Voilà quelques jours maintenant qu’Eyara et sa petite famille se retrouvaient au village djöllfulin, avec la permission de l’ambassadeur Punlok. Étrangère à ce peuple, la jeune femme observait souvent les aller et venu des villageois d’un œil curieux, tout en répondant ouvertement aux questions qu’on lui posait sur elle. Mais voilà, d’une nature aidante, la renarde songeait à aider les autres d’une façon ou d’une autre. La populace restait méfiante envers elle, ce qui était tout à fait normal dans cette situation, mais quoi de mieux qu’un coup de main pour prouver sa bonne volonté ?

À force de discussion avec un certain Euî’Gan, l’arlequine avait eu vent d’un léger problème : il existait chez ce peuple des couples fortement liés entre eux. Lorsque le mari était rappelé auprès des dieux djöllfulins, il arrivait parfois que la femme soit alors peit d’un excès de folie causé par la perte soudaine de l’être aimé et du lien qui se rompte. Ces femmes, nommées “Ekkja”, se retrouvent alors être un danger pour le village, de par leurs aptitudes magiques. Et apparemment, deux d'entre elles vivaient à quelques minutes au nord-est du village, dans un bâtiment creusé à même la montagne il y avait fort longtemps. La renarde songea alors à les aider, et demanda conseil à Euî’Gan. La seule contrainte majeure qu’il lui donna était de ne pas tuer ces femmes, seulement de les réconforter et calmer leur douleur. Voilà qui semblait simple et compliqué à la fois, mais si cette aide pouvait aider l’harenienne à être un peu mieux accueillie par le peuple cornu, qu’avait-elle à y perdre ?

Le seul problème, c’est que le commanditaire avait spécifié qu’il y avait deux adversaires, elle ne pouvait donc décidément pas faire cette mission toute seule. Et il était hors de question d’y aller avec les enfants. La renarde devait donc trouver quelqu’un avec qui y aller, mais il était évident qu’un autre djöllfulin ne l'aiderait pas. Ne restait donc qu’une seule option, qui ne l'enchantait guère, mais qui devait forcément arriver un jour.

- J’vais devoir faire équipe avec lui, j’ai pas le choix …

Laissant ses enfants sous bonne garde, la rouquine partit à la recherche de Jack.

Ne sachant trop où chercher pour commencer, Eyara fit le tour du village à la recherche de l'odeur du lycanthrope à l’aide de son flair. Celle-ci se trouvait principalement aux alentours de la forge, mais Jack ne s’y trouvait pas lors de son passage. Après un moment de recherche, la renarde trouva celui qu’elle cherchait près d’un feu avec quelques cornus. L’alcool semblait bien couler parmi eux. Voilà qui n’aiderait peut-être pas la situation. Déjà que la petite fée du pirate n’avait pas la langue dans sa poche, de ce qu’elle avait pu voir, si en plus Jack avait bu, la maman doutait d’avoir son aide. Mais voilà, si elle ne demandait pas, l’harenienne ne saurait pas. S’approchant alors du groupe, Eyara commença par refuser poliment une bouteille de rhum. Répondant d’abord aux questions des quelques djöllfulins, tous un peu saoul également, son regard finit tout de même par se poser sur l’homme-loup, bien que celui-ci l’ignorait. Il fallait dire que la maman l’avait cherché aussi. Il était sans doute temps qu’ils aient cette fameuse discussion qui n’était que reporter depuis trop longtemps … mais en même temps, était-ce vraiment l’endroit idéal, parmi ce peuple qui ne leur faisait pas encore confiance ? L’arlequine prit tout de même la parole et s’adressa au pirate.

- Salut … Jack. On peut discuter ? J’aurais un truc à te demander.

Hésitante, la jeune femme espérakt que la petite fée du loup ne traînait pas trop près, n’ayant pas envie d’entendre ses remarques.

- Tiens ! Madame est disposée à parler maintenant ?! Ou c’est parce que t’as juste besoin de lui ?

Décidément, la petite fée de Jack ne l’aimait vraiment pas. Mais la renarde pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Depuis que le lycanthrope l’avait avec lui, jamais la rouquine n’avait eu de parole amicale envers le duo, la petite créature étant arrivée, à ses souvenirs, après la rupture. Mais la rouquine n’aimait pas les relations tendues comme celle-ci, mais elle ne pouvait pas pardonner à Jack, si pardon il y avait à offrir, sans avoir son point de vue sur la situation. Mais ce n’était pas au milieu de tous ces étrangers que cette conversation aurait lieu, ils n’avaient pas à connaître toute l’histoire.

- Il me semblait en effet qu’on avait rien à se dire? Du moins c’est ce que j’avais cru comprendre ?

- Mouais non, je crois qu’il y a un sujet auquel il faudra discuter, mais pas maintenant. En fait, on m’a confié une mission, mais je ne peux pas la faire seule, ni avec Petit Tambour d’ailleurs.

La fée râlerait sans doute, pensant que l’harenienne ne demandait que l’aide de Jack. Mais en vérité, Eyara voulait en profiter pour enfin éclaircir la situation entre elle et Jack. Puisqu’il serait un peu en retrait du village, et que ses enfants étaient sous bonne garde dans le bâtiment commun, il n’y aurait donc personne pour les déranger, hormis la créature ailée, si elle suivait le lycanthrope.

- C’est assez important comme requête si j’ai bien compris.

Elle ne voulait pas insister non plus, la jeune femme comprendrait si le pirate ne la suivait pas.

- Ben voilà! Qu’est ce que je t’avais dit! On vient chercher le gentil Jack quand on a besoin de lui, mais pour le reste, il peut bien crever! Tu vas quand même pas accepter rassures moi !

Évidemment, la petite créature ailée devait ajouter son grain de sel, au plus grand déplaisir de la jeune femme. Jack soupira avant de poursuivre.

- Je dois bien reconnaître qu’elle n’a pas tort sur ce coup là…

- Je …

Pas le temps d’en dire plus que la fée rappliquait à nouveau.

- Enfin tu fais preuve d’un peu de jugeote ! Allez salut !

”Non mais elle peut pas la boucler un peu celle-là ? Elle est pire que Danica ma parole.” La renarde laissa le duo régler la petite histoire entre eux mais quand l’homme-loup se leva après avoir grogné envers la petite créature, son regard démontra enfin un peu de soulagement.

- Tu m’expliqueras en chemin je suppose…

- Et vaut mieux que ce soit convaincant ! Hummm !! humm !! hummm !

Une main venait pile poil la faire taire, permettant enfin à l’arlequine de prendre la parole sans se faire interrompre par Minerva. Prenant tranquillement la direction qu’on lui avait indiqué, la rouquine commença les explications, tout en suivant la route vers la destination d’un pas lent, puisqu'elle ignorait si Jack avait trop bu ou non pour la suivre à un rythme plus rapide.

- De ce que j’ai appris sur ce peuple, il arrive que des couples se forment et finissent par avoir un lien solide avec leurs divinités. Sauf que, parfois, il arrive qu’un décès de la part masculine arrive. Lorsque le lien est rompu ainsi d’une façon violente, les femmes sont prises d’accès de folie et de chaos. Elles deviennent alors dangereuses autant pour elles-mêmes que les autres. Les habitants les appellent les Ekkjas. Il y a une façon de les calmer, mais pour cela, il faut d’abord les affaiblir, et malheureusement, cette partie se passe souvent dans la violence. Il était donc hors de question que Petit Tambour m’accompagne. Actuellement, dans une habitation un peu en retrait au nord-est, il y aurait deux de ses Ekkjas justement. Malgré mes invocations, je crois pas pouvoir gérer deux furies en même temps.

Elle marqua une pause afin de s’assurer de suivre le bon chemin, puis poursuivit.

- Y’a un hic cependant : il ne faut surtout pas les tuer. Lorsqu’elles commenceront à faiblir, il faudra faire preuve de retenue. C’est en général après quelques coups que les Ekkjas reprennent leur esprit, où du moins ce calme suffisamment pour pouvoir discuter et ainsi calmer leur chagrin et leur permettre de poursuivre.

La jeune femme se doutait que ce dernier ne serait peut-être pas facile pour le lycanthrope. Si ces agissements des derniers mois semblaient étranges, l’harenienne commençait à douter d’avoir bien compris l’histoire entre Jack et Holy, mais surtout d’avoir jugé trop vite, sans avoir la version des deux parties concernés. Bien que cette histoire de cœur n’était pas la sienne, Eyara ne pouvait oublier la tristesse qu’elle avait ressenti chez son amie, qui lui avait fait énormément penser à la sienne, suite au départ de son mari. Et si l’homme-loup vivait les mêmes refoulements, alors l’arlequine avait fait une grosse bourde en agissant ainsi. S’il n’était pas trop tard, il était plus que temps pour elle de s’excuser. Mais voilà, là encore, ce n’était pas dans ses habitudes.

Après ce temps de réflexion, la voilà qui reprenait parole :

- J’comprendrais si tu ne veux pas me donner un coup de main aussi. Tu restes libre de tes actions après tout.

- Je comprends ce qu’elles vivent… ce qu’elles ressentent…je pourrais essayer de les immobiliser de force. Enfin au moins une. Pour l’autre faudra sans doute que tu la gère…

Voilà qui confirmait en partie les doutes qu’elle avait. La maman le comprenait également, bien que sa rupture datait de plus longtemps que celle du loup. Mais les sentiments étaient encore là. Alors, la voilà qui poursuivit le reste du trajet en silence, tandis que Minerva et Jack se disputaient encore à leur façon. Qu’y avait-il de plus à dire de toute manière ? Rien en fait, car la maman ne se voyait pas parler de ses propres sentiments avec le lycanthrope.

- Elle a pas toujours été comme ça avec moi. Et comme elle le dit, personne ne guide mes choix. Je suis un Lycan libre de ses actes.

Voilà bien un point que la rouquine avait retenu de la conversation. Mais avec Minerva dans les parages, l’harenienne n’osait en parler à Jack, n’aimant pas le caractère de la créature. Et de toute manière, ils arrivaient à l’adresse qu’on lui avait indiqué. Forcément, puisque les poils sur sa nuque se dressaient. Un fort courant magique rôdait dans les environs. Piochant déjà sa lame, la voilà qui lançait au pirate :

- C’est ici selon ma source. Je ne sais pas cependant comment ça sera à l’intérieur. T’es prêt ?

Eyara avait tourné son visage vers l’homme-loup, attendant sa réponse avant d’appeler ses invocations.

Elle avait pudiquement détourné le regard lorsque Jack avait commencé à se déshabiller. Voilà bien une chose qu’elle appréciait de sa propre forme animale : ayant une morphologie similaire en termes de poids et de taille, la renarde n’avait ainsi pas besoin d’imiter son partenaire de combat, ses vêtements étant suffisamment amples. Laissant le lycan prendre les devant, l’arlequine piochant sa lame qui déterminerait ses invocations. ”Piques ? J’aurais préféré Cœur ou Trèfle, mais faisons avec.” Emboîtant le pas, la rouquine balança ses trois cartes invocatoires, s’attendant à faire apparaître un premier renard sournois, son Roi des Lames et son Arbre Vert … mais seul le roi se manifesta, les deux autres cartes tombant au sol.

- Mais ? C’est quoi ce bordel ? Pourquoi ça fonctionne pas ?

Jack étant déjà à l’intérieur, Eyara fonça à l’intérieur à son tour, son invocation sur les talons, ignorant son problème magique. Certes, celui-ci ne combattrait pas, mais sa magie au moins leur permettrait d’avoir une meilleure force. Avisant l’une de leur cible sur la gauche, la rouquine transforma ses ongles en griffes acérées et visa le bras de la Ekkja, tentant de lui faire entendre raison comme on le lui avait demandé.

- Non! On a pas besoin de les blesser ! lança le lycanthrope en attrapant la première Ekkja et en la plaquant au sol.

La renarde porta son regard vers sa cible. Celle-ci commençait d’ailleurs à pleurer. Sensible à ce genre de douleur, l’harenienne eut également quelques larmes qui se frayèrent un chemin jusqu’à ses yeux. Elle pensa alors à Vlad, le père des jumelles. D’une certaine façon, n’était-ce pas la même douleur que la maman ressentait ? Certes, son ex-mari n’était pas mort, mais n’empêchait qu’il n’était plus là pour veiller sur elle et les enfants. ”Pour une fois, Jack à raison. La violence et la douleur ne règlent pas tout.” Eyara rangea donc ses griffes et tourna son regard vers la seconde Ekkja. Son Roi des Lames encaisse les attaques de leur autre cible, tout en envoyant sa magie augmenter la force de l’arlequine et du pirate. La rouquine sécha alors les quelques larmes toujours à ses yeux et s’élança vers sa nouvelle cible, l’emprisonnant dans ses bras.

La rouquine avait suivi le récit de Jack, d’abord sans le croire. Disait-il cela simplement pour faire l’intéressant et tenter d'apaiser les deux femmes cornues ? Mais au final, plus il progressait dans son histoire, et plus la jeune femme comprenait qu’il disait la vérité. Et lorsque vint le passage de son histoire avec Holy, l’arlequine comprit qu’en fait, c’était sa faute le froid qu’il y avait entre le loup et elle. Mésentente lorsque son amie lui avait conter l’histoire, ou simplement que la situation lui rappelait un brin sa propre histoire sentimentale ? Allez savoir. Mais voilà que la renarde se sentait mal pour son attitude de merde à son égard. Perdre quelqu’un qui nous était cher était toujours difficile. Et, bien que Jack connaissait la sienne, du moins s’il avait bonne mémoire, Eyara parla de sa propre situation à son tour.

- Pour ma part, je me suis marié il y a presque deux ans via un mariage arrangé. Certes, il n’y avait pas d’amour au début, mais bien vite, il s’est manifesté. Encore plus lorsque nous avons compris que j’attendais notre premier enfant, ou plutôt nos enfants, car j’ai mis au monde deux petites filles. L’une me ressemble, tandis que l’autre ressemble à son père. Nous étions heureux, amoureux, et l'avenir semblait parfait.

Mais un jour, il est parti subitement, me laissant seule avec nos filles. Elles avaient environ trois mois. Depuis, chaque soir avant d’aller dormir, je revois son visage en souvenir. Et à chaque fois, je m’endors les larmes aux yeux. Tous les jours, je le revois dans le visage de mes filles. Et pourtant, la vie continue. Ils vous faudra être forte, mesdames, et je pourrais vous écouter au besoin, pour soulager une partie de votre peine. Mais pour l’instant, reposez-vous, vous en avez besoin. Je serais au village à votre disposition si jamais vous voulez discuter.

À son tour, la jeune femme essuya quelques larmes de son visage, avant d’invoquer son Arbre Vert pour soigner les plaies de tous. Une fois cela fait, la renarde se dirigea vers la sortie.

- Je t’attends dehors, lança-t-elle à Jack en ouvrant la porte.

Ce n’était pas son genre de révéler sa vie sentimentale, mais au vu de la situation, c’était presque une nécessité. Simplement, là voilà qu’elle préférait se retirer pour calmer ses émotions, son cœur battant la chamade dans sa poitrine. À peine sortit que la jeune femme repéra un arbre à quelques mètres de là. La rouquine alla s'asseoir à son pied, avant de replier ses genoux contre son torse et de les entourer de ses bras. Point de larmes, mais la tristesse se lisait aisément sur ses traits. Vlad lui manquait terriblement, c’était une évidence même. Tout ça pour une stupide quête sur ses origines. Il n’avait pas pu attendre que les petites soient plus âgées ? Ils auraient pu voyager ensemble. Mais non, il était partit avec sa sœur et une pure inconnue croisée à la taverne et qui disait pouvoir l’aider. Et, depuis le temps, Eyara doutait qu’il ne revienne un jour. De toute façon, il était évident que le lycanthrope n’aimait pas les enfants, il n’avait que rarement donné un coup de main à sa femme depuis leur naissance. Mais au moins, il était présent. Là, l’arlequine se retrouvait seule avec deux bébés en bas âge. Heureusement que la jeune femme savait chercher de l’aide lorsque nécessaire. Sans doute aurait-elle craqué sinon. Depuis quelque temps, la rouquine avait commencé à se sentir plus solide dans cette histoire, mais le cas des Ekkjas avait ébranlé sa carapace. Il lui faudrait un moment pour s’en remettre, mais elle y arriverait. Mais d’abord, Eyara devait s’excuser auprès de Jack. Il était plus que temps que ce froid entre les deux ne cesse.