Ombres sylvestres,
Dans la clairière dorée,
Passé enterré.

Eldoran était frustré.

Frustré, c’était bien le mot. Il touchait au but et le savait, mais semblait incapable de l’atteindre. Certes, passer du temps en forêt n’avait jamais été son activité préférée. Il avait toujours favorisé l’apprentissage au fait d’aller jouer dans les bois et en revenir crasseux, des épines plein les cheveux. Mais se perdre à ce point ? C’était comme s’il avait mis les pieds dans un labyrinthe végétal dont il ne parvenait à percer le secret.

Les arbres d’ici n’avaient pas d’épines, mais des feuilles. S’il avait été druide, cela l’aurait peut-être intéressé. S’il avait été druide, il aurait pu demander aux innombrables bestioles et peut-être même aux arbres de le guider. S’il avait été druide, il n’aurait pas été un véritable mage, mais un piètre ersatz se fiant à des forces qu’il ne comprenait qu’à peine, esclave de sa magie au lieu d’en être le maître…

Errer sans repère semblait le rendre grincheux. Ce n’était pas son genre. Il ferma les yeux, se remémorant les exercices de méditation pratiqué par les adeptes de Kar’Magûl.

Inspirer.
Expirer.
Chasser les pensées parasites une à une.

Ses sortilèges ne pouvaient le guider dans ce dédale, trop d’interférences. Il se souvenait d’avoir lu que la mousse sur les arbres indiquait la direction du Nord. Ce qui aurait pu être pratique si ses cartes avaient été plus précises. Ou s’il avait disposé d’un quelconque point de repère. Conclusion, il ne devait pas se fier uniquement au sens de la vue.

L’ouïe ? Il tendit l’oreille, les yeux toujours clos, et écouta. Au-delà du bruissement des feuilles et des cris d’animaux divers, il crut percevoir de la musique et peut-être même un rire. Signes de la présence d’êtres civilisés ou piège tendu par quelque créature sylvestre ?

L’odorat ? Au-delà du pétrichor, difficile de percevoir quoi que ce soit. Même si, à bien y réfléchir, il sentait comme une odeur de nourriture venir de la même direction que la musique et les rires. Les êtres sylvestres ne cuisinaient pas, si ? Il l’ignorait. Ce pouvait être un jeu de son imagination, mais c’était toujours mieux que rien. Aussi, se mit-il en marche dans la direction que ses sens lui indiquaient. Après avoir rouvert les yeux, bien sûr.

C’est ainsi que notre érudit perdu déboucha sur une clairière pleine d’elfes très occupés à danser, chanter, manger, jouer de la musique et autres activités à la frivolité consommée. Choqué par cette vision, il resta un instant interdit. Hésitant à rebrousser chemin sur le champ, il finit par prendre son courage à deux mains et faire un pas en avant. Il ne deviendrait jamais un grand archimage s’il reculait à la moindre épreuve.

N’empêche, il lui arrivait encore de rêver d’une voie balisée par des livres qu’il n’aurait qu’à ramasser pour obtenir les informations désirées. Les êtres vivants étaient si inutilement compliqués. Et ceux qui parlaient ou faisaient des bruits avec leurs bouches étaient les pires. Les serpents et les poissons, voilà des êtres bien conçus !

Il se reprit. Ronchonner ne servait à rien. Il n’était ni assez petit, ni assez barbu pour clamer qu’il s’agissait d’un trait culturel. Et puis, les nains et les elfes se détestaient, mieux valait ne pas adopter les comportements de l’un d’eux chez l’autre peuple. Encore un peu hésitant, il amorça un timide signe de la main accompagné d’un léger « Bonjour ? » en duralassien. Son elfique avait la fluidité du bœuf séché qui lui tenait lieu de rations et à peu près autant de consistance, autant en rester à ce qu’il maîtrisait.

Au moins, les habitants du cru ne se jetèrent-ils pas sur lui pour l'écharper. Bien au contraire, l'accueil fut... enjoué. Au moins de la part d'un jeune blondinet qui l'entraîna d'emblée au sein de la petite fête, tout en lui assénant des propos encore plus audacieux. Danser ? Les seuls moments où il était coordonné, c'était quand ses sortilèges requéraient des gestes complexes. Il n'avait pas vraiment faim non plus. C'était une chose rare. Bien que la nourriture semble fraîche et délicieuse, il se voyait mal les priver de ce plaisir. Discuter, donc.

Il s'immobilisa après quelques pas, se détachant de ce nouveau venu enthousiaste. Revenu de sa surprise initiale et ayant choisi la voie à adopter, il répondit.

« Désolé, je suis simplement égaré et j'aimerais demander mon chemin... »

Un aveu qui lui coûtait. C'étaient ses précieux livres qui l'avaient amené dans cette forêt et qui s'étaient révélés incapables de le sortir du pétrin dans lequel il s'était fourré. D'où la nécessité de socialiser, aussi pénible soit-elle.

Il avait bien une carte sommaire dans ses affaires, réalisée en se basant sur celles consultées à Stellaraë et complétée des rares informations obtenues lors de son bref passage à Endorial. Seulement, entre les boissons et la nourriture qui jonchaient la plupart des surfaces disponibles, il ne savait pas trop où la poser. Avec un léger soupir, il décida de faire au plus simple.

« Si vous pouviez m'indiquer la direction de l'institut de magie, je ne dérangerai pas plus vos festivités. »

La vraie question était certainement "qui dérangeait le plus l'autre" ? Un observateur attentif aurait probablement pu remarquer le côté un peu raide du djöllfulin et le fait qu'il ne se sente pas des plus à l'aise au milieu de tout ce monde. Fait que trahissaient les regards qu'il lançait périodiquement autour de lui, comme pour évaluer les menaces et les échappatoires possibles.

Néanmoins, la curiosité qui brûlait comme une flamme alimentant une machine technophile le força à ajouter une question supplémentaire :

« D'ailleurs, que fêtez-vous, au juste ? »

Probablement l'équivalent local des semailles ou moissons ou quelque autre motif lié aux cultures, c'était un petit village.

Ainsi, une personne qui était membre de l'institut vivait au village ? Cela faisait sens. Si l'institut était à proximité, alors les locaux étaient les mieux placés pour profiter de l'opportunité.
Sagement, Eldoran patienta, attendant le guide providentiel que le jeune elfe lui avait promis. Il suivit celui-ci des yeux, le voyant tenter d'interpeller une autre elfe qui ne semblait pas beaucoup plus âgée que lui. Même si ce dernier point n'avait pas une très grande importance, ce peuple vivait encore plus longtemps que le sien et vieillissait à l'avenant.
Pour ce qu'il en savait, elle pourrait être sa grand-mère. Comme dans cette histoire du garde humain et de la délégation elfique... qui n'était probablement pas pour toutes les oreilles.

Celle-ci se dirigea dans sa direction et finit par lui proposer d'aller converser à l'écart, première chose sensible qu'il entendait depuis qu'il avait posé le pied dans cette forêt. Il la suivit sans se faire prier et écouta la mauvaise nouvelle. Attendre jusqu'à la fin de la journée n'était pas la mer à boire. Pour ce qu'il en savait, il aurait pu errer ici une semaine entière sans trouver son objectif. Une victoire assurée au terme d'un peu de patience valait toujours plus que de laisser son avenir aux mains de dieux capricieux.

« Je peux vous aider avec la préparation, si vous voulez ? Je sais utiliser le mortier et le pilon, hacher les ingrédients... Mes mentors m'ont souvent complimenté sur mon maniement du couteau... »

Ce n'était pas vraiment plus complexe que préparer un remède. Même si les compliments n'étaient pas tous liés à sa préparation de ceux-ci. Surtout en ce qui concernait les lames courtes.

« Peut-être pourriez-vous m'en dire plus sur l'Institut ? »

Certaines choses qu'il avait entendues lui paraissaient un peu tirées par les cheveux. Et c'était sans parler de son fondateur qui serait, parait-il, toujours en vie et actif. Les humains ne vivaient pas si vieux, normalement. Est-ce qu'il avait découvert une forme de magie permettant de prolonger la vie ? Sur une période si longue ? Enfin, ce n'était pas vraiment l'endroit pour s'intéresser à l'immortalité présumée du Père Tungstène, il y avait bien d'autres sujets plus pratiques à aborder.