Sniff sniff, les narines de Reek se dilatèrent au passage de l’odeur. Car aucune ne lui échappait. Ah, qu’il avait du bon d’être un animal ! Sous sa peau de bête, il était un grand chien primitif, queue enroulée, aux longues pattes arrière, dont l’échine atteignait son sommet au garrot. Il portait dans sa gueule un petit colis qu’emballait son armure de cuir : deux dagues, un brin d’or et le rubis. Son allure, un trot soutenu et rectiligne, lui permettait d’engloutir la distance sous ses pattes en direction de Kastalinn.

Dans ces plaines qu’il traversait, en ce bel et doux automne, la vie était bien plus facile que dans les montagnes à l’est… Ici, on voyait loin et sentait d’encore plus loin approcher le gibier.

Et m’est avis qu’cette odeur, c’est du daim ! Et récent !

Il changea sa direction, ralentit son allure et se fit tout nez. L’odeur était si proche…

Ah !

Elles étaient là, petites boules noires d’excrément de cervidé. Encore chaudes et fumantes.

Un délice !

- Wouf !

Aboiement de joie – il n’était pas loup – qui souleva ses babines et les fit retomber sur les lanières de cuir dans sa gueule.

Oh oui ! Oh oui ! Un bon miam si je suis malin !

Et il se lança à la poursuite des daims… Cependant qu’une autre odeur vint le frapper.

Un ailes-noires...

Fabien Parker tendit une main amicale vers Reek, lui proposant de se joindre à la chasse. Mais l’homme-chien n’était ni civilisé ni éduqué, et cette main tendue n’avait aucun sens pour lui. Il la fixa l’air dubitatif, ne voyant que le rien qui lui était offert. Il n’allait pas réfléchir plus cependant, ça vous faisait mal au crâne ces choses-là. Il oublia le geste pour se rappeler les mots…

- Un troupeau de bisons ? Rien que ça ?

Reek attrapa finalement la main tendue mais ce ne fut que pour saisir ce Fabien et venir tâter les muscles de ses bras. Il le lâcha ensuite et dit :

- Mmmm, c’est audacieux. M’semble pas qu’t’aies la carrure pour ça. C’est que c’est fichtrement balèze ces bestiaux, bien bien gros avec une paire de cornes sur une tête qui n’a qu’à t’frapper une fois pour t’fiche en l’air. Et puis, ça vit en bande, ça se protège les uns les autres... Non, c’pas bonne idée, sans moi.

Pas que j’pourrais pas les pister, ça serait facile, pour sûr ! Mais les transformer en casse-dalle… na, trop risqué…

- Quitte à chasser, du daim ça t’irait pas ? Il te faut la récompense, oui, je comprends… mais tu vas y perdre la vie si tu t’attaques aux bisons. D’jà qu’un daim peut faire du dégât… Erf, j’suis pas ta mère après, tu fais bien ce que tu veux mais j’te suivrai pas à la boucherie. Bon, j’peux m’tromper, j’dis pas que t’es pas assez costaud, ya moyen que tu caches bien ton jeu… Et je voulais pas t’insulter. Arf, attends, je sais : suis-moi sur cette piste, on se farcit du daim ensemble, on graille parce que la chasse ça creuse et si t’es pas mort, on reparle de tes bisons. Alors ?

Eh ? C’est moi qui prétend être fort et mes daims qui « vont même pas voir leur mort arriver » ? Mmm…

- Ouais. Allons-y. J’espère que tu pourras suivre…

Les daims n’étaient pas loin de toute façon. Reek se fit bête à nouveau et ses narines humèrent profondément l’air avant tout. Il passa son paquetage dans sa gueule et se remit à quatre pattes. Truffe au sol, il fit un petit cercle et partit au trot à la suite du gibier. Sans ménager les efforts de son compagnon, il l’entraîna vers la lisière d’un ruisseau que quelques arbres bordaient.

- Ils sont juste derrière, silence maintenant.

Ils contournèrent un temps l’endroit où Reek supposait la présence de bêtes. Faire jouer le vent en notre faveur… Et ils aperçurent bientôt deux oreilles dépasser d’un bosquet ! Reek fit signe à Fabien de se séparer, lui prenant à gauche et l’homme ailé à droite...

Début du combat Reek, Fabien Parker - Daim

Les oreilles découvertes appartenaient à un jeune mâle. Il devait être à la traîne, juste ce qu’il fallait à l’écart de son groupe. En l’encerclant, Fabien et Reek lui coupait la possibilité de rejoindre le troupeau.

L’homme-chien s’exécuta aussi rapidement que furtivement : il s’accroupit, déballa son armure et la passa sur sa poitrine et prit une dague dans chaque main griffue. Puis il courut vers le daim, qui le vit, pivota et bondit, mais Fabien surprit l’animal en apparaissant dans son champ de vision. Il y eut un instant de peur, de paralysie, d’hésitation de la part de la proie, et cet instant était de trop. Reek avait bondit sur lui, cherchant à planter ses dagues dans une cuisse...

Combat Reek, Fabien Parker - Daim

Reek avait réussi son coup et le sang ruisselait à présent tout le long de la patte arrière qu’il avait frappé. Fabien s’avérait doué de bons réflexes aussi : il n’avait pas perdu une seconde pour attaquer à son tour, abattant son épée – en piètre état, elle ne devait pas faire bien plus de mal qu’un poing lourd – sur  la gorge de l’animal.

Le daim n’apprécia pas, mais alors pas du tout l’assaut mené par Fabien. Au point qu’il le prit pour cible de sa rebuffade, coup de bois flanqué dans le ventre et ruade paniquée. Voilà qui servirait de leçon à la prétention du jeune homme ailé, se dit Reek.

Et de ne pas attendre un instant de plus pour lancer sa prochaine offensive, qui visa cette fois la nuque de la bête, plus précisément ses cervicales. Les dagues filèrent toute pointe en avant vers cette zone si fragile, tandis que le regard du thérianthrope brillait d’un feu meurtrier.

Fin du combat

Le contact sur son épaule surprit un peu Reek, qui n’avait pas gouté à la chaleur humaine depuis fort longtemps. Et ce Fabien continuait d’être sympathique, en plus du compliment qu’il avait fait au thérianthrope, proposant un peu de repos avant la poursuite de la chasse.

- Ah, ça c’est sûr, chasser un peu mieux…

Il fit rouler ses articulations – épaules, coudes, poignets – et s’étira. N’ayant souffert aucune blessure, il aurait presque été partant pour engager dès maintenant une autre chasse. Ceci dit, à l’idée de faim qu’évoqua Fabien, Reek entendit son estomac acquiescer d’un grondement d’envie.

- Ouais, manger d’abord. J’imagine tu veux le cuire. J’te préviens, je suis naze en feu, j'te laisserai faire. Faut dire qu’j’en ai pas ben b’soin.

En effet, il ne lui aurait fallu qu’une seconde pour redevenir bête et moins d’une minute pour engloutir de quoi combler son appétit. Mais comme il commençait à apprécier le stryge, il préférait attendre. Attendre le feu, la cuisson, la longue mastication des dents humaines et surtout le repos qui ferait retrouver ses forces à Fabien.

- Haaa…

Il posa ses fesses sur l’herbe et jeta un regard vers l’azur parfait du ciel.

- On est quand même loin de pouvoir se faire un bison tu sais… Ton épée là, l’est pas bien dangereuse et toi, sans armure, sans rien, tu ferais pas long feu face à ces machins. P’t’être bien qu’tu devrais t’équiper mieux. Ou alors envoyer valser ceux qui te réclament des peaux. Ouais, pourquoi tu bosses pour eux d’abord ? Pour qui donc qu’tu s’rais prêt à y rester, hein ?

Quoi ? Fabien ne s’occupait pas de la viande ? Ni feu, ni découpe, ni rien, il semblait que le sujet de ses raisons pour risquer sa vie dans ces plaines lui tenait bien plus à cœur qu’un bon repas. Reek avait du mal à le comprendre… Alors il prit soin de trouver mieux à faire qu’écouter d’un air idiot : il attrapa le daim, le cala contre lui et commença à déchirer la peau sur le ventre. Quand Fabien eut achevé de s’expliquer, lui en était à la phase la plus délicate du dépeçage : il retira le plus possible de peau sous l’animal, mettant à nu ses côtes et son échine. Puis il se mit à tailler l’os qui retenait une patte arrière.

- Ouais. J’saurais pas dire si c’est d’la chance que t’as. Moi, j’ai personne. Ca fait personne pour me donner des ordres, personne pour s’inquiéter d’mon sort et personne pour qui moi j’m’inquiète. C’qui est facile, ouais.

La cuisse se détacha du reste. Et Reek répéta l’opération sur l’autre.

- Tu pourras déjà ramener un peu de viande. Et j’espère que ta femme appréciera. J’espère qu’elle apprécie tout le temps ta façon de la servir.

Reek n’avait pas saisi, loin s’en fallait, la force du lien qui unissait Fabien et Mina – puisqu’elle venait d’être nommée. Amour ou même amitié, il n’avait jamais rien ressenti qui le rattacha à un autre être. Sauf peut-être à ses premiers compagnons canins, lorsqu’il était enfant et vivait dans les décharges d’Ishtar. Ce que racontait Fabien cependant, son amour, les promesses, les risques, les symboles… échappait totalement à l’homme-chien.

Le feu qui naissait, ça, c’était à sa portée. Comme la promesse d’un ventre bien rempli d’ici peu. Il commença à saliver. Comme le stryge faisait preuve d’une politesse et d’une humanité si grande, Reek décida de pratiquer aussi. Du moins, il allait attendre patiemment que le daim que voulais Fabien cuise pour engloutir sa propre part.

Il en avait d’ailleurs finit avec le dépeçage et la découpe. Il laissait les deux pattes arrières à l’autre, trouvant cela amplement suffisant pour un estomac humain, et s’octroya le reste – ventre, pattes avant, cou et tête – qui réclamait plus grande mastication et des entrailles à la hauteur.

- Par contre, va falloir chasser quelques daim en plus si je veux ramener de la viande, parce que j'ai super faim là, et il va pas en rester beaucoup de celui-ci à mon avis, et puis il en faudra pour toi aussi, car c'est ta proie tout autant que la mienne.

- Ouais ouais, bien sûr. P't'être aussi tu devrais prévoir meilleur équipement. On a eu du bol là, un seul bestiaux, ça pourrait être bien plus et t’es pas bien prêt là. Mais mangeons, dès que c’t’affaire sera cuite. T’auras qu’à faire un aller-retour auprès de ton campement, de ta Mina, et lui demander, ch’ais pas, au moins de quoi encaisser les coups un peu mieux.

Et de lui rendre son sourire, amusé.

- Qu’est-c’c’est ?

Reek attrapa la gourde, renifla son contenu et reconnu ce parfum si caractéristique qu’était celui de l’alcool. Il en prit une petite goulée, prudent, et comme elle lui plut il en prit deux autres plus goulues. Puis s’essuya les lèvres d’un revers de main.

- Haaa, merci bien ! Rudement bon breuvage que t’as là.

Il sourit et rendit la gourde à Fabien, tandis que du feu montait un fumet de viande rôtie. Il n’avait pas mangé de chaire cuite depuis un moment et les odeurs qu’il en percevait ne lui ouvraient pas autant l’appétit que celles du sang chaud.

- Et ouais, ça m’semble une bonne idée de remettre la suite de la chasse à demain.

Il n’avait pas prévu de camper là à la base, tout en chemin pour Kastalinn qu’il était. Mais c’était une bonne chose que de s’accorder une pause. Il aurait tout l’après-midi devant lui pour se reposer et pourrait prendre le temps de se faire un bon lit ce soir.

Quand la viande fut cuite – et la gourde allégée de pas mal d’autres gorgées – Reek se fit animal pour prendre son repas. Il déchiqueta, broya et engloutit autant de viande de daim que son estomac voulait bien accueillir. Puis redevint humain, s’étira et s’allongea sur l’herbe en attendant que Fabien en finisse avec ses découpes et mastications qui requerraient plus de temps que lui ne mettait à bouffer.