D’après certains, être petit permettait de passer inaperçu. L’expérience de Moradin lui dictait un constat totalement inverse : être de petite taille en ce bas monde, c’était s’exposer à toute sorte de problèmes, et ce pour deux raisons. La première tenait de la logique : personne ne prenait au sérieux quelqu’un lui arrivant à la taille et n’ayant hélas pas deux fois sa largeur, comme tout se respectant. La deuxième découlait de la précédente : ne pas être pris au sérieux signifiait être pris à parti beaucoup plus que la moyenne, parce que tout le monde ou presque estimait qu’il n’y avait aucun danger à bousculer un halfelin. Le pire ? Le sang-mêlé ne pouvait pas réellement leur donner tort. Sa magie demeurait erratique et souvent aussi dangereuse pour lui que pour les autres, quand il n’était pas davantage blessé que ses assaillants en l’utilisant ! Et lorsqu’il se refusait à l’employer, il se retrouvait confronté aux limites inhérentes à sa malheureuse biologie : il n’avait ni la force de frappe de ses parents des montagnes, ni la vivacité mortelle de ses pairs des bois. Non, ce qu’il possédait, c’était un entre-deux bâtard, comme son éminente personne.

Résultat des courses : il avait à peine mis le pied dans la grande ville des humains qu’il s’était retrouvé aux prises avec un individu aux dents longues, ce qui s’interprétait au sens strict comme au sens figuré puisque ce dernier, en plus d’une outrecuidance certaine le condamnant apparemment à se prendre pour le centre du monde, était en outre un vampire. Manifestement, le fat individu n’avait pas apprécié de perdre plusieurs parties d’osselets contre le halfelin, et comme d’habitude, avait fini par s’en prendre au malheureux vainqueur, qui aurait dû comprendre depuis le temps que sa chance improbable à tous les jeux de hasard était davantage une malédiction qu’autre chose. A croire que la leçon de Baldorheim n’avait pas été apprise … Mais enfin, on ne se refaisait pas. Tout n’était pas noir, cependant, puisqu’un humain était venu à son secours, un grand gaillard aux cheveux d’un noir corbeau du nom de Dilon Deraborne. Et une fois la mêlée conclue et le suceur de sang écarté manu militari, le halfelin, fort reconnaissant, avait proposé à son sauveur, pour payer sa dette, de ne pas hésiter à le contacter s’il en avait un jour besoin, même si en l’état, il ne voyait pas vraiment à quoi pourraient servir ses maigres talents vu que ledit sauveur avait probablement davantage de talent avec les armes dans son petit doigt que lui-même dans tout son corps. Comme il était un halfelin poli, néanmoins, il avait tout de même posé cela sur la table, puisque de toute manière, il n’avait aucun moyen de le récompenser, et qu’il avait été élevé par un nain, ce qui signifiait que toute idée de dette lui était insupportable.

Inutile de préciser qu’il ne s’était pas attendu à avoir de ses nouvelles avant de quitter Stellarae. La missive de l’humain était succincte, aussi Moradin avait simplement retenu qu’il demandait son aide pour une affaire devant les mener jusqu’au massif de Spelunca, perspective n’ayant pas grand-chose d’attrayant, il fallait bien l’admettre. Les ragots qu’il avait pu récolter en ville sur le lieu n’étaient guère rassurants. Une promesse étant une promesse, il avait donc rassemblé ses maigres possessions et s’était donc mis en route, non sans laisser avec une pointe de tristesse l’endroit où il avait été conçu derrière lui. Même s’il avait constaté avec un brin de déception qu’être un halfelin au milieu d’une majorité d’humains n’avait rien d’aisé, et que les Montagnes du Baldor n’étaient finalement pas si désagréables, il devait admettre aussi qu’il avait eu un étrange sentiment en séjournant là, comme s’il avait finalement compris quelle atmosphère avait pu pousser une elfe et un nain à copuler dans leur prime jeunesse. Stellarae avait un parfum de liberté, et il avait l’impression de comprendre un peu mieux ses parents. Ses recherches pour trouver davantage d’informations sur sa mère avait en revanche fait chou blanc pour le moment. Peut-être qu’il aurait le temps de revenir et de continuer à fouiller … Ou peut-être qu’elle n’y était bel et bien jamais revenue. Cela n’aurait pas été étrange : sa famille et son mari auraient pu s’y opposer, de crainte de voir la honte se reproduire … et elle-même aurait pu ne pas le désirer. A vrai dire, elle n’avait jamais contacté son fils. Était-ce sa décision ou pas, il n’en savait rien, et manifestement, il allait devoir continuer jusqu’à la forêt de Sylfaen pour avoir des réponses à toutes ses questions.

C’était donc la tête pleine de questions et de considérations diverses qu’il arriva jusqu’au point de rendez-vous et aperçut l’humain, harnaché et fidèle au poste. Le halfelin entreprit donc de trottiner jusqu’à son compagnon du jour, son barda tintinnabulant gaillardement à chaque pas. Enfin, il arriva, légèrement en sueur et s’arrêta, relevant la tête pour saluer le guerrier :

« Me voilà, Dilon ! J’espère n’être pas trop en retard, j’admets qu’il est possible que je me sois un peu perdu en chemin … »

L’air un brin fautif, le halfelin ajouta :

« Comme je ne suis pas certain que ce soit l’aspect touristique qui soit de mise aujourd’hui … Que cherchons-nous, exactement ? »

Le Deraborne, qui attendait depuis quelques temps déjà, songeait que le semi-homme ne viendrait certainement pas. Ce qu'il pouvait comprendre, car il n'était pas forcément agréable d'être invité au fin fond d'un massif, et encore moins lorsqu'il s'agit des Cavernes de Spelunca. Aussi fut-il agréablement surpris lorsqu'il vit trottiner le dénommé Moradin jusqu'à lui. Le nouveau venu se présenta devant le guerrier, et leva la tête. Dilon sourit lorsque Moradin évoqua qu'il s'était peut-être perdu. Le guerrier se perdait lui-même souvent, et devait souvent revenir sur ses pas pour prendre la bonne direction. C'est d'ailleurs ce qu'il avait dû faire en arrivant ici, mais ne tergiversons point.

« Comme je ne suis pas certain que ce soit l’aspect touristique qui soit de mise aujourd’hui … Que cherchons-nous, exactement ? »

L'homme acquiesça à la question, tout en réfléchissant. C'est vrai qu'il avait juste proposé à l'halfelin de prendre part à une aventure dans l'ouest des cavernes de Spelunca, sans véritablement lui préciser de quoi il s'agissait. Et puis, les fautes d'orthographe faites par le gardien dans sa missive n'avaient certainement pas aidé à la compréhension... Dilon s'éclaircit la gorge et prit la parole.

- Hm, eh bien tout d'abord, Moradin, je te remercie de ta présence ! J'avoue que je n'étais pas tout à fait sûr que tu viennes jusqu'ici, ou même que je t'aie indiqué le bon chemin... Mais tu es présent, c'est le principal. L'objectif de notre quête est assez simple. Vois-tu, lors de l'altercation d'il y a quelques mois au Canari jaune -tu dois certainement t'en souvenir- j'ai été mordu et maudit par le fauteur de troubles. Rien de grave en apparence. Mais il semblerait, d'après les guérisseurs gardiens, que je sois atteint depuis de "vampirisme atténué". Je ne sais même pas vraiment ce que c'est à vrai dire...

Il marqua un temps de pause, laissant Moradin digérer les premières informations. Il était nécessaire de lui expliquer clairement la situation pour voir s'il était d'accord pour rester avec le guerrier... Ou s'il allait prendre ses jambes à son cou.

- Grossièrement, on pourrait dire au niveau de mes symptômes que j'ai parfois des engourdissements, ou du mal à avoir les idées claires depuis ce temps. Pas de panique hein ! J'ai déjà eu ma crise en début de journée, je ne devrais pas être en proie à ce maléfice avant demain matin. Ajouta-t-il en rigolant.

- Mais voilà, d'après les guérisseurs de la faction, je devrais affronter un vampire originel -forme la plus archaïque de cette race- pour pouvoir me défaire de cette malédiction. Je me suis donc dit qu'un compagnon de route serait fort appréciable pour cette quête. Et le rendez-vous n'est pas anodin : nous sommes ici dans le berceau de l'espèce. Il fait jour, donc ils n'oseront pas venir à nous tant que nous ne sommes pas dans l'obscurité... Ce qui nous laisse de la marge de manoeuvre. Voilà, tu sais tout ! Es-tu toujours partant pour cette aventure ?

Et, comme il n'était pas certain d'avoir tenu un discours très rassurant, il montra tout de même son fourreau qui renfermait Svërdd, son épée enflammée.

- Pas de panique d'ailleurs, nous avons des arguments en cas d'embuscade inopinée.