Le port était animé car c'était le jour de marché. Nombreux étaient les débardeurs qui travaillaient avec les différents vendeurs. C'était la chasse aux bonnes affaires ! Denrées de qualité, trésors dérobés ou encore des cimeterres fraîchement aiguisés. Aventuriers comme roturiers pouvaient trouver leur bonheur. L'odeur de poisson frais se mêlait aux senteurs du sel et de l'écume particulières de la mer tandis qu'un brouhaha couvrait la place que foulait Charme. Ses talons claquaient le sol à chacun de ses pas assurés, la guidant entre les nombreux passants. Sa silhouette revêtait un corset rougeâtre qui se mourrait en des teintes blanchâtres à ses bras, et, du même éclat, une jupe écru tombait jusqu'à ses genoux, eux-mêmes couverts par des bas sophistiqués. Malgré sa tenue des plus pittoresques, une capuche et un masque brodé, autour des yeux, voilaient son visage lorsqu'il n'était pas déjà dissimulé par l'éventail qu'elle revêtait.

Charme jouait de sa prestance pour attirer les regards. Non loin du stand d'Eyara, elle échangeait avec les commerçants mais aussi les clients, dans une complicité naturelle. Lors de ses achats, il n'était pas rare de remarquer les quelques faveurs qu'on lui offrait grâcieusement. Nous ignorons ce qu'ils s'y échangeaient oralement mais force est de constater qu'elle devait maîtriser la verve pour que, sans s'en rendre compte, le fruitier glissa quelques pommes supplémentaires dans son panier, le maraîcher un lot de pomme de terres offert et, enfin, un client se proposa pour la dépaner, elle qui n'avait, déjà, plus de quoi payer. Mais dans ce jeu de séduction, l'un des pirates s'était épris d'elle, la suivant à chacune de ses directions. C'est sans agacer son harceleur qu'elle le sema habilement à travers la foule, utilisant le stand d'Eyara comme une bonne excuse pour disparaître.

La voilà qui était assise sur l'une des chaises, fixant l'hybride qui lui faisait désormais face. Armée de son panier en osier, bien garni par ses emplettes, elle semblait bien embêtée. En réalité, c'est qu'elle ne voulait pas dépenser de l'or pour une séance de divination. Elle avait horreur de ça. Du moins, lorsque les cartes parlaient d'elle. C'était Charme, en temps normal, qui était de l'autre côté de la table, à envoûter l'ouïe de ses clients par des mots bien placés. Malheureusement, elle n'avait guère envie de recroiser celui qui avait les mains trop insistantes. Celui qu'elle venait tout juste de semer. Alors, elle déplia son éventail qu'elle agita avec délicatesse pour s'offrir un brin d'air, chassant sa bouille dubitative, par la même occasion.

« Eh bien, eh bien, c'est que je me suis installée pour reposer mes jambes, et ce, sans même faire attention sur quoi j'allais tomber. » S'étonna-t-elle dans un sourire espiègle. La voix de Charme était légèrement chantée, aux intonations exagérées, mais douce à l'oreille. Que son interlocuteur soit un pirate ou une femme-renarde, elle n'oubliait jamais d'utiliser ses charmes et sa cordialité pour apaiser ceux qui lui faisaient face. « C'est que, habituellement, je ne suis pas de celles qui aiment savoir ce que les cartes du destin lui réservent, mais... » Elle marqua une courte pause, le temps d'écouter le brouhaha environnant, puis, probablement parce qu'elle entendit l'indésiré revenir sur ses pas, elle poursuivit : « J'imagine qu'il faut une première fois à tout. Dois-je, ehm, payer en amont, ou puis-je apprécier le spectacle avant de connaître la douleur de cette séparation ? » Demanda-t-elle en dégainant deux pièces dorées, la mine interrogative, désireuse de savoir s'il lui était possible de payer après la séance.