La vampire regardait la mer en silence, son corbeau juché sur l'épaule. Tout était calme, peut-être trop... Mais cela offrait une atmosphère propice aux songeries, dans lesquelles se perdait d'ailleurs Alrun. Comme bien d'autres lieux, elle était venue ici autrefois, en une tout autre compagnie. Elle caressa distraitement le plumage de son familier. Un croassement. Satisfait sans doute.
Enfin, elle avait d'autres sujets de préoccupations : d'ici quelques jours, un mois tout au plus, elle verrait la fin de ses derniers siècles d'existence. Elle combattrait l'Ombre. Et l'échec n'était pas envisageable. Qui prendrait les rênes si elle venait à mourir, hein ? Son crétin de cousin, l'autre avare d'oncle ou encore son incapable de neveu ? Non, décidément... Elle devait réussir.

C'était pour mettre toutes les chances de son côté qu'elle était revenue ici. Elle pourchassait de vieux souvenirs mais pas encore des fantômes, du moins l'espérait. La vampire continuait d'observer les flots.
Il y a de cela plus de quatre siècles, peut-être plus, elle avait fait une rencontre singulière de ce coté des terres désolées. Elle n'était qu'une jeune vampire à l'époque et s'extasiait encore de sa transformation, se réjouissait de cette nouvelle vie...
Mais ce vague souvenir qu'elle chassait avait évolué avec le temps. Elle appréhendait les retrouvailles.

Elle avait fait des recherches sur lui. L'arlequine avait dû user de bien des relations pour ne serait-ce retrouver sa trace puis essayer de provoquer une rencontre. la chance semblait finalement lui avoir souri quand elle avait appris que Lokyem avait été aperçu dans les environs. Enfin... Du moins son bateau. Elle avait aussitôt envoyé son corbeau lui porter un message ; comme l'animal était revenu les pattes vides, elle pouvait croire en la bonne réception de la lettre.
Cela faisait quinze jours.
Et elle était là, à attendre depuis une semaine.
Elle partirait sans doute demain si aucun signe ne lui parvenait...

HRP:

Tout avait commencé il y avait deux semaines. Un corbeau était arrivé sur le navire. Noires ailes, noires nouvelles, parait-il. L'oiseau s'était posé sur l'épaule de l'abyssal. A sa patte, une lettre. Lokyem l'avait lu. Avait froncé les yeux. Relu. Avait blémi. Lu encore une fois... Puis encore. Jusqu'à connaitre par coeur les mots qu'il parcourait des yeux.
Il avait alors mit la feuille dans sa poche. Puis était allé voir son capitaine pour lui demander de partir quelques jours du navire. Nilo était assez peu heureux de se départir de son bras droit pendant un temps, mais avait fini par céder. Sans doute avait-il compris l'importance que cela avait aux yeux de Lokyem.

Néanmoins, le capitaine des pirates ne fit pas changer le cap de la Vivenef pour autant. Les pirates devaient se rendre à Ishtar, que ce soit avec leur bras-droit ou non. Alors si ce dernier devait partir de l'autre côté des mers, il devrait y aller par ses propres moyens.

Lokyem s'était mis en route deux jours plus tard, à bord d'un petit voilier qu'il avait "emprunté" au port le plus proche. Il avait vogué au grès des vagues et du vent, appliquant à lettre tout ce qu'on lui avait appris pour naviguer. Le vent lui était favorable, mais son allure restait lente. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé autant de temps sans personne à ses côtés. Alors il réfléchissait, beaucoup. A ce qui allait se passer une fois qu'il allait la revoir. A ce qui s'était passé.

Tout était si différent alors... Elle, si jeune, si naïve, presque, et pleine de hargne, découvrant à peine le monde... Et lui, le pauvre abyssal déchu, blâsé par la vie et les années qui s'écoulaient, prostrée dans sa vie d'ermite solitaire...
C'était il y a... Quatre sciècles.
Quatre putain de sciècles.

Il fut soulagé quand il vit la côte au loin. Il était confiant en ses calculs, mais cela lui retirait tout de même un poids de les savoir juste. Il reconnaissait bien, même de si loin, le détroit d'Hukutav. Il avait nagé un nombre incalculable de fois dans ces eaux là. Il mit le cap sur le triangle de terre, là où le fleuve se séparait pour rejoindre la mer. Il avait vu cet ilot se créer peu à peu au fil des sciècles, comme un enfant que l'on observe grandir.

Il remarqua assez vite ce point noir qui ne faisait pas partie du paysage. Maudit soit le vent qui ne soufflait pas assez fort.
Au fur et à mesure que son embarcation glissait sur l'eau, il pu voir clairement que c'était une silhouette et non une ombre ou un rocher.
Alrun...

Une embarcation.
Elle soupira, partagée entre soulagement et appréhension. Que pouvait-elle bien attendre après tant de temps ? Généralement, les amis ne patientaient pas quatre siècles pour se donner des nouvelles et encore moins pour demander un service. Est-ce qu'elle regrettait pour autant son silence ? Un peu. Sans plus.
Trop de choses s'étaient passées depuis. Trop d'événements, trop de matière à penser...

Elle restait là, sans bouger, le regard fixé sur l'abyssal qui s'approchait bien doucement de la côte. Et elle se rendit compte que le temps n'avait pas que changé leur esprit... Le sourire aux lèvres -autant se montrer avenant- elle l'accueillit d'un ton taquin :

"Ces quatre siècles ont finalement suffi pour que tu perdes ton allure de vieille épave, Loky."

Chose étrange, rien qu'à le voir, d'anciennes habitudes revenaient. Il lui apparaissait un peu comme un fantôme de son passé, surgissant et amenant dans son sillage des souvenirs, des émotions... et une Alrun un peu plus franche. Plus ouverte. Cela l'effrayait, mais elle en tirait aussi une certaine nostalgie.
Et elle, que lui inspirait-elle ? Tout à coup, une poignée de minutes devenait plus insoutenable que quatre siècles de silence.

HRP:

Le pirate avait eu deux semaines pour se préparer à cette rencontre et pourtant, il se sentait démuni comme rarement il l'avait été. Pourquoi avoir tant attendu pour se revoir ? Quelle absurde raison pouvait justifier ainsi des siècles de chemins séparés ?
Il se sentit soulagé quand, arrivé à distance suffisante pour voir le visage de sa vieille amie, il vit un sourire le parant. Si ça avait été des larmes, de la colère ou même une froideur cordiale, il aurait été blessé plus qu'il n'aurait osé l'admettre.

Il était étrange de voir qu'elle avait si peu changé - c'est le damne des vampires. Pourtant, après tant de temps, beaucoup de choses avaient dû bouleverser Alrun, elle n'était guère, contrairement à Lokyem, portée à l'inaction. Et pourtant... C'était bien le même visage. Peut-être ses yeux étaient-ils devenus un peu plus pourpres ou ses traits un peu plus émaciés, avec l'âge, mais cela tenait de l'anecdotique.

Dès que son bateau fut assez avancée vers la plage, Lokyem mit pied à terre - pied à l'eau, pour être plus exact, et pataugea quelques mètres avant d'enfin saluer la vampire.

"Il n'y a que sur toi que le temps semble sans emprise, dame Siegfried..." fit-il avec un sourire à la fois heureux et moqueur, et une légère courbette presque irrespectueuse pour ponctuer la fin de sa phrase.

Il n'osa pas demander d'emblée pourquoi elle l'avait conviée en ce lieu - sa lettre ne l'expliquait pas. Sans doute savait-elle qu'elle n'avait pas besoin de lui donner de raison pour qu'il vienne. Elle lui aurait demandé de la suivre en enfer qu'il n'aurait sans doute pas réagit autrement.

HRP:

Elle sourit à sa répartie, avant de le remercier de sa présence. Son coeur fut soulagé de voir qu'il restait toujours aussi amical qu'autrefois, toujours aussi fiable -elle apprécia ce sentiment si rare depuis longtemps... Après tout, la vampire, en ces moments troubles, ne comptait que sur les doigts de la main les personnes à qui elle pouvait confier sa vie. Ou du moins, qui soient encore en vie.

"Arrête donc ces politesses, mon peu de vécu ne représente qu'une poignée du tien ! Laisse-moi plutôt te remercier d'être venu, Loky..."

Elle avait fini sa phrase avec plus de sérieux, laissant entrevoir le ton de sa demande : en effet, peu importait la joie qu'elle éprouvait à le revoir, le sujet qui les avait réuni requérait d'avantage de raison. Elle l'observa tendrement puis se lança.

"Désolée d'ainsi réapparaître après quatre siècles. Pas mal de choses sont survenues entre temps... Plutôt que de te demander ce que tu saurais, je vais te faire un bref résumé. Cela me permettra de t'expliquer la nature de ma demande..."

Elle prit un temps pour organiser ses pensées, faire un bond dans le passé. Comment étaient donc les jours à cette époque ? Comment allait le monde, comment se portaient ses proches ? Quelles choses avaient donc changé...? La vampire parut d'un coup plus vieille alors qu'elle recherchait une tout autre personne en elle...

[Un demi-millénaire auparavant]

Alrun goûta avec un grand sourire à l'air salé de la mer.
Elle appréciait ces longues baignades entre deux études, enfin solitaire : certes, elle aimait bien les Siegfried, mais mis à part Altair et son frère, le reste de la famille était un peu trop... stricte à son goût. Pour ne pas dire snob. Une belle brochette de nobliaux ! M'enfin, en mettant de côté les quelques responsabilités, elle était libre de la vieillesse et des problèmes financiers.
Elle rit en sentant un poisson se faufiler sous son pied. Féroce, elle plongea et après quelques minutes de combat acharné, réussit à l'attraper. Elle mordit dans la chair fraîche. Le sang coula dans sa gorge, en moindre quantité mais plein de saveurs, de nuances. Bordel que cela faisait du bien...!

Elle ferma les paupières, un instant. Sa vie avait basculé en le rencontrant et semblait avoir pris de nouvelles nuances jusques là inconnues, imperceptibles. Depuis, elle ne faisait que se réjouir... Et pouvait laisser libre cours à sa curiosité.
Altair et elle envisageaient d'ailleurs de gagner Westéria prochainement...

Tandis qu'elle rêvassait presque un peu idiotement, un mouvement à la périphérie de sa vision attira son attention...

HRP:

Loky. L'abyssal avait oublié qu'elle avait été la première à l'affubler de ce surnom. Il sonnait différemment dans sa bouche que dans celle de toute autre personne. Comme si elle était la seule qui avait gagné le droit d'utiliser le sobriquet. Le fait qu'elle s'excuse d'ainsi débarquer de nouveau le fit rire. Arriver de nulles parts, chambouler sa vie, ses ambitions, ses visions, et repartir ne laissant que des chimères de souvenirs, elle était en droit de le faire.

Elle l'avait déjà fait, quatre siècles auparavant.


Lokyem Nesis avait passé sa journée à claquer des doigts. Il passait des heures à expérimenter les musiques que son corps pouvait produire. Pendant près d'un an, il avait chanté. Un autre, il avait cherché à comprendre le craquement de ses articulations. Et cette année-là, il travaillait sur la musique qu'il pouvait faire de ses mains. Taper des mains, les frotter, l'évolution de ses cales sur le son produit... Et les claquements de doigts. Sa cabane sur la plage lui offrait un cadre d'étude idéal, car l'océan lui offrait la musique la plus parfaite qu'il ne pourrait jamais créer. Alors, avec ses petites notes, il accompagnait le bruit des vagues, cherchant à comprendre comment ses bruits pouvaient faire partie de la douce mélodie de la mer sans pour autant la gâcher.
Ce jour-là, il y était presque. À comprendre comment le léger frottis de son majeur contre son pouce suivi de ce claquement caractéristique pouvait voguer comme de l'écume sur l'onde puis s'envoler comme un albatros quand...

Plouf. Un bruit ridicule de plongeon mal maitrisé.

Il en aurait hurlé de frustration. Il en aurait tué de colère. Le bruit était lointain, mais avait suffit à briser sa concentration et, avec cette dernière, la magie de l'instant. L'abyssal se leva pour voir d'où venait le bruit, pour châtier celui qui avait osé le déranger ainsi.

C'était, en l'occurrence, une femme. Il la voyait au loin, dans l'eau. Du couvert des quelques arbres qui longeaient la côte, il la foudroyait du regard. Qu'est-ce qu'elle foutait ? Elle tournoyait, se relevait, replongeait... Regardait autour d'elle, faisait quelques pas, et repartait. Ça n'avait aucun sens. Et pourtant... Il y avait quelque chose... d'animal dans sa danse. Elle avait le feu d'un animal en chasse. Et malgré le boucan insupportable qu'elle produisait, sa chorégraphie avait quelque chose... de beau.

Finalement, elle attrapa ce qu'elle voulait : un poisson. Qu'elle dévora cru (sympathique...). Elle cessa alors de se mouvoir et, par la même occasion, cessa d'intéresser Lokyem. Qui s'en alla regagner son logis d'un pas lent, méditant sur ce qu'il venait de voir.

HRP:

Elle souriait... Lokyem ne voyait rien qui puisse déclencher ainsi un tel amusement. A moins qu'elle ne se foute de sa gueule. Elle ne comprenait rien, l'abyssal l'avait bien vu à sa réaction quand il avait claqué des doigts. Et pourtant...
Elle voulait qu'il lui apprenne à claquer des doigts ? Comme lui ? Elle n'avait rien pigé, mais voulait chercher tout de même ? L'ermite fronça les sourcils, partagé entre l'étonnement d'une telle volonté et la frustration d'avoir peut-être mal cerné son interlocuteur. Il ne savait pas si elle voulait réellement apprendre la beauté, la philosophie, l'essence du geste, ou bien cherchait-elle juste à comprendre le sens qu'il y avait derrière et qui devait forcément lui échapper. Il échappait à tout le monde, de toute manière.
Il jugea minutieusement la fille du regard, cherchant à comprendre ce qu'elle voulait vraiment. Est-ce qu'elle valait le coup qu'il perde son temps avec elle ?

"Il n'y a pas d'apprentissage possible." Lacha-t-il assez froidement. Il pouvait la rembarrer si facilement... Puis il se décida. Une personne cherchant à comprendre l'Harmonie était si rare, même si son intérêt n'était qu'artifice, cela valait sûrement le coup, même si cela était une journée de gâchée.
"Mais je peux vous donner des clés pour comprendre."
Il sortit de la cabane et commença à longer la côte d'un pas rapide, sans jeter un seul regard en arrière pour voir si elle le suivait. Il s'en fichait pas mal de savoir si elle le suivait ou non. De toute manière, il souffrait bien assez du bruit de ses pas pour chercher à s'encombrer de sa vue. Au bout d'une dizaine de minute, ils étaient arrivés dans une petite crique rocheuse. Les vagues venait s'écraser sur la pierre avec un son que Lokyem affectionnait beaucoup.
Le regard plongé dans le flot un peu agité, l'abyssal leva de nouveau le bras. Il faisait bruisser doucement ses doigts au rythme des vagues, comme pour accompagner la mer dans sa musique, musicien débutant d'un orchestre sublime. Il tapait parfois ses doigts sur sa paume pour les vagues un peu plus importantes. Et le temps passa ainsi. Dix secondes, dix minutes, une heure, Lokyem n'en avait aucune idée. C'était la même sensation d'infinie, pour lui.
Puis, une vague particulièrement puissante.
Il claqua des doigts.

Il resta un peu sans bouger, puis se fendit d'un léger sourire, presque triste. D'un ton rêveur, il conclut cette "leçon" d'un simple, mais doux :
"C'est tout."

Alrun cessa alors d'avoir cet air de jeune enfant pour le troquer contre un regard lointain, une lèvre songeuse. Elle méditait la réponse de son compagnon comme elle pouvait lire une réflexion particulièrement intéressante dans un traité philosophique : en essayant de prendre du recul et alors, s'essayer à la compréhension face à une expérience inconnue. Ici, il s'agissait du temps, de l'âge.
Et quand bien même elle était encore jeune, elle pouvait concevoir cette folie dont il parlait. Mais pourtant, l'inéluctabilité sous le lequel l'homme lui présentait la vieillesse confondue à l'ennuie... Elle ne pouvait être du même avis. A ses yeux, il y avait de choses intéressantes, tant d'expériences à vivre et de rencontres à faire ! Jamais un jour, un mois, une année ou un siècle pourrait être similaire au précédent.

Quel était alors ce sentiment qui naquit dans un coin de sa conscience ? Peut-être une forme de douce pitié, de compassion pour cette être qui continuait de vivre dans l'ennui...

Elle continua de le regarder, son visage puis son dos presque ployant sous le poids du temps, alors qu'il s'éloignait non sans un dernier mot à son égard. Alrun se permit de sourire. Finalement, il ne lui paraissait pas si désespéré...

Et elle revint comme promis le lendemain, puis les jours suivants.
Elle venait entrebâiller la porte chaque début d'après-midi, jusqu'à ce qu'il se retournât vers elle. Un sourire et elle passait le seuil. Le temps se parfumait des différents thés qu'il lui faisait découvrir ou quelquefois, des pâtisseries qu'elle ramenait du manoir ; ils conversaient alors dans une douce atmosphère de tranquillité, bien que la plupart du temps, l'abyssal discourait et la vampire, elle, écoutait simplement.
Elle ne sut jamais vraiment la nature exacte de leur relation. Amis ? Maitre et élève ? Compagnons de conversation ?
Un peu de tout, sans doute. Quoiqu'il en soit, les jours se succédèrent et Lokyem -vite devenu Loky pour ne pas interrompre le flux de la conversation- en apprenait un peu plus sur elle. Il était la seule personne à qui elle pouvait partager sa vie au manoir après tout, qu'il s'agisse d'Altair ou bien des activités des Siegfried. Mais jamais elle ne lui révéla les occupations de son mari : il l'avait mise en garde. La Congrégation était un secret. Un tabou.

Et elle s'apprêtait aujourd'hui à passer outre sa promesse...
Alrun attendit qu'il soit tout à fait arrivé et après un dernier échange de sourires, elle laissa tomber les barrières que les siècles avaient crées. Elle le prit dans ses bras. Regrettant aussitôt son geste.

"Comme il est bon de te revoir... Mais... J'hésite encore à te partager mes pensées Loky. Je ne veux pas te causer d'ennui ni chambouler ta vie."

Elle le lâcha et la joie avait laissé place à une sourde inquiétude, dans laquelle elle vivait depuis longtemps déjà, mais qui refaisait surface d'un coup. Bien qu'elle en connaisse la raison, la vampire ne cacha pas ses émotions. Elle changea contourna le sujet plutôt.

"D'une certaine façon, je ne m'étonne pas que tu aies choisi la piraterie. (Elle sourit) Cela te va bien. Quand même, quelle belle paire on fait ! Toi à sabrer et moi à poignarder... (Elle inspira) J'ai suivi les pas d'Altair finalement, et rejoint la congrégation."

Elle ignorait sa position vis à vis de la faction noire. Avant de lui demander son aide, elle voulait l'entendre s'exprimer avec sincérité, bien qu'elle aurait pu s'en passer et directement lui demander son appui... Mais on ne traitait ainsi un ami de longue date.

Lokyem n'aurait sans doute même pas tiqué si son étrange visiteur n'était revenue le jour d'après. Les êtres vivants éphémères ne faisaient pas alors partie de ce à quoi il prêtait attention. Elle l'avait intrigué, certes, mais n'avait pas le mystère fascinant qui entourait un scarabée marchant, solitaire, sur une pierre rendue brûlante par un d'été, un renard traversant un jardin sauvage, ou une vague venue d'on ne sait où pour s'échouer, sans but, sans bruit, sans drame, sur une plage déserte.

La venue de la femme fut néanmoins une bonne surprise. C'est avec un intérêt mêlé de suspicion qu'il observa ces rencontres autour d'un thé devenir une habitude, puis une tradition aussi agréable qu'indispensable. L'abyssal se surprenait à passer un temps infini à préparer des breuvages toujours plus subtils les uns que les autres, des recettes qu'il avait expérimenté des années auparavant et qu'il avait tant apprécié, partant parfois une poignée de jours pour récolter les herbes dont il avait besoin.
Et au fur et à mesure que les arômes qu'il composaient se diversifiaient... ils parlaient. De la plus insignifiante chose - une dispute avec la belle-famille d'Alrun, un voyageur impertinent ayant déplacé une pierre que Lokyem affectionnait - à la plus subtile. Leur visions de la Vie. De la Beauté... De leurs Rêves.

S'il fallait que Lokyem le terme ami, c'était à Alrun qu'il l'aurait accordé. Sans hésitation. Il avait craint que les siècles lui aient retirée ce titre d'une quelconque manière, et pourtant... Elle était là, l'enlaçant. Il s'était raidit au contact de la vampire. Même venant d'elle, il n'était guère habitué à de telles interactions physiques.

Il attendait mi-inquiété mi-amusé la révélation qu'Alrun voulait lui faire. Elle n'avait jamais eu ce genre de considérations avant, débarquant toujours avec ses problèmes, ses questions, les posant sans le moindre emballage pour amortir leur impact.
Puis cela tomba.

Congrégation.

Il resta frappé par ce mot qu'il ne s'attendait pas vraiment à entendre de la bouche de la vampire. Certes, les activités d'Altair avaient toujours été passées sous un silence que Lokyem n'avait jamais demandé à briser. Mais la Congrégation ? Alrun connaissait ses réluctances à l'assassinat, il l'avait assez tannée avec son mépris pour toutes les tueries qu'il avait commises pour qu'elle s'en souvienne.

"Marchons un peu, veux-tu ?"

Les balades sur la plage avaient un délicieux arrière-goût de passé, tout juste assez fort pour gommer un peu l'amertume du moment présent.
"Tu connais bien le rêve que j'avais : faire de nouveau un avec l'océan. Un rêve un peu vain car il m'était impossible de récupérer des branchies fonctionnelles. Et pourtant... Mon capitaine m'a permis de réaliser une chimère de ce rêve : voguer à la surface de l'onde pour le reste de mes jours. Cet homme, je le suivrais jusqu'au bout du monde, voire au delà, si ça existe. Car il possède un petit bout de mon idéal." Il parlait à cœur ouvert, enfin capable de se confier à un oreille qu'il pouvait croire et respecter. "Pour toi, cet homme, c'est indubitablement Altair, alors qui suis-je pour te juger car tu l'accompagnes ?"

Il respira profondément. Il allait regretter de demander cela mais... "Mais viens-en donc à l'essentiel, ma trop chère Alrun, tu n'as pas rompu des siècles de silence pour juste me confier cela, non ?"

HRP:

Elle avait craint sa réaction et le calme qu'il affichait pour l'heure ne faisait qu'attiser son appréhension ; la vampire savait que l'abyssal ne devait pas appuyer toutes les activités de la Congrégation mais toutefois... N'était-il pas un pirate, à ce qu'elle savait ? Alrun concevrait donc un reniement de sa part comme une trahison bien qu'au fond d'elle-même, elle ne pourrait en aucun cas lui en vouloir... Il s'agissait donc ici de bien exposer son problème et de mettre en lumière tous les aspects de la faction noire que bien trop souvent on résumait en assassinats et autres jeux de couteaux perfides.

La vampire alignait ses pas sur ceux de l'abyssal. Un silence flottait entre eux, un peu différent qu'autrefois. Certaines choses, indubitablement, avaient changées. Il semblait plus jeune alors qu'elle avait été un peu plus marquée par le temps. Il y avait une nouvelle assurance dans ses pas, une vivacité empruntée à la Alrun de jadis, et qui aujourd'hui avançait mesurément, prudemment...
Mais plus que tout, ce qui différait le plus était ce qui restait invisible à l'oeil : leurs engagements, leurs compagnons, leurs songeries. Elle en avait un goût quelque peu amer -étrangement.

"Tu connais bien le rêve que j'avais. Mon capitaine m'a permis de réaliser une chimère de ce rêve... Cet homme, je le suivrais jusqu'au bout du monde. Pour toi, cet homme, c'est indubitablement Altair, alors qui suis-je pour te juger car tu l'accompagnes ?"

La vampire sentit son coeur manquer un battement à l'évocation de sa défunte moitié, mais n'en montra rien. Du moins pour le moment. Il était si difficile de cacher des choses à un tel ami... Elle ne voulait pas lui apprendre plus que nécessaire ; d'une part car certains de ses secrets le mèneraient à trop d'inquiétudes, d'une autre part... Elle ne voulait pas venir chambouler sa vie qu'il évoquait avec tant de passion dans la voix. Elle ne pouvait pas lui faire cela. Cependant l'abyssal ne lui laissa pas le temps de diriger la conversation sur un terrain plus sûr et enchaina :

"Mais viens-en donc à l'essentiel, ma trop chère Alrun, tu n'as pas rompu des siècles de silence pour juste me confier cela, non ?"

Il se doutait de pire donc. Au moins un point qui rassura la vampire, à propos de ses activités. Mais elle se sentit de plus en plus tiraillée entre la vérité toute entière et celle à demi-dissimulée... Elle marcha d'un pas plus vif, les yeux fixés au devant, la voix aussi assurée que possible.

"Je serais venue te revoir Loky, bien avant, si seulement j'avais pu... Je sais que cela est osé, effronté et fort peu respectueux d'ainsi t'appeler alors que je suis à l'origine de notre disparition."

Elle soupira, et enfin se décida à lui tourner un regard perturbée, juste une seconde. Elle n'avait jamais confié la suite à quiconque... Et la dernière chose qu'elle souhaitait, c'était d'être plainte. Qu'on lui témoigne une pitié condescendante. Surtout venant de Loky...

"A défaut de me faire pardonner, au moins cela t'offrira des clés de compréhension. Laisse-moi commencer depuis le début...

Ce jour où j'ai manqué pour la toute première fois notre rendez-vous... Je venais d'apprendre la mort d'Altair et de notre fils. Il m'a donc fallu reprendre la famille en main ; cela impliquait à long terme de rejoindre la Congrégation de l'Ombre. D'une part pour retrouver les assassins ou les meurtriers. De l'autre, mettre les miens à l'abri de tout danger.
Tu dois penser que c'est stupide en ce cas, de joindre une bande d'assassins pour protéger... C'est vrai, pour peu. Mais il n'y avait pas d'autre alternative, Loky. Si je ne trouvais pas un moyen pour que la famille devienne une puissance, on aurait tous disparu, un à un. Trop d'ennemis.
Et je ne suis ni une stratège, ni une fine marchande."

Elle marqua une courte pose, laissant Lokyem ingérer ces informations avant de reprendre.

"J'ai ainsi partiellement assuré la survie des miens en rejoignant la faction noire ; mais comme tu t'en doutes, cela a plus des allures d'épée de Damoclès."

Elle en venait à ce qui intéressait son ami...

"Je projette donc de prendre la place de l'Ombre."

De là, les conséquences découlaient tout naturellement, cependant, Alrun s'efforça de formuler sa requête en bonne et due forme.

"Si jamais je n'y parviens pas... M'aideras-tu à fuir, ainsi que les miens, Loky ?"

HRP:

Alrun fuyait son regard. Quelque chose qu'elle n'avait fait que rarement malgré leurs innombrables face à face. Son pas se faisait alerte, bien loin du rythme un peu flegmatique que Lokyem appréciait tant. Son allure était aussi troublé que l'était son esprit. La nouvelle de la mort d'Altaïr et de Len laissa Lokyem un peu penaud. Comme s'il aurait dû le savoir. En fait, il avait évité d'en apprendre plus sur le destin des Siegfried. Il aurait pu - un informateur est bien vite payé et le rumeurs ont une flagrance immortelle... Mais, dans l'incompréhension de la disparition d'Alrun, il n'avait pas cherché à en savoir plus. Alrun n'avait pas laissé de peine flagrante transparaître dans son ton, mais l'abyssal pouvait aisément l'imaginer.

Il admira un moment son amie d'avoir tant sacrifié au service de sa belle famille dont elle s'était tant plainte pendant toutes ces années. Il aurait été tellement plus simple pour elle de juste partir, partir voir le monde ou s'exiler à l'instar de Lokyem. Peut-être était-ce pour cela qu'elle ne s'était même pas accordée quelques heures pour venir le voir : sans doute lui aurait-il, bien inconsciemment, trop fait miroiter ce qu'elle s'était si douloureusement refusée.

"Alrun..." lâcha-t-il doucement, dépourvu de toute autre prose plus adéquate. Il faut dire qu'elle l'avait pris un peu de court. Alrun, la jeune Alrun, Alrun l'ingénue... et quelques temps plus tard, Alrun, l'assassin, la futur Ombre (potentielle ?), la chef de la famille Siegfried.
"L'Ombre a pouvoir de vie et de mort sur presque n'importe quel être de Dùralas... C'est sans doute la personne la plus méconnue mais la plus crainte... Et tu me demandes d'aller à son encontre ?"
Il aurait été stupide de le formuler autrement : Lokyem ne rigolait pas avec la Congrégation. Il savait que, si Elle voulait sa tête, Elle l'aurait tôt ou tard. En tant que Pirate, il aurait bien fini par se la mettre à dos, mais le plus tard aurait été le mieux.
"Mon capitaine ne voudra jamais engager ses forces contre la Congrégation. Pas aussi ouvertement. S'il n'y avait que la vie de son équipage, il la risquerait peut-être, mais il ne voudra jamais que sa famille devienne une cible privilégiée de l'Ombre.
Alors je ne peux pas t'aider."

Il prit une profonde inspiration avec de sceller son destin en même temps que son engagement.

"Pas pour le moment. Laisse-moi une poignée de semaines et je pourrais être Capitaine. Alors, tu auras ta porte de sortie."

Lokyem ne comptait aucunement trahir son Capitaine pour prendre sa place : Nilo voulait depuis longtemps se retirer et attendait juste que l'Abyssal soit plus expérimenté pour lui céder le poste. Lokyem n'avait qu'à faire ses preuves de façon un peu plus anticipée que prévue, finalement.

HRP:

Peut-être le savait-elle, qu'au fond, cette solution de facilité n'était que l'illusion d'un vague espoir ; pour combattre l'Ombre, elle devait se préparer à voir toute sa vie basculer d'un coup mais elle n'avait guère le choix. Au final, cela avait été assez stupide de sa part de renouer avec Loky. Elle aurait dû couper définitivement les ponts pour sa sécurité...

"Non, Loky. J'ai été égoiste de te demander cela. Désolée.(Elle chassa une pensée d'un geste vague, comme si la chose était oubliée). Admettons que je parvienne à mon but : penses-tu alors qu'une entente entre dos deux factions soit possible ? J'aimerai en effet montrer la congrégation sous un jour plus... vrai. La débarrasser des fausses rumeurs."

En effet, quoiqu'elle ne condamnât pas les activités sanglantes de la faction noire, sa réputation était source d'ennui : bientôt, on y associerait son nom. De ce fait, elle devra œuvrer pour rétablir quelques points et veiller à ce que certaines règles y soient respectées. Un semblant d'ordre pour une bande de mercenaires et de malfrats hein...

Spoiler:

Lokyem tiqua quand la vampire revint sur sa demande. Était-ce car elle considérait avoir presque forcé la main du pirate ? Ou car elle culpabilisait de son sacrifice ? L'abyssal n'arrivait pas à trancher. Il trouvait cela agaçant de ne plus pouvoir lire Alrun comme un livre ouvert, même si cela n'avait rien d'étonnant.

Il se gratta l'arrière de la nuque. Il était perplexe quant à cette histoire de pacte... Pour lui, les deux factions avaient toujours été un peu opposées. Toutes deux de l'autre côté de la loi, mais les pirates étaient des renégats  alors que ceux de la congrégation opéraient dans l'ombre, avec comme chef arbitre leur vénalité et le porte-monnaie des plus riches... Une alliance n'aurait aucun sens. Ensuite, en effet, si Alrun était à la tête de la congrégation...
Et puis merde, ils allaient parler politique ? Ignorer le danger qui planait au-dessus d'Alrun ?

"Alrun. Si jamais il arrive un jour, pour cette connerie d'Ombre ou quoique ce soit d'autre, que je sois ton dernier recours pour survivre, je veux que tu viennes me voir quelque soit la merde dans laquelle ça me foutra. Je ne te le pardonnerais pas si tu fais autrement."

Son ton était tranchant, presque sans réplique. La laisser se jeter dans la gueule du loup sans corde pour l'en tirer, c'était comme la regarder se jeter dans un ravin. Une connerie, quoi.

"Mais soit. Admettons. Il faudra déjà commencer par redorer le blason de la Congrégation aux yeux des pirates. Mon équipage ne voudra frayer des assassins."

HRP:

Elle apprécia ses mots. Cette nouvelle spontanéité dénuée de fioritures dans les paroles lui plaisait ; d'une certaine manière, elle était heureuse pour son ami qui avait pu trouver un peu de joie dans sa longue existence. Bien qu'elle l'eût connu ermite, solitaire et un brin de folie dans l'esprit, son "capitaine" semblait avoir changé l'abyssal... en bien. Lorsqu'il eut fini de mettre les choses au clair, elle lui sourit un instant avant de lui répondre -sans relever le fait qu'il parlât déjà de l'équipage comme étant le sien.

"Oui, oui, Loky, fit-elle comme une enfant face à son parent, mais la joie au lèvres. Ne t'inquiète pas, j'ai quelques tours dans mon sac et savoir que tu me soutiens malgré mes conneries me donne du courage !"

Elle avait eu le temps de vivre, pendant leur longue absence, toutefois ses paroles ne reflétaient pas tant que cela la réalité. En fait... Si elle échouerait, elle risquait de mourir aussitôt. Mais elle éloigna cette idée.

"Autrement, je compte bien apporter quelques changements à la Congrégation en ce sens, mais je ne m'avance pas plus que cela. On verra bien ... avec le temps." finit-elle avec un air amusé.

Un regard vers le ciel.

"Parlons de choses plus joyeuses veux-tu ? Parle-moi un peu de toi, tu me sais curieuse."

Elle lui aurait bien proposé de partager un repas, voire plus, mais cela serait irraisonnable ; si jamais les choses tournaient mal pour elle, on se méfierait de son ami... Toutefois, elle ne pouvait rien contre son envie de rattraper un peu le temps perdu.

HRP:

Parler de lui. La demande d'Alrun lui arracha un sourire. Il avait beaucoup à dire sur ce qu'il avait fait depuis la dernière fois où elle était venue le voir. Mais sur ce qu'il était ? Sa quête d'identité, il ne l'avait jamais terminée. Il avait eu le projet de répondre à l'infinie question du "qui suis-je" quand il serait parvenu à se fondre dans l'harmonie, mais n'ayant jamais réussi ce dernier objectif, il n'avait pas consacré la moindre journée de réflexion à cette question. Le problème principal était : comment se définir autrement que par son origine, son passé et ses actions ? Y avait-il une sorte de principe supérieur qui formerait l'identité à partir de ces trois composantes ? Autrefois, il aurait sûrement ouvert un débat de quelques heures voire journées avec Alrun à ce sujet, ils se seraient poussés dans leurs retranchements rhétoriques jusqu'à admettre qu'ils ignoraient tout de ce qu'ils défendaient.

Là... Lokyem ne savait pas s'il lui était permis de faire une telle envolée philosophique. La curiosité d'Alrun allait-elle encore jusqu'à l'intérêt aveugle à tout ce qui l'intriguait ou s'était-elle émoussée avec le temps ? Le Bras-Droit se refusa de vérifier et se contenta donc de répondre de façon assez brute à la question.

"Je dirais que je suis heureux. D'une certaine manière. Tout va si vite, sur la mer, que ce soit l'équipage qui s'affaire, le navire qui glisse à la surface... Plus le temps de penser, de se poser des questions, de se torturer sur des grands préceptes. Il faut danser au rythme du vent au risque de tomber par-dessus bord. C'est un bonheur qui te fouette et t'enserre presque à la gorge, mais... ce n'est finalement pas si désagréable..."

Les mots coulaient aisément. Il pensait si souvent à cela qu'il lui semblait presque naturel de tout lâcher, d'un coup.

"Ce bonheur si ignare et peu savant, éprouvé mais improuvable, inexplicable et sans aucun doute fugace... Tu crois que c'est le seul qui puisse exister ?"

C'était le seul qu'il avait réussi à trouver jusqu'alors, tout du moins.

HRP:

"Ce n'est pas le seul qui puisse exister, loin de là ; mais un plaisir qui se goûte à l'instant et que l'on sait éphémère est sans doute le plus puissant."

Elle songeait à son petit bonheur d'une vie familiale, qui ne lui était finalement apparu dans tout son éclat qu'une fois brisé en morceaux. Les choses étaient malheureusement ainsi le plus souvent : on ne mesure la chance que l'on a qu'une fois celui-ci envolé. Autrement on le tient pour acquis.

"Je me demande par contre, comment tu t'en souviendras, plus tard ? On discerne avec plus de mal un éclair qu'une longue et douce lumière : je pense la même chose du plaisir..."

Au final, cela ne tenait pas qu'au plaisir mais à tous les sentiments. C'étaient ainsi que fonctionnaient les assassins pour ne pas succomber à la folie et ne pas se repaitre du sang comme une drogue ; oublier le fugace, se concentrer sur l'instant et la répétition...

HRP:

Lokyem était étrangement satisfait de la réponse d'Alrun mais ne parvint pas à sourire. En un instant, il se retrouvait accaparé, absorbé par les réflexions que les questions de la vampire avait fait naître.

"Je ne suis pas d'accord. Un éclair, tu le vois forcément. Parfois, tu crois même en voir un, du coin de l’œil, alors que ce n'est qu'un mirage. Que ce soit un éclair de plaisir ou de bonheur, il te frappe, te laisse patois, déstabilisé, fragile, presque. Dans l'incompréhension. Car il est si vite parti que tu te demandes si ce n'était pas qu'une chimère de ton esprit, une illusion créée par ta tête un peu trop étourdie par l'habitude."

Il retrouvait un rythme fiévreux dans ses paroles, mais ralentissait son pas. Comme le rythme de son corps pouvait contrebalancer celui de son esprit.

"La question n'est pas comment je m'en souviendrais, mais si je le regretterais. Après cent ans parmi les pirates, souhaiterais-je les avoir passés sur ma côte auprès de ma solitude et de mes rêves fantômes ? Et toi, Alrun... Quand tu seras à la tête de tout ce fatras qu'est la congrégation, quand tu auras sécurisé la moindre de tes positions, quand enfin tu te considéreras en paix... Si cela arrive un jour, crois-tu que tu regretteras tout ce que tu as fait et sacrifié pour cette famille ?"

HRP:

Elle goûta à ses paroles comme un vin encore méconnu : elle jouait avec, essayant d'en percevoir toute la profondeur. Mais pourtant, la réponse ne changeait pas.

"J'ai depuis longtemps perdu tout attrait pour le regret : à quoi bon ? Ce que j'ai appris est que ce temps que l'on perd à regretter, à aligner les "et si j'avais fait autrement", eh bien ce temps là ronge ce que l'on peut faire au présent pour qu'il prenne une tournure plus plaisante. Il n'y a qu'une poignée de secondes pour les interrogations mais une éternité pour agir ; toutefois on se complaît trop aisément dans les délices de l'esprit. Et on en oublie de faire ses choix.
A ce moment là, alors, les regrets viennent.
Autant s'accorder une brève pensée pour un acte : si celui-ci s'avère être le mauvais choix, au moins j'aurai fait quelque chose. Ne rien faire, cela m'insupporte..."

Elle se savait désabusée mais être trop idéaliste et spirituelle lui aurait depuis longtemps coûté la vie. Au final, on n'avait guère qu'un choix : celui que la vie nous imposait. Elle aurait pu poursuivre ses rêves et devenir une érudite. Mais alors, elle serait à cette heure un cadavre froid perdu quelque part dans Stellarae... Non vraiment, elle devait agir pour vivre : et lorsqu'enfin elle deviendrait Ombre, son existence ne serait plus que cela. Le temps pour penser l'acte se réduirait à quelques poussières.

"Mais je me demande au final si l'on peut vraiment s'accorder, alors que nous sommes au final deux entités différentes, au chemin si peu commun. Quoiqu'il en soit j'aspire à ce qu'au moins notre amitié persiste même si toute certitude s’effondre" fit-elle avec un sourire.

HRP: