« Surtout ne dort pas, tu perds beaucoup de sang, si tu en as encore la force, transforme-toi en forme humaine et appuie fort sur ta plaie avec ça »

Je reçus les bouts de tissus, mais impossible pour moi de revenir à ma forme initiale. Faiblement, je tentais de me relever, évidemment sans succès, car mon corps refusait de bouger d’un poil. Pis, une sorte de torpeur me gagnait peu à peu et le froid m’engourdissait les membres.

« J’espère que tu aimes bien la viande, ce soir je te cuisine les deux bestiaux pour m’excuser. »

Manger … en voilà une bonne idée…

Le temps sembla s’arrêter tandis que je sentais le second sanglier perdre la vie, on avait donc réussi à venir à bout de ces deux bêtes enragées. J’étais cependant trop fatigué pour ressentir quoi que ce soit.

Mon esprit embrumait vagabondait, mais je sentis une pression sur ma hanche. Par réflexe, je tentais de mordre, mais mes mâchoires se refermèrent dans le vide. Ce simple effort m’avait épuisé, à tel point que je ne pus garder mes yeux ouverts, abandonnant totalement ma confiance au loup.

Je l’entendais pourtant s’afférer autour de moi. Au bout d’un certain temps, une agréable chaleur commençait à me réchauffer, c’est au moment où je cessais que je me rendis compte que je tremblais. Mes membres étaient moins engourdis et mes muscles se détendirent.

Je dus m’assoupir, car lorsque je revins à moi, un délicieux fumé chatouillait mes narines. La plaie à ma hanche ne saignait visiblement plus et mes membres acceptèrent de bouger, non sans résistance, pour que je puisse me coucher sur le ventre, afin d’être plus droite. Bien que je me senti un peu mieux, je ne parvins toujours pas à me retransformer.

La viande cuisait sur le feu à côté de moi et mon ventre fit savoir que la faim me tiraillait. Trop faible pour me relever, je réussis à ramper plus près encore du foyer, mais la nourriture restait inaccessible. Ne voyant trace de mon précepteur, je me résignais à attendre tout en produisant un son semblable à un grognement-couinement traduisant parfaitement mon impatience.

J’eus une pensée soudaine pour ma jument, qui devait être morte de trouille attaché à son arbre. Ainsi que mes affaires devant gisez vers de la carriole ébranlée. Mais chaque chose en son temps, d’abord, il me faut manger, puis me retransformer, et alors je pourrais m’occuper du reste.

Commençant à trouver le temps long, je dus m’endormir une nouvelle fois, puis me réveiller au moment où Verrücter Wolf revint, les mains pleines de sang et de viande. Je bâillai à m’en décrocher les mâchoires avant d’articuler sans force :

« Wouf ! »

Ce qui signifiait : « Merci de m’avoir sauvé la vie, je me sens mieux mais j’ai faim, je crois que je saigne plus. »

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Boire me fit un peu de bien, la blessure commençait déjà à se refermer. Etre un thérianthrope à vraiment beaucoup d’avantages !

« Elle est vide, la rivière n’est pas loin, je vais la remplir, toi ne bouge surtout pas *clin d’œil* et cris s’il y a un problème »

« Wouf » Articulais-je de nouveau, voulant dire « Ok » ou toute autre forme d’acquiescement.

Mon compagnon repartit, j’attendis encore un long moment près du feu, laissant faire mon métabolisme. La viande embaumait l’air et mon corps réclamait de la nourriture pour pouvoir se guérir. Je bougeais ma patte pour tester la résistance de la plaie.

« Ça devra faire l’affaire » me dis-je intérieurement.

Je repris donc forme humain, lentement pour éviter de trop modifier la blessure, ce qui peut très vite devenir dramatique dans ce genre de cas. J’ai d’ailleurs entendue dire que se transformer avec une blessure pouvait l’aggraver, la rouvrir ou modifier son emplacement de quelques millimètres … Ça fait froid dans le dos.

Mais heureusement, la plaie ne saigna que très peu et ma hanche fut toujours entière. Je me redressais un peu, mais la douleur m’empêchait de bouger la jambe.

« La barbe ! » Marmonnais-je agacé en tentant de me lever tout de même, voulant récupérer mon sac tombé près de la carriole et voir l’état de ma jument, en attendant la fin de cuisson de la nourriture.

Mais je fus à peine sur un pied que ma tête me lança violemment, ma hanche semblait prendre feu et je retombais dans la neige, tel un sac à patates, dans un « ouille ! » et un « chpoque » ridicule.

J’abandonnais donc l’idée. Le pansement était désormais plus qu’imbibé de sang et la douleur irradiait dans tout mon côté.

« Cabot stupide … » Me lança ma conscience d’un air désespéré.

« Oh eh ! Ca va bien toi, mets la en sourdine, tu veux ! » Lui répondis-je à voix haute. « Si tu faisais vraiment ton job de conscience, tu m’aurais mise en garde bien avant, alors moi aussi, je pourrais dire « conscience stupide » gnagnagna. »

Evidemment, elle ne répondit pas, je devais probablement avoir de la fièvre … Mais j’étais pourtant sûre que cette voix dans ma tête n’était pas juste mon imagination. Heureusement que j’étais seule, sinon on pourrait vraiment me prendre pour une folle.

Bougonnant, et un peu honteuse de me parler ainsi à moi-même, je me rapprochais du feu, autant que la douleur put me le permettre. La viande sembla enfin cuite et Wolf n'était toujours pas revenu, tant pis, j’en pris un morceau par la pique et entrepris de déguster cette délicieuse ripaille à l’aide de mes dents pointues. Il en restera bien assez pour lui de toute façon.

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Manger me faisait le plus grand bien, je me sentais reprendre des forces et ma blessure se mit à guérir un peu plus vite.

« Et alors on n’attend pas le cuistot ?! Ça va mieux à ce que je vois !

- J’ai juste pris un peu d’avance, mais il en reste encore plein. » Lui répondis-je entre deux bouchés, alors que j’avais entendu le loup arriver.

Il s’arrêta près du feu, je relevais mes yeux bicolores vers lui.

«  Dès que tu n’auras plus mal je t’aiderais à remettre du mieux que je pourrais ta charrette et te raccompagnerais jusqu’à ta destination. »

Je fus légèrement surprise de son offre, j’ignorais combien de temps il me faudrait pour arriver chez moi, mais il est vrai qu’un compagnon de voyage ne serai pas de trop.

« Merci de ta proposition, Verrücter Wolf, mon village se trouve au pied de la montagne, le tavernier avait omis de me parler de sangliers enragés, alors ta présence sera la bienvenue. » Dis-je avec un sourire sincère, et un regard un peu moqueur.

Je le regardais s’asseoir pour manger avec curiosité avant de reprendre mon propre dîner.
Une fois l’os complètement dépouillé de toutes chairs, je dus me contenir pour éviter de le grignoter.

« Repose-toi encore un peu et quand j’aurais fini ou que tu te sentiras prête on y va. »

Je déposai l’os avec délicatesse sur une pierre avant de répondre.

« D’accord, je sens que ça va déjà mieux. »

Liant le geste à la parole, je tentais de bouger ma jambe, mais ce fut une grossière erreur, la douleur se réveilla. Je retins un rictus de douleur.

« Enfin, pas tout à fait … »

J’abandonnais pour le moment, alors je tentais de penser à autre chose.

« Mais dis-moi, que faisais un loup-garou seul au milieu des bois, je vous ai toujours imaginé vivant en meutes nombreuses et hyper soudées. Et puis comment tu t’es retrouvé poursuivis par des sangliers en furies ? Oh et désolé de t’avoir un peu mal accueillis, mon père est un peu parano alors on se méfie beaucoup des « animaux sauvages » dans la famille, mais c’est pas contre toi hein ! »

Je brûlais d’envie de lui poser tout un tas de questions sur son bras mécaniques, mais je n’osais pas, après tout ce doit être une drôle d’expérience à vivre.

Bien que plusieurs heures furent passées, j’étais toujours coincé par terre, au bout d’un certain temps je me décidais enfin à avouer l’inévitable.

« Je crois bien que tu vas devoir m’aider à me relever, ma jambe est toujours aussi douloureuse, la plaie est profonde. Mais je pense qu’on peut se mettre en route. »

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Son histoire m’attrista profondément et pas seulement à cause de mes dons qui me permirent de sentir la peine que faisaient remonter ces affreux souvenirs qui n’était jamais loin, prêt à le hanter de nouveau.

« Je suis désolé. » Arrivais-je simplement à répondre, aussi, je me décidais à ne plus lui poser de question.

« Tu as terrassé deux énormes sangliers, alors je ne doute pas de ta force, et puis je ne suis pas si lourde que j’en ai l’air ! » Répondis-je alors d’un grand sourire, dans le seul but de détendre l’atmosphère.

Mais le trajet vers Pie fut le plus long que je n’eus jamais réalisé, devant me cramponner de toutes mes forces à ce pauvre Wolf pour ne pas m’étaler sur le sol neigeux, et glacé.

« De toute façon, cette charrette devait être au moins plus vieille que nos deux âges réunit, elle n’aurait probablement pas survécu jusqu’à ma destination. Elle appartenait à mon maître, comme cette jument d’ailleurs. »

Trop essoufflé pour parler, je me tus un moment afin que mon cœur retrouvât un rythme plus régulier. Mon cher mentor me manquait et ce fut à mon tour d’être nostalgique. Essuyant une larme de ma manche, je répondis à sa question :

« Elle acceptera probablement un cavalier, peut-être même deux, j’ai rarement vue un cheval aussi robuste. »

Nous nous arrêtâmes enfin au côté de Pie qui colla sa grosse tête contre moi dès qu’elle me vit, je pus m’appuyer sur elle afin de soulager mon sauveur.

« Par contre, » repris-je d’une petite voix. « Je ne suis jamais monté sur un cheval… »

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J’acquiesçais avant qu’il ne me soulève sans peine pour me hisser sur le dos de la jument noire et blanche. Faisant fi de la douleur, je m’agrippai par réflexe à la crinière de Pie, qui n’était pas si inconfortable que je l’imaginais et la vue de là-haut n’était pas mal non plus.

Nous marchâmes ce qui me sembla être des kilomètres, ma blessure s’étant presque entièrement refermé, c’est un autre endroit insoupçonné qui me fut douloureux désormais.

Je fus étonné de croiser des voyageurs dans ces bois, de plus ils n’eurent aucun mal à nous parler, nous indiquant aimablement la présence d’un tronc d’arbre au milieu du chemin plus loin. C’est lorsque les deux inconnus furent parti que mon compagnon de voyage sortit de son mutisme, me faisant presque sursauté tant je m’étais habitué au silence.

« Eh bien, en fait, je suis en train de rentrer chez moi, » commençais-je. « Je vis dans une ferme près d’un village humain. Nous sommes des éleveurs de moutons depuis des générations dans la famille. »
Je fis une pause, rassemblant au mieux mon histoire pour pouvoir la raconter clairement. Puis je repris :

« Au départ, mes ancêtres c’étaient mis au service des humains car en échange ils les nourrissaient et les logeaient. Leur travail était de garder et protéger les moutons des prédateurs lorsqu’ils étaient en altitude, le reste du temps ils veillaient juste à ce qu’ils ne s’échappent pas. Jusqu’à mon arrière-arrière-grand-père. »

Je fis une courte pause, réfléchissant à un détail que j’aurais pu oublier. Mon père m’avait raconté tellement de fois cette histoire que j’avais l’impression de l’avoir vécue moi-même.

« Son humain ne c’était jamais marié, et aucun de ses frères et sœur n’était resté pour prendre la relève. Alors quand il fut trop vieux pour s’occuper de l’élevage, il le légua à mon arrière-arrière-grand père qui avait la force de l’âge et, parait-il, une ravissante compagne. Alors depuis, les moutons, la ferme et tout ce qui se trouve alentour appartient à ma famille. Mais moi, je ne veux pas vivre toute ma vie avec eux. J’ai quatre frères, il y en a bien au moins un qui reprendra l’affaire. Je veux devenir ménestrel. »

J’hésitais à continuer, lorsque le tronc dont nous avaient parlé les voyageurs s’imposa à nous. Il était énorme, et barrait le chemin de part en part.

« On peut peut-être le contourner ? » Articulais-je, d’une petite voix.

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