Après plusieurs traques menées à bien, P-0 B3773 commençait à gagner le respect des autres Fils de la Lune. Toutefois, aucun ne voulait partir en mission avec lui. Ils se contentaient de lui demander de localiser leur cible. Au début, c'était parce qu'ils pensaient le petit droïde incapable de se battre mais, depuis sa démonstration dans la salle d'entraînement, c'était parce qu'ils le jugeaient trop incontrôlable au combat. Il fallait dire qu'il avait littéralement fait fondre le robot d'entraînement et tous les équipements de la pièce. Cela avait coûté une fortune à la faction pour tout réparer. Las que les seuls qui viennent lui parler n'aient qu'une seule idée en tête, lui demander de pirater les systèmes pour trouver leurs cibles, il avaient quitté le QG et avait pris une navette pour Dùralas I. La première planète, celle où tout avait commencé, bien avant la création des droïdes. Il se demandait à quoi pouvait ressembler un monde sans droïdes. Comment pourrait-il le savoir puisqu'il en était un? Il ne se souvenait de rien avant que Nakaï ne le répare. Bien sûr, il avait tout cela en cache dans sa mémoire. Toutefois, quand il avait regardé, il avait préféré y archiver de nouveau. Il n'avait rien. Pas d'émotions. Pas de désirs. Tout cela était révolu. Nakaï l'avait rendu vivant. Tout cela n'était peut être qu'une impression, un simili d'émotions. En tout cas, c'était ce que voudrait la logique. P-0 n'en avait pas la moindre idée. Cela échappait à toute logique. Il avait vraiment l'impression de ressentir la peine, la colère ou même parfois la joie. Si tout cela était faux, pourquoi est-ce que c'était toujours la réaction la plus logique à la situation et pourquoi il ne pouvait y contrôler? Aucun sous programme ne permettait de gérer cela. Peu importe ce qu'en pensaient les gens, il n'était pas dépourvu de sentiments. Toutefois, quelque chose le perturbait. Dès qu'il pensait à Nakaï, tout devenait flou. Elle l'avait abandonné, prétextant qu'il était trop indépendant pour qu'elle lui impose ses choix. Il comprenait qu'elle avait voulu bien faire. Enfin il lui semblait. Mais, malgré cela, ça le rendait triste... et en colère... un peu... Il n'aimait pas être en colère contre Nakaï. Il aimait beaucoup Nakaï. Pourtant, penser à elle le rendait triste. On ne rendait pas triste ceux qu'on aimait. C'était si compliqué les émotions. Pourtant, il n'avait aucune envie qu'elles ne disparaissent. Il ne voulait pas redevenir un simple robot.

La navette arriva sur Dùralas I et P-0 B3773 décida de se rendre à BaldorHeim. Il ne savait pas trop pourquoi. Il fallait bien se rendre quelque part après tout. Il avait bien une carte de la planète dans sa database mais, cela ne changeait pas grand chose. Arrivé à BaldorHeim, il trouva un enfant dessinant à la craie sur le sol. Il voulut aller le voir mais, lorsqu'il l'aborda, ce dernier s'enfuit en hurlant et en laissant tomber sa craie. P-0 la ramassa et le suivit pour la lui rendre. Toutefois, lorsqu'il rattrapa l'enfant, son père était là et il jeta des pierres sur le robot. Il s'enfuit alors, oubliant de laisser la craie et s'isola dans une ruelle. Il produisait un sifflement évoquant des sanglots et se mit à griffonner sur le sol avec la craie.

Mordoloa s'ennuyait. Elle s'ennuyait mortellement même.
La petite blague à son supérieur était visiblement parvenu aux oreilles de sa jumelle qui lui avait demandé de remplir une mission pour l'astro-khazar avant d'accepter de faire son entretien annuel. Et ce dernier lui était indispensable pour ne pas être abattu comme le dernier des renégats mécaniques.
La cyborg se retrouvait donc a patrouiller depuis les toits de la vieille Baldorheim, avec la promesse que toute farce entrainerait une prolongation de sa mission pour chaque dégâts et dérangements déclarés au poste de garde.

Des bruits de pierre interrompirent sa surveillance, pendu sous un madrier de balcon haut. Un balancement. Un second. Puis un lâché qui l'envoya épouser le mur opposé le long duquel elle se mit à progresser à l'horizontal, comme si la gravité n'avait nulle prise sur elle.
Mordoloa atteignit rapidement une enseigne de bar depuis lequel elle observa un robot triturer le sol en couinant. Un modèle mi-canin buggé? Un trait du chaos artistique dévoilà la craie, lui faisant remonté la rue principale du regard: Un enfant pleurait tandis que son père semblait le sermonner.
Encore un rustre anti-technique, Dùralas I en recensait un nombre suffisant pour faire détester l'endroit à la jeune femme.

-Tu veut lui rendre sa craie? Pourquoi ne pas demander à un garde?
Elle prononçait ses mots alors qu'elle se suspendait par les pieds à la lettre la plus basse de l'enseigne clignotante.

P-0 B3773 redressa la tête et vit une autre androïde. En tant normal, il l'aurait analysée. Pas cette fois. Il ne voulait pas se servir de ses facultés d'androïde. Les organiques les détestaient. C'était pourtant eux qui les avaient créés. P-0 se sentait trahi. On l'avait jeté dans cette décharge, tout cela parce qu'un nouveau modèle était sorti. Ainsi, son propriétaire l'avait remplacé par un P1-930N avant de se débarrasser définitivement de lui. Son nouveau robot avait d'ailleurs fini par "lui chier dessus" puisque les P1 étaient un modèle défectueux. Dans son malheur, P-0 B3773 avait eu de la chance, il fut récupéré par cette Corsaire, Nakaï. Elle l'avait réparé et même amélioré. P-0 aimait beaucoup Nakaï. C'était la première fois qu'il ressentait quelque chose comme ça. Il pensa que c'était un bug système et tenta de s'analyser. Tout fonctionnait parfaitement. Il avait une multitude de nouvelles fonctions. Des émotions. Au fil des jours, il les découvrait et il adorait cela. Toutefois, il développait ce que les organiques appelaient le libre arbitre. Nakaï choisi alors de lui le laisser et il se retrouva livrer à lui-même. Au début, il était content. Il s'imaginait voyager de planète en planète mais, très vite, il se rendit compte qu'en dehors de Nakaï et ses amis, la plupart des organiques n'aimaient pas les androïdes. Bien sûr, il aurait été assez doué pour pirater son vaisseau et la contacter mais, elle aurait vécu ça comme un échec. Il effaça donc cette solution de sa base de données. S'il devait retrouver Nakaï, il le ferait comme un organique. Il regarda alors l'androïde sans lancer la moindre analyse puis, il dit:

"Tu... Une minute... Les gardes... Ils vont juste se moquer de moi... M'accuser de l'avoir volée ou me frapper... Pourquoi les organiques nous détestent? Ce sont pourtant eux qui nous ont fabriqués."

Tandis qu'il répondait à l'androïde, P-0 B3773 dessinait au sol sans même s'en rendre compte. C'est alors qu'il baissa les yeux et reconnut le vaisseau Corsaire. Il roula vite dessus afin de l'effacer. Il ne retournerait voir Nakaï que lorsqu'il se serait fait au moins un ami. Il voulait qu'elle soit fière de lui. Il voulait lui montrer qu'elle avait eu raison de croire en lui. Il n'était pas qu'un robot, il était un robot et il avait des "émotions". Quand bien même elles avaient été créées artificiellement, il les ressentait. Dans ce cas, il pouvait très bien se faire des amis. A défaut de réussir tout de suite avec un organique, il ne lui coûtait rien de tenter le coup avec une de ses semblables.

"Dis, tu penses comme eux, qu'on est juste des machines sans émotions? Je sais qu'on n'a pas d'âme mais, là, je ressens de la tristesse. C'est plus fort que moi. C'est bien une émotion non? Si c'était juste mon programme, je serais toujours triste ou ça n'aurait rien à voir avec ce que je vis. Je connais la joie, la peur et même la colère. Je sais si j'apprécie ou non quelqu'un. Pour l'instant, il y a surtout des personnes que j'apprécie mais, je ne peux pas les rejoindre. Après, y a deux trois personnes que je n'aime pas trop. Mais, ce type tout à l'heure, il ne m'a pas énervé, il m'a fait de la peine. Je voulais juste me faire un ami."

Le petit robot se mit alors à décrire des cercles en se déplaçant. Il était perturbé. Même sa base de données n'apportait pas de véritables réponses à ses question. Il avait pourtant le sentiment de bien faire, d'être gentil.