On avait demandé à Uskøl de rattraper un peu de ses obligations miliciennes en patrouillant autour de Kastalinn. Ce n'était pas toujours bien passionnant, mais le nordien n'avait pratiquement pas mené de patrouilles à terme, ce qui pouvait hérisser le poil de certaines personnes.

Avec les festivités dans la cité nordique et aux alentours, ainsi que la venue officielle de l'hiver, il fallait bien être plus alerte dans la surveillance ; que ce soient de petites rixes de rue ou des espions skarniens - dont on n'avait plus rien entendu de leur part depuis trop longtemps -, il était nécessaire d'y prêter grande attention. Il était aussi important de garder en tête que le prestige et la réputation de Kastalinn étaient en cause.

Le milicien aux cheveux rouges comme le sang frais récupéra ses affaires rudimentaires, mit bien en évidence son amulette nordique frappée du sceau de la Milice, à savoir un arànien cabré, et s'engagea sur l'une des sorties de Kastalinn pour effectuer sa patrouille tout autour de la cité.
Suffisamment de gardes étaient en faction autour des remparts et sur les routes menant jusqu'à la cité, donc Uskøl avait meilleur compte à s'engager un peu plus loin dans les terres du nord, tout en restant en vue de Kastalinn.
À bien y réfléchir, c'était très peu précis puisque l'étendue des plaines d'Aràn permettait de voir les tours de la ville fortifiée à plusieurs lieues à la ronde. Mais c'était peut-être mieux de s'éloigner un peu de la cité pour faire le point avec les habitants un peu à l'écart de Kastalinn ou pour guetter quelques problèmes avant qu'ils ne soient visibles pour la ville.

Uskøl foula les sentiers plutôt que les routes, mais ceux-ci étant proches de ces dernières, et les croisant régulièrement en divers carrefours, le nordien restait toujours à faible distance des voies principales, ce qui lui permettait aussi d'avoir un œil sur ce qu'il pouvait se tramer.

Une bonne heure passa, sans que le milicien soit face à la moindre altercation ou le moindre problème : ni haussement de ton, ni roue de chariot cassée, ni animaux irrités, rien. Cela ne dérangeait pas le guerrier, malgré ses prédispositions aux combats et sa soif de sang. Il s'acquitta de sa tâche avec le plus grand sérieux ; il n'y avait aucune raison de dénigrer une patrouille de ce type.

Arrivant près d'un bosquet jouxtant un amas de rochers pouvant très bien mener vers une grotte, Uskøl resta un peu plus alerte. Les probabilités d'un quelconque problème étaient faibles, mais on n'était jamais trop prudent, surtout quand la menace skarnienne rodait toujours dans les environs.

Le milicien garda sa main sur son arme, prêt à la dégainer, et avança à pas de loup - ce qui était cocasse pour un ours tel que lui - tout en tendant l'oreille. Quelques bruissements lui indiquèrent une petite présence animale comme un rouge-gorge, une pie ou une musaraigne. Puis, un gros bruit de raclement sur la roche se fit entendre. Ainsi qu'un autre et un troisième dans la foulée. C'était plutôt suspect, et Uskøl empoigna sa hache, prêt à frapper, tout en s'approchant aussi discrètement que possible.
Un dernier bruit n'aida pas le nordien à se sentir à l'aise, comme deux armes qui s'entrechoquaient l'une contre l'autre.

C'était d'une certaine virulence ; quoi qu'il puisse s'y passer, c'était un combat très sérieux et Uskøl n'était pas totalement confiant. Il espérait que ce ne soit l'affaire que de deux combattants s'entraînant amicalement, sinon il lui faudrait en venir aux mains - ou plutôt à la hache - pour les déloger de cette sale affaire. Rien n'interdisait de se battre en-dehors de Kastalinn, surtout à quelques lieues, mais si le nordien pouvait éviter un meurtre inutile, ce serait ça de gagné pour les autorités.

Uskøl fut alors suffisamment prêt pour apercevoir l'origine de ces bruits. Il était également suffisamment prêt pour bondir sur les individus et leur mettre une belle poire dans la figure pour leur passer l'envie de se battre. Il y avait tout de même des risques que le milicien aux cheveux rouges doivent faire face à plus fort que lui, mais que pouvait-il dire face aux épreuves que les divins auraient placées sur sa route ? Et il y avait par ailleurs une probabilité que ce soient des créatures malveillantes permettant alors à la région de dormir un peu plus sereinement.

La vérité fut un peu différente, mais un peu identique aussi.
En fait, le nordien découvrit deux lapins d'Aràn dans la fleur de l'âge se frottant les bois l'un à l'autre pour assumer leur dominance. Le combat était assez violent et aucun ne laissait le moindre répit à l'autre, bougeant avec la vitesse exceptionnelle qui était leur. En tout instant, l'un de ces majestueux animaux pouvait éventrer son adversaire d'un bon coup de bois. Ou éventrer l'impertinent humain qui aurait l'audace et l'erreur de se mettre en travers de leurs différends.

Il ne fallut pas longtemps au milicien pour revenir d'où il venait et reprendre la route. Pour rien au monde il n'aurait touché à ces enfants des dieux. Pourquoi aurait-il tenté Krampus à se faire détester des divins et leur donner l'occasion de mettre sur sa route des entraves préjudiciables ? Ou pire, sur celle de Selsya ! Les dieux donnent et les dieux reprennent grand bien leur fasse.

Au final, une patrouille toute somme bien tranquille...