Dans les lueurs de l'aube, là où les reflets du soleil éclaboussent la canopée de leurs teintes dorées, émerge une silhouette d'une grâce enchanteresse. Telle une apparition céleste, l'Elfe aux longs cheveux blancs se tient, élancée et svelte, dans le doux éclat de la lumière matinale. Ses mèches d'argent glissent avec une fluidité d’onde vive, caressant délicatement ses épaules et le creux de son dos comme les flots d'une rivière argentée.

Sa silhouette évoque une harmonie parfaite entre force et grâce. Chaque mouvement qu'elle effectue est une danse envoûtante, un ballet où chaque geste semble être orchestré par les mains mêmes de l’évanescent Esprit de la Nature.

Le teint d’Ellÿra est aussi délicat que la rosée du matin, d'une pâleur diaphane qui contraste avec la vivacité de ses yeux et la blancheur de ses cheveux. Ses traits, sculptés par une ascendance de haut rang, semblent avoir été façonnés par les doigts habiles des artisans des cieux.

Souvent, elle porte une robe tissée à partir des fibres les plus fines des arbres anciens, ornée de motifs floraux qui semblent s'animer à chacun de ses pas. Cependant, elle a une tendresse toute particulière pour les vêtements faits de cuir souple et de fibres végétales, comme cette armure légère qui épouse les courbes de son corps avec élégance. Pratiques et fonctionnels, ils lui permettent de se mouvoir avec aisance à travers les sentiers sinueux de la forêt, chaque mouvement empreint d'une grâce féline. Ornés de motifs floraux délicats, ces vêtements évoquent la symbiose parfaite entre l'Elfe et son environnement, une fusion harmonieuse entre la beauté sauvage de la nature et la grâce intemporelle de sa silhouette.

Dans la symphonie douce de la forêt, sa voix résonne comme une mélodie cristalline et claire  comme le murmure des ruisseaux qui serpentent entre les arbres ancestraux. Chacun de ses mots est une caresse, empreinte d'une douceur envoûtante qui apaise les cœurs tourmentés et ravive les esprits fatigués. Et lorsqu'elle esquisse un sourire, c'est comme si le soleil lui-même se penchait pour illuminer le monde de sa lumière radieuse. Un sourire timide, empreint d'une innocence touchante, qui révèle la pureté de son âme et la tendresse de son cœur. Ses lèvres, pareilles à des pétales de rose, s'étirent avec une grâce infinie, dévoilant une éblouissante rangée de perles nacrées.

Cependant, derrière ce sourire timide se cachent des yeux pétillants de malice, étincelants comme les étoiles. Ses yeux, d'un vert émeraude aussi profond que les mystères des forêts anciennes, reflètent la sagesse tout autant que l’espièglerie. Ils captivent et ensorcellent, semblables à des joyaux nichés au creux de son doux visage angélique. Dans leur profondeur, on peut discerner l'éclat espiègle d'une créature pleine de vie, prête à défier les conventions et à s'aventurer dans les méandres de l'inconnu. Ces yeux, véritables fenêtres sur son âme, révèlent la force et la détermination qui brûlent en elle.

Derrière la façade magnifique, le sourire timide et le regard ardent se cache une Elfe au cœur lourd, prisonnière d'une maladresse qui semble être son fardeau éternel. Bien qu'elle aspire à la perfection, ses pas sont marqués par les désastres et ses gestes par la gaucherie. Il ne se passe pas une journée sans qu’elle ne soit marqué du sceau de la honte. Sous les abords gracieux, souples et magnifiques d’Ellyra se cachent une gaucherie à peine croyable, toute entière générée par la crainte de déplaire à son père et de ne pas être à la hauteur de ses attentes.

Le poids des attentes familiales.
Le poids des attentes paternelles.
Ce fardeau qu’elle peine de plus en plus à supporter.

Elle porte sur ses épaules la pression écrasante des attentes de son père, un patriarche austère dont le regard déçu pèse sur elle comme une chape de plomb. Elle rêve de le voir sourire de fierté à son égard, mais chaque tentative pour satisfaire ses exigences se solde par un nouvel échec cuisant. Souvent, elle essaye de désamorcer les tensions que causent sa gaucherie avec de l’humour mais il semble que même à ce niveau-là la maladresse soit aussi de rigueur quand il s’agit d’Ellÿra.  Elle possède un sens de l'humour douteux qui laisse souvent ses proches perplexes. Ses tentatives pour détendre l'atmosphère avec des plaisanteries maladroites ou des jeux de mots malheureux se soldent généralement par des regards gênés ou des sourires forcés. C'est comme si même son humour avait un don pour ajouter à sa maladresse plutôt que de l'atténuer.

Dans l'intimité de ses pensées tourmentées, elle ressent un mélange complexe d'espoir et de désespoir. Elle désire ardemment être prise au sérieux, à la fois par son père, par ses frères et sœurs Elfes et par elle-même. Chaque bourde, chaque faux pas est comme un coup de poignard dans son estime de soi déjà fragile. Elle se demande souvent pourquoi elle ne peut pas être comme les autres Elfes, digne et habile, plutôt qu'une catastrophe ambulante.

Malgré ses efforts pour dissimuler ses erreurs et pour paraître confiante, elle se sent constamment scrutée, jugée. Elle s'efforce de trouver sa place dans un monde qui semble être en perpétuelle désapprobation. Ses pensées oscillent entre le désir de se libérer de cette maladresse oppressante et la peur de décevoir ceux qu'elle aime.

Pour Ellÿra, chaque jour est une bataille contre sa propre nature, contre les attentes oppressantes qui pèsent sur elle. Mais malgré tout, elle refuse d'abandonner. Dans les ténèbres de son doute, une lueur d'espoir persiste, un désir profond de prouver sa valeur et de trouver enfin la paix dans le regard de son père. Et peut-être, un jour, elle découvrira que sa maladresse n'est pas un défaut, mais une part essentielle de ce qui fait d'elle une Elfe unique et précieuse.

Tout avait pourtant superbement commencé.

Une naissance désirée, une naissance paisible au beau milieu de la forêt, entourée des meilleurs soins et des meilleures attentions, des draps fins, un berceau sans prix dans une maison sans âge…L’esprit de la Nature semblait avoir comblé de ses bienfaits la famille Kelfaren en lui prodiguant enfin la descendance tant attendue. Certes, Elros Kelfaren n’a pu s’empêcher de froncer très brièvement les sourcils en apprenant le sexe de son enfant. Il aurait préféré un garçon, par conviction personnelle. Pourtant, la déception est rapidement balayée par le sourire et la tendresse de cet enfant miracle, bercé par sa mère, la douce Oromë aux longs cheveux blonds.

La sueur trempe le front pur d’Oromë, l’étincelle de fierté dans son regard éblouit la pièce, ravissant Elros dont l’orgueil est ainsi comblé. La noble famille Kelfaren ne s'éteindra pas, une Elfe pourra prendre le relais de tout ce qu’il a accompli, prendre exemple sur ses hauts-faits, sur ses luttes et son érudition. En cette minute éternelle, tout semble possible à Elros dont l’ambition n’a point d’égal parmi ses semblables.

Inconsciente de toutes ces préoccupations paternelles, la petite Ellÿra geint doucement dans les bras de sa mère avant de crier, un cri de détresse qui fait écho au relâchement opéré par les bras d’Oromë. La douce mère aux longs cheveux blonds vient de s’évanouir, les yeux clos, tandis que le lit d’une pureté de neige se teinte peu à peu d’une profonde nuance de carmin.

De ce qu’il est advenu ce jour-là, Ellyrä en subira les échos chaque jour de sa vie.

Désormais, Elros vit enfermé dans sa résidence, enseignant à son enfant les lois de son peuple, les règles de savoir-vivre, l’art et la magie, les histoires et les contes, dans le but de forger une avantageuse alliance qui permettrait à la famille Kelfaren de perdurer au-delà des siècles.
Tous ses espoirs sont désormais posés sur les frêles épaules d’une petite Elfe aux grands yeux verts, et aux longs cheveux de neige, semblables à ceux de son père.

L’enfant est très vive, elle parle et apprend à marcher plus rapidement que les autres enfants Elfes et pourtant malgré ces deux facultés acquises exceptionnellement tôt, elle est absolument incapable de faire la moindre promenade, le moindre pas, sans provoquer une catastrophe tout comme elle est incapable de tenir une conversation sans dire une énormité. Le regard d’Elros se fait se plus en plus dur lorsqu’il regarde son enfant, une enfant qui ne parvient plus à limiter les dégâts, intimidée, honteuse de déplaire à celui qu’elle aime pourtant de tout son cœur d’enfant.

Si le digne Elfe avait pris le temps de réellement connaître sa fille, il aurait découvert une fillette très intelligente, douce, plutôt habile de ses mains et assez drôle mais…l’influence de ce regard froid posé sur elle, les mots glacés qui accompagnaient rudement chacune de ses sorties, la sensation permanente d’être un sujet de désespoir pour son père, tout cela a aggravé une situation qui aurait pu être résolue par de la tendresse et de l’affection.

Combien de fois l’enfant a-t-elle en secret regardé ces autres qui marchaient main dans la main avec leur mère ou leur père ? Combien de fois elle a souri, le cœur un peu gros, devant ces baisers joyeux qu’elle ne recevait jamais ? Que cela doit être doux, d’être aimé, se disait-elle souvent. Elle n’éprouvait aucune jalousie, juste une sincère curiosité et une envie d’être aimée elle aussi, malgré ses gros défauts.

Alors, avec toute sa détermination de fillette, elle a fait le maximum, elle a étudié, elle a appris, elle a fait en sorte de devenir celle que voulait Elros, quelqu’un de parfait, une personne digne de son rang et du noble nom qu’elle porte. Tous les jours la  petite Elfe s’usait les yeux, les doigts, l’esprit, afin de parvenir à cet idéal imaginé par son papa, son si beau papa qu’elle admirait en silence, lui qui portait de somptueuses tuniques de fils d’argent sur lesquelles glissent ses cheveux lisses et doux. Ellyra aurait donné cher, tout ce qu’elle a, pour pouvoir jouer avec cette chevelure, pour pouvoir rire…un espoir qui ne vint jamais.

Plus le temps passait, plus Ellyra grandissait, et plus le fossé entre son père et elle se creusait. Les mots durs avaient succédés aux regards de glace. Les remarques autrefois cantonnées à la sphère privée s’échappaient parfois devant d’autres Elfes…Elros avait de plus en plus de mal à contrôler son exaspération face à cette gamine gauche et un peu idiote que le destin lui avait envoyée. Mortifiée, humiliée, Ellÿra finit par déserter autant que possible la maison, préférant la solitude bienfaisante de la forêt, loin des reproches et des remontrances quotidiennes.

La présence des petits animaux lui apportait un petit réconfort. Elle aurait bien voulu avoir un ami, une personne à laquelle se confier mais il semble que l’attitude austère de son père et la réputation qu’il lui a forgée a suffi pour que le peu d’enfants Elfes présents dans la forêt ne cherchent pas sa compagnie. Il y a bien ce petit garçon qui un jour lui a tendu une campanule parce qu’il l’avait trouvée en train de pleurer tout bas derrière un grand buisson, loin de sa maison. Elle ne se souvient plus de son nom, juste de son regard bleu comme un ciel d’été, de ses longs cheveux noirs et de sa maladresse. En voulant prendre la fleur, elle la serrée trop fort et a fini broyée dans sa main, ce qui a redoublé ses pleurs.
Ellÿra ne l’a jamais revu.

Cette vie de solitude lui a au moins appris à se débrouiller et à ne plus se trouver dans le sillage d’Elros qui semblait y trouver son compte.

En réalité, aussi difficile que soit cette vie pour la jeune Elfe, elle aurait pu perdurer de cette façon mais il advint l’incident de trop, celui qui allait bouleverser toute sa vie et conditionner son avenir.
Après une longue journée à s’entraîner à l’extérieur de sa maison, dans la forêt, Ellÿra est rentrée dans la résidence Kelfaren les cheveux décoiffés et entremêlés de brindilles, les genoux écorchés, les bras couverts de griffures. Au-delà des dégâts matériels et corporels, plutôt habituels, il y avait quelque chose de nouveau dans son regard, une étincelle de colère, petite mais bien présente.

-Vois en quel état tu réintègres à nouveau cette demeure, Ellÿra.

La voix doucereuse d’Elros, juste derrière elle, la heurte plus encore que les moqueries à l’origine de sa chute plus tôt dans la forêt. Sous la mitaine de cuir, le poing tâché de boue se serre sur l’arc de chêne qui est le sien.

-Désolée, Père, chuchote-t-elle.
-Tu as encore essayé de respirer et de marcher en même temps, dirait-on.

Le grand Elfe au port altier et noble tourne autour d’elle, les mains dans le dos, l’observant sans cesser de parler de sa voix grave et profonde.

-Quand vas-tu cesser de te comporter de cette façon? Ne peux-tu tout simplement demeurer ici, à te perfectionner, plutôt que de hanter la forêt en quête de je ne sais quel idéal ?

Ellÿra ne répond rien. Elros, lui, soupire du nez avant de s’éloigner. Les yeux clos, elle refuse les larmes. Son cœur bat si vite. Ses oreilles semblent bourdonner sous l’effet d’une légitime colère qu’elle ne contient plus que par miracle.

-Je m’entraînais au tir. J’ai réussi à atteindre cinq fois d’affilée la même cible, Père. Cinq fois.

Elros s’est arrêté devant un guéridon supportant une aiguière remplie d’eau claire, scintillante comme si des milliers de diamants y avaient été plongés. Lorsqu’il verse le liquide dans un verre à haut pied, Ellÿra déglutit tout en le regardant du coin de l’œil, à la dérobée. Cinq fois ce n’est pas rien. Elle aurait pu enchaîner sur un sixième essai concluant, elle le sait, s’il n’y avait eu ces jeunes Elfes sous l’arbre occupés à la déstabiliser. La chute fut lourde, toutes les flèches de son carquois sont cassées, son arc est abîmé…et son orgueil a de nouveau encaissé un nouvel échec. Pourtant…Cinq fois. Cinq. C’est inespéré. L’espoir de voir enfin un éclat de fierté dans le regard de son noble père se lit brièvement sur son visage, un espoir pourtant réduit à néant à l’instant où Elros se retourne pour la regarder.

A nouveau cette sensation d’humiliation, cette impression de n’être rien. Rien de bien. Le cœur de l’Elfe se fissure un peu plus profondément cette fois.

-Il y a les Elfes destinés au meilleur, et il y a les autres. Ellÿra, cesse de te rendre ridicule en visant un objectif inatteignable. Même lorsque tu utilises ta magie tu provoques des catastrophes. Dois-je te rappeler…
-Non.

Un fin arc au-dessus d’un œil gris se soulève avant de se froncer en une moue de pure désapprobation. Ellÿra ne se rebelle jamais pourtant. La jeune Elfe vient de tourner les talons, et de faire face à Elros, gardant une sage distance entre elle et lui.

-Je sais ce que j’ai fait ce jour-là, il est inutile de me le rappeler.

Tête basse, les yeux clos, elle se souvient de son émotion ce jour-là, lorsqu’après avoir subi une humiliation publique, elle s’était enfuie près de l’arbre préféré d’Oromë et avait accidentellement libéré une magie de glace qui a figé les racines du saule. Cela avait suffi pour qu’il perde toutes ses feuilles et il avait fallu toute la science des Elfes pour réparer les dégâts. Elros avait blêmi de colère face à cette vision du saule dépourvu de tout son feuillage…Jamais Ellÿra n’avait vu autant de colère et de tristesse dans le regard de son père que ce jour-là.

-Je ne l’ai pas fait exprès.
-Certes. Et c’est bien cela le problème, Enfant. Si le saule avait dépéri, tu aurais tué le souvenir de l’être que j’ai le plus aimé, une seconde fois.

En son cœur, les paroles dures font écho, se répercutant sur ses parois déjà bien fragiles. En une phrase, Elros vient de l’anéantir aussi sûrement que la hache d’un bucheron s’attaquant à un chêne plusieurs fois centenaire. Un désespoir infini vient de s’emparer de la jeune Elfe. Sous ses pieds la manifestation éphémère de sa magie révèle des cercles concentriques de glace qui disparaissent rapidement.

Que répondre à cela…Elle sait qu’elle a tué sa mère. Elle aurait pu tuer son arbre préféré. Elle aurait pu tuer tant de gens, sans le vouloir…La certitude de n’être rien de plus qu’un caillou dans la chaussure de son père devient oppressante, suffocante. Il lui faut sortir, vite, avant que tout cela ne déborde et ne provoque une nouvelle catastrophe.

Ce sont les dernières paroles qu’elle ait entendues de la bouche de son père.

Peu de temps après cela, la jeune Elfe a quitté la forêt, un balluchon sur le dos, son arc à l’épaule et un bâton à la main.

Tout plutôt que de souffrir une fois de plus ce regard sans amour, ces paroles sans fondement, les moqueries, les humiliations. Puisqu’il semble acquis que rien ne changera jamais au sein de la forêt, elle prend un chemin sans savoir où il la mène.

Ainsi, dans un mélange de tristesse et de détermination, Elara quitte la forêt qu'elle a toujours appelée « ma maison », emportant avec elle le fardeau de sa maladresse et le chagrin de ne jamais avoir été suffisamment aimée. Peut-être, loin des attentes oppressantes de son passé, trouvera-t-elle enfin la paix et la reconnaissance qu'elle a tant désirées. Et peut-être, un jour, pourra-t-elle se regarder dans le miroir et voir enfin la valeur et la beauté qui résident en elle.