaient voler sur le champ de bataille. Cette grâce, elle n'avait jamais pu l'atteindre. Car elle n'avait jamais réussi à se contenir assez pour atteindre ce degré de maîtrise.
Quand elle devenait folle de rage, sa façon de combattre ne ressemblait plus à rien. Son corps devenait une machine qui ne s'accordait aucun répit, qui ignorait les muscles qui criaient au supplice, les jointures qui commençaient à saigner, le cœur qui avait du mal à tenir le rythme...
Son visage trempé par l'eau de l'oasis était devenu nimbé d'une épaisse couche de sueur qui dégoulinaient en rigoles se confondant avec celles des larmes de la Stryge. Car Shane pleurait. De rage, de dégoût - de son adversaire ou d'elle-même, de l'effort inhumain qu'elle était en train de faire.

Quand Wyrm finit à terre sous les coups incessant, Shane ne se calma pas pour autant. Elle saisit à deux mains une grosse pierre qui traînait sur la berge. Assez grosse pour briser n'importe quel os, pour peu qu'elle y mette assez de force. Assez grosse pour tuer.
Grimaçant de peine, elle alla à la hauteur du Stryge et leva bien haut la pierre...

Une seconde passa, dans un silence dérangé par le souffle erratique de Shane et celle, à peine plus calme, de son adversaire.
Une autre, où elle crispa encore plus ses doigts fins sur son arme improvisée.
Encore une...

Et l'autre abruti qui ne faisait rien pour bouger... Il la regardait. Il souriait. Presque narquois. Il pouvait - allait ? - se faire tuer, mais il continuait à se foutre de sa gueule.

Shane poussa un dernier cri de rage en abaissant les bras à une vitesse effarante. La pierre alla tomber dans l'eau quelques mètres plus loin dans un clapotis ridicule. La stryge s'effondra au sol, le corps agité de légers soubresauts incontrôlables, entre les sanglots et les tremblements de fatigue.
Pourquoi est-ce qu'elle ne l'avait pas buté ? Pourquoi avoir cherché à le faire ?
Avant qu'il ne puisse se relever, elle le plaqua au sol, se fichant pas mal de torturer son dos meurtris, et se mit à marteler avec le peu de force qui lui restait la poitrine dénudée de Wyrm
"Pourquoi t'as arrêté de te battre ?"
Elle répétait cette phrase en boucle, de façon saccadée, entrecoupée de hoquets, de tressauts... Elle était incapable de penser à autre chose... Elle ne voulait pas penser à autre chose.
Car aussi longtemps qu'aurait duré le duel, elle n'aurait pas eu à affronter son plus vieux Némésis qui venait la surprendre en traître dans chaque reflet de miroir.

HRP:

Il continua de la regarder tandis qu'elle martelait son torse de coups, ainsi que le ferait une enfant en proie à la colère, la frustration. Bien évidemment, elle n'avait guère grand chose d'enfantin. Peut-être une forme de fragilité s'y confondrait... Et il restait là, immobile, attendant qu'elle se calme.

"Pourquoi t'as arrêté de te battre ?"

Il se posait la même question -ou du moins il se demandait pourquoi il ne l'avait jamais vraiment combattue. Ne sachant quoi lui répondre, il se contenta de sourire encore mais cette fois, avec plus de chaleur. Un peu comme un parent incapable de trouver une explication satisfaisante pour sa progéniture.

"Ne me suis-je battu qu'une seule fois ? releva-t-il finalement. Enfin... Je ne sais pas moi-même. Je n'en ai pas l'envie."

Avait-il passé trop de temps à cacher ses émotions pour qu'une rage aussi vive ne suffise à briser son masque de neutralité ? Brièvement, il l'avait ressentie, cette colère. Mais elle eut vite fait de ne devenir qu'un sourd écho, quelque part dans son esprit. Un sentiment comme les autres qui ne méritait qu'il s'y attarde ou succombe sous son joug. Même lorsque Télys avait levée cette pierre mortelle... La peur de disparaître lui était apparue fugace et douce.
Bien sûr, s'il ne pouvait pas mourir, il ne le refuserait pas. Mais si elle lui était donnée par elle... Il y trouvait une certaine justice. Une logique étrange. Etait-ce dû à sa nature antagoniste ou bien sa nature de stryge sans ailes ? L'un comme l'autre, Wyrm acceptait ce qui devrait arriver.

Toutefois elle aussi avait abandonné et ne restait du combat qu'un mélange d'incompréhension des deux côtés. Wyrm se laissa dériver dans les méandres de son esprit et ferma les paupières. Il ne sentait plus que vaguement les coups de Télys... et d'une voix qui lui parue lointaine, il lui partagea ses songeries.

"Je ne sais pourquoi je n'ai pas voulu te combattre comme tu ne sais sans doute pourquoi tu l'as voulu. Quelque chose nous dépasse dans cette histoire, tu ne penses pas ?"

HRP:

Il restait immobile fasse aux assauts de Shane dont la force se dégradait à chaque coup. Il y semblait insensible, comme hors de l'espace, hors du temps. Au lieu de chercher à l'atteindre par des gestes ou des paroles, il se laissait être malmené, avec un sourire aux lèvres - ce dernier était-il donc inséparable de son visage ? Il parlait aussi. Et malgré son hystérie, Shane se tue pour l'écouter. Il parlait d'une ton calme, dénuée de toute tentative de manipulation pour influencer la stryge. Pourtant, le moindre des ses mots résonnaient dans la tête de Shane qui avait été vidée par la violence du combat.

Il n'en avait pas envie ? Il lui suffisait juste cela pour ne pas se battre ? Shane ne savait si elle devait se considérer intriguée ou envieuse. Rester si calme sous les coups... Presque... rêveur.
La cadence des frappes Shane avait diminuée jusqu'à devenir éparse. Elle abattit son poing une dernière fois avant de se laisser glisser au sol, à côté de Wyrm, lourdement, à bout de force. Sa tête rebondit sans qu'elle ne prête attention à la douleur. Elle essuya des larmes de son visage d'un revers grossier de sa manche.

"Nous sommes Stryges alors la raison doit-être céleste. On est cloués au sol... elle nous dépasse forcement." Elle lâcha la phrase aussi fluidement que son souffle encore intermittent lui permettait. Avec plein d'amertume. Son regard ensanglanté était rivé sur le ciel. Le ciel qui lui était interdit. Qui leur était interdit. Elle profita quelques instant de ce calme relatif retrouvé, où la fatigue - et la raison ? - avait vaincu la hargne.
"Je ne veux plus battre." nota-t-elle, avec une pointe de surprise.

Elle prit une profonde inspiration, lasse. La luminosité de l'azur lui brûlait presque les yeux, pourtant elle ne pouvait s'en détacher. Comme si elle pouvait s'y promener d'un simple regard. Aller courtiser les nuages et briser les chaines qui l'enracinait au sol.
"Je veux voler."
Voler... C'était la première fois qu'elle avouait ce besoin à quelqu'un. La première fois qu'elle savait qu'elle serait comprise.

HRP:

Il l'entendit s'affaler à son côté plus qu'il ne le ressentit : toute chose lui paraissait bien lointaine à cet instant, comme si rien n'avait vraiment d'importance. Mais s'il vivait dans cette douce léthargie depuis des années durant, ce jour-là, il en perçut toute l'étendue... Pouvait-il encore se prétendre être doué de raison et surtout, d'un coeur en ce cas ?
Un trottinement se fit entendre, précédant l'arrivée d'un troisième personnage. Geri vint poser son museau sur le poitrail de son maitre, l'air de rien. Wyrm le caressa d'un air attendri. Non, décidément, il était bien un homme -avec ses fragilités et ses quelques étranges forces.

"Nous sommes Stryges alors la raison doit-être céleste. On est cloués au sol... elle nous dépasse forcément."

Quoique amer fut son ton, le stryge blanc ne put réprimer un rire. L'image était si bien trouvée que cette drôle d'ironie trouvait chez lui plus d'amusement que de tristesse - cette dernière lui était devenue aussi familière de que fade. Il l'écouta sans plus intervenir, comme elle avait fait pour lui tantôt. Ses accents de colère avaient progressivement laissé place à l'amertume avant qu'une forme de chagrin ne prenne le dessus. Presque communicative.
Geri les regardait de ses yeux humides, percevant sans doute leur état d'esprit. Mais il resta là comme par respect envers leurs pensées et agitait de temps en temps la queue seulement.

Finalement, Wyrm brisa le silence d'un soupir. Les stryges dans leur situation ne devaient sans doute ne pas se limiter qu'à eux deux, mais à cet instant, ils n'avaient que pour oreille attentive que l'autre ; ils étaient, dans ce vaste désert, les seuls à pouvoir comprendre la plus grande blessure qu'ils portaient...

"Je veux voler, reprit-il dans un murmure. Sentir les nuages humidifier ma peau, percevoir avec mes plumes jusqu'au moindre changement du vent, apprécier la puissances de mes ailes déployées... Etre un peu seul avec moi-même, là haut. Ne penser à rien. Simplement voler. Voler au ras des montagnes et de l'eau, jusqu'à l'épuisement... Et alors se poser quelque part parmi les herbes folles et s'allonger, les yeux toujours pleins de ciel..."

Il commençait à la sentir, cette tristesse refoulée, effacée.
Mais l'instant se brisa lorsque surgit une autre émotion, plus violente. Il devait... la tuer. Se battre. Elle est une stryge noire..! Il ferma les paupières, se faisant violence pour calmer cet instinct qu'il ne voulait pas accepter. Sa main se contracta sur le pelage de Geri. Le chien lui retourna un regard doux, chaleureux, chagriné.
Il fallait qu'elle meure..!
Wyrm se releva précipitamment, ses muscles visibles pris de contractions. Il chancela. Serra le poing pour que la douleur chasse ses noires envies. Il s'était laissé aller au sentimental et voilà que son masque menaçait de voler en éclats. Elle avait réussi à se défaire de ses envies, il devait aussi pouvoir le faire. Son regard bleu, paniqué, se posa sur la stryge noire. Il frémit. Geri gémit.
Il n'y arriverait pas.
Elle avait réussi car elle ne réprimait pas la moindre émotion depuis plus de dix ans. Il devait partir, ne plus rester avec elle, ne plus la voir, ne plus l'entendre ou la sentir. Ignorer jusqu'à son existence.

Haletant avant même de courir, il s'enfonça dans la maigre végétation sans prendre le temps de lui parler ni même de récupérer son luth ou son masque blanc tombé à terre.

HRP:

La nostalgie avait corrompu l'air qui les entourait jusqu'à la moelle. Et Shane s'en délectait. Car elle n'était pas seule dans ce doux spleen qui en était presque étouffant.
Pourtant... Elle se sentit étrangement... menacée. Une sensation qui ne pouvait venir de nulle part sinon de Wyrm. Elle le regarda, hagarde, se relever précipitamment, comme si un voile d'illusion venait de se déchirer. Elle ne reconnu que trop bien la lueur meurtrière qui dansait dans le fond de ses prunelles azurées. Elle se redressa à son tour, d'un bon bien trop vif pour son état de fatigue, les muscles tendus, prête à toute possibilité. Son instinct de survie lui dictait sa conduite d'une main de fer.

Et il partit.

Un stryge noir n'a jamais de pitié pour un adversaire qui fuit, quelque soit les raisons de sa fuite. Pourtant, Shane ne le poursuivit pas. Elle avait vu son regard. Si combat il y avait, il aurait combattu avec la même hargne qu'elle lui avait opposé un peu avant. Il trouverait la force et le courage de la tuer. Pour la première fois, Shane resta paralysée par la peur.
Alors elle se contenta de le regarder s'éloigner avec tant d'empressement. A la fois frustrée et reconnaissante qu'il leur évite un deuxième combat qui cette fois-ci leur serait sûrement mortel.

Elle se sentait étrangement... vidée. Elle avait rencontré en l'espace d'une demi-heure à peine, une personne auprès de laquelle elle s'était sentie incroyablement proche, une personne qu'elle avait tellement haït qu'elle l'avait presque tué, une personne qui partageait son douleur et son secret, une personne qu'elle ne pouvait pas vraiment approcher...
Tout cela n'avait aucun sens. A tel point qu'elle en aurait presque cru avoir rêvé, assoupie quelques instants sur la plage rocailleuse, s'il n'y avait eu toutes les affaires du stryge blanc, délaissée dans sa fuite.

Elles portaient encore son odeur. Son effluve étrangement pure, à en vomir. Shane commença à s'en éloigner. Puis se ravisa.
Prit le masque.
Et regagna, un peu chancelante, le campement.