Adossée à un gros rocher gris, Axe scrutait les environs avec attention. Le paysage sombre et accidenté du Vulkar était couvert par d'épais nuages, une météo qui n'arrangeait rien à l'atmosphère étouffante du volcan. Elle se tamponna le front avec un coin de sa cape.

Son regard cherchait deux choses dans les rochers : d'une, les mouvements éventuels de rabclaws, de deux, l'arrivée des personnes à qui elle avait donné rendez-vous. Il s'agissait de mercenaires de la Congrégation dont elle avait entendu du bien par ses contacts à Kastalinn, un duo de nouvelles recrues apparemment assez soudé et sérieux.

Elle leur avait fait parvenir à Lédéhi la missive suivante :

« Mercenaires de la Congrégation,
Je me trouve dans le Nord et j'ai repéré une occasion d'accomplir un fait d'arme au nom de notre faction.
Litha, la reine des rabclaw, ainsi que son fils Björn, effectueront un tour de leur domaine sous faible escorte dans deux semaines à compter de la date de rédaction de cette missive.
Vaincre ces deux combattants célèbres accroîtra à coup sûr notre réputation et nous rapportera un petit butin à partager entre nos poches et le coffre-fort.
Plus de détails sur place.

Pour participer à la manœuvre, rejoignez-moi au cairn de la Salamandre, dans le Vulkar, le matin du... »

Axe avait indiqué la date du passage de Litha et de son fils, qu'elle avait obtenue d'un guetteur de la région, et signé du lotus de la Congrégation.

« P.S. : Prime pour celui ou celle qui trouvera le paquet entreposé dans la caverne au sud de Lédéhi et me le ramènera, ainsi que la manticore qui le garde. Pour qu'elle vous laisse passer et accepte de vous suivre, prononcer les mots : "Vive la Garde Royale". »

Elle avait essayé de penser à quelque-chose qu'un assassin aurait eu très peu de chances de dire par hasard.

« N'ESSAYER D'OUVRIR LE PAQUET SOUS AUCUN PRÉTEXTE : DANGER. »

Le paquet en question était l'une des nombreuses affaires qu'elle avait laissées à Lédéhi avant sa longue absence. Elle l'avait caché dans une caverne non loin du quartier général où personne n'allait jamais, moins pour protéger son contenu des voleurs que pour protéger les voleurs de son contenu. Elle l'avait scellé avec une corde bénie par un purificateur (pas facile à trouver) pour être certaine que l'objet ne chercherait pas à appeler à lui un mercenaire s'entraînant à la course dans les parages ; d'autre part, la corde ne pouvait se desserrer que sur son ordre et se défendrait si on essayait de la couper.
Ayant pris ces précautions, elle avait fait comprendre à sa manticore qu'il fallait garder l'endroit pendant un moment. Bien sûr, elle était partie plus longtemps que prévu, mais elle n'avait aucun doute sur le fait que l'animal était resté fidèle au poste.

Axe aurait pu aller chercher son bien et sa monture elle-même, mais elle avait préféré s'éviter l'aller-retour. Et le fait de rencontrer deux mercenaires avant de retourner à Lédéhi l'arrangeait bien, car elle ne voulait pas remettre les pieds dans ce quartier général douteux sans avoir eu des informations fraîches sur ce qu'il s'y passait en ce moment.

Bref, on était le jour du rendez-vous et elle attendait.
De loin, elle ne ressemblait pas à un assassin. C'était juste une jeune femme adossée à un cairn à proximité du territoire rabclaw, qui aurait pu être une rôdeuse en train de se reposer. Sa tenue était d'un gris proche de celui des alentours et ses longs cheveux noirs ressemblaient aux coulées de lave du Vulkar. Seuls ses yeux rouges indiquaient qu'elle n'était pas humaine.

-Aller! Arrête d’hésiter autant! De toute façon je te battrai encore !

    L’humain semblait bien sûr de lui dans ses paroles mais ses actes trahissaient sa méfiance. Ce n’était pas la première fois qu’il confrontait cet homme lézard. Ce dernier ne l’avait jamais battu mais il lui donnait de plus en plus de fil à retordre. Son combat au sabre était basé sur la défense et fonctionnait à merveille contre la plupart des adversaires. Cette technique lui permettait de temporiser et d’analyser la façon de se battre de son adversaire pour trouver la meilleure manière de le contrer. Un style agressif avec un bon nombre de feintes pouvait mettre à bout l’homme lézard qui ne parvenait pas toujours à s’adapter. Mais le naga avait de plus en plus l’habitude de se battre contre l’humain qui manquait de plus en plus d’idée pour innover. Cette fois-ci, Sslozmek tenta une manœuvre plus audacieuse et entama le combat par un coup d’estoc qui exposait son flanc. L’humain en profita mais le naga fut assez rapide pour dévier sa lame et enchaîna avec un coup de poing qui atteignit l’humain en plein visage. Du jamais vu. Il avait beaucoup progressé. Cette technique ce n’était pas lui qui lui avait appris mais probablement l’elfe noire avec qui il passe une bonne partie de son temps. Ces deux-là devaient bien cacher quelque chose mais l’acolyte ignorait ce que cela pouvait être et à vrai dire il s’en fichait un peu. Beaucoup de membres de la Congrégation possédaient nombre de secrets et mieux valaient qu’ils restent tut. Ce n’était pas ses affaires. Lui son problème actuel était de trouver comment vaincre l’homme lézard qui parvenait, pour une fois, à le surprendre. Il se remit en garde, prêt à lui faire mordre la poussière.  

-J’ai un message pour Sslozmek Hann.

    Un jeune écuyer humain venait d’apparaître sur le terrain d’entrainement avec un bout de parchemin qu’il tendit à l’homme lézard. Ce dernier soupira. Pour une fois qu’il pouvait faire mordre la poussière à l’humain, et bien non. C’était la deuxième fois que quelqu’un l’interrompait contre lui, à croire que le destin voulait prolonger encore le mystère de qui vaincra l’autre. Il lut rapidement le message.

-Qu’est-ce que c’est ?  S’enquit l’humain.

-Une mission.  Répondit simplement l’homme lézard. Notre combat attendra une prochaine fois.  

    Sslozmek salua son adversaire avant de se mettre en route vers la grotte de la manticore indiquée en post scriptum. Il croisa dans les couloirs une certaine elfe qu’il ne connaissait que trop bien. Elle reconnue certainement le sceau sur le parchemin qu’il lisait et ils en conclurent ensemble qu’ils avaient été tous deux désignés volontaires pour cette mission commune. Non sans une certaine résignation, Ombrenuit l’accompagna jusqu’à la grotte qu’ils parvinrent à trouver après une bonne demie heure de recherche. Ce furent les sens de l’homme lézard qui avaient perçus des ronflements provenant d’une caverne qui permirent au duo d’écourter ses recherches. Ils s’introduisirent dans le lieu dont l’obscurité ne gêna ni l’homme-lézard ni l’elfe. Ils tombèrent alors nez à museau avec la créature qui avait senti leur arrivée. Peut-être ne dormait-elle que d’un œil. Le fameux paquet devait probablement renfermer quelque chose de très précieux. Le monstre grogna en braquant deux grands yeux orangés dans ceux de l’homme lézard.

-euh mmmh…

    Il se tint alors droit en se remémorant les paroles et plaqua un poing contre son torse.

-Vive la Garde Royale !  Prononça-t-il avec plus de ferveur qu’il n’aurait cru.

    Les oreilles de la manticore frémirent et elle se tourna sur elle-même pour montrer au duo l’endroit où était caché le paquet en question. L’homme lézard se pencha pour prendre l’objet qui ressemblait à s’y méprendre à une épée enroulée avec précaution dans un tissu épais et attaché avec une corde qui ne semblait pas si solide que cela. La curiosité du forgeron l’emporta sur la prudence. Il empoigna la corde et commença à tirer dessus. Il sentit instantanéement une chaleur intense traverser sa main et lâcha l’arme par réflexe sous le regard tantôt amusé tantôt impatient de l’elfe qui l’accompagnait. A sa demande, il ramassa l’arme et la donna à Ombrenuit. C’était plus prudent ainsi. Tant de protection pour une épée. Elle devait être précieuse et puissante. Peut-être même était-elle enchantée par de la magie. Mais cela, l’homme lézard n’avait aucun moyen de le savoir. Le rendez-vous n’était pas à côté, il comprenait pourquoi on leur avait demandé de récupérer une arme même si la commanditaire aurait pu anticiper ses déplacements. A vrai dire, il ne l’avait jamais croisé à Lédéhi. Peut-être était-elle sur une mission complexe qui durait plusieurs mois et avait dans le même temps trouvé un moyen d’espionner des skarniens particulièrement dangereux. Si l’homme lézard était resté silencieux pendant le trajet, son cerveau, lui, était resté en ébullition en s’interrogeant sur leur mystérieux commanditaire. Ombrenuit ne semblait pas la connaître non plus mais avait déjà un grief contre elle.

    Le duo de choc arriva au pied du Vulkar, un énorme volcan toujours actif. Drôle de repaire pour des skarniens. Mais au moins, personne n’oserait les embêter sur ces terres désolées. Personne à part la Congrégation qui se salissait les mains pour les autres. Ombrenuit aperçut une silhouette et en déduit qu’il s’agissait de celle qui leur avait donné la mission. Ne voyant personne d’autre à la ronde, Sslozmek en arriva à la même conclusion. D’un pas déterminé, l’assassine se dirigea vers elle avec le paquet. L’homme lézard lui emboîta le pas, ayant peur qu’elle ne provoque leur donneuse de mission. Ce fut sur un ton très sec qu’elle débuta un semblant de conversation. Sslozmek, plus diplomate, salua plutôt leur nouvelle compagnonne :

-Enchanté, Je suis Sslozmek et voici Ombrenuit. Honoré que vous ayez pensé à nous pour cette mission.

    Bien qu’issu de parents paysans, il avait appris au Temple à faire preuve de déférence. Ce n’était certainement pas l’un des prérequis pour entrer dans la Congrégation de l’Ombre mais Sslozmek se disait qu’il était préférable qu’une faction évolue d’un seul et même bloc. Alors autant essayer de s’accorder avec la majorité de ses membres. Les missions conjointes n’en seront que plus efficaces si la bonne entente était de mise.