Le monde entier est un cactus
Il est impossible de s'assoir
Dans la vie, il y a qu'des cactus
Moi, je me pique de le savoir
Aïe, aïe, aïe

... Il y'a cinq ans...

Le regard perdu sur l’horizon désert, les deux pieds fermement implantés dans le sable, Nina inspire une grande goulée d’air. L'air chaud vient emplir ses poumons et lui arrache un soupir de contentement. Ses yeux bicolores se ferment et ses mains se croisent dans son dos alors qu’elle s’accorde une pause au bon milieu des terres désertiques. L'instant est bref. Quelques secondes tout au plus lui permettent de se concentrer sur les battements réguliers de son cœur. La jeune femme se laisse aller à un instant de quiétude. Le bruissement qu’elle entend sur sa droite lui fait néanmoins rouvrir bien rapidement les yeux. Confusion, stupeur se mêlent en son sein lorsqu'elle constate que son panier, rempli de cactus ne se trouve plus à ses côtés ! Pire encore, quelques uns ont été dispersés tout autour d'elle. Ses yeux s’écarquillent grandement, ronds comme deux gros ballons alors qu’elle époussète d'un revers de la main ses frusques, tentant de reprendre un peu de contenance.

La brunette se tourne tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche et aperçoit une silhouette détaler au bon milieu du désert, juste en face d'elle ! Elle ne prend pas le temps de se retourner car dans le sillage des pas du malfrat semble s’écraser mollement dans le sable quelques cactus. Issus de sa cueillette matinale ou non, Nina se contente de héler l'ombre d'une voix marquée d'un agacement certain :
« Toi ! Reviens-ici ! »

Ses pieds viennent s’enfoncer mollement dans le sabre bouillant s'infiltrant de part et d'autres de ses chausses en tissu. La progression à la hâte ainsi vêtue est difficile, quasi-impossible. Un grognement d’insatisfaction franchit le seuil de ses lèvres alors qu’elle ramasse rapidement les cactus qu’elle a cueilli tantôt, dispersés en cercle tout autour d'elle. Le plus gros du travail venait d’être fait puisque au fur et à mesure de sa cueillette elle s'était entêtée à retirer les grosses épines. Un profond sentiment d’injustice vient accabler la jeune femme qui tente une nouvelle approche s'époumonant, cactus coincés sous le bras, mains en porte-voix :
« Reviens ! On divise ! »

L’offre est alléchante. Va-t-elle tenir parole ? Ses mains retombent pour venir s'enfoncer de leur plat sur ses hanches. Elle se tient là, les yeux plissés par le soleil éblouissant, le souffle court des quelques mètres à peine qu’elle vient de tenter de franchir au sein des alentours quasi désertiques de la ville. Elle patiente. Son cœur s’agite douloureusement au sein de sa poitrine et son sang ne fait qu’un tour.
A-t-elle véritablement un autre choix que celui de patienter ? Pas vraiment.
S'adresse t-elle à la bonne personne ? Pas vraiment.

L'inconnu s'éloigne de plus en plus sans lui prêter la moindre once d'attention.
Ce qui semblait être une silhouette proche devient une silhouette de plus en plus lointaine, inaccessible, inatteignable. D’agacement, sa langue vient claquer contre son palais alors qu’elle commence à perdre patience en ce jour maudit :
« Enfin bon ! Oh bon sang, comme c’est injuste ! »

De frustration, l'un de ses pieds vient balayer un peu de sable. Ses poings fermés viennent aussitôt frotter ses iris vairons. Le sable picote dangereusement ses yeux, lui donnant une bonne leçon d'humilité, l'obligeant à retomber quasi-instantanément en pression. Faire le deuil de son butin du jour l'amène à grimacer amèrement. La Colérique se donne ouvertement en spectacle alors qu'il lui suffirait de relever le museau, d'ouvrir un peu plus ses yeux pour constater qu'un vilain garnement lui a chapardé son panier et qu'il se tient non loin d'elle... Vraiment très proche d'elle.

Bourgeonnant, elle vient croiser ses bras sur sa poitrine. Son regard quitte l’horizon et doucement, la jeune femme tourne les talons ne se préoccupant plus de ce qui se trame dans son dos. Les promesses… Nina en a essuyé plus d’une dizaine par naïveté. Certains lui avaient promis protection contre ses services. D'autres avaient promis quelques piécettes pour des missions de quelques heures tout au plus mais la plus part de ces malfrats soldaient souvent leur dette par un simple remerciement. Au cours des dernières années, Nina n'a jamais été de ceux qui lèvent facilement le poing et plutôt que d’user de la violence, Nina essayait d’user et d’abuser de la raison mais il lui était difficile d’obtenir gain de cause...

Le visage tourné vers le sol, mécontente de la situation, elle s’apprête à se mettre en route vers sa demeure. Son nez se relève une dernière fois par dessus son épaule c'est ainsi qu’elle constate qu’un peu plus loin un affront se fait. Deux silhouettes se bousculent, se battent. Les yeux vairons de la douce se plissent puis s’écarquillent, ronds comme deux billes : l’un est son voleur ! Nina en est persuadée elle le reconnaît aux frusques qu'il porte ! L’autre est un inconnu, secoué comme un prunier. Hésitante, la jeune femme s’approche. Elle palpe ses poches et s’assure d’avoir encore son petit couteau dans l’une d’entre-elles. Ce même couteau qui lui a servi tantôt à retirer les épines des cactus pourrait, dans son esprit disloqué par la peur et l'appréhension, lui servir à retirer la vie en ce beau jour maudit.

Sa mère, sa grand-mère mais aussi ses tantes et ses cousines lui ont bassiné à de nombreuses reprises que la curiosité est un vilain défaut. Mieux encore, que chacun doit balayer devant sa porte. Pourtant, elle fait fit de ces croyances et intriguée par l’affront qui se déroule en pleine journée sous le soleil éreintant, la douce s'approche. Ce qui semblait être d’interminables mètres sont, sans l’effet d’optique, en réalité que quelques pas avant qu'elle puisse rejoindre les deux énergumènes. Spectatrice, ses yeux scrutent les bras poilus, inhumains, de son voleur. L’humaine s'assure d'être hors de sa portée alors qu'elle déglutit bruyamment. Nina hèle sans même prêter attention aux cactus étalés aux alentours :
« Tu as promis ! Une promesse est une promesse ! »

Un craquement sinistre se fait entendre : est-ce les os du malfrat qui viennent de craquer ou est-ce le tronc qui menace dangereusement de céder ? Nina ferme par automatisme les yeux. Les rouvrant aussitôt, elle sent doucement la peur accaparer son esprit. Une petite voix lui souffle qu’elle n’a rien à faire ici et doucement, cette petite voix gagne en ampleur, en intensité. La petite voix vient marteler son crâne, occuper son esprit et la jeune femme recule d’un premier pas... Avancer pour mieux sauter ? Que nenni ! Son visage se secoue négativement alors qu’elle craint d’être la prochaine à être prise en grippe. La peur naît, transparaît sur son faciès aux traits si délicats, si féminins. La peur vient déformer son joli visage. La peur se lit dans sa posture, se lit dans son regard. Doucement, sa dextre longe ses propres frusques. Sa main vient planer au dessus de sa poche prête à dégainer à tout moment son arme de fortune, elle, pauvre humaine face à deux étranges créatures. Un violent frisson vient parcourir son échine. La peur se niche sournoisement au sein de son estomac. Son souffle s’alourdit. Le chaud lui monte aux joues, le froid lui descend aux mains alors qu'elle murmure :
« Je te... Je te donne ! Je te donne ces cactus, d'accord ? Ils sont à toi ! Prend-les mais ! Relâche-le s'il te plaît ! Ce sont que des cactus ! Entendu ? »

Ses jolis yeux viennent se border de larmes.
L'humaine prend peur alors que la culpabilité vient dangereusement flirter avec ses sentiments.

Mais le jeune inconnu entend-il seulement sa petite voix suppliante ?
Pris dans son élan de rage va t-il relâcher sa cible ?

L’humaine est gentille, l’humaine est fragile, tangible.

La culpabilité naît en son sein et vient oppresser son esprit bien pensant de ses questions tranchantes : et si ? Et si elle ne s'était pas égosillée tantôt ? Et si elle ne l'avait pas autant hélé ? Qu'adviendrait-il finalement de la situation ? Et si tout n'était pas de sa faute finalement ? Les questions s'enchaînent et se bousculent au sein de son petit esprit. De ses yeux bordés par les larmes elle scrute l’adolescent-singe cherchant une réponse à son grand questionnement. Pour toute réponse, le jeune rouquin laisse sa rage exploser : sa force surhumaine amène son adversaire à faire un aller simple en la direction de l’horizon. Le Menteur s’échoue quelques mètres plus loin en craquements sinistres, laissant Keel face à une Nina pantoise. Le regard de cette dernière croise celui du jeune chapardeur. Surprise de le voir au bord des larmes, elle vient essuyer d'un revers de la main ses propres yeux. Fierté mal-placée, elle souhaite lui témoigner aucun signe de faiblesse et rapidement, elle s’accroupit à ses côtés pour l’aider à ramasser son propre butin du jour. Maladroitement, l'humaine vient tapoter l’une des épaules du gamin. Le geste est spontané, sincère bien que gauche. A son niveau, Nina se veut rassurante et pesant ses mots, elle lui souffle :
« Merci pour ton honnêteté. »

Elle marque une pause : après tout ne lui a t-il pas promis de revenir vite et de l'aider à en retrouver tantôt ? Il mérite de ne pas culpabiliser davantage ! Brisant la glace, la douce ajoute : « Ce ne sont que des cactus, tu sais ? »

La colère délaissée au placard, Nina semble avoir apaisé son coeur et semble vouloir apaiser le coeur du gamin. Un sourire ressemblant davantage à une grimace vient naître sur son joli faciès. Tout est maladresse, tout est confusion alors que proche d’eux l’Inconnu se redresse et époussète doucement ses vêtements. Traversant bois desséchés et cactus, il arbore désormais plusieurs picots sur ses frusques et geint en avançant, piqué à vif par les épines qui viennent se loger contre la surface de sa peau et au travers de ses vêtements.
Le désignant d’un geste du menton, Nina esquisse un premier sourire franc et sincère murmurant à son acolyte :
« C’est bien fait pour lui ça ! Non mais ! »

Son regard cherche celui de Keel alors qu’elle se redresse. Le panier à moitié plein à ses pieds, elle hausse doucement ses épaules et questionne spontanément le thériantrope :
« Comment tu t’appelles, dis ? »

Ses mains viennent se porter sur ses hanches tandis que son regard se fait inquisiteur. Elle observe ses faits, ses gestes avant de lui poser une nouvelle question sans même véritablement attendre la réponse à la précédente question :
« Et il t’a promis quoi lui, là ? Pour voler les gens ? J’espère qu’il t’a promis quelque chose d’intéressant au moins. »

La douce marque une pause et portant une main à ses poches Nina en extirpe un petit couteau. La jeune femme ne résiste pas longtemps à la tentation de couper un cactus non loin pour l’adjoindre aux précédents. Le panier se remplit progressivement, laissant le temps de converser aux deux énergumènes émotifs.

Le panier ne tarde pas à se remplir épongeant la dette de l'adolescent à l'encontre de Nina. La jeune femme l'écoute avec attention tandis que le sourire sur son visage ne faiblit pas, ne cessant de pourfendre ses joues de deux adorables fossettes. La douce ne tarde pas à décliner son identité, omettant volontairement son nom de famille car après tout, qui en à cure au fin fond du désert des noms de famille ?!

Elle ne relève pas ses hésitations ou ses fautes lorsque il s'exprime avec une maladresse quasi-touchante. Nina se contente d'opiner du chef en relevant le lourd panier de ses deux mains. D'un geste du menton elle désigne le chemin qui se dessine devant eux et mène à la ville à quelques mètres de là où ils se trouvent. D'un pas lent, attendant de voir si le gamin s'élance à sa suite ou non, Nina se met en marche, ignorant le bandit couvert des picots de cactus.

De sa voix douce, elle adopte le ton des Mères-Veilleuses, pesant chacune de ses phrases pour ne pas rendre davantage confus l'enfant : "Je ne sais pas s'il existe une potion quelconque pour soigner tes maux mais je pense qu'une bonne boisson chaude accompagnée de bons biscuits pourront faire l'affaire."

Elle ne lui dévoile pas ses secrets de pochetronne : Keel étant un enfant, adolescent tout au plus et les vices de l'alcool ne lui incombant pas pour le moment, elle se contente de soumettre l'idée d'un petit encas, d'un petit goûter, se rapprochant peu à peu de la ville bondée de monde. Avant de retourner vaquer à ses occupations au sein de la ville, Nina marque une petite pause et extirpe de son panier deux cactus qu'elle tend en la direction de Keel, indiquant : "Ils sont comestibles." Voyant ses grands yeux scruter les cactus, elle ponctue : "Tu peux les manger si tu veux, il suffit de retirer la peau... Comme ça ! " Elle pose le panier au sol, extirpe son couteau et lui montre comment préparer les cactus. Un dernier geste de bonté envers celui qui, à la toute base rappelons-le, lui a volé son butin du jour.