Indescriptible. Indescriptible, c’est le mot. Perché au niveau d’une des plus hautes montagnes de Kanaan, là où l’altitude apporte un froid presque semblable de là où je viens, j’avais dansé, chanter, et célébré seul autour de mon feu de camp improvisé, les souvenirs qui retracent ma vie, autant mes erreurs que mes échecs, et autant mes réussites que mes accomplissements. Pas de regret, c’est avec un large sourire que je continue de regarder les étoiles, dans un ciel sans nuage, et d'où l'on peut apercevoir en direction du grand Nord quelques aurores boréales. Oui, tout est indescriptible, cette fête, ces émotions, cette connexion ! Je suis fier d'être ou je suis aujourd'hui.

    Deux voies s’offraient à moi, il y a peu. Suivre les traces de ces orbes qui m’ont infligé ces brûlures et ces runes, ou bien chasser les fantômes de mon passé, sur la trace de mon père et de mon peuple en quête de réponses à tant de questions, mais surtout à celle-ci : Yeena’e ?
    La seconde option semblant bien meilleure, d'une part puisqu'il est plus facile de suivre les pas des hommes, même de fantômes que d'orbe flottant, et d'autre part, car ces réponses semblent plus urgentes à obtenir, j'ai toujours ces frissons lorsque je regarde la cavité vide ou se trouvait auparavant mon œil. C'est ainsi que je me retrouve devant un feu éteint, en altitude, écoutant attentivement ce nouvel environnement.

    Malgré la nouvelle tranquillité qui s’installe à nouveau autour de mon campement après mon moment de fête et de contes, le froid de cette région est fourbe est insidieux, et c’est en rallumant le feu de camp que j’installe le peu de confort que je possède pour une nuit de tranquillité et de rêves oniriques agréables. Et si à chaque instant cette chère tranquillité peut-être perturbé, c’est avec l’assurance d’avoir mes Cestrum à portée de main que le sommeil me trouve, même si cette lointaine aurore boréale est le spectacle parfait pour s’endormir.

   Les froides et sèches nuits sont une habitude pour moi, autant sa morsure glaciale lorsque le vent souffle, que l’impression de ses doigts gelés sur mon visage lorsqu'il pleut, neige, ou grêle. Et malgré cela, c’est tout de même un léger sentiment de crainte malgré mon état de sommeil, qui pousse mon corps à se retourner pour faire face au feu, et sentir sa douce chaleur sur ma peau. Cependant, mon esprit revient légèrement du pays des songes, et me force avec ce ressentiment d’ouvrir un œil afin d'assurer l’état de cette chaleur revigorante, son déclin de par cette nuit serait une bien mauvaise nouvelle. Mais c’est rassurer que mon œil prenait le temps d’admirer une nouvelle fois l’aurore boréale.

    Pour autant, mon inquiétude n’a pas disparu. Le feu est en bonne santé, et la nuit est d'une quiétude rare, mais cela ne suffit pas. Cette sensation qui titille l’arrière du crâne, cette impression qui empêche de refermer l’œil, ce sentiment que cette quiétude, cette tranquillité peut-être bousculée à tout moment. Je pousse un long soupir avant de me relever, et à peine sur mes bottes, mon nez auquel l’odeur du bois ne l’occupe plus, lui vient un nouveau parfum. C’est quelque chose dont j’ai l’habitude, que je sens au quotidien… Au quotidien, lorsqu’il est l’heure de la chasse. Je m’étire longuement le dos, d’avant en arrière et de gauche à droite, avant de m’abaisser afin de ramasser mes Cestrum, puis lentement, je me concentre, afin de déterminer la provenance ces effluves, provenance qui deviendra, j’en suis sur, mon prochain dîner. Un sourire en coin, je me retourne, encore et encore, avant d’enfin être sûr de moi, et le pas leste, accours vers un fatras de cailloux, plus je m’en, rapproche et plus cette odeur est forte et caractérisé, même si… Il y a quelque chose en plus derrière, mais mon ventre lui, n’en a que faire.

    Arrivant sur le côté de l’amas, je glisse le long de la neige, et… Et… Et mes yeux ne peuvent pas y croire, ce… Cette biche ? Enfin, ce gibier est si grand ! Il pourrait nourrir tout un village ! Mes yeux eux, s’écarquillèrent néanmoins à la vue de ses longs cheveux blancs, dont les reflets magnifiques de la lune et des étoiles rendaient le spectacle tout autant, si ce n’était meilleur, que l’aurore boréale elle-même. Mais c’est mon ventre qui contrôle mon corps à cet instant présent, et bien qu’hésitant au vu de la taille de la créature, je suis sur d’une chose. Le feu est prêt.

Toi, tu finiras en tas d’Ishk’tak et seras cuit à point avant que le soleil de se lève à nouveau !

    Suivi d’un petite rire, frappant mes Cestrums ensemble, je m’élance vers elle, prêt à frapper.

    Bien que cela n’était pas très subtil de ma part, la chasse a toujours été un aspect agréable, surtout qu’en général la récompense est de mise, quoi de mieux qu’un bon repas et le vendre rempli après de l'exercice ? Durant mon élan, je vois sa peur, ses yeux qui me craignent, elle recule, se retourne et s’enfuit à toute allure ! Ses cheveux m’éblouissent légèrement avec le reflet de la lune, mais je continue ma course et la poursuis sans relâche, cela me frappe très vite, la distance que cette bête arrive à mettre entre nous très rapidement, sa vitesse n’est rien comparé aux proies dont j’ai l’habitude. Je tente de maintenir la distance, j’augmente ma course autant que possible, mais c’est maintenant une certitude, la créature va s’enfuir aisément.

    Sur le point d’abandonner, ralentissement peu à peu ma course, juste avant de l’insulter une nouvelle fois d’Ishk’tak, je souris à nouveau, subitement la voilà, et au sol ! Munis d’un nouveau sourire, mes pieds reprennent un nouvel élan et me portent rapidement auprès d’elle. Je l’entends couiner, se débattre, d’aussi loin rien n’est audible.

- Pitié, me fait pas mal, je voulais juste voir pourquoi il y avait de la lumière au loin.

    Je me rapproche rapidement, malgré la neige qui ne cesse d'être de plus en pesante sous mes pas, et même si plus à mesure que la distance se réduit, mes yeux ne cessent de regarder ses longs cheveux blancs, mon esprit reste focalisé. J’arrive derrière elle, cette bête ! D’un mouvement vif, je tends mon bras, sur le point de frapper, et la voilà qu’elle couine à nouveau, non… Elle parle !

- Mon papa a disparu il y a quelques semaines, je le cherche depuis un bon moment, et j’ai cru qu’il pourrait être auprès de cette lueur… Je suis désolé si je t’ai fait peur, mais pitié, me mange pas.

    Mon corps entier cesse instantanément de bouger, comme bloqué, gelé sur place. Cette bête venait vraiment de parler. Des mots, de la part d’une créature ? Les cerfs, les loups, ils sont tous des animaux, ils ne communiquent qu’en braillant, couinant, hurlant, ou aboyant, mais elle, cette bête… Non. Je reste ainsi durant de longues secondes, tellement de question dans mon esprit. Puis je pense plus en profondeur à ce qu’elle vient de dire. Son père ? … Et manger ? Rien qu’à cette pensée, mon ventre faillit reprendre le dessus sur mon esprit, mais, lentement, gardant une position d’attaque, je me déplace lentement, et fais le tour sur sa gauche, jusqu’à rencontrer son visage…

- Qui… Est… Tu ? Quelle sorte de monstruosité est-ce là ? Une bête a-t-elle mangé une fille sans la finir ? À tu pris sa place lorsque tu étais dans sa gueule ? Par les divinités, quelle horreur…

    Mais sa peur, dans ses yeux, je retrouve souvent la même dans les miens. Lentement alors j’abaisse les mains, toujours armes aux poings, et je la dévisage plus en profondeur, de long en large. Elle me ressemble, son, corps… J’ai en sentiment de dégoût, presque un haut-le-cœur lorsque mes yeux continuent d’aller et de venir le long de son long corps, surtout sa partie animale. Et à nouveau, je repense à ses mots. Son père…

- Parle ! … Ishk’tak, qui est donc ce père dont tu parles ? Tu penses que toutes les lumières que tu aperçois sont le fruit de ton père ?

    Je bouge la tête le regard à chacun de ses mouvements, surtout au niveau de sa patte qui semble la retenir depuis qu’elle est tombée, car je reste prêt à me défendre ou à attaquer en cas d’une quelconque menace. Face à une telle créature, aussi étrange et bizarre, soit-elle, il ne faut pas laisser de place à l'hésitation.

- Je … et bien je …

    Qu’est-ce que… Elle hésite, elle ? Avec sa taille, et sans doute son poids massif, une telle bête, ou… femme qu’en sais-je, qui doit posséder une sacré force, elle hésite ? C’est à la fois marrant et risible, à tel point que pendant un instant, sous doute de nerf, je laisse échapper quelques ricanements. Je me reprends rapidement, et m’approche d’un pas, le regard fixe sur sa bouche, elle s'apprête à nouveau à parler…

- Je suis pas un monstre. Je suis une hybride, plus spécialement une élaphaure, la sous-famille qui regroupe les différents cervidés. C’est la déesse Magnésie qui nous a créée ainsi, je ne suis donc pas une “fille mangé par une bête” comme tu dis. Je suis née comme ça, tout simplement.

    Elle parle de groupe, d’une déesse, de la nature des choses… J’ai encore ce sentiment qui monte moi, ce dégoût. Comment une divinité peut-elle créer cela ? C’est comme… Attacher une femme et un cerf ensemble, à quelles fins ? Mélanger l’homme et le gibier ainsi ensemble… J’ai en plus cette question qui me vient, sans doute due ma faim naissance, est-ce qu’elle se mange à moitié du coup ? Je n’ai guère le temps d’y penser, et voilà qu’elle me regarde à nouveau, et sa voix qui semble douce, mais teinter de peur me parvient.

- Je me doutais que papa n’était pas la raison de ce feu, mais j’avais tout de même espoir.

    Et enfin ce mot. L’espoir. Il me ramène si loin en arrière, dans de lointains et parfois douloureux souvenirs. La famine, le froid, le craquement du bois lors des tempêtes neige et ce bruit d’impact sur le toit avec la grêle. J’avais espoir. Espoir grâce aux histoires de mon père. Et le sien semble être si important pour elle, son regard trahit de la peur, de l’inquiétude, mais aussi un cran d’espoir, maintenant qu’elle en parle.

    Tuer, ou même attaquer du gibier, j’ai fait ça toute ma vie, mais si j’attaque cette créature, ou bien cette fille, qu’importe, qu’est ce que cela fait de moi ? Je continue de m’avancer, lentement, mais le pas lourd sur la neige qui ne cesse de crépiter en dessous.
    Et, bien que j’aperçois que son attention ne me quitte pas vraiment, son regard lui, qui transparaît sur le coups un sentiment de douleur, se détourne pour regarder sa patte. L’espace d’un instant, je pense à l’attaquer, un coup bien placer et malgré l’imposante carrure de la bête, il en serait finis d’elle, mais au lieu de cela, je m’agenouille devant elle, lentement, et mon regard se perd encore sur ses longs cheveux blancs, toujours illuminé par l’éclat de la lune.

- Je ne comprends rien à ce tu es, ou même à ta condition, mais tu es doué de parole. Et cela me suffit pour te laisser une chance, malgré ta nature… Ta nature grotesque, infâme, immonde.

    Mes mots sont faits de pierre, mais mes yeux continuent de pétiller, sous la beauté de ses cheveux. Je prends un petit instant pour continuer de les admirer, avant de ranger mes armes, et de me pencher afin de voir où son regard la porte. C’est vrai, son pied. Ou sa patte… Ishk’tak, que c’est complexe !
    Je soupire légèrement, et la regarde à nouveau, donnant une nouvelle l’occasion pour mes yeux de vagabonder le long de sa chevelure.

- Là-haut, il n’y a personne. Donc pas de père pour toi.

    Je me mets un pensé un instant, ce mot, une nouvelle fois, père, me ramène à ma propre personne et condition.

- Si tu le cherches, c’est pour retirer cette malédiction qui t’accable ? Ou bien est-il est comme toi, impossible à discerner entre un gibier ne demandant qu’à être chassé, et une fille qui n’a rien à faire dans de telles froides montagnes.

    Je prends le temps de respirer un grand coup, plus je parle et plus des mots pour la qualifier de monstre me viennent à l'esprit, puis je continue, après un rapide nouveau coups d’œil vers sa patte.

- Si tu restes là, tu finiras bonne à manger pour les loups. Eux, j’imagine se contente de toute la viande qu’ils trouvent, bête ou humaine, alors ta nature ne les dérange pas.

    Je me lève lentement, et gardant l’œil sur elle et ses mouvements, je me déplace vers sa patte qui la retient, avant de m’agenouiller à nouveau, devant. Lorsque je chasse, je ne fais pas attention à comment retirer sans mal mes proies, elles sont mortes et ne crient pas. Celle-ci, je doute qu’elle ne couine pas au beau milieu de ces montagnes si je force.
    Je la regarde, avec un large sourire avant de sortir un long couteau de mon dos.

- J’imagine qu’il va falloir couper !

    Je garde un moment mon sourire en bouche, avant de reprendre.

- Je parle de cette corde. Si je l’attache autour, et que je la tire pendant que tu forces pour t’extirper…

    Ma petite blague, bien que de bons goûts, eu pour effet d’apeurer l’abomination, avant qu’elle ne se calme. À son hochement de tête, je commence à couper la corde en deux, et les enroule délicatement à deux endroits différents au niveau de sa patte. Je tourne alors la tête, pensant à ce qu’elle venait de dire.

- Le respect, je veux bien te croire. Mais l’élégance ?

    Sur l’instant, je hausse les épaules, comme hésitant sur ce point, sa nature imparfaite, son corps abominable, et ses traits animaux... Mais pourtant sa chevelure elle, reste en permanence dans mon esprit, comme ancré par une beauté indescriptible. Puis je reprends, la fixant des yeux, un sourire en coin.

- S’il y a un… Des vôtres pour chaque caractéristique, comme ton père, avec la force et le courage, je me demande à quoi peut bien ressembler celui qui combine la débilité et l’idiotie !

    J'esclaffe instantanément de rire, résonant tout autour de créant plusieurs échos parmi ces nombreuses montagnes autour de nous, au point que mes mains relâchent brièvement les cordes, avant de reprendre les nœuds autour de sa pattes. L’un est positionné autour de sa… cuisse de patte ? Je ne saurais dire le nom, et l’autre juste au-dessus au niveau de la ligne oû disparaît son sabot dans la roche. De mon seul œil, je la regarde avec furtivité, avant d’attraper dans chaque main une corde, les enroulant autour de mes avants bras. C’est à ce moment précis que j'aperçois du sang autour, jusqu’alors trop préoccupé à garder un œil sur elle.
    Sans doute, sa peur rêvait également de la douleur qu'elle ressent actuellement de sa blessure. Je me relève et dresse mes bras en hauteur afin de tendre les cordes, tournant à nouveau le regard vers elle, car décidé a respecter ma parole, pour elle qui est douée du langage des hommes.

- Vu que tu es une belle bête, je veux dire, tu as tant de viande à disposition, je pense devoir tout donner pour te sortir de là. Il va falloir que tu en fasses autant, mais je doute que ta blessure, là-dessous, n’en subisse pas les conséquences, avec ces pierres. Ça va faire mal…

    Je continue de la regarder, attendant son signal, mais manquant encore de la dévisager, un sentiment presque plus fort que moi tant sa nature me semble contre-nature. Je respire un grand coup, refrénant cet écœurement qui va et viens en cesse, imaginant quelles autres créatures comme elles, peuples ce monde, et l'allure qu'elles ont...

- Ne t’inquiète pas pour la blessure, je sais me soigner toute seule. Je suis guérisseuse.

    Je m’interroge sur ses mots, des guérisseuses et guérisseurs, c’était extrêmement rare dans mon village. Avoir la connaissance des plantes, de l’anatomie, reconnaître les blessures… Toutes ces connaissances, si elles les possèdent vraiment, forcent le respect. Au point de percevoir une pointe d'admiration en moi, envers cette fille. Cette fille… Cette fille ? Étrange. Certes, elle se considère comme une hybride, une… Probotyre ? Ou une…. Comment avait-elle dit cela ? Ephaure ? Ou quelque chose comme ça. Mais sur l'instant, je l'ai considéré comme normal. Humaine... Et cette appellation, moi qui pensais jusque-là que la langue utilisée par les Djöllfulin était d’un complexe, me voilà servis avec tous ses termes savants. Mais cela reste un en sens, intéressant, je sens même ma curiosité être piqué au fur et à mesure que la lune traverse le ciel. Mais je me disperse, et sentant son corps, son poids, sa masse se relever semble t’il difficilement, je recule d’un pas, et tire de concert avec elle, je tire de toutes mes forces sur les cordes qui se rétractent et serrent sa patte.

    À peine quelques secondes, et déjà que je me sens lâché prise. Pourquoi faire cela pour une inconnue ? Pourquoi ne pas la laisser abandonner ici ? Mourir ici ? Pourrir ici ? Je continue de tirer, avec ces interrogations… Elle n’avait qu’à se débrouiller seule après tout.


- Parfois… Il faut savoir… Se libérer soi-même.

    Dans mon effort, mon regard se pose sur son dos, ses cheveux immaculés tout le long. Le bien, le mal, ce sont des concepts superflu, mais si j’abandonne maintenant, je ne l’abandonne pas elle uniquement. J’abandonne aussi son espoir. Ce mot fait une nouvelle fois écho dans mon esprit, et à présent de toutes mes forces, je tire à m’en déchirer la voix d’effort.

- Saleté de sabot… Trop… Gros, sors de là !!

    Mes mains deviennent douloureuses à cause des liens, mon souffle devient plus rapide, et mon esprit commence à vagabonder sous l’effort. Il se retrouve à… En souhaiter l’aide de quelqu’un. Quelque chose. Je connais déjà cette impression, cette supériorité… Je ressens mon talisman autour du cou qui devient plus chaud contre ma poitrine, comme s’agissant d’une réponse. Donne-moi la force… Qui que tu sois.

    Je l’entends, le sol s'effrite, sa patte bouge de plus en plus ! Un dernier effort et… Je me retrouve soudainement le postérieur dans la neige, lorsque les morceaux de pierre de la cavité qui empêchaient l’hybride de retirer sa patte volent en éclats après tant de force et de pression. Les mains enfoncées dans la neige, la tête en arrière le regard vers le ciel étoilé, je souris légèrement. On a réussi. Puis je sens alors à quel point cela à demander des efforts pour mon corps, et maintenant l’état dans lequel je suis. Je regarde ensuite l’hybride, qui semble à présent soulagé, et, même si elle a ses pattes à terre, elle au moins n’avais pas ses fesses dans la neige, devenant humide. C’est alors plus fort que moi, et soupir, avant de me relever, fier de nous.


    Je tapote mes vêtements, les bas, donne des coups vifs sur les plis, tout autour de moi afin de retirer toute la neige, puis la regarde à nouveau, mes yeux s'écarquillent alors devant le phénomène juste devant moi. De ses mains, une vive lueur lumineuse s'échappe, et semble se disperser lentement là où elles les posent, l’endroit de sa blessure.
    Surpris, interloqué, hésitant à m’approcher, et même à ouvrir la bouche pour sortir un quelconque son, je n’en revenais pas. Elle ne mentait pas. Elle est vraiment guérisseuse. Ce n’est certes pas comme à l’époque de mon enfance, ou ils utilisaient des plantes, des potions, des élixirs, des enduits, mais c- … Son sac. Il en est rempli justement ! Elle les tris rapidement, et avec aisance se met à assembler ses plantes, certaines à l’odeur plus que douteuse. Elle possède la magie, et la connaissance…

    C’en était trop pour mon esprit, mes jambes se pliant soudainement, mon corps tombant en avant sur mes genoux, mes bras ballants, je la regarde, l'œil fixe, agar, vide, mais d’une certaine manière présent.

- Avec ça, je vais pouvoir me relever dans quelques instants.

    C’est presque comme… Assister à un miracle. Ann'ba, vois-tu ? Une créature à l'allure abominable, mais néanmoins avec de magnifiques cheveux, douée de parole et de conscience, ainsi que de magie et de connaissance… À quel point me suis-je trompé ? Pourquoi est-elle capable de faire cela ? Comment ?
    Une certaine forme de jalousie grandit et fourmille en moi, la vue du cataplasme à l’endroit de sa blessure m’induit tant de ressentiment. Envers elle, envers moi, envers le tout, l’univers lui-même, les raisons de tout cela, les questions se bousculent, s’enchaînent, mais j’en viens à bout d’une. Comment obtenir la même chose ? Comment posséder à mon tour une telle capacité ? Mon œil revient peu à peu à lui, et fixe le regard de l’hybride, le visage emprunt de certitude à présent.

- Donne-le-moi…

    Je marque une longue pause, avant de reprendre, parlant plus distinctement, encore plus assuré.

- Donne-le-moi, ce don, cette bénédiction, ce pouvoir, peu importe, mais donne le moi. Je ne sais pas comment tu fais ça, avec tes mains, comment ça fonctionne…

    Continuant de parler, je me relève, manquant de tomber une ou deux fois, titubant légèrement vers elle.

- Mais donne-le-moi. Je… Je dois l’avoir.

     Le bras en avant, tentant de l’atteindre, ma manche se relève légèrement, révélant subtilement la chair calcinée à certains endroits, brûlée à d'autres, et aux marques runiques qui ont pris le pas sur les cicatrices. Je parle de plus en plus fort, allant même jusqu’à hurler à la fin.

- J’en ai bien plus besoin que toi, donne-le-moi, maintenant !! Ou je... Je vais...

Je continue, lentement, de tituber, de vaciller, inlassablement vers elle. J'expire lentement chacune de mes respirations, mon esprit happé par elle, elle et son pouvoir, lumineux, guérisseur… Cette faim qui m’était jusque-là inconnue, cette faim de pouvoir, de connaissances, de possibilités, elle est si nouvelle, mais elle me dévore, me consume l'esprit, et pour la rassasier, je le sais, je dois obtenir tout cela en même temps, de cette hybride.

- Ce n’est pas comme ça que fonctionne la magie. C’est … quelque chose que l’on a ou pas à la naissance. J’ai eu la chance, et la malchance à la fois, d’avoir ce don. Car vois-tu, ma magie à un coût : elle puise dans ma propre énergie vitale. C’est pour ça que je ne peux pas simplement fermer ma plaie tout d’un coup, j’y laisserais sans doute ma vie en contrepartie.

    Ses paroles cheminent dans mon esprit tel à travers un verre de cristal, il vibre, il raisonne, sur le point d’imploser sous ces vérités. Mais ma faim dévorante résiste et fait bloc, pendant que mon bras se rapproche dangereusement d’elle, la main passant dans ses cheveux, qu glissent entre mes doigts. Mon œil reste hagard sur l’ensemble de son visage, perdu.

- Si tes plaies sur ton bras sont encore douloureuses, j’ai des herbes qui pourraient aider à calmer la douleur si tu veux.

    Elle veut m’aider ? Comme si c’était possible de m’aider. Et si c'était le cas, mais qu'elle périssait sans que cela ne fonctionne... Non. Alors mon bras, ma main, mes doigts se figent, puis se resserrent violemment, attrapant alors ses quelques mèches. Je reste là, figé, ses cheveux dans le creux de ma main, durant une longue minute, avant que je n’ouvre enfin les lèvres à nouveau, prêt à parler d’une voix complètement cassée et presque à l’agonie, avec la gorge qui se serre de plus en plus.

- Donne… Le… Moi… Tu ne comprends pas. Mon… Mon bras ne me fait pas mal, je contrefou de tes herbes ! Ce que je veux, c'est...

    Ma voix vibre de plus en plus sous le flux des émotions qui me parviennent, cette faim dévorante qui continue de se répercuter dans mon esprit… Je sens que tout cette accumulation atteindra bientôt son point de rupture, et j’ai durant une fraction de seconde, cette inhérente peur de ne plus être maître de mon corps, de mes choix, de mes actions…
    b]D[/b]e mon œil, je fixe les siens à présent, ses cheveux toujours entre mes mains.

- Tu disposes… De pouvoirs qui te dépassent. Donne-le-moi, j’en ferais un bien meilleur usage. Et s’il te faut faire du mal, je... Je n’hésiterais pas.

    Cette phrase sonnait comme le glas d’un équilibre déjà incertain dans mon esprit, mais je sens étrangement toujours mon amulette et sa chaleur contre ma poitrine, à présent plus chaude qu’elle ne l’a jamais été. Ma main, elle, lentement, commence à tirer ses cheveux vers moi, tandis que sous la lumière combinée de la lune et des aurores boréales, les inscriptions runiques de mon bras se mettent lentement à s'illuminer, faisans apparaître comme quelques bribes d'éclairs éthérés bleu et rouge tout autour.

    Mes doigts refermés sur eux même, quelques bribes de sa chevelure au travers, soudainement l'hybride se relève, sa posture est légèrement agressive, et pourtant son visage ne reflètent que deux expressions, la douleur, et la gentillesse. Et malgré cette gentillesse, je sens soudainement le poids, la puissance de son corps de bête sur mon torse, incapable de résister de par sa force, et de par ma volonté vacillante, je tombe à terre sur le dos, déchaînant brièvement la magie des runes, créant de multiples faisceaux bleues et rouges tout autour avant de complétement disparaître, mon corps marquant de sa silhouette la froide neige sur le sol.
    Mon œil tremble à mesure que son ombre remplace les lueurs de la lune au-dessus de moi. Elle est si imposante, si puissante, si intelligente… Comment une bête contre-nature peut-elle posséder tout cela ? Ses longs cheveux, faits de blanc, glissent lentement, et se retrouvent, tombants, juste au-dessus de mon visage.

- Pardon, pardon, pardon ! Je ne voulais pas te faire mal, je te le jure ! Je veux juste que tu sois moins méchant et que tu comprennes …

    Ses mots parviennent enfin dans mon esprit sans qu’ils ne soient bloqués d’aucune sorte. Je ne ressens plus autant cette faim dévorante qui me rongeait, d’autant que cette chaleur qu’émettait mon pendentif au creux de mon torse à elle aussi disparu. Cette entité, cette hybride avait réussi à me ramener là où je me suis si souvent perdu. Je ne ressentais au final envers elle qu’une seule chose à présent. Ni dégoût, ni repoussement, ni encore d’écœurement, non. Simplement de la jalousie. D’en bas, le monde parait forcément plus le grand, et elle, de mon œil valide, semble aussi majestueuse, élégante, et sublime qu’elle le décrivait plus tôt. Mon corps se détend lentement dans le froid de cette neige, et je la regarde, là, tout simplement.

- C’est bon… Tu as gagné, je suis calmé…

    Je ne sais pas sur le moment si je dois m'excuser, faire l’apologie de mes actes, ou encore la réprimander pour ce qu’elle vient de me faire, mais qu’importe, sans réfléchir plus en avant je continue, tournant lentement la tête sur le côté, à la rencontre une nouvelle fois de cette aurore boréale.

- Je ne suis pas… Je ne suis pas méchant, comme tu le dis. Tu es simplement si spéciale. Ta nature est spéciale, ta beauté est spéciale, tout autant que ta magie l’est aussi. Je me suis perdu un instant en voyant tout ça.

    Je tourne à nouveau lentement la tête dans le creux fois de cette neige, avant de la regarder à nouveau.

- Si ça vaut pour des excuses… Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Mais merci, j’imagine. Avec ta force, je ne comprends même pas pourquoi tu a fuie, tout à l’heure.

    Je repense soudainement à la scène, alors qu’un léger sourire se dessine sur mes lèvres, ses cheveux immaculés et réfléchissants toujours autant la lumière du ciel étoilé, les effleurant de temps en temps avec le vent qui traverse ces montagnes neigeuses.

- Excuse accepté. Mais ne recommence pas, s’il te plaît.

    Je ne sais pas moi-même si ces excuses sont réelles ou non, mais ce dont je suis sur c’est que j’ai failli emprunter une voie qui ne me correspond pas. Par sa faute, ou par la mienne, difficile à dire pour le moment. Et voilà qu’elle me sourit alors, sa main tendue en ma direction. Mon œil reste fixé sur le long de ses doigts, avant qu’elle ne reprenne la parole.

- Pour répondre à ta question : j’ai fui tout à l’heure parce que je suis de nature timide. Sipi m’a adoptée quand j’avais cinq ou six ans, je ne sais plus. Mes premières années, c’est une biche normale qui m’a élevée. Mon côté cerf est donc plus développé que mon côté humain. C’est pour ça que je prends le temps d’étudier une situation avant de m’approcher. Mais c’est la première fois que quelqu’un me surprend, et j’ai eu peur.

    J’esclaffe de rire, au vu des bêtises, bien que vraies, qu’elle me sort. J’ai dû faire forte impression lorsque je l’ai surprise derrière son rocher… J’essuie d’un trait les larmes de mon œil qui se mettent à venir, avant de retrouver mon calme. J’attrape alors fermement sa main tendue, et m’en aide pour me relever, difficilement, puisqu’allongé, je ne sentais pas grand-chose, c’est en bougeant mes muscles, et surtout mon torse que je me mis à ressentir quelques douleurs au niveau du thorax. Mais je garde ce léger sourire, et une fois sur pied, relâche sa main, avant de m’inspecter rapidement afin de - une nouvelle fois encore - retirer toute la neige qui s’est posée sur mes vêtements, avant d’à nouveau entendre sa voix.

- J’imagine... que mon “approche” lors de notre rencontre n’a pas été des plus subtiles. Mais est-ce vraiment entièrement de ma faute ? Toi qui ressembles à un gibier sur patte…

     Après tant d’efforts, d’émotions, et surtout d’actions, le froid de ce lieu, de cette neige, et de ces légères brises commencent à vraiment se faire ressentir, et d’un coup d’œil, je regarde le haut de la colline, ou mon feu luis encore dans la nuit, et alors dans l’idée de m’y rendre, sa voix m’interrompt.

- Au fait, je m’appelle Ashaisha

    Ashaisha ?  Voilà le genre de prénom bon à mettre des années avant de s’en rappeler. Intérieurement, je soupire, avant de me tourner vers elle

- Et bien, Ashaisha, ravis de faire ta rencontre j’imagine…

    Brièvement, je me masse cette douleur au thorax, puis continue

- Bon, je ne sais pas pour toi, mais en ce qui me concerne, je commence à ressentir les caresses du froids, et la chaleur de mon feu de camp commence à me manquer…

    Je commence à faire quelques pas, montant petit à petit la colline, avant de tourner la tête au-dessus de mon épaule, parlant à l’hybride une fois de plus.

- Et je ne suis pas ingrat. Si tu veux me rejoindre, tu y es la bienvenue.

    Je me fends d’un petit sourire, avant de reprendre.

- Promis… Je n’en profiterais pas pour te faire cuire.

    C’est en gardant de petit sourire que je me remet à l'ascension de cette colline, qu’elle vienne ou non n’est pas de mon ressort, mais étrangement je ressentais comme une envie de la voir en haut, elle aussi.

    Après quelques pas dans cette neige de plus en plus compacte de par ce froid, je ressens les pas lourds de l’hybride derrière moi, avec son barda et le bruit monstre qui l’accompagne. J'appréhende quelque peu le fait de l’emmener dans mon lieu de repos, mais je ne vais pas la chasser maintenant alors qu’il y a un instant, je l’y invite…

    J'arrive là-haut un peu difficilement, la douleur dans ma poitrine vacillante, et je décide de remettre du petit-bois au sein du feu qui alors crépite et grandit petit à petit. Puis soudainement un bruit soudain entremêlé d’entrechoquement de fioles et de flacons, ainsi que le bruit sourd lorsque qu'amas d'affaires se déposa au sol. Je reste figé un instant, les mains sur mes cestres, avant d’en terminer avec le bois, et de m’asseoir en face de cette chaleur revigorante.

    Légèrement essoufflé, je prends le temps de récupérer, lorsque l’hybride se mit à me fixer de ses yeux d’une étrange beauté. Je le remarque et détourne le regard, alors qu’elle me parle.

- Puis-je regarder ta blessure ? Je veux m’assurer que ce que je t’ai fait ne soit pas dangereux pour ta santé.

    C’est vrai que plus je me pose et respire, et plus l’impact ou son sabot avait frapper me fait mal. Mais de là à me laisser volontairement à sa merci, pour, que sais-je, de sa part ? Je prends un morceau de bois et l’agite dans le feu comme un tisonnier, réfléchissant un moment.

- Je ne sais pas pourquoi tu es si avenante envers les étrangers, mais à force ça devient suspect…

    Puis je me tourne légèrement, alors mon tisonnier brandit contre elle

- Mais si tu fais quoi que ce soit qui éveille des doutes en moi, je n’hésiterais pas à en finir pour de bons avec toi.

    Mon bras vers sa direction, il m’a fallu encore un instant avant de me décrocher d’elle du regard, à cause de sa chevelure

- Et, fais attention, ne te crame pas les cheveux en t'approchant du feu… J’imagine.

    Je soupire encore une fois, laisser une inconnue autant de race, que de connaissance, s’approcher aussi près de moi, ça me met mal à l’aise, mais sur le coup bien moins que cette sensation qui s’intensifie petit à petit sur mon torse  jusqu’à en devenir vraiment douloureuse. J’hausse légèrement les épaules, et lentement, je me déboutonne, avant de retirer mon haut. Le torse-nu, je la fixe un instant, les caresses du froid sur mon dos et la vive chaleur en face de moi grâce au feu de camp. J’attrape ensuite d’une main mon sac resté tout du long ici, et en sort un livre aux pages arrachés et semblant aussi vieux que le monde lui-même, ainsi qu’une plume des moins élégantes, avant de dessiner sur une des quelques pages vierges encore présentes, le temps que l'hybride fasse son affaire.

    Lentement, ma main décrit quelques traits, des arcs de cercle, et de grandes lignes le long du dessein, tout cela ne ressemble pour le moment qu’à un gribouillage sans queue ni tête, mais à mesure que ma plume est trempée dans l’encre, cela prend de plus en plus forme. J’en ai presque un sourire en imaginant ce que cela va donner, il ne manquera que les couleurs av - Et d’un mouvement des plus soudains, mon œil n’aperçois que bien trop tard le baluchon froid qui atteint ma poitrine. Et en son contact, mon corps se raidit, mon œil devient aussi rond que possible, et je la regarde grommelant fortement, une main agrippant autant que possible le baluchon avant de le plaquer contre moi.

- Sale Ishk’tak de non de…. Ooooh, c’est quoi cette…

    Je tente avec toute la volonté qu'il m'est donné de me calmer, autant mon esprit que mon corps, avant d’expirer lentement, l’œil fixe sur le feu crépitant.

- Tiens, garde ça là quelques minutes, ça va aider pour l’enflure. Maintenant, dis-moi, c’est douloureux à chaque mouvement, ou simplement lorsque tu fais une pression dans la zone ? Est-ce que tu ressens un fourmillement quelque part autre que sur ton torse ?

    J’inspire, et j’expire, lentement, pendant qu’elle parle, je ne sais pas si c’est maintenant le froid du baluchon qui me tend encore, la douleur qui s’en va et revient à chaque respiration, ou bien les doigts gelées du froid contre la peau de mon dos qui s'y ancre de plus en plus. Et curieusement, à mesure du processus, sa voix m’apaise, et rien que cette idée m’est totalement étonnante. Je tourne ensuite la tête pour en revenir à mon dessein, lorsque j'aperçois entre mes mains la plume cassée en deux. Je ferme les yeux un instant, avant de jeter les morceaux dans le feu devant moi.

- Ishk’tak…
    Et à nouveau, je la regarde, refermant lentement mon livre et le rangeant dans mon sac, avant de le balancer plus loin. Mais le mouvement de mon bras ravive une nouvelle fois la douleur dans mon torse.

- La, tout de suite, ça fourmille dans mon poing. Il me démange de jeter ton baluchon dans le feu, ou il servira vraiment…

    Je me concentre un petit instant ensuite, enfin complètement calmé, avant de réellement lui répondre.

- C’est… Douloureux, à chaque fois que je bouge mon bras droit. Et maintenant que tu en parles, j’imagine que j’y ressens aussi ces fourmillements que tu as mentionné.

    À mesure que je termine ma phrase, une nouvelle fois encore mon regard se perd à la vue de ses cheveux, à présent à moitié coucher contre la neige, ils donnent presque l’impression d’y disparaître, avec leurs couleurs aussi immaculées que le manteau qui recouvre cette colline.

    Le soudain brouhaha qu’elle commet est si insupportable que mon œil ne fait qu’un tour avant de la regarder à nouveau, je n’étais pas très sérieux en évoquant des loups tout à l’heure, mais si elle continue comme ça, on va finir par attirer quelque chose, car avec cette lune quasi-pleine et ces aurores boréales, peu des bêtes aux alentours doivent dormir. Furtivement, le temps qu’elle s’occupe de farfouiller dans ses affaires, je regarde tout autour de moi, les mouvements du corps restreint par ma blessure, mais je me sentais plus inquiet que souffrant en cet instant.

    Puis, l’ombre de la grande hybride s'abattant sur moi fournie par le feu lorsqu’elle s’approche soudainement de moi me ramène à elle, elle qui s’installe, lentement. Je dois bien avouer que la voir plier le gen- la patte, de cette manière, c’est… Gracieux ? Plus je l’observe, et plus les mots qu’elle avait utilisés pour se décrire me semblent, au final, bien trouvés. J’émets un léger sourire, à cette sensation de peut-être alors m’être trompé sur elle.

- Reste calme, tu te sentiras mieux bientôt.

    Le baluchon parti, je peux enfin profiter un peu plus du feu de camp, malgré sa proximité, mon torse et dos nu commencent vraiment à ressentir les effets négatifs de cette basse température environnante.

- C’est pas trop tôt… En termes de froid, j’ai donné pour une vie entière, crois moi…

    Curieux, je tente de regarder mon torse en baissant la tête, mais mon œil ne distingue guère grand-chose, en dehors d’une vague zone rouge. Encore plus curieux alors, interrogé par la gravité de la blessure, je lui pose une question.

- Je n’suis pas sur qu-

    Sans même avoir eu le temps de finir ma phrase, je ressens la brusque pression de ses mains sur mon torse, d’un geste en réaction, ma main se lève afin de les balayer d’un seul coup, et alors que j’attrape l’un de ses bras, la soudaine vue de cette lumière, et surtout de la chaleur et du bien qu’elle prodigue m'arrêtent, je fixe alors ses doigts emplis de cette lumière, puis ses yeux de mon son œil valide, emplis de question en cet instant. Mon bras alors, si proche de cette source lumineuse, se met à luire et à projeter de ses rayons rouge et bleu, diverses formes et figures projeté au-dessus du feu de camp, montrant de flou souvenirs, et d'indescriptibles pensés, sauf une image, ou le bleu fait office de rivière s'écoulant rapidement, et où le rouge m’affiche, les pieds dans l’eau, tentant vainement d’attraper à la main un quelconque poisson. Et, alors que l’apparition de sa lumière était soudaine, elle s’étend à présent lentement, balayant par la même occasion la scène au-dessus du feu, mon bras, alors n'émettant plus aucun rayonnement.



    Je la regarde ensuite, elle qui semble au bout de ses forces, exténuée par ce qu’elle venait - une nouvelle fois - d’accomplir. Je me sens mieux, maintenant qu’elle retire ses mains de mon corps, et me sent même revivre, l’impression que mes inspirations sont à nouveau légères et presque sans douleurs.

- Voilà, ça devrait déjà être moins douloureux, puisque le pire est passé. Mais si tu as encore mal, j’ai une herbe que je peux mettre en cataplasme pour soulager ta douleur.

    Elle veut sûrement parler de cette horreur odorante qu’elle s’était précédemment posée sur la patte. Avoir ça, si près de mon nez, c’est hors de question. Mais étrangement lui dire non, en cet instant semble assez compliquer. Difficilement, alors, j’attrape ma chemise ainsi que ma veste, avant de les remettre non sans douleur et gémissements, avant d’avancer les mains, cherchant chaleur auprès du feu.

- Tu peux te les garder, tes cataplasmes…

    Sur le coup, c’est plus fort que moi, ces mots sont comme naturel, lorsqu’ils sortent de ma bouche. Je prends alors le temps de penser aux prochains, avant de continuer.

- Mais merci. Pour… Ton truc. Ta lumière. Elle est vraiment fabuleuse, tu sais. Et même si ton père t’a éduqué à toujours prendre soin des autres, il vaudrait sans doute mieux que tu ne la montre pas à tout-va. Je ne suis pas du genre à être mal intentionné, mais qui ne rêve pas de pouvoir ? Au vu de ce dont j’ai été capable tout à l’heure, imagine ceux qui n’hésiterons pas par tous les moyens à l’obtenir. Ta lumière est magnifique, mais garde là pour toi, Ashe…sha ? … Peu importe.

    Je savais que j’allais avoir du mal avec son foutu nom d’hybride impossible à retenir. Je remue légèrement les épaules, comme pour tester l'efficacité de ses soins, je prends le temps d’analyser à quel point cela a été efficace, malgré la douleur présente, mais amoindrie. Enfin, je la regarde, presque avec une expression de remerciement, puis de légère inquiétude.

- Tu devrais te reposer. De toute façon, j’ai l’impression que tu le décides ou non, c’est ton corps qui aura le dernier mot vu ton état. Je vais monter la garde.

    Généralement, mes gardes se résument à : dessiner et écrire dans mon journal, m’inquiéter des bruits ambiants, et regarder l’horizon ou le feu de camp. J’imagine que sans mon livre, il va falloir que trouve autre chose. Non sans délicatesse, je me relève juste à côté d’elle, manquant presque de prendre appui sur ses cornes, et m’étire le dos comme pour présager de cette longue nuit qui m’attend.