-Dégage de la l'étranger, ici c'est réservé aux chasseurs.
-Mais je suis un chasseur !
-Ah ouais ? Alors ou est ta marque hein ? Allez, dégage de la ou on te sors a coups de bottes !

Corbeau hésita quelques instants à laisser libre cours à la violence. Même si les deux nordiens baraqués et couverts de peaux de bêtes qui venaient de l’empêcher d'entrer dans le logis des chasseurs étaient tout aussi musclés et décidés que lui et pas vraiment impressionnés par le nouveau venu, il n'avait aucun doute sur l'issue que prendrait le combat s'il décidait subitement de leur rentrer brutalement dans le lard. Il allait les étendre pour le compte, mais ensuite ? Ensuite à tous les coups une armée de leurs collègues allaient lui tomber dessus, et il y aurait probablement aussi une milice locale qui préférerait sans aucun doute soutenir n'importe quel citadin contre l'étranger qui les aurait lâchement agressés à deux contre un, et il finirait battu et jetés dehors, ou pire, battu et jetés dans une geôle obscure...

-C'est bon je me casse !

Lançant un dernier regard haineux aux deux hommes, Corbeau tourne les talons, fendant la foule qui vient de s’agglutiner autour de l'altercation dans l'espoir d'assister à une bonne bagarre, et grinçant des dents de rage il s'engouffre en pestant dans la ruelle la plus proche en pestant tout bas.

-Une marque de chasse, qu'est ce que c'est encore que cette invention...
-Tu ne sais pas ce que c'est ? Pourtant si ton père était un chasseur, il en avait une...

Dans la ruelle ou Corbeau vient de s'engager, un vieil homme qui a tout du vagabond miteux en manque de piéces ou de l'ivrogne sortant douloureusement d'une longue semaine de cuite, est en train de regarder le jeune étranger avec attention...

Corbeau s’arrête pour toiser le vieillard, assis au sol et enseveli dans des fourrures d'animaux divers et de linges à la propreté douteuse. Il remarque la poignée de chats qui semblent trainer autour, les grelots et les tambourins qui indiquent que pendant un temps au moins, le vieil homme à fait profession de conteur...

Et haussant les épaules il va s'accroupir dans la poussiére en face de l'homme qui l'a interpelé.

-En tout cas il ne m'en a jamais parlé. C'est quoi une marque de chasse ?
-Elles prennent bien des formes, mais le plus souvent il s'agit d'une amulette, d'un petit objet que l'on peut porter en pendentif, et qui représente un animal. Chaque contrée ou se trouvent des chasseurs à la sienne. Elles permettent à ceux qui vivent de la nature et de la chasse de se faire connaitre de leur semblable, et éventuellement d'obtenir de leur part de l'aide, ou des informations.
-Et aussi de pouvoir rentrer dans ce logis de la chasse ?
-Oui, ça aussi... Alors, ça ne te dit rien ?
-J'ai bien quelque chose, mais ce n'est probablement pas ça, regarde, un animal comme ça, ça n'existe pas non ?

Posant son sac au sol entre lui et l'ancien, Corbeau y fouille quelques instant à deux mains avant d'en extraire un objet qu'il tend à son vis à vis.

-Alors ? C'est une marque de chasse ?
-Oh... Oui, oui c'en est une à n'en pas douter. D'ou as tu dit que venais ton père ?
-D'ou il venait ? De nulle part, c'était un homme du Nord. Je suppose qu'il a toujours vécu la ou on habitait, dans les montagnes de Kanaan...
-Jeune homme, si cette marque dis bien une chose sur ton père, c'est bien qu'il n'était pas du tout originaire du Nord...
-Pourquoi ? Ce genre de monstre existe vraiment ?
-As tu déjà entendu parler de la mystérieuse ile de Wystéria ?

-Wystéria ? Non ça ne me dit rien. Si c'est une ile, ça doit être au Sud ?
-Exactement.

Dans la crasse et la poussiére de suie au sol, le vieux conteur esquisse les grandes lignes du continent d'un ongle crasseux, avant de cheminer droit vers le Sud.

-Plus loin que le désert d'Harena, au delà des sombres cavernes de Spelunga ou rodent loup garous et vampires, au delà de la grande plage rouge, perdue loin au Sud en plein cœur des terrifiantes mers maudites que protégent les pirates, c'est la que se trouve l'ile de Wystéria.
-Et la bas, il y a des monstres qui ressemblent à cet horrible monstre ?
-Il parait...
-Ça ne donne pas vraiment envie. Je pensais que c'était juste une sorte de dragon mal dessiné, pas une bête vivant...
-Certains pensent qu'ils sont apparentés aux dragons. Ils en ont les dents, les écailles, les griffes, ne leur manquent que les ailes...
-Et puis les dragons ont disparus non ?
-Qui sait ce que font les dragons ? Pas moi en tout cas.
-Et si c'est une marque de chasse, si mon père l'avait, ça veut dire qu'il est venu de tout la bas ? Qu'il était chasseur la bas avant de traverser tout le continent pour s'établir au Nord.
-Ou qu'il l'a volé, ou trouvé.
-Impossible !
-Alors il venait de la bas. Montre la au logis du chasseur et tu pourras entrer. Et peut être que dedans tu trouveras des traces de son passage sur les livres du lieu...
-J'y retourne ! Merci de ton aide conteur.

Et reprenant la marque de chasse et son étrange dessin de monstre reptilien et dentu, Corbeau repart vers le logis et ses gardes patibulaires.

Retour au logis de la chasse, de nouveau soumis au regard mi hargneux mi goguenard des deux durs de garde, Corbeau n'attend pas une nouvelle réprimande et invitation à aller se faire reluire plus au Nord, et brandit l'écusson de métal et son étrange créature reptilienne.

-J'ai un badge de chasse. Vous devez me laisser rentrer.
-Hum, montre nous ça.

Corbeau n'ayant aucun intention de lâcher son médaillon, le premier des deux hommes doit se contenter de l'examiner dans la main du jeune homme, le tournant dans tous les sens d'un air songeur, avant de s'adresser à son comparse.

-Qu'est ce t'en pense Olaf ? C'est bien une marque de chasse, mais j'ai jamais vu ce genre de gueule de monstre par ici.
-Bah, si c'est une marque, c'est une marque, il peut passer.
-Vrai. C'est ta marque gamin ?
-C'est celle de mon père.
-Si ton père chasse ce genre de bestiole quelque part il doit être sacrément burné.
-Il est mort.
-Ah... Désolé pour ça...

Devant la porte du logis, l'ambiance se fait soudain plus cordiale maintenant que les deux hommes estiment que Corbeau fait partie de la famille élargie de ceux qui vivent de la chasse. Un contraste amusant avec la porte dans la gueule du quart d'heure d'avant.

-C'est une bête comme ça qui l'a tué ? D'ou elles viennent ?
-Non, un ours, dans les montagnes noires.
-Ah, sale bêtes que ces ours. Qu'est ce que tu viens faire ici ?
-Chercher d'ou il venait, ou il a eu sa marque.
-Hum... A l'intérieur, demande le vieux Niggog. Il sait tout ce qui passe dans le coin.

Et s'écartant de la porte, les deux hommes laissent pénétrer Corbeau dans le logis du chasseur.

La grande salle du logis de chasseur était meublée et décorée à la mode du Nord. De lourds meubles de bois, de vastes tables entourées de solides bancs, un sol de dalles de pierre, et des murs couvert de trophées de chasses divers et d'armes de prix, têtes de créatures empaillées, peaux de bêtes, tentures tissées couvertes de scènes d'affrontement héroiques et dantesques. Dans le vaste hall, des paravents de bois et de peaux permettaient au besoin de ménager des espaces de discussion plus intimes, et au bout, a coté de portes fermées qui devaient probablement mener à des chambres ou à des archives, un vaste comptoir tenait taverne, et vu l'odeur, permettait certainement aux chasseurs de passage de se restaurer à toute heure.

Pour le moment, l'endroit ne semblait pas très fréquenté, excepté cette table ou une poignée de locaux écoutaient en s'amusant les récits d'un vieux conteur. Il n'y avait pas à hésiter, c'est la qu'il fallait commencer.

Se dirigeant d'abord vers le comptoir, Corbeau fit inscrire son nom sur la liste, avança quelques pièces, et obtint une chope de bière avant d'entreprendre de rallier le groupe. Attrapant une chaise pour la rajouter dans le cercle avant de demander.

-Salut. Je m'appelle Corbeau. Je peux boire avec vous ?

D'un signe de tête, Corbeau remercie le minotaure qui vient de lui dégager la place, et s'attable avec les autres avec sa chope. Visiblement le grand cornu est le chef ici, ou en tout cas un type suffisamment respecté pour que sa parole ait force de loi et que les autres se calquent dessus. Une supposition que confirme la suite, quand c'est l'hybride qui prend la parole pour savoir qui vient de s'inviter à leur table.

-Non, je viens d'arriver en ville. Je viens de l'Est. Des sombres montagnes de Kanaan. je vivais la bas avec mon père, et c'est la première fois que j'en sors.  

Et on sent bien dans le ton du perdreau de l'année qu'il est encore sur le cul de la découverte de la ville, sa taille, ses murailles, sa population. Il faut dire que ça change sacrément du village Djollfulin à tous les niveaux, depuis le bordel ambiant jusqu'à l'odeur.

-Je suis venu au logis de chasse parce que mon père était chasseur, et que je cherche d'ou il venait avant d'aller dans les montagnes. Je me suis dit qu'il était peut être passé par ici à l'époque, il y a une vingtaine d'années, et que peut être je pourrais trouver des gens qui s'en rappellerait.

Rendu prudent et poli par les circonstances, l'accueil, et l'air plutôt impressionnant, massif et coriace des protagonistes autour de la table, Corbeau accorde un signe de tête respectueux à chacun des chasseurs attablés.

-C'est un peu compliqué. Il est mort quand j'étais tout petit. Moi je l’appelais juste papa et il m'a jamais dit son vrai nom. Mais le vieux Djollfulin avec qui il commerçait l’appelait Uther.

Regards mi consternés mi songeur autour de la table, il est clair dans tous les esprits que cette histoire sent le plan foireux, mais les chasseurs savent se tenir, en tout cas pour l'instant, et personne ne rigole ou ne se moque pendant que Corbeau continue à essayer d'expliquer le fond de son probléme.

-Physiquement je lui ressemble pas mal, mais il était plus grand, plus costaud, cheveux gris et noir, une barbe, un tatouage sur le visage du coté gauche, un dessin compliqué avec des traits noirs, qui faisait comme une sorte de spirale autour de l'oeil, vieux et effacé, et il avait une cicatrice qui lui balafrait le visage de l'autre coté, presque verticale, du haut du front jusqu'au menton.

C'est surtout sur le tatouage que Corbeau mise, il en a vu sur les gens du coin évidemment, mais pas comme celui de son père, alors peut être...

-Et puis il devait être avec une femme aussi, une femme enceinte. Mais elle je ne peux pas la décrire, je l'ai pas connue.

Et ça, ça pour le coup ça devrait être peu courant non ?

-C'est grand mais c'est vachement plus petit que le monde entier non ?

C'est sur que pour l'assistance les infos doivent paraitre maigres, mais pour Corbeau qui juste avant n'en avait aucune, et qui n'a de toute façon qu'une très vague idée de la taille réelle de l'immensité continentale que regroupe le terme au Sud, c'est déjà une avancée énorme, et pour le jeune homme, parfaitement inespérée.

-Maintenant grâce à vous je sais qu'il est passé par ici, je sais quand. Je n'ai plus qu'a suivre la route et remonter sa trace jusqu'a ce que je retrouve d'ou il est parti.. Et peut être qu'a ce moment la je saurais pourquoi il est parti avec sa femme enceinte pour essayer de vivre en solitaire dans un endroit aussi dangereux que les sombres montagnes de Kanaan.

Un programme simple pour un type qui n'a vu qu'une seule carte du monde, ou une unique route quitte Kastalinn pour rejoindre Stelarraé à travers le désert. Retrouver une piste vieille de vingt ans ? Peuh, rien de plus facile non ?

-Est ce que je peux vous offrir à boire ce soir pour vous remercier ? Sinon je sais aussi réparer les armures...

-C'est ça. J'ai appris ça dans le village des Djollfullin. Ça vous parle ? Des grands types à la peau rouge, avec des cornes. Quand mon père est mort je devais avoir, je sais pas, peut être douze ans... J'ai essayé de survivre un peu tout seul mais ça s'est pas super bien passé, du coup je me suis trainé jusqu'au seul bled que je connaissais dans le coin, et je suis devenu l'apprenti d'un vieux forgeron... Bref, cotte de maille, brigandine, armure de plaques, casques, acier, mithril, orichalque, je fais tout ça, et je suis plutôt bon. Enfin, je crois...

Vous avez des réparations à faire sur votre équipement ? J'ai de quoi bricoler un peu si vous voulez, un genre de forge de campagne.

Du regard, Corbeau fait le tour des équipements déposés à l'entrée, passant les armes pour se concentrer sur les casques et les armures que les chasseurs ont laissés pour s'alléger un peu. Sans surprises, surtout du matos léger, normal vu le métier et la région, mieux pour bouger, pour rester discret, pour ne pas congeler comme un con dans une boite métallique. Et aussi bien plus facile à réparer. Il s'attarde particuliérement sur la seule armure qui, vu sa taille, puisse être celle du minotaure.

-Cela dit. La votre a l'air d’être du bel ouvrage...