Le Gardien-en-Chef, anciennement rôdeur, sauta par-dessus le dernier cadavre de perrack pour accueillir les deux restants et leur présenta sa propre lame. De toute manière, si son épée ne parvenait pas à découper les deux bestioles, Dougal pourrait compter sur l'Excalibur de Deraborne ou sur les é'clames de Baldwin ou tout simplement sur le tranchant rougeoyant de la hache d'Uskøl.

Les deux gobelins revenants grognèrent d'un râle inintelligible qu'eux-mêmes ne devaient sûrement pas comprendre, mais quelle importance puisqu'ils allaient répandre leur sang visqueux sur le sol dans quelques instants ; si ce n'était pas du fait de Dougal, ce serait de l'un de ses trois compagnons, sans compter le valeureux hippogriffe du stryge blanc.

Le chef de la bande des perracks vint enfin à la rencontre des assaillants pour s'occuper lui-même de ce désagrément. L'ultime carré du campement était face aux quatre dragonniers et il était plus que temps de s'occuper de ces raclures. Dougal ne put s'empêcher de dissimuler un grand sourire carnassier ; l'humain avait grande hâte de découper les corps animés des gobelins décédés et contrôlés par la fourberie du Comte Motch'Hollow. Qui plus est, il était là une revanche vieille de quatre bonnes années, si ce n'était plus même, à l'époque où il avait rencontré le grand guerrier Dilon Deraborne.

Les deux stellarois pourraient même aller rejoindre Beldorn dans la forêt de Cashlippe après cette escarmouche contre les forces armées du seigneur vampirique banni. Le changeur apprécierait de faire connaissance avec le stryge blanc et ses deux compagnons animaliers. Ce grand gaillard leur offrirai une nuit mémorable avec sa liqueur à vous faire tomber par terre, et Dougal parlait d'expérience.

Un coup de bec passa à quelques doigts du visage de l'ancien rôdeur qui évita sans trop de problème l'assaut qui aurait pu lui coûter un œil. Il n'était pas dans les plans de gardien-en-chef d'imiter le style du khazarien Grabuge ou de ressembler à un cyclope, l'une de ces abominations, cousine des trolls. Par ailleurs, il était impensable que les perracks n'emportent quoi que ce soit contre lui. Les dragonniers devaient les éradiquer et les bouter hors des terres sacrées de la Jarl de Kastalinn. On leur reprocherait peut-être de ne pas s'être occupés personnellement de l'important campement dans le désert, à proximité de Stellaraë et de ses alliés, mais Dougal s'en fichait comme d'une gigue.

Pour donner du sens à ses mots et ses aspirations, l'ancien rôdeur frappa d'un coup sec les pattes de la monture décédée avec sa longue lame et fit s'envoler le cavalier qui s'écroula plusieurs pieds plus loin, tout penaud. L'autruche réanimée se massait les moignons sans ressentir la douleur. Ainsi défaite de ses assises, elle ne pourrait plus être utile pour l'armée de Motch'Hollow.

La lame de Dougal brilla aussi haut qu'il lui était possible de lever son arme et l'abattit contre sa proie tout en gardant un œil attentif à l'autre chevaucheur qui le chargeait, imaginant pouvant le prendre par surprise. C'était mal connaître le stellarois, gardien-en-chef de son état.

Quelque peu nostalgique, Dilon se remémora cette aventure en enchaînant les victimes perraques comme s'il coupait du beurre pour ses tartines grillées du matin. Dougal l'observa faire, un poil jaloux, mais surtout admiratif, et chercha une victime pour sa propre lame. Baldwin profita de cet élan de faiblesse de ses deux alliés de la Garde pour se réserver la tête de l'armée ennemie et la faire rouler sur le sol, laissant le soin à sa fidèle monture de l'envoyer dans un trou de lapin d'Aràn d'un coup de queue bien placé. C'était ainsi que les légendes naissaient et personne ne pourrait remettre en question le récit du rôdeur lorsqu'il leur compterait cette drôle et ludique situation.

Dougal ne devait pas en rester là, à se tourner les pouces tandis que l'un à l'épée flamboyante découpe des parts de "ouiche", qu'un autre avec ses lames éclatantes démantèle la tête des opérations locales et que le troisième avec ses cheveux rougeoyants n'amène encore plus de rouge dans cette désolation funeste. Les perracks du nord avaient subi un coup percutant dont ils ne pourraient se relever avant un certain temps. Peut-être bien trois ans, si on prenait en considération la date de la dernière attaque de certains humains sur un certain campement de certains perracks...

Les deux derniers chevaucheurs accompagnèrent le warg personnel de leur chef dans une ultime tentative de ne pas trop déshonorer leur maître, qui se moquait bien de leur sort et ne semblait avoir fomenté ce coup d'éclat simplement par pur divertissement. Ceci, néanmoins, les perracks n'auraient pu le savoir et les dùralassiens n'auraient pu que le spéculer, jusqu'à la prochaine action du Comte de Motch'Hollow, toujours reclus dans son sombre chateau, que le Père Tungstène aurait qualifié d'« ultime demeure ».

Le Gardien-en-Chef leur fit face, bien décidé à leur faire subir le même sort qu'aux deux précédents dont il avait précipité la chute avec l'aide nonchalante du nordien Uskøl. Tout généreux qu'il était, Dougal accepta de laisser au dragonnier natif du Grand Nord l'animal de compagnie du général décédé. Ça pourrait lui faire plaisir de mettre un terme aux agissements d'une bête sauvage.