Chaque heure dans le désert était une épreuve pour moi. Le moindre pas, la moindre avancée, me semblait bien plus difficile qu'une patrouille de Niflheim, et ce du fait de ma condition de créature décongelée. J'en avais parfaitement conscience, désormais : le froid m'avait révélé trop de secret pour que mon corps ne l'oublie avec le restes de mes souvenirs enfouis...Alors le soleil implacable était une chose qui dépassait mon entendement. Une force pourtant m'intimait que l'astre n'était pas si étranger aux couleurs célestes qui me donnaient leurs puissances...Mais comment lui résister ? Nous n'avions trouvé que des bribes de vêtements, des simples voiles, avant de fouler cet endroit, avec Ingvar.

Le géant et son caillou vivant faisaient voyage avec Comète et moi, et j'en étais ravie (les moments d'interactions sociales avec des individus de mon acabit s'était fait si rare depuis mon réveil...) ! Seulement... Nous avions enfaite fomenté (à la manière géante) un plan pour une palpitante expédition en Spelunca, dans un recoin du monde, où nous avions eu vent qu'il eut été le lieu de voyage et d'aventures épiques de la grande Selsya, notre reine à tous. Mais bien évidemment, les miliciens que nous sommes avions parfaitement oublié qu'entre Kastalinn et Spelunca se trouvait un certain désert. Pourtant, lorsque l'on regardait la carte de Dùralas, cela paraissait fort bien illustré, et avec la clarté la plus limpide, mais il s'était avéré que la "carte" était un concept bien éloigné de nos considérations, et dont nous avions attaché peu d'intérêt. Aussi avais-je appris par la même occasion la signification du mot "désert" et je ruminais sa définition dans ma tête, lorsque mon corps se hissait dans les monticules de sables engourdissants.

Quel meilleur moyen d'apprendre, après tout, que de voir les choses de son propre corps, m'avait dit un jour un instructeur de la Milice. Je le haïssais à ce moment, de toute ma sueur dégoulinante !

Lorsque la douceur du soir vint, ce fut comme une bénédiction. La fraîcheur de la nuit nous faisait le plus grand bien, et nous pouvions enfin nous restaurer, trouver un peu de repos, ainsi que parler. Car lors du voyage, l'effort nous empêchait souvent de nous adresser le moindre mot.

- Aaaaaaaa, fis-je avec élégance, alors que je déposais allègrement mon postérieur sur le sol, juste après avoir entasser des touffes de brindilles et de fibres sauvages. Comète roula alors près de moi, et, comprenant directement ce que je voulais faire, sans même lui avoir parlé, projeta un rayon de lumière stellaire sur le tas. Les herbes, très sèches, s'embrasèrent immédiatement, et je pus sortir deux grosses pattes de crocodiles de mon sac pour les faire rôtir doucement.

Puis, j'enlevais le tissu blanc qui me couvrait des rayons solaires, alors inutile à cette heure-ci, découvrant ma peau bleutée et même violacée par endroit à cause de la chaleur. Mes grosses nattes avec leurs bidules étaient nouées entres elles en arrière avec une corde rudimentaire, tellement elles m'avaient été insupportables à coller contre moi une partie du trajet. Je soupirais enfin, profitant de l'accalmie...

- Grotte encore plus loin...Descendre encore et encore jusqu'à trouver montagnes du Sud...

Alors mon regard se porta sur mon comparse géant. Je veillais sur lui pour le moindre bobo, au cas où, un comportement que je ne m'expliquais pas. Mais ce bonhomme semblait bien résistant... je l'observais encore à cet instant afin de voir s'il supportait le voyage mieux que moi. Je fixais sa grosse barbe, étrange tas de cheveux, qui devait être fort peu agréable au sein du désert. Puis, pendant que le bruit de la viande qui crépite se faisait entendre, mon regard se portait sur les étoiles qui commençaient à emplir le ciel, apparitions qui me fascinaient au plus haut point. Il y en avait beaucoup au Grand Nord aussi, mais ici, elles semblaient prendre une présence toute autre...

- Oooh...

« J'ai chauuuuuuuud ! »

Et ce n'est pas peu dire pour Ingvar. Personne n'a pensé que le géant reviendrait sur ce terrain, lui le premier, et pourtant, le voilà, et en grande compagnie. En effet, ils forment actuellement un binôme avec Yọr, l'une des rares autres géants que la Milice compte dans ses rangs. Il lui a offert un accueil chaleureux à son arrivée, content d'en voir une autre, mais ils ne se sont pas trop côtoyés depuis. Cette aventure est l'occasion parfaite pour ça. Il est important d'entretenir un lien de confiance mutuel entre frères et sœurs d'armes, Gradhun le lui a souvent rabâché. Quatuor serait même un terme plus adapté, en comptant leurs deux compagnons élémentaires, chose qui intrigue d'autant plus le grand dadais. A-t-elle également le soutien d'un élément ?

Une aventure lancée le plus naturellement du monde pour les deux compères. Il ne faut pas plus que la promesse de grands défis, tout en suivant les traces de leur Jarl, pour le motiver. De plus, pour une fois, il voyage pour autre chose que le Chant de la Terre, ce qui change, et inclut aussi de se situer par ses propres moyens, et non par Rok lui servant de guide... Chose qu'il n'a pas pensé sur le coup, alors qu'il n'a jamais lu de carte. Ils savent à peu près l'endroit où il faut qu'ils se rendent, c'est le principal, n'est-ce pas ? Saut qu'il a oublié aussi le désert à traverser, et le calvaire que cela représente pour lui... Maintenant qu'il est en plein milieu de cette étendue de sable, il n'a plus de soucis de mémoire, alors qu'il ruisselle de sueur de chaque pore de sa peau, nue à la tête, au torse et aux pieds, comme à son habitude. Le soleil le frappe durement et l'affaiblit, alors que sa pilosité est collée contre lui, le gênant parfois sur le visage, jouant à nouveau sur sa patience, et lui faisant lancer des exclamations digne des plus gros éboulements.

« Aaaaaah, je revis ! »

Alors que les derniers rayons du soleil disparaissent enfin derrière les dunes, laissant place à une fraîcheur bienfaisante, le barbare contraste avec sa sœur. Elle qui s'exprime élégamment, pour sa part, c'est tout simplement brute de décoffrage, retrouvant toute son énergie. Il a lancé ce cri comme un soulagement à sa torture prenant fin, les bras levés et poings fermés, alors que la pellicule de roche, qu'il a créée sur sa peau pour tenter d'amortir la chaleur brûlante, s'effrite et tombe en fine pluie de poussière se mélangeant au sable. Il observe alors, en s'approchant, le compagnon de Yọr allumer le feu, chose que le sien ne peut pas faire. Il ne faut pas plus longtemps pour que chacun se mette à l'aise alors que le crépitement de la viande cuisant sur le feu se fasse entendre, et que la délicieuse odeur faisant gargouiller l'estomac du grand glouton ne se fasse sentir.

- Grotte encore plus loin...Descendre encore et encore jusqu'à trouver montagnes du Sud...

- Pffff, encore je n'sais combien de jours dans cet enfer, donc...

Il est dépité de savoir devoir subir cela encore tout ce temps, mais il retrouve bien vite le sourire, se frappant la paume de sa main de son autre poing, geste devenu bien habituel pour lui.

« M'enfin, c'qui compte, c'est c'qui nous attend à l'arrivée ! »

Il leur fait jaillir du sol deux petits piliers de pierres, juste assez haut et large pour s’asseoir, ce qu'il fait aussitôt. Il n'a aucune envie de remplir son pantalon de plus de sable qu'il en a déjà, c'est assez gênant comme ça. Il cherche ensuite Rok des yeux, et le trouve un peu plus loin, en train d'observer les alentours. Il sait qu'à la moindre menace approchant, il les alertera aussitôt. Le Chant de la Terre, quant à lui, qu'il arrive désormais à laisser dans un coin de la tête sans être obligé de couper le lien, c'est apaisé, souffrant moins lui aussi grâce au froid.

- Oooh...

Ingvar tourne la tête vers son amie à l'étrange peau bleutée, ayant viré au violet à certains endroits, désormais, se demandant ce qui l'a fait réagir ainsi. Il n'a pas fait attention au fait qu'elle veille sur lui, surtout qu'il a l'habitude de se débrouiller seul, et qu'il ne se blesse pour ainsi dire quasiment jamais grâce à sa peau naturellement aussi résistante que la roche, ou presque. Pourquoi la sienne, à elle, a-t-elle cette couleur particulière ? Il n'a pas encore pensé à lui poser la question. Le grand dadais leva les yeux pour suivre son regard, et comprit. Ils font face à un magnifique ciel étoilé, comme il aime observer dans le calme dans le Nord. Il n'est pas aussi beau que dans son pays d'adoption, mais cela reste un spectacle à voir, pour lui. Ils restent ainsi, jusqu'au moment où les gargouillis de l'estomac du Milicien se font trop présents, il surveille aussitôt la viande et souris.

« Hehe, c'est cuit ! »

Il se jette alors sur sa part et croque à pleines dents la viande juteuse, lâchant un '' Mmmmmhh '' de plaisirs. Après quelques bouchées, il ralentit le mouvement, le besoin se faisant moins pressant, et il laisse alors sa curiosité s'exprimer.

« Comment t'en es arrivé là, Yiior ? »

Les questions ne sont pas vraiment son fort, tout comme certaines prononciations !

Les pouvoirs d'Ingvar étaient curieux. Être capable de manipuler la matière minérale à sa guise était une chose qui dépassait mon entendement. Pour moi, la montagne était une entité vivante, à part entière. Lorsque je minais dans ma grotte, j'écoutais ses grondements lointains, ceux-là mêmes qui, tout comme moi, venaient d'un autre temps. La nuit, je me laissais bercer par ses méandres obscures. Le jour, je tentais de comprendre ses entrailles et d'en dénicher les trésors. La montagne était une personne secrète, génitrice de mondes précieux aux reflets étincelants. Elle possédait toutes les couleurs dans son ventre et faisait tout pour en garder l'accès impossible, sauf à quelques heureux élus, qui s'efforçaient de traduire son langage millénaire. Pouvoir fragmenter sa roche et la déformer comme bon me semblait me paraissait fou, inimaginable.

Mais sur le sable c'était différent... Ingvar avait fait deux petits piliers pour nos séants. Mais comme je m'étais avachie comme une enfant au sol, réalisant que mes fesses s'enfonçaient dans le sable, rendant tout mouvement difficile, et qu'une multitude de grain envahissait mes vêtements, je dévisageais le pilier, hagarde. Après de longues secondes de réflexion, je me dépatouillais dans le foutu sable, m'extrayant difficilement du sol beaucoup trop adaptée à ma forme, comme si on m'avait moulée dans la glaise. Lorsque je me hissais enfin sur mes jambes, on entendit des cascades de grains déferler à mes pieds. Alors, je me posais sur le pilier, finalement bien utile et fort intelligent.

- Hehe, c'est cuit !

Ingvar fut le premier à s'emparer de sa patte de croco alors que c'était moi qui l'avait écrabouillé ! Grr ! Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un grognement puis, suivant son initiative, je prenais l'autre part en la dévorant avec autant d'ardeur que lui dévorait la sienne. Nous nous empressions de mordre dans cette nourriture. L'aventure était rude, et ce genre de plat consistant n'était pas si courant dans le désert. Mais nous étions tous deux forgés par le Nord et ses conditions difficiles. Le désert était déjà une épreuve en soit, peut-être même la plus difficile de notre voyage, mais j'étais persuadée que rien ne pouvait nous arrêter !

L'atmosphère s'adoucissait à mesure que les ventres se remplissaient et que la lueur du jour nous disait au revoir dans les lignes arides et lointaines du paysage. Bientôt, le chatoiement des flammes était la source principale de lumière qui nous permettait de nous distinguer. Alors, Ingvar me posa une question bien équivoque.

- Comment t'en es arrivé là, Yiior ?

Je lui répondis du regard de deux billes turquoises toutes rondes. Je voyais bien qu'il essayait de me connaître davantage avec cette question, mais que comprendre d'une formulation aussi vague ? J'étais bien en peine de le savoir...

- ...Bah Yọr suis arrivé là avec Ingvar...ici...euh..? rétorquais-je pensant à voix haute. Puis, les rouages de mon cerveau pulsaient à vive allure, aidés par les courants plus frais du soir. Ils me permirent de réaliser la question sous-jacente, peut-être pas la bonne, mais en tout cas ses mots portaient sur mon existence de manière générale.

- AAAaaaaah ! Suis arrivée à la Milice avec Cikùq. Elfe de glace ! Il a aidé à trouver Milice...Les elfes de glace me manquent...Mais j'aime bien découvrir des choses ! Articulais-je, passant de la peine à la joie en une seule phrase. Les elfes de glace voyagent pas alors Yọr partir seule...

Je regardais Ingvar en expliquant tout ça, ne sachant guère si tel était ce qu'il sous-entendait. Tout en continuant notre repas, je ne manquais pas de lui retourner la question.

- Et toi Ingvar ? Et Rok ? Comment arriver à Milice ! Hmpf ! Fis-je, en concluant d'une bouchée de croco.