De passage au campement principal au cœur du désert, Lashgob retrouva aussitôt l'environnement si familier qu'elle avait quitté et ne lui manquait pas vraiment. La poussière omniprésente. L'odeur rance de la transpiration des peaux-verts à l'hygiène discutable, celle de la bière éventée et des latrines mal entretenues. Le fumet du bétail aussi, songea-t-elle en passant devant un troupeau de moutons parqués en attente d'enchères, le bouc du cheptel invisible dans la masse mais impossible à rater de par son odeur. Les bêlements et cris des animaux emplissaient l'air, ce qui ajouté aux marchandages mouvementés et les piaillements de gobelins rendaient le lieu assourdissant à tout heure de la journée. Les regards détournés aussi ne lui manquaient pas, mi-las mi-hostiles, alors même qu'elle avait la peau bien verdâtre - bien qu'un peu pâlotte - et exposée. Les non-verts devaient définitivement passer un mauvais moment en faisant escale ici.

Définitivement, plus vite elle aurait déposé son document adressé à la famille de l'horloger Ishtarien plus vite elle pourrait décamper et retrouver le camp de mineur périphérique, plus humble et infiniment plus calme, bien que plus poussiéreux encore. Et puis elle y était bien vue, ce qui changeait pas mal du camp principal. Et ce alors même qu'elle connaissait personnellement l'héritier du clan dominant.

- Tiens, ça c'est nouveau.

Par-dessus les devantures à la sauvette des allées, étals et estrades bancales, elle apercevait le chapiteau-hangar de l’hôtel des ventes, le bâtiment le plus important du camp où s'effectuait généralement les enchères des meilleurs produits. Néanmoins, accolé à celui-ci, avait été érigé un nouveau bâtiment. Le mortier était particulièrement récent et les toiles criantes, protégeant de la lumières tout en laissant passer l'air, étaient flambant neuves. Mais qui avait ainsi pu s'offrir pareille boutique et qu'y était-il vendu ? Assurément, le tenancier avait les faveurs de plusieurs clans...

- Des armes et armures, maugréa l'orque une fois debout dans l'entrée.

Deux gardes en poste à l'entrée la dévisagèrent des bottes au casque intégral, maugréant et l’œil mauvais - signe de la richesse du tenancier puisque seul l’hôtel des vente avait jusque là sa propre garde permanente. Mais elle les ignora et étudia les marchandises d'un regard critique. Elle était d’étonnamment bonne qualité. Rare serait les clients réguliers à pouvoir s'offrir pareil matériel par ici. Logique donc qu'une échoppe permanente ai été érigée plutôt que perdre du temps à brailler aux enchères juste à côté. Néanmoins, qui était derrière cette boutique ? Les Gronarahs ? Ou bien un autre clan ? Voire une coalition ?

Quoi qu'il en soit... elle préférait de loin son propre équipement assisté et bardé de fonction 'lectriques. Même si elle pouvait bien s'inspirer d'un design ou deux...

- Mais pourquoi qu't'as été te frotter aux vert-pâles ? l'interrogea l'orc estomaqué en faisant référence à la faction de l'Ouest. Y' chapottent leur bétail avec plus d'attention que leurs propres progénitures ! Évidemment qu'ils allaient tenter de t'intercepter ! D'autant plus que tu as foutu le feu à leur précieuse forêt !

Pas vraiment choquée, Lashgob se contenta de siroter sa bière éventée. Elle était mauvaise, mais c'était soit ça soit de l'eau dans ce repaire de chasseurs de primes. Plusieurs autres mercenaires lorgnaient d'ailleurs des oreilles peu discrète dans leur direction, pas tous des culs-verts. Tous avaient entendu parler de sa récente altercation à Sylfaën. Quant à ceux qui n'en savaient rien, ils n'avaient pas tardé à être informé vu comment beuglait son interlocuteur.

- Déjà, j'ai pas mit le feu à la forêt. Quelques touffes d'herbes et un arbustres ou deux sont même pas digne du titre de barbecue... ensuite, même si la prime a baissé, un Cerf Royal reste très lucratif au marché noir.
- Beh... beh t'as pas besoin d'argent toi ! Tout l'monde le sait !

Et pour cause. Son armure assistée valait plus que la majeure partie du matériel des autres mercenaire réunis...

- Ce n'était pas une question d'argent, rétorqua-t-elle. Du moins, pas que.
- Ben quoi d'autre alors si c'était pas l'argent ?

Reprenant tranquillement une gorgée, consciente que toute la taverne clandestine ou presque écoutait, elle fit durer le suspens avant de répondre.

- C'était pour envoyer un message. Rappeler à notre profession que ce n'est pas en dépouillant des démunis ou brutalisant des enfants que l'on se taille une réputation ou que l'on fait fortune. Que si l'on veut se démarquer, il ne faut pas avoir froid aux yeux et viser le haut du panier. Pour prouver que rien n'est impossible. Pour rappeler aux soit-disant durs à cuirs, grandes gueules et mal intentionnés que ce n'est pas en volant la sucette d'un môme que l'on devient quelqu'un de redouté.

Reposant sa choppe vide après sa tirade, elle laissa là son auditoire et tourna les talons pour quitter tranquillement les lieux.