La pluie tombait du ciel matinal, masqué par de lourds nuages gris. Tout était encore calme, il faut dire que la pluie n’incitait pas les gens à sortir de chez eux, surtout de si bon matin. Endorial était cependant assez grandement couverte par la canopée des arbres, et l’eau ruisselait des feuilles jusqu’au sol. Une douce odeur de bois mouillé s’élevait dans l’air frais, et un léger brouillard s’accrochait encore au sol. Mais tout cela, Siyas de ne le voyait qu’au travers de la fenêtre de sa chambre, légèrement entrouverte. Elle revenait doucement à elle, émergeant de son sommeil lourd. Elle remonta le drap sur ses épaules nues, comme si elle avait encore pu attraper froid. En fait, elle était entièrement nue dans son lit, sa tenue de cuir posée non loin sur une chaise. Elle appréciait ces moments où elle pouvait être elle, sans que les émotions de mille âmes enfermées en elle ne viennent ternir ses propres désirs.
La personne allongée à côté d’elle se réveillait aussi, un elfe mâle, plus âgé qu’elle. Si elle lui offrait ses faveurs, c’était uniquement car il était expert en nécromancie, et à tous les mythes occultes touchant à la mort. Siyas représentait à ses yeux une énigme passionnante, car après tout, comment une morte peut-elle être encore vivante alors que le nécromancien qui l’avait relevée était lui-même décédé ?
Cette question hantait Siyas également, elle se demandait pourquoi elle avait pu vivre. Enfin, vivre n’était pas le bon mot, plutôt, ne pas mourir, ce jour-là. Sa vie était devenue un enfer duquel elle était prisonnière, incapable de mourir, puisqu’elle était déjà morte, elle avait pensé se trouver une raison d’être en vengeant des personnes assassinées, en se servant de leurs âmes comme moteur de sa propre haine contenue depuis trop longtemps. Mais sa haine avait fini par passer, et elle comprit alors qu’elle aurait voulu mourir cette nuit-là, pour de bon. Désormais, il lui arrivait trop souvent d’être submergée par les milliers d’âmes en elle, de ressentir leur haine, leur désir de vengeance, qui la noyaient et noyaient sa conscience, faisant d’elle une vengeresse efficace, mais condamnée à remplir cet unique but pour toujours. La moindre injustice la faisait sombrer, et elle ne revenait à elle qu’au prix de grands efforts, une fois sa tâche accomplie. Alors oui, elle aurait voulu mourir, comme ça aurait dû être le cas, mais pour une raison inconnue, elle était encore là, et elle espérait que cet homme trouve des réponses.
Elle se leva, sans la moindre marque d’affection à l’homme dans son lit, et entrepris de se rhabiller.
« Alors, ces informations, tu as des pistes au moins ? »
« Tu sais Siyas, je n’ai jamais ni entendu parler ni lu quoi que ce soit qui pourrait faire qu’une banshee reste en vie après que le nécromancien qui l’a ramenée soit mort. Et en plus qui développe une magie plus qu’étrange capable d’agir sur l’âme des personnes. Mais j’ai peut-être trouvé quelque chose d’intéressant. Seulement… ça ne va pas te plaire. »
« Quoi donc ? »
Désormais vêtue de son équipement de cuir, elle toisait l’homme avec qui elle avait passé la nuit. Il donnait dans le plus grand secret des cours de théorie sur la mort et toutes ses magies sous-jacentes, comme l’exécrable nécromancie. Elle lui avait demandé des réponses, mais tout avait un prix, alors elle payait, d’une manière bien plus intime. Les nécromanciens sont rarement mariés, car il est difficile de faire accepter à leur conjoint leur magie, cela l’arrangeait car elle avait pu jouer de cela, après tout, un mâle reste un mâle. Sa haine envers les nécromanciens était retombée, mais n’avait pas disparu, il était difficile d’oublier ce qu’il s’était passé des années plus tôt. Mais elle le supportait lui, parcequ’il la servait bien, et lui permettait d’avoir une cache à Endorial. Elle se demandait s’il était vraiment amoureux, lui, car parfois il avait une bien curieuse façon de la regarder.
Avec lui, elle avait appris que la magie des nécromanciens n’avait plus d’effet sur elle, impossible donc de l’animer comme un pantin parce qu’elle est théoriquement morte. Sa mort, justement, était uniquement théorique, car si son cœur ne battait plus dans sa poitrine, sa chair ne dépérissait pas, alors qu’elle ne l’entretenait pas spécialement. Un sort aurait pu la conserver en bon état, mais c’était visiblement inutile. Elle en avait appris plus sur sa magie, même si beaucoup des choses qu’elle avait apprises lui étaient toujours inaccessibles, faute de puissance. Mais ce qui l’avait toujours animée, et qui la faisait revenir régulièrement à Endorial, c’était de savoir pourquoi elle n’était pas morte définitivement.
« Un vieux grimoire contient des informations sur un ancien mythe, c’est un traité sur le cycle de la vie et de la mort, un ouvrage blasphématoire pour certains, car nul ne sait ce qu’il y a après la mort… enfin… »
« Ne t’inquiète pas, ce n’est rien. Où est-il ? »
L’homme hésita à le lui dire, et Siyas n’avait pas pour habitude d’attendre. Mais elle avait besoin de lui, alors il ne devait rien savoir de son sexisme, il devait croire encore qu’il avait sa considération, ce n’était pas le moment de tout gâcher avec lui. Elle attendit patiemment qu’il lui réponde.
« C’est un homme qui l’a, par ici, mais il refuse de le montrer, il est dans une collection privée en quelque sorte… »
« Alors il faudrait que j’aille le voler ? où est-ce ? »
Elle sentait que son malaise n’avait rien à voir avec le fait de voler, c’était autre chose qui le gênait.
« C’est dangereux… Et si je te dis où il est, eh bien… »
« Eh bien quoi ? »
« Tu risquerais de redevenir elle, encore. »
Siyas garda un moment le silence, elle comprenait où il voulait en venir. La personne qui le possédait devait être peu recommandable, ce qui ne manquerait pas d’éveiller les âmes en elle, pour qu’elles crient vengeance. Mais elle n’avait pas le choix, elle savait qu’une fois les âmes apaisées elle pourrait redevenir elle-même, il fallait qu’il lui dise où le trouver. Elle s’assit sur le lit, et lui offrit un baiser langoureux et totalement calculé avant qu’il puisse protester. Et ensuite elle le regarda dans les yeux, un sourire en coin aux lèvres.
« Je reviendrais, après tout je reviens toujours, non ? »
Elle était heureuse de sa prestation, qui faisait apparemment son effet. Après un moment d’hésitation, il finit par répondre.
« C’est des bandits qui sévissent autour de Endorial qui l’ont, aux dernières nouvelles il faisait partie de la cargaison d’une caravane qui venait en ville il y a quelques semaines, mais ils ont été attaqués et la cargaison a été pillée. Et les gardes de la caravane sont morts… »
Siyas sentit une rage qui n’était pas la sienne s’élever en elle, des milliers d’âmes de citoyens et de citoyennes assassinés, qui haïssent toujours les bandits, car elles ne conservent rien de la personne, mais uniquement ses émotions. Elle tenta de se contrôler, de faire refluer ces émotions surpuissantes, écrasantes, et n’y parvint pas. Elle se perdit dans la rage, dans le désir de voir tous les assassins être punis de ses flèches, elle n’était plus elle.
La vengeresse rouvrit les yeux, déterminée.
« Notre flèche les trouvera. »
Couleur des dialogues: #339999 Merci à Mohana pour ce kit avatar + bannière