On aurait pu aisément ne pas reconnaitre Ceinwynn. Déjà elle n’était pas en armure, ce qui arrivait assez rarement, ne portant qu’une petite épée courte par principe, ayant le plus grand mal à être totalement désarmée. Elle portait même une sorte robe ample, ce qui était encore plus rare, bien que cela soit très commun chez les elfes, bien que la dite robe restât très sobre comme à son habitude, dépourvue de broderies dorées à motifs naturels qu’affectionnaient ses semblables. Ensuite ses cheveux étaient ramenés en chignon-mémère au lieu d’être détachés. Mais plus insolite encore, elle souriait, ce qui était probablement ce qui la changeait le plus.

Elle entra dans les petits jardins ou les elfes urbains aimaient venir se détendre, entretenir les plantes sans réellement travailler la terre.

Elle se posa alors de longues minutes en tailleur près d’un petit bassin ou se déversait une mini cascade, cerné de plusieurs pierres plates moussues. L’endroit était calme et propice à la méditation, mais ce matin la, elle était seule, et cela lui allait très bien. Elle se laissait bercer par le bruit de l’eau qui l’avait toujours apaisée et aidée à relativiser les petits soucis de petite chose à la vie fragile et brève face à la majesté de la Nature. Elle pouvait rester ainsi des heures, dans un autre monde, se ressourçant littéralement, y puisant une partie de sa force morale et de sa détermination qui lui faisait supporter un chemin semé d’embûches et d’échec. Alors, quand elle était ainsi, ils revenaient. Les souvenirs, en tous cas, un peu, fragmentaires mais bien réels. A croire que son cerveau dans cet état second acceptait de lever un peu le barrage du mur blanc de son amnésie. Souvent des images violentes, des bribes sur un incendie, un possible assassinat, et un endroit étroit, un placard peut être, une cave, ou la petite s’était cachée.

Peu à peu, elle tâchait de renouer les fils qu’un violent coup à la tête avait tranché, et elle y arrivait seulement ici, au sein de la paix du jardin.

La plupart du temps, Manydh se trouvait à Endorial ou à l'institut de magie, voire en chemin vers le château Maenor pour - officiellement - livrer des remèdes, et - officieusement - en profiter pour passer du temps avec Arhiann. Mais il lui arrivait aussi de sortir de ses sentiers battus, et ce d'autant plus que son travail d'alchimiste devenait plus pointu : pour faire progresser ses potions, il avait besoin d'ingrédients plus rares, et comme il commençait aussi à avoir une clientèle fidèle, il se devait d'assurer ses approvisionnements. C'est dans cette optique qu'il se trouvait ce jour-là au village des elfes, où un oreilles-pointues féru de la culture de plantes médicinales lui avait donné rendez-vous.

Il était encore tôt, et les jardins semblaient déserts lorsque le faune y pénétra. Était-il en avance ? Non, l'aube pointait, comme il avait été convenu avec son contact. Goûtant la tranquillité de ce lieu qu'il ne fréquentait guère habituellement, Manydh s'enfonça plus avant entre les bosquets et les petites parcelles. Tout était bien soigné et organisé sans être restreint outre mesure, et les plantes dégageaient cette vitalité glorieuse caractéristique de la pleine santé, que ses sens de chamane goûtaient avec plaisir. Tout autour, la symphonie des oiseaux saluait une nouvelle journée sans aucune arrière-pensée. Le monde semblait paisible et harmonieux.

Cependant, il n'était pas là pour flâner dans une béatitude illusoire. La paix et l'harmonie du monde étaient constamment en danger, il en avait suffisamment été témoin, et ses remèdes, s'ils pouvaient sembler dérisoires, constituaient sa manière d'aider ceux qui se battaient pour un meilleur Dùralas. Déambulant lentement, Manydh finit par apercevoir une silhouette, silencieuse et immobile auprès d'une claire eau courant entre les pierres. Une elfe. Il réalisa qu'il ignorait si la personne qu'il devait rencontrer était masculine ou féminine. De toute manière, il ne semblait y avoir personne d'autre dans les environs.

A moins de s'en repartir comme il était venu, il n'avait donc pour alternative que de déranger les pensées de cette dame. Il s'approcha donc plutôt doucement, et toussota pour signaler sa présence, espérant ne pas faire sursauter l'elfe.
" Pardon, êtes-vous celle à qui Belrand Dilurën m'a recommandé pour ses plantes ? "
Il avait bien senti qu'il n'y avait aucune autre âme elfique dans les environs, ce ne pouvait donc être qu'elle... aussi se trouva-t-il bien étonné, et troublé, de recevoir en réponse une dénégation.
" Oh, je... je suis bien désolé de vous avoir dérangée, en ce cas. Auriez-vous par hasard aperçu quelqu'un d'autre par ici ? "
questionna-t-il à tout hasard, sans vraiment y croire. L'autre était peut-être en retard ? A moins qu'il n'y ait eu un contretemps...

Ceinwynn rouvrit les yeux avec une moue de contrariété qu’elle ne chercha pas à cacher par tact. Elle détestait les interactions sociales non prévues. Le faune la dérangeait et elle ne se gêna pas pour le faire sentir. Elle le détailla en silence, en l’observant, secouant la tête négativement à sa question. Toutefois, Manydh semblait sincère et courtois. Du reste elle méditait depuis un moment déjà à en juger par la hauteur du soleil. Elle reviendrait une autre fois. Elle ramassa alors ses affaires, se redressant avec une souplesse insoupçonnée, surtout après une longue période d’immobilité. Ses longues heures de gardes l’avaient bien aidées.

Elle lissa sa robe toute simple et adaptée à l’endroit, une robe d’un brun vert qui ne craignait aucune tâche.
« Je n’ai vu personne, non, mais je n’étais pas très attentive à mon environnement. »  dit elle en s’étirant et en ramassant son arme qui ne la quittait jamais, posée dans l’herbe à portée de main, même au cœur de la capitale.
« Qui cherchez vous ? je rentre en ville de toutes façons, vous pouvez m’accompagner, si vous voulez. » soupira t elle, proposant son aide dans un élan de sociabilité peu coutumier. Le faune avait l’air de s’intéresser aux plantes, ils pourraient peut être avoir  une conversation moins ennuyeuse qu’elle le redoutait.

S'il y avait bien une chose que le chamane détestait, c'était ce type de situation. L'elfe, dérangée, ne cachait pas son irritation, et Manydh aurait voulu, comme dans les contes de coin du feu, pouvoir se changer en animal - une petite souris ferait parfaitement l'affaire - pour se cacher dans un trou et fuir la confrontation qu'il n'avait ni souhaitée, ni prévue. Il nota bien que l'oreilles-pointues était armée, en ce lieu qui semblait tout dédié à la paix, et si cela l'étonna légèrement, il n'avait pas non plus de raison de s'inquiéter outre mesure. L'autre n'avait pas exactement l'allure d'une de ces nobles qu'il apercevait parfois de loin autour des lieux chics d'Endorial, que lui-même fuyait soigneusement. Sans doute s'agissait-il d'une guerrière ou autre personne pragmatique pour qui la possibilité de se défendre à tout moment restait importante.

Cela aurait pu correspondre à son rendez-vous, mais non, ce n'était pas là la personne qu'il était venu rencontrer. Devait-il supposer un retard, et attendre encore ? Ou repartir, et mieux se renseigner pour la prochaine fois ? Il se sentit particulièrement stupide de ne pouvoir répondre plus clairement à la question de l'elfe.
" Eh bien, euh... je n'ai pas le nom de... je devais juste trouver quelqu'un qui avait des plantes à vendre. Des plantes pour fabriquer des potions. "
Au moins, on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas être transparent. Quoiqu'il aurait préféré l'être en cet instant, d'une toute autre manière.

" Je ne veux pas vous déranger davantage, "
s'excusa-t-il encore, ne sachant trop s'il devait se hâter de mettre fin à la conversation, ou saisir la perche tendue pour tenter de donner une utilité à son déplacement.
" à moins que vous ne connaissiez quelqu'un qui puisse correspondre ? Je ne crois pas qu'il soit encore utile d'attendre, mon rendez-vous était pour les premiers rayons de l'aube. "
Voilà, il s'était décidé. Pas la peine de persister, et donc, pourquoi pas aller jusqu'au centre du village, qu'il connaissait finalement assez mal. Peut-être que la chance lui sourirait, et qu'il tirerait quelque chose de bon de ce "lapin" qui lui avait été posé.