Le temps n'attend personne. Suriu ne devait plus traîner, sa route serait sans doute longue et semée d'embûches. Guidée par l'impatience et l'espoir de retrouver une famille unie et complète à son retour, elle s'aventura au-delà des marais qu'elle connaissait depuis sa plus tendre enfance. Son corps rampait sur les étendues de verte mousse et pataugeait dans les marécages humide dont le contact ne lui avait jamais déplu le long de ses écailles. La jeune naga mit une bonne demi journée à parcourir son habitat jusqu'à la frontière qui le séparait de la forêt de Sylfaen.
À partir de cet instant, il lui fallait être sur ses gardes. Qui pouvait savoir ce qui l'attendait une fois la ligne imaginaire franchie.
Croiser la route de quelques elfes ? Il n'y avait rien de bien effrayant à cela. Cependant, plus discrète elle serait, mieux elle se porterait à ne point se faire remarquer.
La chose qu'elle redoutait le plus était de croiser la route de la garde Zéphyr. Des soldats particulièrement dérangeants. Elle ne pouvait pas se permettre de se faire repérer.

Le plan était clair ; elle devait s'introduire dans les jardins du château de Meanor et y rencontrer les esprits des antiques mages responsables du bannissement du dieu Basilic loin de leur réalité. Malheureusement, Suriu ne pouvait s'assurer de leur coopération. Peut-être leur reste-t-il suffisamment de réflexion pour établir le lien entre son peuple et l'être qu'ils ont affronté par le passé. Ils pourraient très bien s'en prendre à elle. Ou, à l'inverse, il ne pourrait plus s'agir que de simples apparitions spectrales sans forme, ni visage, ni souvenir. Rien de plus que des restes désolants de l'histoire.
Il était hors de question que ces esprits ne puissent lui apporter un semblant d'indice sur la manière de faire revenir son dieu. Ils devaient savoir. Suriu ne pouvait se résoudre à un autre dénouement.

Elle pénétra parmi les arbres et les feuilles mortes restées au sol, véritable tapis craquant sous sa noble moitié reptilienne. La nuit tombait. Elle choisit de se dresser un petit camp dans une minuscule clairière isolée. Un simple feu et un lièvre écorché emplirent sa soirée tout comme son estomac, avant de plongeant dans les méandres du sommeil.

Cette nuit ne fut pas des plus tranquilles. Depuis qu'elle a appris la mort de son cher cadet, ses repos se trouvèrent hantés par d'horribles cauchemars, pleins de sang, de cris et de douleur. Avant de laisser place à un silence assourdissant, et une insupportable solitude. Elle y revoyait Eskis, son petit frère, sa mère tenait le couteau couvert du rouge de sa progéniture et Suriu, contrainte à regarder la scène, impuissante.
Qu'y avait-il de plus effroyable que le mal dont certains étaient capables envers leur propre famille ? L'amertume de la vérité, sans doute. Ce sacrifice n'aura servi à rien… et la foi de Suriu envers le Basilic s'en est trouvée ébranlée. Voilà une autre raison qui la pousse à se jeter dans l'inconnu. Aussi bien sa foi fragilisée que la conviction que si le Basilic revenait à la vie, cela formerait une preuve suffisante pour elle qu'il n'a pas abandonné son peuple.

Ce fut donc les larmes aux yeux que Suriu se réveilla sous un soleil tout juste levé. Elle se remit en route, s'aventurant plus profondément dans la forêt, en direction du Sud-Ouest.
Une seconde demi-journée de marche fut nécessaire pour lui permettre d'apercevoir entre les cimes les hautes bâtisses de la cité d'Endorial. À partir de cet instant, et non sans un soupir, Suriu pris la direction du Sud.
Elle atteignit les terres alentour du château de Meanor à peine une heure avant le crépuscule.
Soulagée de n'avoir attiré l'attention de quiconque, elle s'avance, confiante vers les jardin, sans plus de précaution.

Plus ça allait, et moins ma présence se faisait ressentir en Sylfaen. Je devais bien avouer que l'aventure m'appelait ailleurs ces derniers temps, et que j'étais persuadée d'une chose : la forêt n'avait pas besoin de moi pour se défendre. Ma quête consistant à découvrir qui je suis, mon vrai moi, celui caché tout au fond de moi, m'emmenait toujours plus loin de ses terres chères à mon cœur. Les réponses que je cherchais n'étaient pas ici.
Pourtant revenir de temps en temps. Accompagner les éclaireurs en patrouille, diriger de petites équipes. Cela me faisait toujours un bien fou. J'aimais aussi cette vie de routine et de tranquillité. Faire une pause pour mieux repartir, en quelques sortes.

"Bien, on a bien travaillé aujourd'hui, vous pouvez tous rentrer chez vous." Sans plus de cérémonie, je congédiais les elfes zéphyriens qui m'avaient été attribués pour la journée, désireuse de profiter un peu du calme des jardins de Maenor avant de partir à mon arbre-maison. L'entrée du quartier général de la garde étant bien caché et surtout pas bien loin du château, je fus au milieu des effluves de fleurs sauvages en un rien de temps.
Lune, sous sa forme lupine aux grandes ailes sombres, marchait lentement à côté de moi, prise de la même quiétude, ici nous étions en parfait accord.

Une odeur en particulier chatouilla mon odorat sensible, ce n'était pas un animal mais pourtant ça avait une essence... Reptilienne. Je pourrais reconnaître cette espèce n'importe où : un naga se baladait dans le coin. Pistant l'odeur quelques minutes, je trouvais bien vite la propriétaire de ce fumet si particulier. Une brève analyse physique et psychique m'indiquait qu'elle n'était pas une menace sérieuse pour moi.

"Bonsoir, ce n'est pas commun de rencontrer quelqu'un comme vous sur ces terres... Holy, garde zéphyrienne... Je peux vous demander ce que vous venez faire ici ?" Mon ton était en aucune façon menaçant, un peu méfiant peut être, mais il se voulait curieux et aimable.

Son énergie n'était pas mauvaise pour le moment et la mélodie de son âme était calme et ondulante, un peu comme le mouvement d'un serpent sur le sol.

Comment ne l’avait-elle pas remarqué ?! La garde du Zéphyr effectuait ses rondes aux alentours du château, mais quelle malchance ! Elle stoppa net sa marche. A quelques mètres, une jeune femme bipède à l’allure gracieuse et aux traits fins. Elle était accompagnée d’un loup des plus atypiques, affublé d’ailes aux plumes sombres et de tatouages luisants. Malgré ses connaissances, somme toute limitées, elle n’avait jamais rien lu au sujet d’une telle créature.
Au-delà de le cette bête singulière, ce fut la tranquillité avec laquelle ces deux êtres la regardaient. Par fierté, Suriu ne pouvait se résoudre à employer des jambes pour se déplacer, sa queue était bien trop précieuse. Sa nature de naga était lors tout à fait évidente. Alors d’où leur venait cette quiétude ? La prenait-elle de haut ? Pensait-elle la dominer suffisamment pour ne pas craindre son espèce ? Que pouvait-il bien y avoir d’autre comme explication ? Après tout, en tant que membre de la Garde du Zéphyr, elle devait sans aucun doute être bien plus expérimentée qu’elle. Ce fut difficile à admettre, mais Suriu était effectivement contrainte de ne pas faire la moindre vague.
Mais pouvait-elle lui révéler ses véritables intentions ? Elle ne savait. Et si il venait à l’esprit de cette femme de lui interdire l’accès, comment pourrait-elle faire autrement ? Elle ne connaissait point les règles de ce jeu-là.
Bon sang, que faire ?...
Dans la légère urgence de l’instant, la reptilienne songea qu’il valait mieux ne pas tenter de folie. Il était sans doute plus sage de lui dire la vérité. Du moins, une partie…

« Hum… Bonsoir, dame de la Garde du Zéphyr. Pour ne rien vous cacher, je me suis aventurée loin des miens afin de consulter les esprit qui demeurent dans les jardins du château de Meanor. Une quête personnelle m’amène à requérir leur sagesse millénaire. »

Elle croisa les doigts, dans l’espoir qu’elle ne la questionne pas davantage et la laisse en paix.

« J'espère ne pas avoir importuné vôtre ronde. Vous m'en verriez profondément confuse. »

"Il n'est pas aisé d'arriver jusqu'ici sans alerter les elfes, c'est un peuple qui n'apprécie pas vraiment les intrus. Ta quête doit être vraiment très importante au vu des risques que tu as pris."

Son attitude en disait long sur cette jeune naga. Elle ne savait pas si elle pouvait me faire confiance, et elle avait bien raison de se méfier. J'ignorais encore quelle position prendre, même après ses aveux. Venir questionner des esprits dans des jardins elfiques. En connaissant les relations délicates de ces deux peuples, je me demandais quels genres de réponse elle attendait ici. Mais les esprits sont bien souvent détachés des conflits mortels, peut-être se révéleront-ils facilement à elle ? Ma curiosité piquée au vif, j'avais bien envie d'en savoir plus. Il me faudrait jouer de patience afin d'acquérir un peu de sa confiance.

"Ces jardins sont immenses, tu pourrais facilement t'égarer et ne jamais retrouver le chemin de la sortie. Ou pire encore, tomber sur des elfes ou des fées. Je vais te guider vers les esprits que tu cherches, mais laisse moi d'abord te mettre en garde. Les réponses que tu attends ne seront peut-être pas celles que tu souhaite entendre. Réveiller les blessures du passé peut être douloureux et les défunts ne sont pas toujours très coopératifs."

Lune s'ébroua, je pouvais sentir sa lassitude. Ne serait-il pas moins ennuyeux de la chasser de Maenor afin de pouvoir rentrer se prélasser sous un plaid confortable ? Certainement pas. Je voulais savoir ce que ces esprits avaient à dire. En espérant que ça ne dégénérerait pas. Évidemment.