Cela avait été proposé, c'était désormais. Ils se reverraient après le tournoi. Et elle lui avait fait promettre de lui faire découvrir un assortiment sucré. Alors, le jour dit, c'est pressée qu'elle agitait ses petites ailes en direction de cette promesse. Elle voulait manger jusqu'à ne plus pouvoir voler... Et rien ni personne ne pourrait l'arrêter !

... Bon, sauf la branche qu'elle venait de se prendre en ne regardant pas où elle volait. Un peu assommée, elle se stoppa un instant, avant de reprendre sa course, pas plus prudente le moins du monde. Ben oui, on disait toujours qu'après un échec, il fallait se relever, c'était ce qu'elle faisait. C'était bien, non ? Ou elle avait encore tout compris de travers ?

Grë de Namspí était heureux d'avoir une conscience propre, il était aussi très joyeux que son maître le laisse vaquer à sa petite vie paisible, au cœur de la forêt de Sylfaen. Entre les racines d'un vieux chêne, le gnome, c'était aménagé un petit nid douillet dont il était très fier.

Et tandis qu'il aménageait son intérieur, rajoutant de la décoration, de-ci, de-là. Tantôt un chapeau de gland, trouvé la veille, qu'il posa avec beaucoup de soin sur une étagère, ou encore une griffe de rapace qui l'avait perdu, qu'il fixa au mur, ce qui devint un magnifique porte manteau. Il rajouta quelques babioles cristallisées dans du sucre éternel, qui rajoutaient des touches colorées un peu partout. Et alors qu'il fit tout ça, il se demandait chaque fois si la jolie fée qu'il avait rencontrée au tournoi aimerait sa décoration.

Il attendait sa venue avec beaucoup d'entrain, près à lui faire goûter ses meilleures sucreries. Il se mit même sur son trente-et-un. Il brossa sa barbe, enleva les peluches qui s'étaient formées sur son bonnet au fil du temps. Il alla même jusqu'à lustrer la corne de sa fidèle licorne. Cette dernière broutait joyeusement dans le jardin de la petite maison, des herbes multicolore que le gnome faisait pousser.

Alors qu'il était prêt, que la table était dressée, il patienta, observant le ciel en pensant à son invitée qui pourrait très bien arriver à tout mo...

Une fusée traversa les airs, et faillit ne pas s'arrêter ! Est-ce Namspí lui faisant de grands gestes, qu'elle vit au dernier moment, ou autre chose, qui la fit s'arrêter ? Quoiqu'il en soit, le gnome sucré pétilla de joie lorsqu'elle se posa enfin, perdant ses mots, prenant la couleur d'une pivoine caramélisée.

"Je... Heu... Je crois qu'on n'a pas été très bien présenté... Heu... Namspí... C'est mon nom, c'est comme ça que je m'appelle." Et alors le tout timide gnome sous son bonnet bleu tendit une main tremblotante vers la fée, espérant qu'elle ne fuirait pas devant ses maladresses.

Ah. Oui. C'était vrai qu'il fallait s'arrêter. Non mais comment était-ce possible d'avoir moins d'attention qu'un moineau, franchement ?! Et... Pourquoi pensait-elle à un tel monstre ?! Elle était bizarre, parfois...

Alors qu'elle réfléchissait, sa vitesse n'avait pas diminué et, juste avant de foncer dans une énième branche, elle pensa à faire demi-tour. Elle avait un peu trop dépassé sa destination...
Certes, la trajectoire était à présent bonne, mais pas la vitesse... Ce fut en catastrophe qu'elle se posa (non, elle ne s'écrasa pas du tout) au milieu des herbes multicolores... Ooh, elle n'avait jamais vu ça, c'était beau, c'était... La signature du gnome. Il ne fallait pas le connaître depuis des siècles pour savoir qu'il aimait les couleurs.

C'est alors qu'en se retournant, elle le remarqua... Qui avait probablement tout vu. Euh... Oups ? Honteuse, elle laissa échapper un petit rire gêné.

- Ah, euh, désolée... Je vais les replanter, promis. Juste... C'est quoi, comme plantes ?

C'est à ce moment qu'elle remarqua qu'il lui tendait la main. Oh... Depuis combien de temps est-ce qu'il attendait, exactement ? Plus ça allait, plus elle avait l'impression d'être un boulet. Alors, au lieu de le faire patienter plus longtemps, elle prit doucement cette main.

- Nam... spi ? Est-ce que je prononce bien ? Moi c'est Lariela... Mais franchement, appelle-moi comme tu veux ![/color]

Les noms n'avaient pas vraiment d'importance pour elle. De toutes façons, elle les oubliait généralement très vite. Elle se souvenait des gens autrement. Lui, par exemple, c'était le gnome au sucre coloré. Et c'était vachement mieux qu'un nom imprononçable !

La maladresse de la jolie fée n’enlevait rien à son charme, bien au contraire. Tandis qu’il était témoin de la chute de son invitée, qui atterrit droit dans le champ d’herbes colorées, des poussières sucrées s’envolèrent en nuages multicolores.

La petite licorne immaculée dont les jambes se coloraient au grès de ses pas, s’approcha pour renifler la drôle de pousse arrivée dans son champ, soufflant de ses naseaux une buée chaude sur la fée. Ravit d’avoir de la compagnie, l’animal frotta son gros nez blanc contre sa joue. Arrachant un sourire affectueux au gnome en bonnet bleu.
Elle se releva par la suite, les cheveux recouverts d’herbes multicolores, avant de se présenter.

« Oui, c’est comme cela que ça se prononce… En réalité, ce n’est pas vraiment un nom, mais plus une définition de ce que je suis. Tous les esprits de mon maître s’appellent Namspì… » Il passa rapidement sur ce pan de son histoire, car ce qu’il était importé peu, puisqu’il ravissait une jolie fée par sa présence. Le gnome n’aurait pas pu imaginer de vie aussi fabuleuse que celle-ci. Et pourtant dans sa vie d’avant gnome, il se perdait souvent en rêverie sucrée. « Enchantée en retour, Lariela Jolie Fée… Appelez-moi de la manière qu’il vous plaira alors, cela m’importe peu également ! »

Ensuite, Namspì risqua un geste vers la douce chevelure de la fée, il en retira un brin d’herbe orange puis jaune et enfin bleu, il les lui donna, non sans s’empourprer davantage, sous son bonnet bleu et sa barbe.

« Vous aviez… Quelques brins d’herbes dans les cheveux… » Marmonna-t-il tout timide, avant de faire apparaître dans ses mains, un plateau d’argent remplit de délices colorés. « Une sucrerie ? »

Evidemment, en s'écrasant (allez, d'accord, elle l'admettait, maintenant) dans son champ, elle avait attiré l'attention de la licorne. Elle ne put retenir un rire lorsque l'animal s'approcha avec curiosité. Elle lui caressa le museau lorsqu'elle se fut assez rapprochée.

- Ah oui, désolée surtout à toi. Après tout, c'est à toi, tout ça... Et... Désolée aussi pour le tournoi. Je voulais gagner, tu comprends ? Si tu veux, je peux essayer de me faire pardonner...

La comprenait-elle seulement ? Le petit papillon s'en souciait peu. Elle avait littéralement fait disparaître cet animal... Désormais, il fallait qu'elle se rattrape. À cet instant précis, le gnome n'existait plus pour elle. Seule comptait la manière dont elle pourrait se faire pardonner par la licorne.

Après s'être creusé la tête sur comment atteindre son but, elle finit par cueillir un peu plus d'herbes qu'elle lui offrit. C'était peu, mais pour le moment, c'était tout ce qu'elle pouvait faire.

Puis elle se souvint de l'existence du propriétaire des lieux. Il lui disait quelque chose d'intéressant... Ainsi, il avait un maître ? Il avait été créé ? Que c'était différent de tout ce qu'elle connaissait, elle qui avait toujours vécu sa petite vie libre et sauvage...

- Esprits ? Maître ? Est-ce que... Est-ce que je peux en savoir plus ? ça me semble si différent de tout ce que je connais... Dans quel environnement as-tu grandi ? Ah, et... Pitié, tutoie-moi. Je ne suis pas si vieille, si ?

Elle lui adressa une moue taquine. S'il osait simplement hésiter... Eh bien elle ne saurait pas ce qu'elle ferait. Elle éclaterait probablement de rire en lui disant de ne pas s'inquiéter. Du moment qu'il ne lui faisait pas clairement comprendre qu'elle était allée trop loin, tout irait bien.

Elle aussi pouvait l'appeler comme elle voulait? Bien ! Elle s'en fit un défi. Un nom qui lui irait sans pour autant être trop compliqué à prononcer... Elle l'observa, concentrée. Puis, inspirée :

- Colorignome ! Non, trop bizarre. Mais drôle. Et qui correspond à ce que je sais pour l'instant... Je te mets au défi de m'inspirer quelque chose de mieux ! Je veux tout savoir !

Elle allait continuer, lorsqu'il la figea en la touchant. Ah. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Avait-elle fait une bêtise ? Etait-ce positif ? Elle qui avait toujours vécu seule ne serait pas étonnée de ne pas bien s'en sortir en interagissant avec autrui...

Elle récupéra les brins d'herbe qu'il lui tendait, perplexe. Cela ne pouvait pas être aussi simple...

- Hum, merci... Je... J'avoue être perdue...

Puis il lui proposa la raison de sa venue, les fameuses sucreries. Cette fois calmée, elle saisit néanmoins l'opportunité de lui poser une énième question :

- Bien sûr. Tiens, laquelle est ta préférée ?

La licorne blanche fut plus qu’heureuse d’avoir de la compagnie dans son près. Elle ne comprenait pas tous les mots émit par cette jolie créature, mais ça lui été bien égal tant les grattouille qui lui étaient offertes lui furent agréables. Elle accepta avec joie la poignée d’herbe colorée qu’on lui tendit, grattant par la suite du bout de ses naseaux l’épaule de la fée alors que son attention se portait de nouveau sur le gnome coloré.

« Mon maître est un magicien, il use de magies aussi diverses que variées, et aime tenter de nouvelles expériences. Je suis l’esprit de la douceur et des sucreries. Il m’a invoqué par une belle nuit d’été, au cœur d’un bosquet de fraisier. Et depuis, j’ai ardemment désiré rester dans ce monde… Si beau, si coloré ! Si sucré ! Alors il m’a offert ce beau cadeau. Namspì pointa son bonnet du doigt. Ce bonnet est un artefact magique, sans lui, je disparaîtrais dans mon monde. Oh, il serait toujours possible de me ramener par ici ! Quiconque posséderait mon bonnet le pourrait. »

Parlait-il trop ? Le gnome n’avait pas l’habitude d’avoir quelqu’un avec qui causer. Il rit, amusé du sobriquet que la jolie fée tentait de lui trouver. Et puis il culpabilisa d’avoir perturbé ainsi sa convive. Était-ce trop ? Il ramena son attention sur le plateau de gâteries, et sourit à sa question, tentant d’effacer cette petite gêne qui planait par là. Il déposa le plateau sur une petite table en pierre, près de l’entrée de la maison, il faisait encore beau dehors, alors autant profiter encore un peu du jardin fleuri et amoureusement entretenu par le petit bonhomme de la forêt. Il pria la jolie fée de s’asseoir et en fit de même, avant de répondre à sa question, prenant dans sa mimine un muffin aux paillettes de chocolats multicolores.

« Voici mon gâteau préféré ! Dit-il en mordant en plein dedans. Et le tiens ? Demanda-t-il curieux. Le monde des esprits est presque aussi fabuleux que celui-ci, mais il y a quelque chose parmi vous que j’aime profondément, je ne saurais dire quoi… Bien sûr, la vie est plus simple dans mon monde, on n’a pas besoin de se soucier de boire ou de manger. Même dormir n’a aucune importance… Peut-être est-ce cela, qui me manquerait si je devais retourner chez moi… Ne plus ressentir la sensation de faim, et surtout celle que l’on ressent lorsque l’on a la panse bien remplit ! Oh peut-être que je parle un peu trop… Je n’ai pas l’habitude de parler à un autre être pensant, ma fidèle licorne est certes de bonne compagnie, mais pas très loquace… Mais parle-moi un peu de toi alors ! Je veux savoir qu’elle est la vie d’une jolie fée comme toi ! Vieille ? Surement pas ! Est-ce que le temps pourrait avoir une simple emprise sur une créature aussi belle que toi, d'ailleurs ? Je crois pas ! »

Visiblement, elle s'était fait une nouvelle meilleure amie en la personne de la licorne. Voilà qui lui convenait parfaitement ! Elle la laissa lui souffler dessus en écoutant les paroles suivantes. Tout était si intéressant !

- La magie... Il paraît que mon peuple en connaît un rayon, pourquoi pas moi ? Mais toi, tu en as, de la magie ! C'est si beau...

Maintenant qu'il en parlait... Elle avait très envie de voler ce fameux bonnet. Mais ce n'était vraiment pas une bonne idée. Si elle le faisait disparaître par erreur... Mouais, non. Elle se contiendrait. Du moins, elle ferait de son mieux. Au lieu de quoi, elle reprit son envol pour voleter autour du gnome. Plus ça allait, plus il était intéressant...

- Un esprit ? De la douceur ? Est-ce que...

Elle se demandait si un esprit avait une réelle présence physique. Et s'il était celui de la douceur... Il devrait être agréable de tester. Hésitante, elle tendit une main :

- Je peux ?

C'est alors que, probablement agacé par son hyperactivité, il lui demanda de s'asseoir.

- Oui, pardon.

Docile, elle alla prendre le siège désigné, et resta calme... Pendant deux secondes. Lorsqu'elle entendit la réponse à sa question, elle s'anima de nouveau :

- J'avoue que je ne connais pas trop les sucreries dans ce genre, moi j'adore tout ce qui est fruits de toutes sortes. Tu parlais de fraisiers, j'adooore aller m'y balader pour picorer ! Mais il y a aussi les framboises, une pomme pour les très grosses faims... Ou juste pour faire des réserves. Mais ça pourrit vite, une fois ouvert...
Et puis, aucun souci, tu vois à quel point je parle, moi ?! Tu crois vraiment que je vais t'en vouloir pour ça ?

Il lui avait renvoyé la balle. Elle devait elle aussi parler d'elle. Alors, elle prit le temps de la réflexion. Comment rendre une vie banale intéressante ?

- Disons juste que je n'ai toujours connu que cette forêt. C'est mon territoire et mon terrain de jeux. Ma vie... C'est surtout me balader dans les airs en me nourrissant des fruits rencontrés sur le chemin... Et, je l'avoue, jouer des tours aux voyageurs. C'est trop drôle de les voir perdus après, sans jamais savoir exactement ce qu'il s'est passé !

Elle rit. Puis elle piocha un gâteau similaire à celui que le gnome avait l'air de tant apprécier. Après tout, elle était là pour cela, découvrir de nouvelles saveurs. Et si c'était sucré, c'était forcément bon.

Il écoutait la jolie fée parler, accroché à ses lèvres sans la quitter des yeux. Hypnotisé par le son doux de sa voix, il aurait pu l’entendre des heures durant sans se lasser. Il la regarda approcher une main timide vers elle, lui demandant si elle pouvait le toucher.

« Bien sûr ! Je ne suis pas fait en sucre. » Gloussa-t-il, voulait-elle savoir s’il était palpable ? Oui, il l’était. Voulait-elle savoir s’il était aussi doux que l’esprit qu’il représentait ? Oui, certainement aussi… En vérité, Namspì ne se rendait pas compte de comment il pouvait paraître aux yeux des autres créatures de ce monde. Il était lui, et c’était tout.

Et puis il ria, oui elle parlait beaucoup ! Et il adorait ça. Le silence le rendait triste, et avoir quelqu’un face à lui, dont une de ses passions était d’aligner des mots les uns derrière les autres. Le rendait plus qu’heureux, euphorique même !

« Alors tu aimes les fraises ! Oh ! » Et il agita ses mains, et une poussière rose en jaillit, apparut alors sur la table un bol rempli de ces précieuses baies rouges ! Il écouta son histoire avec la plus grande des joies.

« J’apprécie ta vie simple, et pleine de joie. Grandir ici a dû être formidable ! Jouer des tours aux grandes gens... Doit être fort amusant, Ahahah ! » Quelque part, le gnome enviait la jolie fée. Lui n’avait pas grandi, lui n’avait pas appris le monde en commençant par être un enfant puis un gnome. Lui était né d’un carré de sucre rose. Il était né comme ça… Comme Namspì, un esprit remplit de joie à chaque instant, répandant de douces sucrerie sur son passage. Non pas qu’il n’aimait pas sa vie actuelle, mais il aurait aimé savoir ce que ça faisait, avoir des parents, une famille. Venir de quelque part, être né à un endroit précis.

Mais ces remarques, il se garda bien de les partager à sa convive. Ce n’était pas le moment de faire retomber l’ambiance chaleureuse de la forêt ! Il ne voulait pas paraître triste, ou toutes ces émotions négatives et pas très rigolotes qu’il fuyait à chaque instant.

Pas fait en sucre ? Vraiment ? D'humeur taquine, elle lui toucha le nez du bout du doigt, se maintenant à la hauteur de ses yeux, en vol stationnaire.

- Oh vraiment ? J'aurais juré l'inverse, moi. Parce que sinon, d'où est-ce que tu peux sortir tout ça ?

D'un geste circulaire, elle désigna l'ensemble des lieux, l'herbe colorée, les différentes sucreries sur la table... Et elle se souvenait également du fameux sucre d'orge. Oh d'ailleurs, elle comptait le lui rendre... Où est-ce qu'elle l'avait laissé en arrivant ?

Elle se fit donc une mission d'aller le récupérer. Mais cette mission échoua totalement. Alors, honteuse, elle déclara :

- Je t'ai ramené ton sucre d'orge, mais... J'ai dû le faire tomber, je ne sais pas où. Mais je suis quasi sûre qu'il est quelque part dans ton jardin. Ta licorne finira sûrement par le retrouver pour toi... Oh, euh, sauf si elle peut en manger... J'avoue que je n'en sais strictement rien... Qu'est-ce qu'elle mange ? Juste cette herbe, ou elle peut manger autre chose ?

Sa culpabilité avait vite été chassée par sa curiosité, imbattable, qui passait son temps à prendre la place de toutes les autres émotions, se battant avec la joie en elle. Les autres n'étaient que secondaires. Ce qui pouvait rendre la fée, résultat de tout cela, épuisante pour autrui... Encore heureux qu'elle vive seule la plupart du temps.

Lorsqu'il fit apparaître les fraises, les yeux brillants, elle eut beaucoup de mal à ne pas se jeter dessus. Après tout, elle avait toujours son gâteau... Qu'elle n'avait même pas encore pris le temps de goûter. Bon. C'était compliqué, mais il fallait se calmer. Elle reprit donc sa place près de la table et se concentra (beaucoup trop d'effort !!) pour ne pas se laisser distraire jusqu'à l'avoir fini. Elle voulait goûter ce que lui aimait, elle devait donc le faire.

Néanmoins, une fois la moitié mangée, elle n'en put plus et se dispersa à nouveau, piquant une fraise pour en décorer son demi-gâteau :

- C'est bon mais je pense que ce sera encore meilleur comme ça !

Sans attendre, elle enfourna immédiatement sa création.

- Ouais ! Je suis une artiste !

Puis elle se concentra sur ses nouvelles paroles. Tant de concentration... Elle sentait qu'elle allait bien dormir, le soir venu. Grandir ici ? Certes, elle n'avait jamais ressenti la moindre émotion vraiment négative, mais...

- Oh tu sais, je ne me souviens même pas mon enfance. Si j'ai des parents, je ne les connais pas. Oh, c'est peut-être pour ça que je n'ai pas eu l'occasion d'apprendre la magie... Tu peux m'apprendre ? N'importe quoi, juste... Quelque chose !

Il s'agissait certainement de son plus grand regret. Elle ne semblait maîtriser aucune magie. Ou alors, elle ne savait pas comment la faire se manifester. La deuxième solution était la plus probable.

Enfin, elle n'avait pas pour habitude de rester aussi calme si longtemps ! Elle reprit son envol.

- Mais tu as raison, cette forêt est parfaite ! Je ne connais rien d'autre, mais je ne veux rien connaître d'autre ! Si j'ai faim, je peux trouver des fruits dans n'importe quel arbre ou buisson, si je m'ennuie, il y a toujours des humains à perdre dans les environs, je peux dormir n'importe où, il ne fait jamais trop chaud, et vu que je bouge tout le temps, je n'ai pas à craindre le froid non plus, un simple plongeon dans une flaque suffit pour un bain... Oui, vraiment, que demander de plus ?

Le gnome gloussait, heureux d’être témoin des petits numéros féeriques de sa convive. Elle ne tenait pas en place plus de deux minutes, et s’émerveillait de tout, presque comme Namspì. Bien que le gnome, lui, pouvait passer des heures à se prélasser, baigné par un rayon de soleil. Il doutait fort qu’elle en soit capable, mais il s’en fichait. Son énergie était communicative et le gnome sucré avait arrêté de manger, pour l’écouter, pour la regarder. Pour imprimer chacun de ses gestes avec une attention impressionnante. Car lui aimer tout observer, il aimait le monde et prendre le temps de le savourer. Comme un bon gâteau finalement.

« La magie est fabuleuse ! Et je suis né de magie… Je créais ce qui me passe par la tête. Voilà tout ! » S’exclama-t-il en liant le geste à la parole, un papillon s’envola de sa main, un papillon en barbe à papa qui voleta droit vers la fée, ne demandant plus qu’à être mangé d’une bouchée.
« Oh ne t’en fais pas pour ce vieux sucre d’orge, il finira bien par réapparaître ! Ahahah. Ria-t-il amusé, touché par l’attention qu’elle avait portée à l’arme du gnome. Il n’est pas impossible que ma fidèle licorne s’en fasse un festin, mais qu’importe, elle l’aura bien mérité. Les sucres d’orge, ça va, ça vient, c’est comme ça. »

Alors il lorgna ses vaines tentatives pour calmer son hyperactivité fabuleuse, avant de sourire amusée lorsqu’elle retombait dans un état d’euphorie palpable. Sa fraise sur son gâteau, quelle magnifique œuvre d’art !

« C’est magnifique ! » S'était-il exclamé avant que le gâteau ne disparaisse, gobé par la fée. Elle ne se souvenait ni de son enfance, ni de sa famille ? Le gnome se sentit un peu triste pour elle. N’était-ce pas la nature de toutes les créatures de ce monde, que de se souvenir de son enfance comme d’une douceur sucrée ? Une époque insouciante, lointaine, innocente, de la vie d’un être vivant ? Mais elle ne s’étala pas sur le sujet, et il préféra ne pas se risquer sur ce chemin, pour le moment du moins.

« La magie… Mmh… Je vois… Les fées ont naturellement une connexion avec la Source de la forêt… Sinon, tu serais cloué au sol. Alors la magie, tu peux la pratiquer, évidemment ! » S’enthousiasma le gnome. « Que veux-tu apprendre ? À faire léviter une fraise pour commencer ? Regarde-la bien, et pense fort au fait qu’elle doive bouger ! » Il lui donna des conseils, lui intimant d’essayer avec enthousiasme. Avant de se dire que la vie dans la forêt semblait fort incroyable de son point de vue.

D'accord, elle avait peut-être un peu exagéré son manège, parce que cette fois, elle avait un public. Mais elle n'y pouvait rien, il lui donnait envie de s'amuser rien qu'en étant là. Mais elle se calma d'un coup en réceptionnant le joli papillon rose. Elle le cueillit délicatement entre ses mains. Non, lui, elle ne le mangerait pas. Soudain prise d'inspiration, elle se le plaça dans les cheveux, tel un accessoire de coiffure, dont les ailes bougeaient de manière imprévisible. Ce qui la fit rire.

- Voilà, sa place est ici. À tout voir avant moi. Merci beaucoup !

Finalement, ce serait peut-être également un compagnon de vie. Après tout, il semblait vivant. L'était-il vraiment ? Ou tout cela n'était-il que magie ? Et en parlant de magie... Disparaîtrait-elle si elle s'éloignait de son créateur ? Elle n'en avait pas envie... Le seul moyen de s'assurer de garder le papillon était de rester ici. De toutes façons, tant que le propriétaire des lieux ne la chasserait pas, elle ne comptait pas partir. Après tout, chaque arbre de cette forêt était chez elle. Pourquoi ne pas élire domicile dans celui qui abritait sa petite maison ? Si elle ne recevait aucun signe contraire, ce serait décidé. Elle décida donc qu'elle vivrait dans cet arbre jusqu'à nouvel ordre ! Avec son papillon de compagnie et un voisin à aller secouer dès qu'elle le voudrait.

- Je ne le mangerai pas. Il est vivant, regarde ! Et je resterai toujours dans le coin, je ne veux pas qu'il disparaisse juste parce que je me suis trop éloignée de toi... Jusqu'à ce que tu en aies marre.

Elle le savait, ce moment risquait d'arriver. Mais malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à se calmer. Elle était une fusée, qu'elle le veuille ou non.

La réflexion sur les sucres d'orge qui suivit lui fit pencher la tête sur le côté, interrogative. C'était vraiment si peu important ? Alors pourquoi s'était-elle donné tout ce mal pour lui ramener celui-là en particulier ?

- Ah... Donc j'ai bien fait de le perdre, c'est ça ? Tu n'y tenais pas tant que ça, finalement...

Mine de rien, elle ne pouvait s'empêcher d'être déçue. Enfin, c'était vrai que c'était elle qui avait fait la bêtise. Elle n'aurait pas dû perdre son présent des yeux jusqu'à le lui avoir remis. C'était sa faute si elle l'avait perdu. Après s'en être convaincue, elle se convainquit également qu'il avait raison de ne pas lui accorder d'importance. S'il lui en avait voulu, s'il l'avait grondée, elle ne savait pas si elle aurait pu le supporter. Finalement, c'était peut-être mieux ainsi.

Puis lorsqu'elle lui demanda une leçon de magie, il évoqua un point intéressant. Ainsi, si elle volait, c'était déjà de la magie ?

- Oh, vraiment ? Je pensais que c'était juste parce que j'ai des ailes. Regarde les oiseaux et les insectes, ils volent mais ne possèdent pas de magie. Comme...

Elle attira de nouveau le papillon dans sa main, l'observa, puis secoua la tête.

- Non, pas lui. Lui, il est magique.

Puis la leçon commença réellement. Encore un exercice de concentration ? Elle sentait la migraine venir... Laissant le papillon voleter un peu plus loin, elle adressa d'abord un coup d'oeil incertain à son professeur improvisé.

- Je... Je ne suis pas sûre d'être capable de me concentrer encore suffisamment...

Mais elle devait essayer. Alors, elle observa intensément la fraise. Malgré tous ses efforts, elle réussit uniquement à la faire trembler... Avant qu'elle ne revienne exactement à sa place précédente.

- Rha, non, je VAIS y arriver !

Se concentrant comme elle ne l'avait jamais fait, cette fois, elle la fit tomber de sa pile. C'était le mieux qu'elle puisse faire. Alors elle alla la récupérer, et, soudain joueuse, la lança vers le gnome :

- Réflexes !

Si tout allait bien, il la rattraperait. Puis elle en dévora une autre, estimant qu'après toute cette concentration, elle avait bien le droit à une pause...

Namspì ne put réprimer un petit rire, face à l’affection soudaine que démontra la fée face au papillon ensorcelé. Il ne lui dit pourtant pas tout de suite que la magie est éphémère que quoiqu’elle fasse, le sortilège finirait par s’estomper de lui-même au bout de quelques heures. Elle le laissa jouer avec et souris de plus belle à sa remarque. Namspì aimait sa tranquillité, bien sûr, mais avoir un peu de compagnie ne le dérangeait guère non plus. Il préféra tout de même la prévenir, pour ne pas qu’elle soit trop triste.

« Les papillons sont des créatures aux bien courtes existences, jolie fée. Celui-ci ne dérogera pas à la règle. Mais profite de chaque instant en sa compagnie, et ne soit pas triste lorsque le cycle de la vie le rappellera à lui… Reste ici autant que tu le souhaites, et tu verras bon nombre de papillons participer au rouage complexe de l’existence. »
Il dit cela d’un ton doux, et naturel. Accepter le cycle de la vie était normal pour un esprit tel que lui, car il voyait passer l’existence et le monde d’une lenteur douce et sucré à chaque instant.

« Ne sois pas déçu, vouloir me ramener mon sucre d’orge était un geste plein de sympathie, et ça nous a rapprocher. Le perdre n’était que la destinée de la vie, voilà tout. Il faut juste accepter le fait que les choses qui disparaissent ne sont pas forcément emplies de tristesse. Le monde change, et si quelque chose disparaît, quelque chose réapparaîtra à la place, jolie fée. »

Elle regarda le gnome sucré d’un œil curieux, et il était un peu fier de susciter chez elle quelques interrogations sur la magie.

« Oui, tu peux voler comme les oiseaux. Mais les fées sont naturellement imprégnées de magie. En fait, la poussière de fée que produisent tes ailes est le moteur de ce que tu es. Les fées volent grâce à la magie. Les fées sont nées d’un bouton de fleur des fées… » Répondit-il d’un air bien mystérieux.

Il croyait en elle, et l’observer essayer de se concentrer sur la fraise. Elle bougea légèrement, mais ça ne suffit pas à encourager la fée. Elle recommença plus déterminée encore, et la fraise finit par tomber. Alors Namspì applaudit, heureux que ça ait marché.

« Tu vois ! La magie coule dans tes veines ! » Il ne s’attendait pas vraiment à ce qu’elle lui envoie la fraise mais il l’a réceptionné d’un geste vif avant de la croquer avec gourmandise.