Genèse de notre Peuple,
Partie première

Les Impies, les ignorants fondèrent une cité sur les flancs de notre Déesse.
La Déesse, dans la souffrance et la haine s’éveilla.
Les êtres inférieurs furent la cible de son courroux : la toute puissante mit à genoux les êtres inférieurs et de son venin bienfaiteur absorba leur âme.
Les villes furent rasée et les terres rendues infertiles car nul n’était digne de les posséder.
La Déesse attendait une progéniture. Elle devait trouver un endroit sûr.
Mais nul lieu en ce Monde n’était propice.
La Déesse n’eut d’autre choix que de tuer ceux qui refusaient de se soumettre, tuer ceux qui ne pouvaient comprendre.
Mais le temps était contre l’Eternelle et ses petits n’attendraient pas.
L’Eternelle trouva un lieu peu hospitalier.
Et l’Eternelle souffrit.
La Mère donna le jour à des centaines d’enfants.
Dans les eaux troubles du marais, la Mère fit naître la nation des Nagas.
La Mère les bénit et leur intima : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l’assujettissez.  
La Bienfaitrice leur fit ensuite ses Adieux.
Puis le Basilic tua de nouveau, plus déterminé que jamais.
Mais le Basilic fut vaincu.
Le Basilic jura de se venger, elle maudit d’abord les elfes, puis tous les autres.
Ses enfants entendront sa voix.
Ses enfants, le sang verseront.
Ses enfants la vengeront.
Ses enfants la retrouveront.
Et par le doux venin de la Mère, les Nagas domineront.





        Les pattes couvertes d’écailles fermèrent délicatement le livre dont la couverture présentait des reflets iridescents du bleu jusqu’au vert. L’Homme-Lézard ne se défaisait que rarement de la longue chaîne autour de son cou qui le reliait à l’ouvrage : Pendant qu’il forgeait, afin de ne pas l’abîmer et pour une plus grande liberté de mouvement, lorsqu’il combattait – ce qui arrivait rarement – ou bien pendant ses ablutions. Le reste du temps, le livre de Srishti l’accompagnait partout. Lorsqu’il en éprouvait le besoin, il pouvait entamer un chant ou une prière pour la Déesse Mère dont il s’était fixé l’objectif de ramener.

    D’après les récits anciens et les différentes interprétations de Srishti, le Basilic aurait disparu sur les terres des elfes après avoir combattu avec rage et désespoir. Peut-être existait-il des elfes ayant vécu ce moment et pouvant témoigner de leur vivant. Ces êtres ayant vaincu la vieillesse, il était fort probable que les plus anciens qui ne soient pas mort au combat ou de maladie aient été témoins de ce qu’il s’était réellement passé. Le plus difficile serait alors de les trouver et de leur tirer les salamandres du nez.

    L’écailleux arriva dans Endorial qu’il trouva de suite impressionnante de pars l’architecture organique se fondant entre les arbres et la hauteur où culminait certaines habitations. Il parcourra des yeux les voûtes, les arcades, les volutes ainsi que les escaliers et leurs rampes aux végétaux de bois sculptés finement. La ville semblait aussi vaste sur terre que perchée dans les arbres et il devait être aisé de s’y perdre pour les non-elfiques. Il déambula dans les rues fleuries et entretenues et emprunta des escaliers pour prendre de la hauteur. L’Homme Lézard trouvait l’endroit de plus en plus paisible et agréable à mesure qu’il grimpait dans les hauteurs. L’architecture y était également de plus en plus travaillée. La dominance de la nature et l’organisation de la ville faisaient que malgré le nombre d’habitants, les lieux restaient relativement peu bruyants pour une cité de cette ampleur. « Vu le nombre d’années qu’ils vivent, ils ont le temps de devenir des génies de l’urbanisme » Maugréa-t-il jalousement.

    Tout comme il s’y attendait en prenant de la hauteur, aucun indice sur la disparition du Basilic n’était visible après tant d’années. Les livres étrangers disponibles au temple étaient beaucoup trop vagues et évitaient même le sujet. « Où êtes-vous, Mère? Nous avons besoin de vous ».

   Les épaules de l’homme lézard s’affaissèrent. La direction qu’il comptait prendre menait à un cul-de-sac. Malgré leur longévité, les elfes étaient loin d’être invincibles et infaillibles. Si Sslozmek avait déjà peine à se remémorer les souvenirs de son enfance, qu’en était-il de ceux d’un elfe ayant plusieurs milliers d’années ? Cela dit, le conflit qui avait dû avoir lieu à l’époque ne devait pas être un souvenir anodin. Il devait être suffisamment marquant pour qu’il survive au temps. L’homme lézard se souvenait encore nettement lorsqu’il était enfant, de la première fois où il avait reçu une piqûre de bébé dartique. Beaucoup d’autres souvenirs se sont perdus à jamais mais celui-ci restait gravé dans sa mémoire. « Une guerre face à une déesse, voilà qui était sans doute un évènement impossible à effacer malgré les âges ». Pensa-t-il.

   Il se détourna du prêtre et s’accouda à la balustrade en bois sculpté. En contrebas, la ville grouillait de vie. Il y avait majoritairement des elfes mais parfois quelques hybrides et humains se joignaient à la foule. Les nagas, quant à eux, étaient très rares à Endorial. Ils ne semblaient pas vraiment les bienvenus en raison de cette rancune ancestrale qui perdurait toujours et encore à travers les âges. Leurs modes de vies et leurs façons de voir le Monde étaient bien trop différents. L’homme lézard s’en doutait. Il devait se montrer astucieux si des elfes trop curieux s’intéressaient à eux. Il essayait d’anticiper les potentielles questions qu’un garde pourrait leur poser avant qu’ils ne descendent en ville. Il jeta un œil vers le prêtre. Son bâton pouvait peut être le faire passer pour une sorte de pèlerin. Quant à Sslozmek, ses habits étaient tout ce qu’il y avait de plus ordinaire pour un Naga en voyage.

   En somme, les deux aventuriers n’avaient rien de vraiment menaçants. Il serait alors plus aisé de s’adresser aux elfes en tant que pacifiques voyageurs même si leurs interlocuteurs risquaient d’être plutôt méfiants à cause de leur espèce.

"- C'est votre quête. Par où voulez-vous que nous commencions ? "

   Sslozmek n’était pas vraiment d’accord avec cela. Pour lui, retrouver le Basilic était la quête qui incombait à tous les Nagas. Bien sûr, les moyens d’y parvenir différaient. Pendant longtemps les sacrifices étaient l’unique solution mais de plus en plus de Nagas partaient à travers le monde chercher des réponses et des moyens alternatifs. C’était probablement également le cas du prêtre. Il avait d’ailleurs certainement une idée derrière la tête mais il préférait que Sslozmek trouve une piste par lui-même. Il était le professeur et lui, l’élève. Lui observait, tandis que l’Homme lézard exécutait sa tâche. Il scruta la cime des arbres à la recherche d’une idée. « Penser comme Srishti ». Il plongea alors la main dans sa grosse sacoche et caressa la couverture de son précieux ouvrage faite des écailles de sa bien-aimée. Il rouvrit les yeux brusquement lorsqu’une idée fusa dans son esprit.

- Les livres. Endorial doit avoir une bibliothèque. Des ouvrages doivent forcément parler de ce conflit même s’ils sont imprécis concernant la façon dont a été vaincu le Basilic.

   Il marqua une pause afin de continuer sa réflexion. Il se heurta à un obstacle : les livres dans la bibliothèque d’Endorial étaient probablement écrits en elfique. Il pianota machinalement sur la rambarde en cherchant une autre voie. Il en vint à la conclusion que le meilleur moyen était peut-être de rencontrer directement les auteurs de ces ouvrages.  

- Les auteurs ne sont pas forcément ceux qui ont vécus les évènements mais aussi ceux qui ont recueillis un témoignage. Peut-être pourrions-nous essayer d’en rencontrer un.  Il ne nous donnera probablement pas d’informations très précises mais peut être une piste que nous pourrions suivre pour restreindre les recherches.

    Sslozmek ne s’attendait pas à ce que son idée plaise au prêtre, il en fut encore plus satisfait lorsque ce dernier l’invita à le suivre. L’homme lézard ne connaissait pas la ville, mais le prêtre semblait quant à lui savoir où il allait. Bien qu’il soit impatient, il suivit le rythme de son supérieur. Il était probablement bien plus sage de ne pas se faire remarquer. Leur présence ne passait déjà pas inaperçue, beaucoup d’elfes les regardaient de travers et devaient probablement se questionner sur leur présence. Il est vrai que deux Nagas se dirigeant vers la bibliothèque d’Endorial, cela ne devait pas être quelque chose de banal dans le quotidien des habitants de la ville. Leur parcours les mena jusqu’à la grande place riche en marchandises de manufacture principalement elfique. Les regards étaient d’autant plus fréquent ce que mit l’homme lézard très mal à l’aise. Ils n’étaient clairement pas les bienvenus. Bien qu’il était peu probable que quelqu’un tente quelque chose contre eux, Sslozmek se sentait menacé, assailli de toutes part. L’angoisse montait petit à petit alors qu’Il se sentait pris au piège entre les elfes et le prêtre qui attendait sûrement quelque chose de lui. Il lui adressa finalement la parole au moment où il voulait fuir très loin et retourner dans le confort du Temple.  

- Comment comptez-vous retrouver les auteurs ? Ils ne seront sans doute pas à côté de leur ouvrage, nous attendant depuis des siècles.

    Si la question était plus que judicieuse, il ne trouva pas la réponse tout de suite.  A vrai dire, il était tellement concentré à regarder les alentours comme un moineau effrayé qu’il lui fallut un énorme effort pour se concentrer sur les paroles du prêtre. Evidemment, les auteurs avaient fait déposés leur livre dans la bibliothèque et étaient rentrés chez eux pour écrire de nouveaux ouvrages. Les mâchoires serrées, il ne put sortir qu’un son :

- Euh…

    De peur de passer pour un benêt auprès du prêtre, il tenta d’articuler une nouvelle réponse :

- Et bien….euh…le…le gérant de l..la bibliothèque p…pourra p…peut-être nous ren…renseigner.  Balbutia-t-il.

    Le bâtiment dans lequel ils allaient pénétrer était construit autour d’un arbre gigantesque et s’enroulait tout autour à la manière d’un serpent. Entièrement construite en bois, l’homme lézard se demandait comment une telle structure pouvait avoir perdurée dans le temps. L’architecture elfique était un secret pour bien des races mais il n’était pas impossible qu’une dose de magie soit rajoutée à la conception de leurs ouvrages. Les yeux de l’homme lézard détaillèrent les courbures, les volutes en bois et les divers bas-reliefs de la façade du bâtiment représentant des scènes de nature et de paix avant de pousser l’un des battants de la porte de la bibliothèque.

    Contrairement à ce qu’il s’attendait, la porte était plutôt légère et n’émis aucun grincement irritant les tympans et trahissant sa venue. Lorsqu’il entra avec le prêtre il fut encore plus impressionné par l’architecture intérieure de la bibliothèque. Un escalier central en bois dont la rampe rappelait les racines d’un arbre grimpait si haut qu’il était impossible d’en voir la fin. Ses marches menaient à des dizaines de niveaux différents où les rayons débordaient d’ouvrages. L’homme lézard en eut presque le vertige de compter autant de connaissances réunies en un seul endroit. Mais il ne devait pas se laisser décontenancer par les lieux et surtout pas devant le prêtre qui, il en était sûr à présent, testait ses capacités au vu de la façon dont il s’adressait à lui.

    Sslozmek marcha d’un pas mal assuré parmi les regards surpris ou méprisants des hauts elfes qui portaient des étoffes si raffinées qu’ils faisaient passer les deux nagas pour des mendiants. Ils arrivèrent près d’un grand comptoir où un elfe au visage androgyne et aux bésicles dorées était penché sur un livre à l’écriture incompréhensible pour le naga. S’il les avait remarqués alors il ne leur prêta aucune attention. Ses yeux restèrent rivés sur son ouvrage. L’homme-lézard se racla la gorge mais l’elfe l’ignora et tourna une page avec une extrême lenteur.  Sslozmek inspira alors profondément en se demandant par quoi ils allaient commencer. Le plus simple serait d’aller droit au but en demandant des écrits contant la guerre contre le Basilic. Mais l’elfe se douterait de quelque chose et probablement les guidera-t-il sur une fausse piste. L’homme-lézard se remémora alors les cours que lui avaient donnés Srishti concernant l’histoire générale de Dùralas.

-Hem…euh…bon…bonjour, p…pourriez-vous nous indiquer où se situent les ouvrages concernant l’histoire du troisième âge. P…Plus précisément la période d’il y a sept mille ans avant notre ère ? Bégaya t-il.

    L’elfe finit enfin de tourner sa page et leva ses yeux verts qu’il posa sur l’homme lézard encapuchonné, puis sur le prêtre. Il pressa son doigt aquilin sur ses bésicles qu’il enfonça profondément sur son nez avant de cligner plusieurs fois des yeux.

-Des nagas. Intéressés par le troisième âge. Comme c’est peu courant dites donc ! S’exclama-t-il d’un ton chargé de sarcasme et en appuyant sur les « t » et les « s » pour se moquer de l’accent de l’homme-lézard.

    Sslozmek eut un rictus de frustration à l’œil puis ses épaules s’affaissèrent. Evidemment, il s’était montré moins subtil que ce qu’il aurait pensé.

- Nous…Nous sommes de simples pèlerins à la recherche de connaissances, en particulier sur notre histoire. Nos propres écrits sont assez limités voyez-vous…

    L’elfe émit un rire cristallin.

-Oui, pour sûr vous êtes limités.

    Il posa un registre sur le comptoir ainsi qu’un épais plan de la bibliothèque. L’homme lézard déglutit en pensant à l’immensité de l’établissement pour qu’il ait besoin d’un tel plan. L’elfe y indiqua où se situaient les livres concernés par la période historique qui intéressaient les deux nagas avant de leur faire signer le registre. L’homme lézard nota le prénom de son père, Galtaxaux, ce qui lui sembla plus prudent ainsi qu’un nom de famille inventé à  base de beaucoup de « s » comme devaient les imaginer les elfes. Il se détourna ensuite du comptoir en admirant l’escalier qui disparaissait dans les hauteurs de l’arbre. Cinq ou six étages à gravir et des rayons entiers à fouiller. Le travail ne faisait que commencer.

    L’ascension vers les étages sembla durer une éternité. Le prêtre, qui avait emprunté la rampe adjacente ralentissait volontairement la cadence afin de ne pas passer devant Sslozmek. Même au Temple, les hommes-lézards n’étaient pas très nombreux et il était presque handicapant de se mouvoir avec des jambes. Les nombreuses rampes étaient plus fatigantes que de simples marches tandis que les aménagements étaient prévus pour être bien plus large au vu de la longueur de certains nagas qui dépassaient allègrement les quinze mètres. Il admettait avec honte que les infrastructures elfiques étaient bien plus aisées à utiliser pour lui que celles se trouvant au Temple même si, avec le temps, il s’en était plutôt bien accommodé.

    Malgré le nombre hallucinant d’elfes et d’individus de toutes races consultant les ouvrages et vagabondant entre les rayons pleins à craqués, les seuls sons qui se faisaient entendre étaient ceux des bruits de pas ou de sabots qui claquaient sur les parquets ornés et enduits de cire probablement à base de sève. Un silence pesant s’était alors installé entre les deux Nagas qui continuaient inlassablement leur ascension vers les étages, séparés par une rambarde en bois ornées de multiples roses en bois enchanté qui s’ouvraient ou se fermaient en fonction de leur humeur. Du moins, l’homme lézard remarqua qu’à son passage, elles avaient plutôt tendance à se refermer comme si elles avaient peur. Lorsqu’il se retournait il constatait que les bourgeons étaient à nouveau en fleur. Sslozmek leva alors les yeux au ciel en pensant que même dans les moindres détails, les elfes n’hésitaient pas à insulter les races qui les révulsaient. Si aux premiers abords, il avait trouvé les lieux forts sympathiques, l’enchantement des premières heures passées à Endorial s’était transformé en une irrépressible envie de trouver le plus rapidement possible ce pour quoi ils étaient là et déguerpir au plus vite afin de fuir le malaise qui le prenait aux tripes.

    Les deux naga arrivèrent enfin à l’étage où de nombreux ouvrages historiques n’attendaient que d’être lus. Sslozmek s’aventura entre les étagères regorgeant de savoir mais eut la désagréable surprise de constater que beaucoup d’entre eux n’étaient pas traduits de l’elfique au langage commun. Comment avait-il pu ne pas y penser ? Les elfes gardaient ainsi une partie de leur savoir totalement hermétique aux étrangers. Mais l’homme lézard ne se découragea pas et chercha plutôt des ouvrages illustrés afin de se mettre sur la voie. Pendant des heures il feuilleta des livres marqué de ce langage austère et illisible pour les non-initiés. Faire appel à un elfe serait un aveu de faiblesse d’autant plus qu’il y avait d’avantage de chance qu’on lui rit au nez plutôt qu’on lui apprenne cette langue ésotérique. Sslozmek sélectionna quelques ouvrages après ses recherches infructueuses et les déposa sur une table. Il reconnaissait les lettres qu’il supposa être le nom d’un auteur en bas de toutes les couvertures des livres qu’il avait choisis. Chaque livre possédait des images dessinées, peut être signes que l’écrivain avait assisté aux évènements du troisième âge ou qu’il les avait rapporté de quelqu’un qui les lui avait confié. Dans tous les cas, cela pourra leur être utile. Exténué et à bout de patience, Sslozmek fit part de ses découvertes à Sylhsilscesth.

    Les yeux de l’homme lézard se posèrent sur la couverture d’un des livres contenant le plus d’illustrations. Il n’avait aucune idée de la manière de prononcer les lettres elfiques. Il ne parvenait pas à déterminer si elles avaient une quelconque correspondance avec l’alphabet du langage commun. Il fouilla alors dans sa sacoche pour en sortir une pointe en graphite ainsi que le livre de Srishti qu’il ouvrit sur la petite table ronde qui servait de support aux livres que les deux nagas avaient trouvés. Tournant les pages jusqu’à arriver à la toute dernière, il nota le nom de l’elfe. Il ne profanait pas vraiment le recueil de la prêtresse puisqu’il pourra effacer le nom de l’elfe bien plus tard. Il espéra que Sylhsilscesth n’interprète pas ce geste par un manque de respect envers la prêtresse. Ce n’était pas le cas. Il restait son serviteur dévoué et la chaine qui reliait le livre à son cou en était la preuve. Les caractères abscons de la langue elfique étaient tracés grossièrement avec sa main tremblante. Il n’avait appris à écrire que durant son adolescence et par conséquent, il n’était pas encore vraiment à l’aise avec cela. Il l’était encore moins lorsqu’il ne s’agissait pas de sa langue natale. L’écriture elfique s’apparentait d’ailleurs d’avantage à du dessin pour lui.

-Je n’ai aucune idée de comment cela se prononce.

-Je peux peut être vous aider !

    Une voix enjouée venait de l'interrompre dans sa calligraphie de piètre qualité. Il aperçut une tête à la chevelure bouclée, surmontée par deux petites cornes. Elle était apparue à l’intérieur d’une étagère alors que deux petites mains avaient écartés des livres pour la laisser passer. Les yeux d’un bleu couleur de ciel s’attardèrent sur les deux nagas puis le livre qu’ils consultaient. Après un court instant, le visage disparu et quelques claquements de sabots plus tard, un faune avait rejoint les deux individus à leur table de recherche. Il se pencha au-dessus du livre et énonça :

-Il s’agit du grand Lasuilwlilywën de Nilnwroléinor

    L’homme lézard répéta le nom et cela lui donna instantanément un mal de crâne. Il fallait vraiment avoir l’esprit tordu pour inventer des noms pareils. Il écrivit le nom de l’auteur dans l’alphabet naga qu’il maitrisait bien plus que celui du commun. Certains sons n’existaient pas dans leur langue si bien qu’il essaya d’écrire de façon phonétique pour s’en souvenir. Il prononça à nouveau le nom avec un fort accent. Le faune acquiesça, tout enjoué sans que Sslozmek ne parvienne à en deviner la raison.

-Vous pouvez emprunter un livre par personne si vous le souhaitez. J’ai oublié de me présenter, je suis Loïky. Je gère les livres de cet étage. Celui-ci est un excellent choix si vous vous intéressez aux contes pour enfants.

    Si Sslozmek avait des sourcils, il en aurait arqué un.

-Ce ne sont pas des livres historiques ?

-Par Magnésie ! Non ! Vous vous êtes trompé d’étage. Si c’est plutôt ce que vous recherchez, ils se situent tout en haut de l’arbre.

    Le sourire du faune s’élargit de plus belle en voyant la mine déconfite du lézard qui s’imaginait déjà passer une journée entière à gravir les marches menant au sommet de l’arbre. Sslozmek congédia leur nouvel invité en le remerciant de son aide. Il le vit s’éloigner en sautillant et en ricanant de manière peu discrète. Sslozmek en conclut qu’il n’était qu’un simple farceur. Peut-être même avait-il menti sur la prononciation du nom de l’auteur. Les gens de la bibliothèque n’allaient pas les aider mais peut être qu’en ville certains sauront se montrer plus accueillants ou plus…coopératifs.

-Essayons de trouver ce Lasuil…euh…

    Il regarda la dernière page du livre de Srishti où des glyphes elfiques figuraient sur une ligne complète avec en dessous la traduction dans la langue naga. Devant l’ampleur de la tâche, Sslozmek le referma et continua :

-…cet auteur.

    Sslozmek acquiesça. Il referma le livre et regarda les autres étalés sur la table. Il avait une grande envie de les laisser sans les remettre où il les avait pris. Un manque de civisme dont il n’avait pas l’habitude. Ce serait mérité au vu du peu de respect dont il avait eu droit de la plupart des individus qu’ils avaient croisés depuis le début de leur séjour à Endorial. Mais l’homme lézard n’allait pas se rabaisser au niveau des elfes. S’il pouvait leur donner tort sur les nagas alors pour lui cela sera une bien plus grande victoire. Laisser quelques livres étalés qui ne dérangeront finalement pas grand monde le feraient vraiment passer pour un naga bien pathétique. Ce n’étaient pas quelques ouvrages biens rangés qui allaient redorer l’image que le peuple d’Endorial avait des Nagas mais c’était un début.  Sslozmek voulait avant tout gagner la confiance des individus qu’il croisait pour les prendre d’avantage au dépourvu lorsque la Mère se relèvera et qu’il se retournera contre eux. Cette stratégie lui semblait la meilleure mais il faudra bien plus de temps et d’actions bénéfiques pour effacer les vieilles rancœurs. Les elfes avaient de la mémoire. Elle ne s’effaçait pas avec le temps puisque le temps lui-même n’avait pas de prise sur eux. Hors, les quelques nouvelles générations qui apparaissaient étaient certainement éduqués à entretenir les vieux conflits. Ils étaient là pour se souvenir à la place de ceux dont la mémoire était déjà surchargée.

    Quoi qu’il en soit, l’homme lézard replaça précautionneusement les ouvrages là où les avait pris, il s’arrêta un instant en regardant le prêtre.

-Si vous voulez emprunter un livre… Pour ma part, je préfèrerai ne pas avoir à revenir ici.

    L’endroit le mettait mal à l’aise, cela ne devait pas être un secret pour Sylhsilscesth. Il redoutait de faire à nouveau face aux regards inquisiteurs des elfes et autres espèces qui entretenaient de bonnes relations avec eux et partageaient leurs idéologies. Il avait noté le nom de l’auteur et pour lui cela était une information suffisante. Il n’y avait plus qu’à le retrouver en demandant à n’importe qui et ensuite l’interroger sur ce qu’il savait du conflit. Si Sslozmek n’était pas vraiment habitué à poser des questions, le prêtre, lui, devait connaitre quelques subterfuges pour soutirer des informations. L’homme lézard connaissait bien quelques recettes pour distiller des potions qui déliaient les langues mais il s‘était juré de ne plus jamais tenir un alambic de sa vie tant qu’il n’avait pas retrouvé sa fille. La chimie lui manquait mais il n’avait qu’une parole. Aujourd’hui il était d’avantage connu comme forgeron que comme fabricant de potions, peut-être aussi parce qu’il était l’un des rares naga voire le seul, pratiquant cet artisanat.

    Sslozmek emprunta les escaliers à petite foulée en prenant garde à ne bousculer personne. Il voulait partir de la bibliothèque le plus vite possible, l’atmosphère lui semblait presque de plus en plus irrespirable. Il passa devant les comptoirs sans dire un mot et une fois dehors, vida tous l’air de ses poumons. Aux premiers abords, il avait trouvé la ville foisonnante de vie, chaleureuse et belle. Maintenant, la seule chose qu’il désirait, c’était de partir et de retourner dans ses marais pour ne plus jamais en ressortir. Mais il avait une mission et des devoirs à accomplir. Pour le Basilic, pour Srishti, pour sa fille, pour son peuple. Tous comptaient sur lui.