Le dernier gobelin venait de rendre l'âme, la stryge l'avait achevé et Trolik savait qu'il n'avait pas été d'une grande aide. L'adrénaline se dissipa doucement et les battements de son coeur se firent plus mesurés.
L'orc soupira. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas essuyé de défaite pareil. Il se sentait... vieux. L'inutilité, voila le plus grand malheur des anciens. Alors que les plus jeunes prennent la relèves, les vieux sont mis de cotés. Parfois même, ils deviennent un fardeau pour leur famille. Une situation que Trolik avait redouté bien avant d'atteindre cet age. Mais le problème ne se posait pas, il avait abandonné sa famille.

-Non, ça va. répondit simplement l'orc perdu dans sa mémoire.

Il lâcha son cailloux, le regarda toucher le sol, se demandant si lui aussi allait finir abandonné. Si lui aussi allait devenu un poids mort, une simple pierre qu'on jette sans y penser...
Le dos courbé par l'age et par une sorte de culpabilité, il récupéra sa hache et les quelques affaires qui lui restait.
-Merci... Pour votre aide. Autre fois j'étais...

Voila que tu te mets à devenir un de ces vieux gâteux qui radotent leur gloire passée pour se sentir vivre à nouveau...

-Ca ne fait rien. coupa t-il. (Il se racla la gorge et se tint droit) Je m'appelle Trolik Grobra, et je vous dois probablement la vie, si ce n'est au moins mes maigres possessions. Je vous doit une Jas Brak et je n'oublierai pas.

Ese observait du coin de l'oeil l'orc à l'air si songeur. Bien qu'elle n'appréciait guère la compagnie, elle avait toujours trouvé chez les personnes plus âgées une sorte de tranquillité loin d'être dérangeante. Peut-être justement que leur penchant pour les longues réflexions rendaient toute conversation moins pénible, ce qui n'était pas le cas des plus jeunes. Bavarder, discuter, converser. Cela lui paraissait d'une telle futilité...

La lycan fit un brusque geste du poignet avant de rengainer chacun de ses fauchons -habitude prise pour éviter que la lame ne rouille à cause du sang. Bien sûr, elle avait pris garde de ne tuer aucun de ses adversaires. Ils étaient tous sonnés. Sauf le dernier, peut-être, au vu de la méchante bosse qu'elle lui avait faite...
La stryge blanche de son côté ne semblait pas avoir pris autant de peine et autour d'elle, des morceaux de cadavres teintant le sol finissaient de rendre la scène irréaliste.

Ese allait interroger l'orc sur la Jas Brak dont il parlait quand soudain ses jambes se dérobèrent sous elle. Va pourrir en enfer, Dragnizzo ! Les effets de la potion lui avaient ôté toute endurance et il semblait qu'elle payait à l'instant les conséquences de son dernier éclat : sa tête battait la cadence de son coeur et foutre ciel que le monde tanguait...
Maugréant, elle adopta une position plus confortable par terre et entreprit de se masser les tempes.

"J'ai connu des jours meilleurs" finit-elle par répondre à la stryge.

Puis à l'intention de l'orc :

"Pas sûr que vous nous deviez la vie, la sortie de la forêt est pas si loin. Et cette personne a ramené avec elle une foule de gobelins terrorisés."

... Avant de les réduire en menus morceaux, acheva-t-elle dans une pensée. Pour la suite, Ese comptait bien profiter de ce campement de fortune pour récupérer un peu de ses forces avant de reprendre la route -dans son état actuel, même un gobelin solitaire pourrait la détrousser...

"Pas sûr que vous nous deviez la vie, la sortie de la forêt est pas si loin. Et cette personne a ramené avec elle une foule de gobelins terrorisés."

Rose croisa les bras, et soupira.

- Je suis désolé pour ça d'ailleurs. Je ne pensais pas croiser du monde ici. J'imagine que..

La stryge fouilla dans une sacoche accroché à sa ceinture et sortit deux lapins qu'elle avait chassé peu avant sa rué contre les gobelins.

- On pourrait préparer ça.. Histoire de vous redonner des forces et compenser celles que vous avez perdues pendant ce combat surprise.

Rose n'avait pas l'habitude d'aider les gens, ou du moins, pas avec ce genre d'acte. Elle était plutôt habituer à venger les personnes dans le besoin, à défendre les faibles. Mais après tout, ce n'était pas plus mal d'essayer de se faire apprécier de temps en temps. Surtout après une arrivée aussi brutale.

La stryge blanche proposa de se racheter à l'aide de nourriture. Trolik comprenait sa réaction mais ne l'approuvait pas. Elle avait eut raison de poursuivre ces petits monstres. Elle avait des valeurs et elle s'y était tenue en réagissant de la sorte... Mais à bien y réfléchir, il avait les crocs (haha) et les lapins semblaient tout tendres !
-Va pour les lapins. Je vais chercher du bois, occupez vous de les vider. On en profitera pour faire connaissance. Faisons les choses bien.
Il s'enfonça dans la forêt tout en veillant à rester à portée de voix des deux femmes. Elles devaient probablement commencer à vider les rongeurs. Sa quête de bois fut facile et ne dura pas plus de quelques minutes. En forêt, le bois mort tombé au sol était la norme et non l’exception. Pas comme dans le désert où la végétation se fait très rare.
Il revint avec un bras chargé de brindilles et l'autre de bois plus épais et commença à installer le foyer. Il alluma le feu et attendit qu'il prenne. Une fois certain que le feu ne s'éteindrait pas, il retourna dans la forêt et revint avec deux grosses buches qu'il disposa autour du feu pour en faire des bancs. Enfin il planta deux branches de part et d'autres du feu pour offrir un support à une broche, ou pour y suspendre une marmite.
-Voilà. dit il enfin. Maintenant on peut manger et faire à manger dans de bonnes conditions.
Trolik s'installa sur l'un des bancs et regarda la femme aux prunelles vertes. Était-elle humaine ?
-Dites moi, quel est votre nom? Je ne crois pas avoir eu le plaisir de l'entendre et je déteste manger avec des inconnus.

Ese tituba jusqu'au campement de fortune et entreprit d'aider Rose dans sa tâche. Evider était quelque chose pour laquelle était douée après tout ; même si la louve au fond d'elle ne voyait pas ce gaspillage d'un bon oeil. M'enfin.
Ce faisant, elle ne parlait pas. Converser était quelque chose d'épuisant et dans son état actuel, toute économie d'énergie serait bienvenue. Puis... Elle soupçonnait l'orc d'être une personne plus sociable qu'elle. Donc Ese devra se plier à l'exercice difficile de la discussion à un moment ou un autre.

Elle sépara le fin duvet de la chair, et ôta les entrailles, les déversant dans une pierre creuse. L'odeur du sang lui chatouilla le nez. Elle avait l'envie de prendre sa forme animale mais dans les circonstances actuelles, cela serait sans doute une mauvaise idée. Attendons un peu que l'orc revienne...
Alors qu'elles terminaient leur tâche, Trolik fut de retour, les bras plein de bois nouveau. Ese le regarda finir de monter le campement sans un mot. Elle le suivait toujours des yeux quand il alla se poser près du feu naissant, ainsi que Rose. Comme un animal méfiant.

"Dites moi, quel est votre nom? Je ne crois pas avoir eu le plaisir de l'entendre et je déteste manger avec des inconnus."

Ese esquissa un sourire.

"Un nom ferait donc de moi une connaissance ?"

Puis n'y tenant plus, elle lâcha un laconique "Ese" avant de se transformer en louve. Sa peau se recouvrit d'une épaisse fourrure blanche, son nez s'allongea et ses bras devenus pattes s'épaissirent.
Elle poussa un soupir de bonheur.
Elle se sentait bien mieux ainsi -sa tête l'élançait bien moins- et elle échappait à toute discussion potentielle. Il n'y avait donc pas grand chose à perdre au change !

Ese lança un regard provocateur à Trolik comme pour le défier de lui reprocher son manque de sociabilité et alla s'allonger près du feu, le museau sur ses pattes croisée. De quoi pouvait-il se plaindre ? Elle lui avait donné les réponses attendues, non ?

Après s'être occupé des lapins avec la jeune femme, Rose s'était assise à son tour près du feu qui commençait à naître. A y repenser, cela devait faire facilement deux jours qu'elle ne s'était pas reposée quelque part. Vu qu'elle voyageait lentement, elle ne se fatiguait presque jamais.. Sauf quand elle court après des monstres. Mais l'odeur du bois qui brûle et de la viande lui avait bien ouvert l’appétit. L'orc ouvrit alors la discussion qui brisa le silence qui, pour une fois n'était pas plus désagréable que ça.

la femme devant Rose s'appelait Ese. Un nom pas vraiment commun, mais au moins il était facile à retenir et original. Mais la suite des événements perturba la stryge blanche. Ese commença une transformation, qu'on pourrait qualifier au minimum d'étrange. A la vue des crocs, des griffes et des poils, Rose mit la main sur le manche de son épée tronçonneuse. Mais contrairement à ce que pensait la femme à l'oeil de verre, la louve ne fit rien d'agressif. Elle semblait même soulagé d'être sous cette forme, et partit se coucher près du feu.

Rose pencha la tête et lâcha doucement son arme. De toute façon, au vu du combat et de son état, s'attaquer à l'orc ou à la stryge serait idiot de sa part. Et elle semblait loin d'être idiote.

- .. Je m'appelle Rose. Rose Endersona. Recrue des Gardiens Royaux.

La stryge se redressa et s'assit en tailleur.

- D'ailleurs, qu'est ce que vous faisiez seul à camper dans ce genre de forêt ?

Ese se transforma devant les yeux de Trolik juste après lui avoir dévoilé son nom. il avait bien senti qu'elle n'était pas une simple humaine. Il avait déjà entendu parler d'histoires au sujet d'un peuple capable d'adopter une forme animale mais il n'avait jamais eu l'occasion de le voir de ses propres yeux. Un rire grave s'échappa de sa gorge, plus par surprise que par amusement.

-Enchanté Ese, c'est la première fois que je croise quelqu'un comme vous ! dit-il en la dévisageant.

Par pure réflexe, il commença à tendre une main vers la louve blanche qui venait de s'allonger près du feu. Il remarqua cependant son regard appuyé et se ravisa finalement. Comme il était étrange de voir un animal avec tant d'intelligence dans les yeux ! Légèrement perturbé, il se détourna d'elle, accusant le coup de la surprise. Il soupira et s’intéressa à la stryge assise en face de lui. Très professionnelle, elle avait posé la main sur son arme en découvrant qu'Ese pouvait se transformer en animal. C'était une femme puissante et expérimentée dans l'art de la guerre, ça ne faisait aucun doute, et il la respectait pour ça.

- .. Je m'appelle Rose. Rose Endersona. Recrue des Gardiens Royaux. répondit-elle.

Un peu déçu par la réaction d'Ese, il était content toute fois que Rose se montre un peu plus sociable.

- D'ailleurs, qu'est ce que vous faisiez seul à camper dans ce genre de forêt ?

- Je me dirigeais vers Baldorheim et cette forêt était le passage le plus rapide pour s'y rendre. Puis à mon age, je ne suis que très rarement sorti du désert, je voulais visiter... Je profite de ma retraite.
Il ponctua sa dernière phrase d'un gloussement discret.

Trolik fixa le feu. Il aimait la danse que les flammes exécutaient. Il poussa un soupir et posa sa tête sur ses genoux. Il avait conscience de ne pas donner l'impression d'un grand guerrier à agir ainsi, mais il était fatigué et accusait le coup des derniers évènements. Après un bref moment de silence, il se redressa et fixa Rose :

-Vous vous battez bien, constata l'orc. Comment en êtes vous venu à rejoindre la Garde Royale ? Vous êtes d'ailleurs très loin de votre juridiction...

Ese n'avait pas quitté Rose du regard, ni même Trolik, histoire de voir s'ils ne constituaient pas une menace : mais loin de se laisser aller à la crainte, elle ponctua le geste de la stryge d'un sourire canin. D'elles deux, c'était sans doute la femme oiseau la plus instable. N'était-elle pas une stryge blanche ? Depuis quand ces volatiles se laissaient happer par des envies de sang...? Et pourtant, elle avait tué chaque gobelin... alors  que la lycan les avait juste assommés. Le monde était bien étrange ces derniers temps.

Elle écoutait d'une oreille la conversation. Qu'ils discutent donc ! Elle devait récupérer de ses quelques blessures et surtout, mener le guet pendant que les deux batifolaient en politesse feinte et curiosité à peine voilée.
La Garde Royale hein...
N'y avait-il pas eu une sorte d'alliance avec les Gardes Zéphyrs d'ailleurs ? Ese en avait entend vaguement parler par ses confrères avant de partir... Au moins elle ne risquait plus grand chose de la part de la stryge, en ce cas.

- Vous vous battez bien, comment en êtes vous venu à rejoindre la Garde Royale ? Vous êtes d'ailleurs très loin de votre juridiction...

- Mon père en faisait parti. Il était doué parait-il. Assez pour que je sois engagée avant même l'âge légal dès que je me suis présentée aux quelques Gardiens qui m'ont sauvé la vie. Et je vous retourne le compliment. Malgré votre retraite, vous semblez encore vif et agile.

Rose enleva alors ses armes de son dos pour les poser à côté d'elle. Elle s'allongea sur le côté, de sorte que tout son corps, ou du moins son armure, profite de la chaleur du feu.

- Et si je suis aussi loin de mon QG, c'est parce que je travaille à BaldorHeim. Je fais souvent l'allé retour entre les deux villes pour me faire de l'argent. Au fait, qu'est ce que vous comptez faire après ? Trouver un travail, ou continuer vos aventures ?

-Je ne sais pas trop.
Trolik ne savait jamais ce qui l'attendait au terme de ses voyages. C'est vrai que jusqu'à maintenant il ne s'était pas posé la question. Il changeait d'endroit pour éviter d'avoir le temps de penser. Pour éviter de voir resurgir sa tristesse. Voila près de 5 ans que sa femme l'avait quitté pour un autre monde. 5 ans qu'il avait décidé de fuir son passé pour l'oublier. Il savait que ce n'était pas une solution mais il n'arrivait pas à s'en passer.
-Je vais livrer ce que j'ai à livrer, je verrai après selon les portes qui s'ouvriront devant moi. Je n'ai pas décidé. Il faudra probablement que je finisse par me poser quelque part.
Et que j'arrête de fuir... ajouta t-il pour lui seul.
Il se passa une seconde avant que Trolik décide de poser la question qui brulait les lèvres.
-Votre Garde, vous pensez qu'il peut y avoir de la place pour un gars comme moi? Je pourrais entrainer les nouvelles recrue. Ca ne mange pas de pain de demander et comme je vous ai sous la main, j'en profite.

Ese remua les oreilles, intéressée soudainement par le sujet de la conversation : il serait donc bien ce qu'il prétendait être ? Certes, la garde Zéphyr n'aurait pas refusé un entraîneur de plus mais sa nature d'orc allait sans doute poser un problème pour les sylvestres... Elle-même s'en contrefichait -pour peu qu'il fasse son boulot.
Le train tout à coup plus dynamique de ses pensées était facile à remarquer chez la louve. Elle remuait inconsciemment la queue tandis que son museau semblait flairer quelque chose d'invisible. Curiosité.

Mais une chaleur lui venant de ses plaies dissipa ses pensées, quoique minimes fussent-elle. Ese se leva, allant fouiner dans sa besace ; elle n'irait pas prendre le risque d'attraper une infection ici, avec ces inconnus, si loin de la garde...
Elle se servit donc de ses crocs pour déboucher une petite bouteille. Sa langue râpeuse s'enduisit d'un mélange d'herbe qu'elle finit par étaler sur ses blessures, sommairement. Un coup d'oeil vers les deux autres la rassura sur leur état -ils n'avaient pas besoin de soins apparemment. Toutefois, ils ne seraient pas contre une infusion sans doute.

La louve sortit de son bagage un petit sachet rempli de feuilles odorantes et alla les poser entre Rose et Trolik. Un regard vers le feu. Un regard vers le sac. Un regard vers eux. Ils finiraient bien par comprendre ; de son côté, la perspective de retrouver sa forme humaine n'était même pas envisagée.
Ils voulaient sympathiser. Quoi de mieux qu'une bonne tasse de thé ?

- Votre Garde, vous pensez qu'il peut y avoir de la place pour un gars comme moi? Je pourrais entraîner les nouvelles recrue. Ça ne mange pas de pain de demander et comme je vous ai sous la main, j'en profite.

- Hmm normalement nous sommes en plein recrutement. Donc j'imagine qu'un vétéran comme vous peut être utile dans nos rangs. Niveau entrainement de recrues, Sargas occupe le poste, mais il part souvent voyager, donc je pense que vous pourrez faire ça à tour de rôle.

Pendant que Rose expliqua ceci, la louve s'était mise à fouiller dans son sac. La stryge ne s'occupait pas spécialement de ce qu'elle faisait, jusqu'au moment ou l'animal arriva avec un sachet dans la gueule qu'elle posa entre Trolik et Rose.
Rose prit le sachet. Des feuilles séchés et divers morceaux de plantes le composait. Elle sentit alors le sachet suspect et compris alors ou la louve voulait en venir.

- Merci pour l'invitation à boire le thé, mais je vais devoir continuer ma route. Je viens de me souvenir que c'est mon tour de garde à Stellaraë.

La stryge blanche se leva et ramassa ses armes qu'elle avait posé à côté d'elle.

- C'était un plaisir de vous rencontrer. Faites attention à vous.

Rose salua les deux autres d'un petit signe de tête et continua sa route sur le chemin de le forêt. Elle serait bien restée plus longtemps, mais elle a des obligations envers la Garde Royale.