J'ai toujours été très classique, et le demeure encore aujourd'hui. Mon sang d'elfe m'a permis de survivre à ma longue existence sans que mes traits aquilins, plutôt carrés pour un représentant de mon espèce, ne s'affaissent de vieillesse. J'ai rasé mes cheveux par soucis d'efficacité, car on ne compte plus les prétendus héros perdus par une chevelure trop longue qu'un démon agrippe, et n'oublions pas que la perte capillaire est un résultat des sortilèges les plus puissants, je n'ai jamais aimé le fait d'avoir des poils sur le haut de la tête de toute façon.
Pour ce qui est de ma taille, je mesure un mètre-quatre-vingt-dix, pile poile, pas un de plus pas un de moins, et suis constamment vêtu d'une longue robe de magicien et d'une capuche, ce qui m'évitera de vous décrire la couleur de mes yeux, ou que vous ne trahissiez vos alliés et vendiez mes traits à la congrégation d'assassins.

J'essaye de trouver autre chose à dire sur mon physique... mais vraiment, quelle plaie que de m'imposer pareil exercice. Tungstène, c'est bien car je vous tiens en haute estime que je me livre à ces trivialités...

Puisque mon caractère semble exister à la convergence de plusieurs réalités selon l'individu qui me décrit, je vais vous livrer plusieurs affirmations et vous en déduirez ce qu'il vous conviendra de déduire. Vous aurez peut-être compris à travers mes lignes que je n'aime pas tergiverser, lambiner, ou tourner autour du pot avec des détails sans importance, et c'est à peu près la seule chose dont je sois sur a propos de moi. Ça, et le fait que je sois sans doute le plus grand bourreau de travail qui existe. Mais donc, comme promis voici trois descriptions prises de différents contextes de ma vie :

1) Ma première femme, Viridia, dont la température corporelle toujours élevée pourrait faire l'objet de blagues déplacées si je n'étais pas un Sire bien élevé, disait de moi que j'étais plus têtu qu'un sanglier, rusé comme un renard et aigre comme la bière de Nain. Nous nous disputions souvent, et par "nous" je veux dire qu'elle criait toute seule lorsque je préférais lire une énième fois les encyclopédies Tungstèniennes à écouter les descriptions sans fin des achats qu'elle faisait au Marché d'Endorial. Si j'entends encore une fois "macramé" de ma vie j'invoque le Panthéon Noir sur celui qui prononcera ce mot maudit.

2) Mon professeur, Tungstène, disait de moi à l'époque où j'étudiais sous sa tutelle (je n'ai nullement changé donc je ne vois pas pourquoi il dirait autre chose à présent) qu'on m'entendait moins que le murmure du Srathen par une belle journée d'été. C'est vrai, je n'aime pas jacasser ou exposer la bonne réponse avec un sourire satisfait, pour moi le savoir s'étudie, s'applique, et se transmet, dans cet ordre là. Il aimait aussi à blaguer sur le fait que j'ai du mal à saisir l'humour, ou à écouter les autres, car je préfère bien souvent les voix des Esprits à celles des hommes, elles sont en général plus sages.

3) Mon premier fils et le seul, Ele'nar Van'toline, (j'ai arrêté de faire des gosses à partir du moment où cette harpie de Viridia m'a appris l'existence de la pension alimentaire)  dit de moi que je suis un des meilleurs pères qui existe. Je ne sais pas quelle est la fréquence à laquelle les progénitures disent cela de leur géniteurs, mais j'ai toujours mis un point d'honneur à ne rien cacher du monde à Nanar, et à aucun autre apprenti que j'ai eu par la suite. Je l'emmenais souvent en expédition avec moi dans l'Immatériel, et je crois que c'est ce qui lui plaisait le plus ; mais, et je lui répétais souvent, je ne le faisais pas pour lui plaire, mais car toute jeune âme doit être éduquée à la beauté et aux dangers des forces qui régissent Dùralas.

Voilà. Pensez ce que vous voulez, mais ne soyez pas en retard, ou pire absent, à mes heures, cela entraînera un zéro immédiat lors du prochain contrôle.

Faut-il vraiment que je partage avec vous une seule seconde de mon passé ? Est-ce là quelque chose de nécessaire ? J'imagine que si Tungstène le pense, alors cela doit être vrai. Je pourrais vous narrer comment j'ai défait un Beholder pour mon examen de licence, ou de comment j'ai apprivoisé Flammèche, mon Demi-Balrog qui est, croyez-le ou non, moins diabolique que mes ex-femmes. Mais il n'y aura rien de tout cela pour ce cours de présentation.

Laissez-moi plutôt vous narrer comment je suis devenu le premier Conjurateur de ces terres, au service de l'équilibre parfait que Magnésie a insufflé à toute création. Ce n'est pas tant une épopée épique, mais plutôt un conte cruel sur l'importance de savoir les dangers qui œuvrent sans relâche, une mise en garde à vous qui désirez apprendre les Sciences Occultes et Obscures ; sachez que la balance des forces magiques est aussi ténu que la brume du Kalevala, aussi traître que les poignards dansants d'un assassin, aussi somptueuse que les charmes des Abyssales, et que tout cela valse éternellement, dans un même temps, face à celui qui explore les contrées de l'Immatériel.

Je ne suis pas le premier à avoir foulé l'au-delà, mais je dois avouer faire partie de la génération qui a partagé les dortoirs avec les pionniers de l'art de rêver au monde des morts. L'époque aidant, et car les étudiants, soient-ils exubérants ou non, sont toujours portés par la folie de voir croître leurs talents, j'ai demandé aux plus vieux de m'apprendre l'art de la Marche et ais étudié durant des semaines les subtilités de cette art qui en était à ses balbutiement. Bientôt je suivais les arcanistes dans leurs méditations mais, bien qu'élève studieux et doué, ne parvenais jamais à demeurer bien longtemps aux côtés de ceux qui excellaient en la pratique ; mes aventures oniriques se résumaient à des visions de champs de bataille, discussions avec des murmures d'êtres disparus, et autres minces exploits.
Excellent, m'assurait Tungstène, mais à qui convoite l'excellence un pareil compliment sonne toujours creux, faux, et par un soir de pleine Lune -l'astre qui influe le plus sur la barrière entre ce Monde et l'Autre, notez-le- je décidais de braver tous les interdits.

Je traçais moi-même mon cercle d'enchantement, transfigurait les glyphes recommandées afin qu'elles ne décuplent mon pouvoir, et usait de telle manière de magie que je me vis contraint de dissimuler aux yeux même de l'Académie mon rituel à l'aide d'un sortilège illusoire. J'étais studieux, je vous le rappelle, et tous ce que j'entreprenais était fait sans faute et intelligemment. Cependant, alors que je m'élançais plus loin et plus fort dans le monde occulte, je comprenais bien vite avoir commis la première bêtise de ma scolarité.
Le Monde de l'Immatériel était si vaste et si compliqué que je m'y perdis très vite, sans camarades sur qui compter pour remonter à la surface, j'errais bien vite déboussolé après l'euphorie des premières heures passées. J'avais réussi à contacter des êtres bien plus savants et complexes que les maigres fantômes jusqu'ici rencontrés, mais m'étais égaré dans les coins et embouchures de la terre des morts, à un tel point que l'espoir m'abandonnais au bout du quatrième jour d'errance.

J'étais toujours capable de repousser les voix tentatrices des Limbes qui m'intimaient de les rejoindre là où tout est noir et chaleureux, une éternité de silence et d'apprentissage, mais je me surprenais parfois à contempler l'immensité de ténèbres qui nageait sous mes pieds. Le monde obscure semblait si proche, bien plus rempli de réponses que cette immensité blanche et brumeuse dans laquelle j'essayais de trouver une sortie...
J'ai tenu bon, le regard de plus en plus tenté par les ombres dont les voix se faisaient toujours plus proches jusqu'à rencontrer l'écho de l'âme d'une dryade qui prit pitié de mon cas. Elle eut pitié, mais me certifia que son aide ne serait pas gratuite, j'avais pêché de prudence, et lorsqu'elle emmena mon esprit flasque et affaibli dans un oasis où je découvrais l'esprit d'un renard qui se dit être un messager de la Dame Magnésie, je me confondais d'excuses à son égard. Je désirais retrouver le monde des vivants, j'avais compris ma leçon, et était prêt à faire n'importe quoi pour y parvenir.

- Curieux, comme les mortels sont si enclins à l'égoïsme, même ceux dont la tête est bien remplie... me dit-il, alors que son museau reniflait mon essence. Je peux te ramener là d'où tu viens, mais pareille transgression aux fils du destin avec lesquelles tu t'es toi-même pendu nécessite une offrande équivalente.

Les manières des Esprits, soient-ils jugés bons ou mauvais selon nos nomenclatures académiques, sont toujours étranges, à la manière de leur discours, car ils n'existent plus selon les mêmes paradigmes que nous. Prenez garde à ce que vous demandez aux Esprits, car bénédictions et malédictions sont pour eux aussi dénuées de sens que similaires à bien des égards, et, comme le renard se mettait à luire, que son pelage se muait en ramage iridescent, j'apercevais devant moi un grimoire représentant un homme enserré dans le corps serpentin d'un renard.

- Magnésie a tranché, ton cas sera un exemple et le transmettre tu devras, Alacard Van'toline. Prends-ceci, et nous te prenons, toi, tu ne seras non pas nos yeux et nos oreilles, mais nos crocs et nos griffes. Un sauvetage contre une chasse ; la Chasse éternelle de la Dame Magnésie.

Alors que mes doigts tremblants, et mon esprit vacillant, effleuraient la couverture en relief du tome mystique délivré par le Renard, je me sentais être emporté par le courant du flux d'éther qui régit toute vie ; mon esprit revenait à mon corps. J'aurais dû me trouver éreinté de mon voyage infortuné, éprouvé par mon errance de quatre jours dans un endroit qui n'est pas fait pour des séjours aussi longs, mais il n'en était rien ; j'étais fiévreux, ardent, et mes yeux voyaient dans ma chambre se tisser des fils d'araignée imperceptibles jusqu'ici. La plupart d'entre eux brillaient à la Lune, mais d'autres, abîmés, rayonnaient d'affreuses couleurs sombres.
J'en saisissais un, instinctivement, et le suivais à travers l'Académie. Je traversais les couloirs, longeais les murs, dissimulé dans un sortilège d'invisibilité, jusqu'à arriver dans les jardins où je découvrais un enchantement illusoire qui protégeais un sabbat d'élèves tentant de conjurer un démon.

Alors que je me tenais là, invisible à admirer mes paires se livrer à un acte que je savais n'être qu'un écart de conduite, la forme du renard s'allongeait autour de moi et sa voix s'élevait :

- Ce sera un acte de miséricorde, que de chasser ceux qui se perdent, comme toi. Une vie sauvée, pour d'autres élaguées, ainsi croît l'arbre de Magnésie. L'équilibre en toute chose. Toi, et Moi, nous serons ses crocs et ses griffes. Maintenant, vas, et chasse, Alacard !

Inutile de vous raconter la suite, ni toutes les autres chasses auxquelles je dois me livrer encore aujourd'hui, j'espère que vous aurez compris le message, et je ne parle pas seulement de devoir faire attention aux rituels que vous entreprenez ; restez dans le droit chemin, je n'aimerais pas avoir à suivre le fil qui me mènera jusqu'à vous.

- Oui, allez dans la grâce de Magnésie, élèves d'Alacard, et vous n'aurez pas affaire à moi.

Mais enfin ?! Je vous l'ai dit et répété, je vais enseigner aux élèves de Sylfaën les Sciences Occultes et Obscures !