Il faisait beau, le vent frais du nord en cette journée ensoleillée tempérait à merveille la lourdeur de l'astre du jour. Nithan sortait de la ville avec son nouveau barda : un plastron de cuir léger et un peu vieux déjà fixé à son poitrail, et une arbalète de poing au mécanisme crissant, glissée sous sa cape. Et comme d'habitude, son masque était caché entre sa chemise ample et son pantalon, prêt à être mis pour lui garantir un anonymat immédiat, si tant est qu'on ne l'eût pas surpris en train de le mettre.

Il partait. Equipé comme il l'était, il ne devrait pas avoir trop de mal à rejoindre Stellaraë où l'attendait son contact, l'Arracheur de dents. L'homme aurait sans doute un plan pour l'aider à localiser ses camarades. Mais il fallait d'abord le rejoindre. Il héla un bouseux assis sur sa carriole. Le gueux sentait le vin, avait le nez enflé, rouge, le teint tout aussi rougeaud et le yeux injectés de sang et étrécis. L'homme ne broncha pas. Nithan insista. Le sac-à-vin paru enfin s'intéresser à lui lorsqu'il entendit le tintement des quelques piécettes qui tintaient dans la main de Nithan. Sans même un mot, l'ivrogne lui fit signe de monter derrière, et de s'asseoir entre les cageots de choux, non sans avoir au préalable tendu la main pour récupérer les 5 pièces d'or que le voyage coûterait à Nithan. Après avoir déposé la somme dans les mains verruqueuses du traîne-savates, il alla s'asseoir à l'arrière de la carriole, au milieu de choux fébriles, dont le paysan ne tirerai sans doute pas grand chose. Puis il se plongea dans ses pensées. Il fut dérangé peu avant le départ par le paysan s'adressant hors de son champ de vision à une autre personne.

-J'va bien vous conduire ma va t'y falloir m'faire un p'tit don m'voyez.

La réponse de l'interlocuteur fût inaudible car au même moment, la bête de somme qui tirait la carriole émit un pet sonore particulièrement foudroyant qui ne manqua pas de sonner Nithan, lui laissant un léger acouphène et une nausée provoquée par l'odeur de souffre et de choux pourri. C'est alors que dans ce nuage malodorant, il sentit une présence. La personne qui s'était adressée au conducteur vint s'asseoir à côté de lui.

HRP:

Les tavernes de Kastalinn faisaient partie des préférées de Lokyem. Ses occupants avaient le charme rustique voire rustre du nord, leur façon un peu bourrine de boire, leur manière brutasses de s'occuper... Toute personne connaissant un peu les manières raffinées de Lokyem s'étonnerait de le voir au milieu de ces sauvages avec un air détendu voire heureux. En fait, c'était comme pour l'équipage pirate : Lokyem trouvait cela vraiment relaxant de se retrouver au milieu de tous ces imbéciles heureux. Leurs joies étaient contagieuses. Des joies stupides, sans réelle raisons, mais cela suffisait pour mettre un sourire sur le visage de l'abyssal.

Mais depuis quelques heures, le sourire qu'affichait Lokyem n'était qu'une façade pour cacher son inquiétude. Il avait des changements un peu inquiétant dans l'attitude de certaines personnes. Des regards un peu masqués, quelques piécettes échangées un peu trop furtivement, des mots, des allers et venues qui se voulaient discrètes... Toute une agitation qu'on voulait apparemment cacher au pirate, qui n'était pas totalement dupe.

Ca sentait l'embuscade. Directement à la sortie de la taverne ou dans une ruelle. Peut-être dans l'escalier ou dans le couloir qui menait à la chambre que Lokyem avait payé pour la nuitée. Ou peut-être était-ce un assassin qui était en train de frayer discrètement un chemin pour planter l'abyssal...

La vie de pirate recherché par les autorités et les chasseurs de prime un peu trop vifs était usante...

Alors Lokyem, après un petit moment à observer le manège des gens qui voulaient sûrement sa peau, se décida d'agir pour se tirer de ce pétrin. Il avait à faire à Kastalinn, mais qu'importe, ses emplettes attendront qu'il soit en sécurité.

Première étape, faire éclater une bagarre générale. Un jeu d'enfant, même si les saoulards n'étaient pas encore ivre morts. L'abyssal se contenta d'influencer légèrement leurs esprits. Un bolosse qui trébuche, un autre qui l'insulte, l'autre qui prend partie, puis, déjà, les premiers coups, les premiers cris, les premières bouteilles brisées...
Et bientôt, le bordel ambiant, partout.
Deuxième étape, sortir de la taverne. Lokyem se faufila entre les combattants, évitant soigneusement de prendre un quelconque parti, jusqu'à arriver à une fenêtre. Il la brisa d'un coup sec puis sauta de l'autre côté.

Et voilà. Avec un peu de chance, les personnes qui manigançaient n'avait pas vu son manège... Un regard sur le côté lui permis de se rendre compte que non : en effet, trois gaillards bien armés et menaçant considéraient sa silhouette d'un air bien suspicieux et fort peu pacifique. Alors, Lokyem se mit à marcher très vite pour les semer.

Au bout d'un moment à trainer dans les ruelles, se fondre dans la foule puis la quitter, Lokyem se dit que ça devait être bon. Il n'y avait plus qu'à s'éloigner un peu plus la ville puis revenir dans quelques jours, histoire que les quidams aient oublié sa tête ou sa prime. Il avisa une carriole menée par un ivrogne pitoyable. Ce dernier ne se souviendra sûrement même plus de sa tête le lendemain : il était parfait. Le pirate l'aborda, lui demanda s'il pouvait monter... Quand l'autre lui fit savoir qu'il fallait qu'il aligne la monnaie pour cela, Lokyem sorti bel un bien du métal de ses frusques, mais c'était un poignard.
Il n'eut même pas formulé la menace que son interlocuteur s’empressa de lui dire de monter dans aux côté de ses choux... et d'un autre voyageur, que le pirate n'avait pas remarqué avant. Lokyem le considéra un moment, pour juger s'il était possible que ce dernier fasse partie des gens qui voulaient sa peau...

Tâtons le terrain.

"Une belle journée pour quitter Kastalinn, vous ne trouvez pas ?"

Lokyem n'avait pas encore tout à fait rangé sa dague, prêt à toute éventualité.

Spoiler:

Un homme venait de s'asseoir à côté de Nithan, et pas banal de surcroît. Des yeux d'un bleu électrique intense, un grand manteau brun qui ne pouvait que vouloir dire que l'individu trempait dans des affaires louches, et par là simplement qu'il était aventurier. Oui, se dit Nithan intérieurement. On a toujours quelque chose de louche à prouver quand on mène une vie d'aventurier. Lui même en avait des choses à se reprocher. Et si... ?

Nithan plongea son regard dans celui de l'étranger. Bleu, pas vert. Des souvenirs remontèrent à la surface. Des sifflements, des yeux verts et luisants dans la nuit, précédés par une capuche noire qui tombe. Un frisson le parcouru. Il espéra un instant que l'homme aux yeux bleus ne le remarquerait pas. Il détourna les yeux et remarqua un petit détail. Il n'était apparemment pas le seul à souffrir de paranoïa.

- Nithan Steal, enchanté, dit il en tendant la main. Une bien belle journée je vous l'accorde. Un peu odorante toutefois. J'ose espérer que vous rangerez votre poignard avant la fin du voyage , lança-t-il car je peux vous assurer de mon caractère inoffensif.

Il avait parlé sans réfléchir. Un homme normal le prendrait juste pour un observateur avisé. Un homme chercheur ou recherché le prendrait pour une proie... Ou un allié potentiel.

Lokyem eu un sourire figé pendant deux secondes, le temps de statuer sur son perspicace interlocuteur.
Inoffensif, hein ?
Puis, d'un façon assez ostentatoire, il rangea son poignard avant de prendre la main que l'autre lui tendait dans la sienne, non sans garder un œil sur l'autre bras du gars, au cas où ce dernier préparait un coup fourré. Il était prêt à se défendre. De toute manière, si cette rencontre devait dégénérer d'une quelconque manière il aurait certainement l'avantage vu que, grâce à son contrôle mental des bêtes tirants la carriole au besoin, il possédait une carte d'effet de surprise non négligeable.

"J'espère que vous me pardonneriez cette incivilité. Nous ne sommes, hélas, jamais trop prudents dans les temps qui courent..." dit-il en imprimant une pression qui se voulait amicale sur la main du quidam. "Nithan..." répéta-t-il, pour être sûr de retenir le nom de l'autre.

"Je suis Lokyem. Jusqu'où allez vous dans ce transport de luxe ?"

Le pirate n'avait pas jugé utile de cacher son nom. En plus, la réaction de Nithan allait lui permettre de mieux déterminer s'il était aussi pacifiste qu'il voulait le faire croire...

-Ravi de faire votre connaissance Lokyem.

L'homme était vraiment louche. Pas ordinaire pour un denier. Pas louche inquiétant non. Louche intriguant. Il réfléchit quelques secondes, intentionnellement hésitant, à la question du malandrin. Si celui-ci trempait dans des affaires criminelles, il comprendrait sûrement ses allusions. Sinon, il aurait le bénéfice du doute. Nithan n'aurait plus qu'à gentillement disparaitre de la circulation comme il sait si bien le faire après un casse. Comme il savait si bien le faire.

- Je prends la route pour trouver du travail. On raconte que les opportunités dans ma branche son légion à Stellaraë. Je travaille dans les transferts financiers.

En un sens, il ne mentait pas. Il lança à l'intention de Lokyem :

- Parlez-moi un peu de vous.