Kerol Nosinryb était ce qu'on pouvait appelé vulgairement une bonne poire. Voilà bien longtemps que cet Abyssal de la Tempête a arrêté de compter ses années. L'alcool et la honte étaient ses seules mesures. Pourquoi vivre autrement sans familles, sans honneur et sans personne sur qui compter. Le seul contacte humain qui lui restait était avec son créancier, qui le forçait à travailler pour de quoi se nourrir et de quoi boire. C'est ainsi que Kerol partait à la pêche chaque jour et finissais saoul comme une barrique chaque soir.

Un jour qu'il allait réclamer sa portion de barbaque et de gnôle à son créancier, ce dernier n'était pas seul. Il était accompagné d'une humaine rousse, du genre qui semblait avoir les moyens. L'Abyssal qui n'était pas des plus éduqués comprenait pas grand chose à la situation, le créancier lui parla donc en des termes qu'il pouvait comprendre :

- Kerol, la dame qu'tu vois là a racheté ta dette...

La dame en question regardait l'Abyssal d'un oeil avide, comme si il s'agissait d'un morceau de choix.

- C'est elle le patron maintenant, tu seras gentil d'lui obéir!

Kerol secoua la tête en signe d'approbation. Pour lui, ça ne changeait pas grand chose. L'espoir était depuis longtemps parti de cette être et un patron valait assurément un autre tant qu'il avait de quoi becter et de quoi boire.

- Sur ce, j'ai d'autres chats à fouetter moi! Madame, si vous voulez bien m'excuser...

La femme remercia poliment son ancien patron et fit signe à Kerol de la suivre. Le fidèle employer s'exécuta et lorsqu'ils arrivèrent à l'extérieur, sur le port elle lui parla en ces termes :

- Ecoute Kerol, j'sais bien qu'ça va pas être évidant pour toi mais maintenant tu fais partie d'une famille... Ma famille pour être exacte. Et dans une famille on se sert les coudes. Alors si t'as besoin de quelque chose tu m'le dis et si moi j'ai besoin de quelque chose j'te l'dirais. C'est l'contrat, tiens le pendant une année et tu seras libre de rester ou de partir.

L'Abyssal ne voulut pas contredire sa nouvelle patronne alors il se contentait d'acquiescer sans trop se rendre compte ce dans quoi il s'engageait. Pour lui, ça l'arrangeait d'être aux ordres de quelqu'un et de ne pas avoir trop à penser au lendemain. Enfin, tout cela, il le gardait pour lui.

Plus tard dans la journée, il comprit enfin dans quoi il s'était embarqué : la piraterie. Faisant la connaissance de Lucie, la fille de Charlotte, et de Lily, une Gobeline musicienne, Lily, qui les accompagnaient et dont la musique rappelait à l'homme-requin les violents accords de la tempête. A ce moment là, Kerol ne s'imaginait toujours pas avoir le luxe de s'amuser et était très loin de considérer ces inconnus comme étant sa famille. Peut-être changerait-il d'avis, mais pour l'instant cela ne restait que son gagne pain. La dignité que cela lui apportait, il s'en fichait royalement.