Les douces nuits Spelunciennes se succèdent et les jours défilent comme de simples soupirs dans le vent. Qui aurait cru que réveiller un royaume depuis des siècles endormis serait aussi dévoreur de temps et d'énergie. "Ouvrir mille tombeaux scellés par magie me semble être plus facile que toutes ces corvées futiles..."

Les piles de parchemins s'empilaient douloureusement tandis que je compris l'intérêt de posséder bureau si grands, tant et si bien qu'on finirait bientôt par ne plus discerner le bois qui le constituait.

Mais me voici enfin à l'air libre, sur les routes pleines des embruns venant de la mer, toute entière vêtue d’une tenue de voyage pratique et élégante à la fois, de blanc, de bleu et d’argent. Le bourgmestre d'Ishtar n'ayant répondu à aucune de mes missives, j'avais finalement décidé. (Ou plutôt jouer des pieds et des mains pour que tout ce beau monde accepte de me voir quitter le château jouxtant le temple une journée durant). De me rendre par moi-même visiter la ville portuaire, niche maritime de premier choix pour lancer mes premiers accords commerciaux.

Ihana Sidän était loin de posséder de port aussi grand que celui-ci, ni de bateaux aussi beau.
Perchée sur la jument blanche, Aurora allant au pas, je dépassais les portes de la ville suivie de deux gardes lycanthropes sous leur forme humaine, aux armures étincelantes d'argent. Épées à la ceinture, ils observaient avec attention le moindre signe suspect autour de moi. Qui observait plutôt la lourde atmosphère qui régnait dans la ville. Un peu partout flottait dans le vent des bannières que jamais je n'avais vue auparavant, décrivant un loup hurlant à la lune. Et les habitants arboraient des mines moroses dont je ne me souvenais pas avoir déjà été témoin dans cette ville de pêcheur et de commerçants toujours bien animée.

Avant d'aller toquer chez le Bourgmestre de la ville, il me semblait approprié de m'arrêter pour me rafraîchir à l'auberge du coin. La digue du fût ne perdait jamais de sa superbe et de sa forte fréquentation. Laissant la belle pouliche blanche ainsi que les deux purs-sangs Speluncien près de l’entrée de la bâtisse et des abreuvoirs. Mes deux gardes sur les talons, je franchis les portes et tous s'immobilisèrent à ma vue, à la vue des armures aux poinçons représentant un croissant de lune argenté, brodés sur leurs tabards.

Je m'approchais précautionneusement du comptoir, accompagnée par la louve à la robe de jais. Et me voyant agir ainsi, la plupart des occupants de la taverne retournèrent à leurs occupations, seuls quelques murmures incertains me parvenaient encore.

« Un verre de lait de brebis pour moi, et quelque chose de plus fort pour ces deux messieurs, ils le méritent.

-bien mdame. »

Le ton enjoué du tavernier était aujourd'hui distant, et je remarquais pour la première fois depuis mon arrivé la présence parsemée de pirates, un peu partout dans la taverne, et puis en ville aussi, très certainement. Mes longues boucles argentées ramenées en une coiffure simple mais pratiques pour voyager dans mon dos, mon regard bicolore oscillant entre azure et dorure lorgnait désormais avec méfiance les détails m'entourant. Et puis du ton de la conversation je m'adressais au tavernier.

« Dites-moi mon bon monsieur, savez-vous si le bourgmestre est homme plutôt disponible ? Je viens lui rendre visite, au nom d'Holy Lorca, Reine de Spelunca Est. »

C’est un silence de plomb qui accueillit ma question, les pirates levèrent la tête en ma direction, hagards, l’un d’eux quitta silencieusement la taverne. Tandis que les humbles buvards baissèrent leurs yeux, trouvant soudainement grands intérêts aux contenus de leurs chopes.

« Que se passe-t-il ici ? » Demandais-je d'une voix claire, au creux de laquelle transparaissait une autorité nouvelle. Légèrement agacée par ce silence comme modique réponse. Alors le tavernier se rapprocha de moi, marmonnant comme une confidence.

« Le bourgmestre est mort. Les pirates ont pris le contrôle de la ville. Vous devriez vous en aller, Reine, ou quoique vous soyez d’autres, Lorca. Il n’y a pas de place pour la monarchie, à Ishtar. » Et comme pour me prouver ses dires, il montra de son bouc poisseux la direction des trois, anciennement quatre, pirates prêts à intervenir. Ils ne semblaient pas enclins à ce que je fourre mon nez dans leurs affaires. Mes gardes étaient également prêts à intervenir, main sur le pommeau de leurs épées d’argents, attendant seulement un mauvais geste de leurs parts.

Mes conseillers ne m’ayant pas préparé à ce genre de situation, j’ignorais la manœuvre à adopter. Mes éclaireurs avaient été fort mal informé quant à la situation de la ville et je me demandais bien pourquoi. Toujours assise sur le siège près du comptoir, je sirotais mon verre de lait frais, réfléchissant à toutes les éventualités. Simplement partir me paraissait être la meilleure marche à suivre…

« Bien, soyez tranquille, on s’en va. » Déclarais je surtout à l’adresse des pirates qui me regardaient toujours d’un œil mauvais alors que je me dirigeais vers la porte de sortie de la Digue du Fût.

« Veuillez me rappeler, une fois rentrés, de renforcer le réseau d’informateurs du Château… Marmonnais-je en regardant devant moi, à mes gardes qui rendaient leurs regards aux pirates toujours plus nombreux.

-Vous savez très bien que le pays n’a pas encore les fonds suffisants, vous n’avez pas une seule pièce d’or à dépenser pour un luxe pareil. Et avec tout le respect que je vous dois, j’espère que cette fâcheuse affaire vous servira de leçon, ma reine, vos conseillers vous avez formellement défendus de venir ici avec le peu d’information que nous avions. »

Je soupirais une nouvelle fois, tenant la bride de ma jument blanche dont le bruit des sabots résonnait sur les planches de bois qui composaient les quais du port. Cette odeur de houle et de sels me rappelait bien des souvenirs, tantôt agréables, tantôt douloureux et…


Je me figeais sans pour autant me retourner, j’écoutais cette voix alors que des frissons me parcoururent l’échine. Encore moins que de rencontrer une ribambelle de pirates en Ishtar, je ne m’attendais pas à le croiser, lui. Je n’étais pas prête… À faire face à mon passé.

Tourbillonnant au creux de mon ventre, des émotions que j’avais longtemps enfouies ressurgissaient. Et je les ressentais d’une façon nouvelle, tout entière, sans ombres ni tourbe démoniaque. Pures comme l’eau d’une rivière s’écoulant paresseusement entre des roches argentées. Ainsi, une certaine chaleur enroba mon cœur et un instant, je me crus suffoquer.

« Jack… Eh bien… Ton rêve ne changera pas aujourd’hui, semble-t-il, nous comptions partir et… »

Je croyais que ce serait plus facile. Qu’il me fallait simplement passer les portes de la ville pour l’oublier. Et puis d’un pas en avant, je ne tins plus, je finis par me retourner, car je me devais de voir son visage de mes nouveaux yeux tout neufs. De ceux qui n’était pas noyés, voilés par la noirceur de Rexia. Et ses prunelles rougeoyantes me transpercèrent, bien que son regard ne m’était pas destiné. Je fis un pas en arrière, craignant ce qui pourrait arriver, le craignant, lui…
Mais voyant que mes gardes ne bougeaient pas d’un iota, que je voulais éviter le moindre bain de sang, je posais une petite main rendu tremblotante par l’émotion, sur le bras de Volo.

« Faites ce qu’il dit, vous… Vous pouvez disposer… Soufflais-je à son adresse.

-Vous en êtes certaine… Madame ?

-Oui… Laissez-nous je vous prie. Ce pirate-là, je le connais bien. » Nul sourire ne vint bousculer mes traits, mais Volo ne discuta pas plus longtemps. Certainement, avait-il conscience que sa présence n’avait d’utilité que d’apparat et que j’étais loin d’être sans défense. Il traîna son camarade en retrait, prenant la bride de ma monture au passage.


Son regard de velours me caressa comme une brise hivernale, alors que je m’attendais à revoir le sang couler dans ses yeux. Prise ainsi au dépourvue, j’ai détourné mes prunelles dans lesquelles nageait des paillettes d’or sur un fond de ciel pur. Et alors qu’il avançait vers moi, je reculais un peu plus encore. Ce ne fut que lorsqu’il congédia ses hommes, que je risquais un nouveau regard vers lui. Je pris un instant pour le détailler, là, sans rien dire.

« Jack… Tu as changé… Soufflais-je comme une évidence, un constat dont je ne saurais dire la positivité. Outre ses goûts vestimentaires plus soignés qu’auparavant, son odeur, son aura… Avaient quelque chose de différentes. Tout ceci… Est de ton fait ? Suis-je à l’origine des tourments de cette ville ? » Demandais-je d’une petite voix triste, montrant les alentours du quai désertés par les habitants.
Et puis je finis par ne plus reculer, m’approchant même, perdue dans ses prunelles noisette. Je levais alors ma main, posant paume contre sa joue, ce simple contact suffisant pour embraser mon âme et puis j’ai demandé.

« Où sont donc passés tes jolis yeux dorés ? Un reflet carmin me répondit, et retirant ma mimine pâle comme si je m’étais brûlée auprès d’un feu de cheminée. Pardon… Je… Tout en m’éloignant. Je n’aurais pas dû… J’étais venue rendre visite au Bourgmestres de cette ville, mais visiblement, il n’est plus. Donc, je n’ai plus rien à faire ici… » Cherchant à retrouver un minimum de contenance. Cherchant seulement à paraître plus assurée que je ne l’étais en réalité, ma voix ne tremblait qu’à peine. Me tournant vers la sortie du port, je m’immobilisais pourtant face aux bateaux accostés perdant peu à peu de cette volonté de fuir.

Et alors qu'il parlait, qu'il me racontait son histoire, je ne pus m'empêcher de voir au-delà de la Brume maritime, les corps éparpillés et le sang versé. Je ne pus m'empêcher de me sentir responsable, car quelque part, je l'avais poussé à agir ainsi...

Et alors que des larmes se mirent à perler sur mes joues, l'espace se transcenda en un millier de grains de poussière étoilé. La Lune m'offrit ce dont j'avais besoin, et autant la douleur que le poids de la culpabilité s'envola. Après tout, elle m'avait mis sur son chemin la première fois aussi.

"Si par hasard l'idée de me prendre dans tes bras, venait à te traverser l'esprit, sache que je ne reculerais pas..." Réussis-je à articuler au bout d'un long moment à rester dans le silence d'un bougonnement qu'il connaissait bien.
Car j'avais senti bien malgré moi, sa main retomber non loin alors que son geste mourut dans mon dos.

Les poings serrés autour de mes hanches, les yeux fortement fermés, je me sentais tanguer, en roue libre, en proie à de trop nombreuses émotions pour que leurs fils soient démêlés.

Je continuais à faire face au port, mue d'un entêtement certain. Attendant avec appréhension le contact de ses bras. Un contact quel qu'il soit. Venant apaiser mon esprit, mes tourments. Je me demandais si ce serait comme avant, si seulement le temps pouvait se rembobiner comme le fil d'une pelote de laine. Ou si au contraire nous avions trop changée et que dans une étreinte, nous ne nous reconnaîtrions plus.

Et enfin, peut être était ce loup aux yeux rouge que je craignais le plus, pourtant, je voulais le croire et lui faire confiance, car tel était les paroles d'un véritable alpha. Son aura écrasante aurait pu en faire flancher plus d'un.

"Je... Je ne peux pas m'allier à un pirate..." Soufflais-je sans grande conviction. Alors que ma volonté d'être une reine s'effritait peu à peu, car lui me connaissait trop bien pour que j'aie envie de jouer à quelques jeux de pouvoir devant lui.

Le temps semblait s’être figé, alors que contrairement au sien, mon cœur ralentissait sur un tempo apaisé. Mes mains se décrispèrent et mes yeux purent se rouvrir, toujours tournés vers le port.
Je me souvenais et appréciais, cette sensation. Là, enfermé dans les bras d’un homme. Comme s’il s’agissait d’un filet, m’empêchant de m’éparpiller aux quatre vents. Un instant, je me rappelais comme il avait été facile et agréable, de me perdre dans l’amour qu’il me portait. Mais je ne pouvais pas m’y abandonner de nouveau.
Sa voix me ramena au présent, et cette transe, brume apaisante sur mes sens exacerbés, prit fin. Je n’avais pourtant pas le courage de le repousser, pas encore. Je profitais un peu plus, égoïstement, de ce que je devrais abandonner encore une fois.

« Ce nom… Ce n’est plus moi. Je ne me reconnais pas dans ces mots. » Répondis-je perplexe, honteuse de rajouter un peu plus à ses peines. Le laissant approcher son visage, tout près de mon oreille.

« Oui, le roi Sobek Elpoemer Grey et moi avons ramené la paix au cœur du Massif Speluncien. Avec son aide, j’ai libéré mon peuple de la malédiction qui sévissait dans la cité perdue d’Ihana Sydän. Le temple de la Lune de Sang est accessible de nouveau, et avec lui, toute la magie de la Source Lunaire… Répondis-je d’un ton doux et plein d’émotions alors que je pensais à mon pays. Nous sommes plus que des alliés, nous sommes des partenaires et travaillons dur pour maintenir cette paix encore fragile. Les vampires et les lycans n’ont jamais été aussi proche que maintenant et le moindre faux pas pourrait nous coûter la faible confiance qui est née en eux.

Et mes conseillers auraient raison de me déconseiller pareille alliance, pour le moment du moins. J’ai été choisie par Céléae pour guider ses enfants sur le bon chemin. Elle qui est contre la violence et le sang. Oh, ça ne veut pas dire qu’elle n’en est pas tout à fait dénuée. Mais toi, Jack, tu as pris cette ville par le sang. Ce serait un mauvais exemple de rédemption pour mes sujets, si leur reine approuvait pareil comportement.

Aussi, si je ne peux pas te faire une promesse aussi solennelle que la tienne en cet instant précis, sache que jamais l’idée de te nuire ne me traverserait l’esprit. »

Établir une alliance sur un massacre, après tout ce que j’avais traversé, me semblait fort inapproprié. Et si mon cœur avait déjà pardonné à Jack ce qu’il avait fait. Ma position ne devait rien en montrer. Aussi, je voulais être sincère envers lui, lui partageant le fil de mes pensées sans détour ni réflexions aucune.

« Lycans, Thérianthrope et Vampire, tous sont les bienvenues en terres Spelunciennes. » Souriais-je fièrement de pouvoir l’annoncer à haute voix.

Il était temps. Doucement, je rompis notre étreinte, le laissant quelques secondes réaliser mon geste, sans le brusquer. Et je lui fis face, avant d’observer une nouvelle fois les bateaux amarrés dans le port.

« Eh bien Jack, ce n’est pas moi qui porte un tricorne et qui possède un navire pirate. Répondis-je amusée, car depuis tout ce temps, c’est un bateau amarré plus loin arborant des voiles noires, que j’observais. J’ignore quelle estime je devrais avoir d’un pirate, car à ce jour, je ne connais que toi. Et Charlotte Roseline. Une femme forte qui s’est mariée avec la liberté. Je l’admire pour ses prouesses et pour sa force de caractère. Quelle estime devrais-je avoir de toi, alors ? »

Mon sourire taquin et ma mine apaisée disparurent peu à peu tandis que la conversation semblait prendre une tout autre tournure. Jack se fit plus sérieux, plus cinglant et je l'écoutais, bredouille.
Reculant d'un pas tandis qu'il haussait le ton puis de deux tandis qu'il claqua des doigts devant mon nez, le son résonna douloureusement à mes oreilles, échos répétés qui me fit gronder, montrer les crocs.

"Holy. Holy me suffit amplement ! Je ne t'ai pas demandé de m'appeler autrement, que je sache !" Grondais-je tout d'abord alors que la Colère fourmillait jusqu'au bout de mes doigts.

Mon poil se hérissait au fur et à mesure qu'il parlait, et tandis qu'il se retournait, ma peau se transcenda. Un profond grognement déchira le silence alors que deux pattes poilues tombèrent sur le pirate, chien-louve de tout son poids le plaqua au sol.
Sur ma fourrure épaisse dansaient des vagues de sable doré et argenté et mes yeux azurés se posèrent droit dans les siens.

"Crois-tu que je ne te connais pas, Jack ? Me crois-tu vraiment stupide à ce point ?
L'idée même de savoir que tu t'es posé la question me blesse.

Penses-tu qu'il n'y a que toi, dont les prunelles peuvent se teinter de rouge ?"

Psalmodiais-je de mon esprit canin, droit dans le sien, grondant les crocs immaculés tout près de son oreille.
Au même moment, dans mes yeux serpentaient des rivières écarlate alors que se confiait à moi les Saints Pouvoirs de la Lune Rousse.

"Qu'est-ce que tu connais aux lois de la meute, pour remettre en question mes capacités à les diriger ? Rien ! Rien du tout car depuis toujours tu prends grand soin à renier les tiens.
Tu ne sais même pas parler à un alpha. Tu ne sais pas parler comme un alpha. Tu t'en approches, tu es chaque jour un peu plus ce que tu dois devenir. Mais tu es loin du compte Jack. Et si tu me faisais vraiment confiance, si tu m'aimais vraiment, tu ne douterais pas de moi, de mes choix, de mes paroles."

Si les gardes de la Reine lycanne avaient osés avancé d'un pas, ils se ravisèrent bien vite d'intervenir, peu désireux d'y laisser des plumes. Ou devrais-je dire, des touffes de poils ? Face à une telle démonstration de force brute, la louve était peu encline à lâcher l'affaire. Prête à démontrer ce dont elle était capable pour accomplir son devoir. Car non le trône était loin d'être un cadeau joliment enveloppé. Mais plutôt un lourd fardeau qu'il fallait mériter chaque jour.

"Je ferais tout pour maintenir la paix fragile du massif, quoiqu'il m'en coûte, c'est mon devoir."

HRP:

Mes crocs se découvraient au-devant des pirates et autres bado se risquant à approcher, mes mâchoires claquèrent, prêtes à décapiter des têtes. Mais ils s’éloignèrent bien vite aux ordres de leur chef, alors mon attention fut recentrée sur lui. La louve grondait, mais se calma bien vite face au calme olympien du loup humain resté immobile sous ses pattes. Surprise même, déçut peut-être.

Ses paroles se mélangeaient dans mon esprit oscillant entre deux personnalités, et peu à peu mon humanité disparaissait. Hoquetant par moments à l’écoute de sa voix, servant d’ancre au navire de mon âme. Alors je me suis ébrouée, comme si une abeille m’avait piqué, et je me suis éloignée, penaude. Mon esprit s’évaporait en permanence avant de se rassembler de nouveau, et avant que je ne me perde encore, je me concentrais grandement sur ce qui encrait mes pattes au sol. Le vent salé dans les naseaux, le bruit des vagues, vague clapotis sur la proue des bateaux amarrés, dans mes oreilles pointant vers le ciel, curieuses.

L’air se mit à vibrer autour de moi alors que de la poussière argentée et azurée s’envolait de ma fourrure sur laquelle dansait des paysages de dunes de sable colorées. Et peu à peu mes membres se mouvaient dans une lente métamorphose, les écailles sombres de mon armure enchantée apparurent pour recouvrir ma peau nue et alors que je me reconnectais peu à peu à mon propre corps, redécouvrant le bout de mes doigts et de mes orteils, j’observais un moment le vide avant de revenir tout à fait à moi.

« Je… Bredouillais-je… Ce n’est pas moi… Ce n’est pas moi qui t’ai prédestiné à faire de grandes choses… Qui te pousse sur ce chemin… C’est elle qui… Je ne veux rien de toi, je veux simplement me racheter à tes yeux, t’aider à te reconstruire comme je te l’avais promis. Enfin... Je crois...  Mais… » Je grimaçais, frottant mon front de ma mimine pâle dans le faible espoir d’éloigner la migraine de la métamorphose trop abrupte pour mon corps. Mes membres ne pouvaient se remettre si rapidement de pareilles traitement, je tremblais légèrement, fermant les poings avec conviction dans le but de faire face, dans l’optique d’honteusement camoufler mon état.

« Ffff… Tu as cas venir voir par toi-même… Bredouillais-je alors, ne trouvant rien de mieux à dire sur le moment. Grimpe dans ton stupide bateau de pirate et viens voir de tes propres yeux ce que j'ai construit. Viens voir Astre-Lune et le temple d’Ihana Sydän et alors je te prouverais que la malédiction n'est plus. »

Ma voix était comme un souffle, un murmure à peine audible pour une ouïe ordinaire, que maintenant, je savais être perçu sans mal. N'osant pas lever un œil, j’observais comment les vagues se heurtaient aux poteaux qui se perdaient sous la surface de la mer, mangés par l’eau salée. Avant de me décider à faire un pas vers mes gardes éloignés, prêts à accourir pour m'aider à avancer. D'un geste discret je leur fit signe de ne pas broncher.

Je le laissais une nouvelle fois approcher, déposer ses mains sur mes épaules. Un geste amical et ô combien bienvenue dans l’état qu’était le mien. J’acquiesçais silencieusement, ne pouvant que comprendre ce que cela faisait. De se sentir différents.

Mon corps commençait à se détendre, oubliant peu à peu le traumatisme de la mutation qui s’estompait doucement, ne laissant plus que l’extase d’après-métamorphose. Il est courant pour un loup-garou, de tomber dans un état proche de celui produit par une quelconque drogue euphorisante à cet instant.
Je ne sus que lui sourire doucement avant de tourner ma tête, vers le navire aux voiles noires, avant d’observer les chevaux plus loin.

« Oui, pourquoi pas… »

J’étais dubitative, bien que l’idée ne soit pas mauvaise, au contraire, si ça pouvait m’éviter une nouvelle semaine de voyage pénible à travers champs et collines rocailleuses… Par ailleurs, l’idée de me retrouver au milieu d’un équipage pirate durant plusieurs jours ne m’enchantait étrangement pas vraiment. Je baissais la tête un peu honteuse, qu’il se sente obligé de me faire ce genre de promesse. Et puis ma curiosité s’éveilla, alors qu’il me lâchait pour regarder son embarcation. J’écoutais en ne retenant qu’une information, souriant joyeusement, avant que mon sourire ne disparaisse.

« Hum… Qui est Rosy ? Demandais-je, les yeux pétillants d’intérêt. Que… Sa nouvelle condition ? Ne me dis pas que… Une certaine terreur pouvait se lire dans mes yeux alors qu’une seule hypothèse s’ouvrait à moi, si j’avais réussi à retrouver un certain apaisement, il venait de partir de nouveau vers d’autres cieux. Ne me dis pas que tu l’as transformé, Jack… Pourquoi ? » Demandais-je d’une toute petite voix, perdue. Espérant, priant, pour que mon intuition soit erronée.
Une multitude de réactions s’agglutinaient, se bousculait, une cacophonie semblait s’être déclenchée dans mon esprit et je ne pouvais qu’imaginer l’horreur qu’avait dû subir cette pauvre âme.

« Il est courant que des non-loups transforment leurs compagnons par amour… Mais la plupart du temps, c’est bien souvent par accident qu’un lycan transforme un humain… » Réfléchissais-je à voix haute, remarquant ce que j’avais dit seulement à la fin, je couvris ma bouche de mes mains, choquée moi-même par mes propres suppositions. « Oh Jack… Je suis désolée… » Posant une mimine pâle sur son bras, je préférais me taire. Cherchant seulement à être compréhensive.

Je l'observais une nouvelle fois penaude. Grimaçant face à la colère éveillée par mes mots. Au moins, avais-je la certitude que sous ce tricorne se cachait toujours l'homme que j'avais connu. Bien que par là je me sentais fort ridicule. Cela dit était loin de moi l'idée de formuler pareille accusation, car de mes spéculations ridicules, je n'y avais pas cru une seconde.

"Tu as bien fait... De l'épargner, je veux dire. Repris-je d'un sourire se voulant apaisant, ma main ne quittant pas son bras. Sa vie sera certes bien différente à présent, mais elle n'est pas foutue pour autant et lui laisser une chance, est sûrement la plus difficile des décisions à prendre, surtout pour toi, j'imagine... Tu vois la lycanthropie pour ce qu'elle est, une malédiction, car tu en as fait les frais. Et plus que de raison. Tu es donc le mieux placé pour prendre ce genre de décision...

J'ignorais ce que ça faisait de transformer quelqu'un... Mais devenir lycanthrope était bien différent que de naître ainsi, car alors on devait certainement voir tout son monde s'effondrer. Je souhaitais à personne de devenir quelque chose qu'il n'était pas, de changer, contre sa volonté. Mais alors que je me perdais un instant dans mes pensées, je finis par revenir à l'instant présent relâchant la pression sur le bras de mon ancien amant.

En tout cas, pour quelqu'un qui ne voulait pas devenir un alpha, tu es plutôt mal barré. Riais-je sur une note plus légère, voulant détendre un peu l'atmosphère électrisante du quai. Hum eh bien... J'espère que je ne te décevrai pas alors... Même si je n'ai jamais parlé de paradis... Gloussais-je à nouveau. D'ailleurs, quand est-ce que le grand capitaine désire-t-il lever l'ancre ?" Terminais-je, taquine.

Je comprenais son point de vue, et de par ma faible expérience auprès de mordus, je ne sus quoi lui répondre. Mais je ne voulais pas croire que ce serait si terrible, et même si les coutumes lycanes interdisaient d’intervenir entre un mordu et celui qui l’avait transformé. Je me dis que je trouverais certainement un moyen de les aider à traverser les difficiles épreuves qui semblaient les attendre. Je lui souris sincèrement, compréhensive, sans jugement aucun. Avant de glousser, riant alors que je réfléchissais à la suite des événements, devant une révérence des plus amusante. Son rire me réchauffa le cœur car il me semblait ne plus l'avoir entendu depuis beaucoup trop longtemps.

« Eh bien, Capitaine... Commençais-je, laissant planer un certain suspens tandis que je partis chercher la bride de ma jument blanche.
Ça me laissera le temps d'embarquer les chevaux. Ils ne sont jamais montés à bord d’un bateau. Tout comme ces messieurs qui ne m'ont pas l'air d'avoir le pied marin. » Me moquais-je gentiment.

J'avais rapidement expliqué à mes gardes en armures la suite des événements, ils n'avaient pas l'air enchantés de se retrouver en mer, observant les bateaux avec une certaine appréhension.

La jument s'ébroua au bout de la longe. Aurora semblait sentir que quelque chose se préparait, mais la pur-sang Speluncienne était doté d'une grande curiosité et d'un tempérament téméraire, elle n’avait pas peur de grand-chose et c’était une grande qualité pour ce genre de moment. Quant aux deux hongres, ils la suivront sans se poser de question.

Il ne fallut pas longtemps pour voir tout un tas de pirate s'agiter, sur un tempo millimétré, chacun savait exactement ce qu'il devait faire, ils avaient l'habitude de devoir partir sur les chapeaux de roues, sous les ordres de leur capitaine, visiblement. J'observais un instant cette animation banale pour eux, mais curieusement attrayante pour moi.

Et bientôt, je me suis retrouvé face au quai et au ponton menant à l'embarcation. Aurora accepta la planche encore plus facilement que je l'espérais, et je ne pus que ressentir une certaine fierté quant à la manière dont j’avais parfait son dressage. Une fois que les trois montures furent installées dans des boxes improvisés, sur un paillage protecteur du bois du bateau, je pus souffler un peu. Leur selle et leur bride furent jetées sur des tonneaux non loin. Et après m'être assurée qu'ils ne manqueraient pas d'eau durant le voyage, je me suis détournée, profitant des derniers préparatifs pour faire le tour du pont du navire. J'observais les pirates s'afférer, attendant le départ.

Si au milieu de tout ce fatras, je pouvais sentir les effluves d'une louve, je ne cherchais pas à aller à sa rencontre. Préférant attendre sagement le moment où nous serions présentées. Lune avait pris l'apparence d'un oiseau pêcheur et elle volait en large cercle concentrique au-dessus du bateau. Peut-être qu'enfouie sous une tonne de réticence, j'avais hâte de faire ce voyage. J'appréciais la mer et le calme reposant des vagues. Les créatures marines sous la surface dégageaient des auras tranquilles et leurs chants étaient doux et mélodieux.
Alors m'appuyant contre le bastingage, je me mis à observer l'horizon, perdue dans mes pensées.

Les chants marins s'élevèrent entre les voiles hissées sous le pavillon pirate. Un loup hurlant à la lune... Pour quelqu'un détestant sa nature, c'était pourtant plutôt explicite. Était-ce là, la définition d'un loup de mer ?

Les balades et complaintes se succédaient et bientôt je sortis l'ocarinharpe de son étui. Entre mes mains pales, il prit l'apparence d'un luth joliment ouvragé, et faisant jouer mes doigts sur les cordes, j'accompagnais les pirates dans le rythme soutenu du balai qu'était leur travail.

Le vent s'engouffra dans les voiles et le voyage put commencer. Je profitais un long moment de l'ambiance chaleureuse qui se dégageait de l'équipage. Tous travaillaient de concert, s'entraidaient et usaient de mouvement précis et rapide. Au milieu de ce spectacle, le chef d'orchestre qu'était Jack faisait jaillir ses ordres aussi clairs que le son rythmique d'un tambour. Chaque mot était le déclenchement d'une ribambelle d'actions. Ainsi, je ne pus m'empêcher de l'observer, de l'admirer. Un sourire aux lèvres, de la fierté vint gonfler mon petit cœur, et tout en jouant d'accord sur mon luth enchanté, je ne le quittais pas des yeux.
L’atmosphère avait ce je-ne-sais-quoi me rappelant au bon vieux temps, une époque simple, et paraissant si lointaine…

Et puis mon nom résonna sur le pont, et le chant du luth se figea. C'était le moment.
Plus tôt, au moment des préparatifs, j'avais pris le temps de me changer, rangeant précieusement l'armures draconique dans mes bagages, préférant une tenue de voyage des plus simple. En raccord avec les modes ishtarienne et le climat du Sud du continent. S'est ainsi vêtu d'un chemisier en lin clair et d'un pantalon ample du même ton, que je rejoins Jack, honorant sa demande. Nulle couronne ou autre accessoires ne venait peser sur ma personne car en ce jour, je n’étais que moi et seulement moi.

Et puis je me tus, figée, faisant face à leur échange sans trop savoir quoi rétorquer. Souriant à Jack, démuni face à la jeune louve. Et puis elle s'éloigna sans un mot... L’avais-je blessé ? Sans avoir prononcé un mot... Mes yeux vinrent se fixer dans ceux de Jack, d'un regard voulant dire "et je dois faire quoi moi maintenant ?" Un instant infiniment long semblait s'être écoulé alors que je m’étais perdue dans les couleurs de ses yeux. Je ne crus jamais pouvoir m'en détacher mais je finis par me détourner, improvisant en m’approchant finalement de la louve.

« Salut… Commençais-je doucement, presque dans un murmure. Appelle-moi simplement Holy… Sur ce navire, je suis reine de rien du tout, gloussais-je dans l’espoir d’un peu apaiser l’atmosphère. Avant de reprendre, plus gravement. Je sais ce que tu as vécu, je sais ce que tu es, Rosy… Je veux simplement t’aider. Si tu le veux, toi aussi. » Je tentais un petit sourire amical à son encontre, insufflant autant de positivité que possible dans les ondes électriques au-dessus du pont. Je pouvais sentir le caractère fort et impulsif de la louve dormant en son coeur, je n'en étais pourtant pas étonnée, venant d'un membre de l'équipage de Jack.

J’ignorais tout de cette jeune femme, mais je ne pouvais m’empêcher de me sentir concerné par son sort. Car elle avait été choisie par la Lune pour jouer un rôle dans l’accomplissement de ses desseins. La Déesse pouvait parfois faire preuve de si peu d’humanité mais c’était bien là toute la différence entre les divinités et les hommes… Je n’adhérais pas à ses choix, mais comme tout un chacun j’étais la victime impuissante de ses sombres désirs, me détacher de son influence n’avait et ne sera pas toujours une tâche aisée.

Mon regard se perdit un instant sur l'horizon, puis sur l'immense surface ondulée, la mer qui se déployait partout autour de nous. J'entendais les vagues se heurter à la coque du bateau dans un fracas perpétuel. Les quelques oiseaux voltigeant un instant au-dessus des voiles noirs, espérant être arrivés sur un bateau de pêche repartaient généralement très vite en ne sentant pas l'odeur du poisson.

Et puis j'écoutais la jeune femme à la chevelure de feu lorsqu'elle se décida à parler, au bout de ce qui me semblait être une éternité, tant la grandeur de l'océan happait mon attention. La perdant au creux de la bise marine.

"Je ne serais pas votre reine à Spelunca, mais pas parce que je vous considère comme des parias... Commençais-je à lui répondre, peiné par ses propos. Je... Écoute... Je m'éclaircis un peu la voix, lâchant le bleu des vagues pour oser enfin croiser ses prunelles émeraude. Reine est une simple étiquette, un terme qui se veut compréhensible pour les humains. Ce que les loups voient en moi, ce n'est pas une reine qui dicte des lois et juge qui est digne ou pas d'être considéré comme un lycan... Non, ce qu'ils voient en moi, c'est une alpha. L'Alpha qui a réuni les meutes pour leurs faire profiter d'une unicité toute nouvelle, d'une protection, d'un pilier sur lequel tous les alphas peuvent se reposer.

Alors si je ne me considérerais jamais comme votre reine, c'est seulement parce que Jack à refusé de faire partie de ce tout que je lui ai offert. Mais je n'en attendais pas moins de lui. Vous êtes libre, c'est ce que tu as dit tout à l'heure." Souriais-je amicalement à la louve, en espérant ne pas avoir été trop direct... Peut-être ne comprendrait elle pas grand-chose à tout ce que je lui avais dit... J'espérais au moins qu'elle retiendrait l'essentiel.
Mon regard se reporta un instant sur l'horizon, juste le temps de mettre en ordre mes pensées.

"La seule chose qui nous différencie toutes les deux, c'est simplement que je suis née comme ça. Je n'ai jamais su ce que c'était d'être humaine, cette part animale, a toujours fait partie de moi. Je ne me souviens pas de ma première transformation. Mais ne te méprend pas, il m'arrive de péter des plombs aussi, et plus souvent que tu pourrais l'imaginer."

Je ne pue m'empêcher de jeter un coup d'œil à Jack, plus tôt dans la journée, j'aurais vraiment pu lui faire du mal... Et je m'en voulais encore terriblement.

"Je ne peux peut-être pas t'aider à être une mordue, mais je peux t'aider à être une louve, à accepter ça, à te contrôler.
Mais il faut d'abord que tu prennes conscience de ce que tu es à présent. Tu ne pourras jamais revenir en arrière.

Le premier loup-garou de l'histoire était un mordu, et tes enfants... Ma voix mourut un instant à l'évocation de ce mot, l'émotion me serra la gorge, plus que je l'aurais cru. J'espère sincèrement que toi, tu auras la chance d'en avoir. Un léger voile de tristesse passa devant mes yeux, presque imperceptible tant je me repris vite. Ils auront de fortes chances d'êtres des lycans, eux aussi, et de naître comme ça, ils ne seront pas des monstres pour autant..."

Ma tristesse envolée, je repris ma contemplation maritime, apercevant de temps à autre des dauphins et pourquoi pas le dos d'une baleine.
Et alors que je me retournais à la question surprenante de la louve, je me mis à bégayer, à balbutier même. Mes yeux croisèrent un instant ceux du capitaine pirate, avant que je balaye le pont du navire, certaine de pouvoir la contredire sur son attitude. Déployant le voile de mes perceptions, je ne trouvais pas grand-chose à redire sur sa remarque.

"Oh tu as l'art et la manière de détourner une conversation... Eh bien... Je... Heu... Ne pense pas que ce soit moi qui..." Perplexe, je n'avais pas remarqué l'effet que je pouvais provoquer sur lui. Je détournais le regard de ses prunelles noisette, un air se voulant fermé, sur le visage.

"Longtemps oui... C'est ça... Et c'est une longue histoire..."
J'ignorais si à cette distance, le lycan pouvait entendre notre conversation, et à dire vrai, je m'en fichais. Renfrognais, bougon, je restais sur mes positions en observant le ciel et le soleil qui descendaient bas vers la ligne invisible de l'horizon.

"Et ce ne sont pas tes affaires." Terminais-je un sourire plein de malice sur le visage, tentant malgré moi de faire face. Mes émotions étaient pourtant un tourbillon de remords douloureux, que je tentais malgré moi d'étouffer au fond de mon âme.

Soupirant un grand coup, je sortis une petite fiole de la poche de mon pantalon. Un liquide clair et avenant se baignait dedans.

"Pour la douleur, ça t'aidera au moment de tes premières transformations... J'ai des potions plus fortes mais, je ne crois pas que tu sois encore prête."

Je fis rouler la fiole sur la rambarde, jusque dans la main de la lycanne. Peut-être qu'aujourd'hui, elle n'avait pas conscience de ce qu'elle était, mais à la prochaine pleine lune, ça pourrait être bien autrement. Et on dit toujours que les premières transformations sont les plus longues et douloureuses.

"Un guide oui, c'est l'idée... En tout cas, c'est ce que je veux être pour mon peuple.
Pour l'instant tu ne te souviens pas de tes transformations, c'est normal. Mais le temps viendra où chaque muscle qui mute, chaque os qui se disloque dans ton corps, sera autant de souffrance marqué au fer rouge dans ton esprit. Tu craindras cette douleur plus que tout au monde. Pourtant il te faudra la subir, pour que ce soit plus facile par la suite. Cette potion sera alors une bénédiction. J'en ai d'autres à Astre-Lune, je pourrais t'en donner.

J'ai simplement offert à Jack une place parmi les siens, auprès de ma meute Trop près de moi... Il a prestement refusé, évidemment." Souriais-je à nouveau.

Je me figeais, laissant s'écouler d'interminables secondes pendant lesquels je me trouvais démunie face à la question si direct de la pirate. Si j'avais pris connaissance de mon infertilité il y a un moment déjà, je ne mesurait que depuis peu les réels impacts que ça aurait sur ma vie. Je cherchais pitoyablement, instinctivement, le réconfort dans les yeux de Jack. Il était loin de moi à l'époque où je l'avais compris, et je cherchais par tous les moyens de l'éloigner de moi depuis.
Pourtant, certaine qu'il avait entendu, il s'obstinait à observer l'horizon. Après tout. N'avais pas pris grand soin de le noyer dans un lac de secret ? Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi même. Je finis par déposer un regard triste dans les prunelles de la louve.

"Non... Non, ça n'a rien à voir. Je suis faite ainsi, voilà tout..." Balbutiais-je avec une voix aussi audible que possible. Avant de me refermer comme une huître. Je me demandais à présent pour qui cette conversation était la plus difficile à suivre. Ainsi bouleversée, j'allais ouvrir la bouche pour répondre à sa dernière question avant qu'un pirate ne vînt annoncer ce qu'il avait vu.

Les pirates s'agitèrent en tout sens, sauf Rosy qui me toisait, un petit air de "Je te l'avais dis" sur le visage. Et sous mon regard surpris, Jack rappela ses hommes qui ne comprirent pas vraiment pourquoi. Et tous commencèrent à se remettre à leurs postes au moment où une ombre se déploya sur le navire. Jack gronda. Sa Présence irradia, sombre, menaçante.

J'eus un mouvement de recul tandis que la magie fourmillait dans mes doigts, en réponse à l'écrasante aura du lycan. Les marques argentées se mirent à luire d'argent sur ma peau, mes bras, mon cou, mon visage... En réponse à une menace potentielle. Mais alors que le calme semblait revenir sur le pont, je pus le sentir plus distinctement encore.

Partagée entre l'envie de me jeter sur lui pour savoir comment il allait, et l'ordre écrasant qu'il avait donné plus tôt, je restais un moment immobile à le fixer, d'un mélange d'inquiétude, de crainte et d'incompréhension.
Car je ne voulais pas briser l'organisation de sa meute, ou saper son autorité devant ses hommes. Alors je me tins droite et le plus tranquille possible.

"Jack..." Soufflais-je alors, et un seul mot suffit lui poser toutes les questions que je me posais. Que s'est-il passé ? Comment ça va, vraiment ? Cherchant à détourner son regard sombre de la ligne d'horizon. Les lumières d'argent brillaient toujours sur ma peau laiteuse. Magnifiques brillances dans le soleil couchant.

Et puis mon regard se posa sur Rosy, elle avait dû sentir quelque chose d'encore plus fort...

"Comment tu te sens ?" Lui demandais-je, craignant qu'elle ne se transforme.

Réprimant un grondement d'indignation face à la statue de marbre qui se détournait de moi, mon regard se braqua sur la lycanne et puisqu'il voulait tant que je lui fasse la causette, je ne comptais pas le décevoir.
Plus tard serait alors bien assez tôt.

Mais Rosy me surprit de par sa question et c'est alors que je remarquais tous les regards braqués sur moi. Mes prunelles azurent descendirent sur mes mains et mes bras découverts, je me rendais à peine compte être connecté à la Source. Un état devenu si naturel, si limpide pour moi, que la magie qui vibrait sur ma peau ne me dérangeait plus.

"Oh... Ça... Commençais-je en cherchant une étincelle d'improvisation qui illumina bien vite dans mon esprit. Un simple petit tour de passe-passe."

Souriais-je amusée, et alors que je tapais fort dans mes mains, une multitude de grains de poussière argentées se dispersèrent sur toute la surface du navire, illuminant dans le soleil flamboyant de mille brillances colorées le pont d'ébène. La poussière lumineuse était tiède au touché, pigments de magie pure se figeant un moment dans l'air avant de s'évaporer doucement sous le regard ébahi des matelots. Ma peau, déchargée du surplus d'énergie, avait repris sa teinte pâle habituelle, ne laissant plus qu'une agréable sensation de chaleur sur mon épiderme.

"Maintenant marchons un peu... Et je répondrais à toutes tes questions."

À dire vrai je voulais autant m'éloigner du capitaine de ce navire, que me dégourdir les jambes. Aussi pris-je la direction opposée au gouvernail, avançant sur le pont vers la figure de proue. Rosy fut ainsi contrainte de me suivre et je pus décider du rythme de la conversation. 

"Les loups solitaires ne sont pas rares en Spelunca, en effet. Mais le sang lycanthrope qui coule dans nos veines, nous poussent naturellement à nous rassembler. Ce sont des instincts primitifs. Dont les lois de la meute sont tirées, d'ailleurs, je t'en parlerai plus tard.

Sache qu'une meute peu prendre bien des apparences, Rosy. Elle peut être une famille de sang, ou un groupe de lycan, ou encore un équipage de pirates, par exemple." Terminais-je en haussant les épaules, certaines qu'elle comprendrait où je voulais en venir.

"Un alpha n'est pas forcé de diriger que des loups. Il n'est même pas obligé d'être un loup pour un autre loup. C'est bien plus compliqué et profond que ça. Mais cette tête de pioche là-bas, se refuse à le comprendre." Pouffais-je discrètement.

Je laissais par la suite un petit silence de convenance s'installer entre nous, tandis que plus proche du nez du navire, je finis par me reposer sur la rambarde.

"En effet je t'ai parlé de Renfir, le premier lycan à avoir existé, devenant celui qui, par la suite, donnerait naissance aux "sangs-purs".
Il y a bien cette petite caste de loup-garou, ne jurant que par la soit disante pureté de leur sang, tout simplement parce que leurs parents avant eux étaient déjà des lycans.
Ils sont peu nombreux, et ils se font gentiment appeler "les frères loups".

D'autres meutes partagent le même état d'esprit qu'eux, et sont persuadés qu'un mordu n'est qu'une sous-espèce de loups-garous. En réalité il n'en est rien, en tout cas, pas tout à fait. Les générations ont fait que le sang lycanthrope se trouvant dans les veines des descendants de Renfir c'est totalement lié à leur sang humain. Mais ça ne les rend pas moins bêtes pour autant. Ils se croient supérieurs parce que leurs loups sont plus anciens, ce n'est ni plus ni moins que des foutaises.

Je ne peux malheureusement pas empêcher un lycan de penser comme ça, bien que je puisse les éloigner le plus possible de la couronne, et surtout les empêcher de s'en prendre impunément a des mordus. C'est une de mes premières actions dans ma fonction, et j'espère bientôt réussir à calmer le jeu.

Par ailleurs sache que ces loups, là, ne sont pas un exemple, ils ne sont même pas une majorité.
J'expliquais à Jack plus tôt que beaucoup de meutes acceptaient les mordus. Certaines en ayant une hiérarchie bien précise, d'autres n'y prêtant aucune attention.
D'ailleurs, dans certaines communautés lycannes, il n'est pas rare de voir des humains être transformé par choix.

Autant dire qu'il existe autant d'états d'esprit que de meutes, et il n'est pas souvent évident de mettre tout le monde d'accord, je peux te le garantir."

Je soupirais un bon coup à la fin de mon monologue, me délectant de la vue du soleil mourant en attendant les réactions de la jeune louve, puis une ribambelle de nouvelles questions, dont je me doutais, n'allait pas tarder à arriver.