Une pluie des plus tristes arrosait lentement les quelques jardins encore déchus de la saison froide. Si bien qu’un calme royal régnait dans tout Stellarae. Personne ne sortait, il fallait croire que quelques flaques semblaient être le pire ennemi de l’homme. C’était le moment propice pour se promener aux yeux du jeune Salem. Il aimait l’eau, sous toutes ces formes ; sous forme de pluie, sous forme de lac, mais principalement sous forme de vin. C’était d’ailleurs son rituel habituel : Tout d’abord il cherchait à apprécier la fraicheur prodiguée par la pluie, puis lorsqu’il aurait assez froid et se sentirait assez propre, il en profiterait pour aller se réchauffer dans une auberge.

Lorsque la pluie retentit, trouve-toi un abri, et tu y trouveras un ami.

Ces paroles vibraient dans son esprit comme un souvenir flou. Si lointain qu’il ne se souvînt même plus de qui les avait prononcées. Un ami tient, quel terme également si étranger. Il avait une signification si différente lors de sa jeunesse. Ce mot paraissait si éternel alors qu’il ne représentait désormais qu’un pote de marrade, un camarade sur le champ de bataille qui mourra tôt ou tard, une amourette de quelques jours qui se désintéressera et s’éloignera jusqu’à ne plus exister. L’eau n’est-elle pas si magique ?  Elle vous fait rendre compte que les mots ne sont que des gouttelettes, qui au cours de leur chemin dans ce fleuve qu’est la vie ne font rien d’autre que de muter, être souillées, bues, récoltées pour arroser les champs, s’évaporer et devenir pluie. Tant de choses étaient possibles avec les mots et la fraicheur de leur valeur dans notre enfance était toujours une bonne chose à se rappeler.

Une mine pensante et soulagée couvrait son visage sur lequel glissaient les fines gouttes d’eau.

Il serait peut-être temps de trouver un bon feu pour s’y sécher, ou peut-être pas. Qui sait ? La pluie est si rare par ici.

Plic… Ploc… Les gouttes d’eau… Plic… Ploc…
Aeden…
Tu tournes la tête à gauche, puis à droite… Mais rien, personne n’est là pour souffler ton nom. Alors pourquoi as-tu cette sensation étrange ? Celle d’être suivi ?

Plic… Ploc… Les éléments se déchaînent, tu avances dans les rues de la ville cosmopolite. Elles ont quasiment toutes étaient désertés mais toi tu en profites, de ce temps de chien. Les journées dans cette région sont invivables d’ordinaire, mais aujourd’hui le soleil est bien caché derrière les nuages, il n’est pas là pour te brûler la peau. Et puis l’eau, la pluie, nourrit ta magie. Le pentacle sur ton front luit faiblement, tes yeux pourpres sous ta grande capuche regardent avec méfiance les portes closes et les ruelles sombres et pour finir, ton bâton à la pierre de sang trônant dans ton dos est prêt à servir au moindre instant.

Aeden… Tu fais volte-face, changeant de direction, suivant avec véhémence cette voix qui te vrille les tympans. À ton esprit brisé tu fais confiance. Ah, donc c’est une chimère que tu suis depuis des heures ? Cet appel n’est que le fruit de ton imagination perturbé. Tu pourrais ainsi continuer sans jamais trouver ce que tu cherches… Mais dis-le-moi. Aeden. Ce que tu cherches.

« La ferme ! » Il s'était arrêté au milieu de la Grand-rue. Celle qui d’ordinaire ne laisse pas passer un chameau entre les étals remplis à ras bord. Elle parait immense, vide ainsi. Immense, froide et boueuse. Il n’y a personne face à lui, il le sait bien. Tenant sa tête dans ses mains dans la vaine tentative qu’elle n’implose pas, il jure. Conjure. Marmonne. Jusqu’à qu’enfin le poids s’en aille. La pression cesse. Il est de nouveau seul dans son esprit trop étroit pour deux.

Alors il regarde où il est, faisant un tour sur lui-même. Réfléchissant à ce qu’il allait bien pouvoir faire à présent… Ainsi seul sous la pluie battante, son manteau trempé à souhait. Il se dirige vers une auberge que la lumière d’un bon feu illumine à travers les fenêtres. Se mettre au sec semble être un bon projet dans son esprit embrouillé.

« Pardon… » Marmonna-t-il après avoir bousculé quelqu’un par mégarde, certain que personne ne pourrait se trouver ici, au même instant, précisément devant cette porte qui ne s’ouvrait plus depuis le début de la tempête. Quel hasard ? Quel drôle de situation… Il se dirige vers une auberge que la lumière d’un bon feu illumine à travers les fenêtres. Il commença par se débarrasser de son grand manteau détrempé, le jetant sur une chaise avant de s’attabler non loin devant les yeux ébahis des réfugiés. Étaient-ce ses oreilles d’elfes qui avaient fait tourner tous ces regards vers lui ? Où le symbole étrange qui était dessiné sur son front ? Peut-être bien encore sa peau pâle, ses cheveux d’argent ou encore ses yeux pourpres ?

Peut-être même que c’était le garçon avec qui il était entré, qui avait suscité l’attention de l’assemblé. Où les deux, où tout simplement le fait qu’ils avaient bravé la tempête et ne semblaient pas plus ébranlés que ça.

« Voici du bouillon pour vous réchauffer, tous les deux, allez-y donc vous asseoir à table, mon ptit gars. » Définitivement, le tavernier semblait persuadé que les deux étaient arrivés ensemble. Certainement habitué à tous types d’individus, il ne montra aucun intérêt à l’apparence des deux protagonistes. Il fit asseoir l’autre, et deux bols de bouillons fumants apparurent devant leurs nez.

Aeden ne prêta plus attention à l’agitation alentour, le vampire n’aimant pas le froid, il ne se fit pas prier pour mettre son nez au-dessus du bol.

« Se balader ainsi dehors avec cette pluie ! Mais vous êtes fous ! »

Cette transe qui habitait le jeune finit par s’achever lorsque le soleil commença à redescendre et que sa lumière se fit de plus en plus rare. Du haut de son perchoir, il guettait les quelques silhouettes, qui comme des fourmis suivaient le même chemin pour s’agglutiner dans la petite taverne, lieu de prière pour les petits habitués de la bouteille et de la débauche.

Oh il va y avoir du grabuge là-bas, ça va me plaire.

Il se mit en chemin, observa par la fenêtre les convives dont les visages étaient rouges pivoine en raison de la chaleur et de l’alcool. Ils conversaient, riaient, chantaient, hurlaient, faisaient des messes basses, et surtout ils… Boum. Quelqu’un culbuta doucement Salem et le sortit de sa phase d’observation. Il eut le réflexe de vérifier au plus vite ses poches. La plupart des collisions ne se faisaient pas par hasard, elles étaient une stratégie pour pouvoir distraire et voler par la suite. Remarquant qu’il ne manquait rien, il échangea tout de même un regard de travers à son malfaiteur puis se rendit compte qu’il avait l’air bien trop gêné pour l’avoir fait exprès. Par ce court échange visuel et physique, il se demanda par quel hasard pouvaient-ils être si similaires. Des iris rouges, un sigil gravé sur son visage, une peau blême telle celle d’un vampire, tout cela était assez proche de la description physique de Salem. Seulement ses glyphes n’apparaissaient sur son visage que sous l’influx magique créé par la souffrance de son entourage.

« Pardon… »

Par réflexe, Salem grommela puis lui dit d’un ton sec.

C’est bon, t'embête pas.

Il profita que la porte soit ouverte pour entrer dans la taverne et se fit accueillir comme un roi malgré qu’il ressemblait à un chien trempé. Il s’installa à la table à laquelle il était invité puis ôta ses vêtements pendant que son collègue de table se réchauffait le nez. Alors qu’il enlevait ses chausses pour finalement se retrouver en sous-vêtements,

« Se balader ainsi dehors avec cette pluie ! Mais vous êtes fous ! »

- La pluie est beaucoup trop rare par ici pour qu’on puisse l’éviter ainsi. Le plus fou de nous tous, c’est bien vous.

Alors que le tavernier s’en alla, Salem demanda à Aeden avec un grand sourire, fier d'être sec et à l’aise.

Moi c’est Salem. J’aime beaucoup ton petit dessin sur le front. Toi aussi tu aimes voir les gens souffrir ?

Il lui posa la question comme si rien n’était, comme s’ils avaient tellement de ressemblance que cela paraissait pour lui comme une évidence. Il enfourcha une cuillerée de soupe bien chaude dans sa bouche et la dégusta. Le goût du choux était très présent et parfumé de diverses épices très convoitées à Stellarae pour en exhausser le goût. Cela changeait de la cuisine principalement composée de viande grillée qu’il s’accordait. Remarquant que son interlocuteur put mettre un peu de temps à répondre, il leva les yeux de son assiette pour lire la réaction sur son visage.

Il ne prêtait plus attention au tavernier, ni à l’humain attablé non loin. Aeden lorgnait plutôt le bol de soupe fumant, grimaçant après une lampée du chaleureux breuvage. Du fait de sa nouvelle condition, tout aliment était devenu fade et insipide au palais du jeune vampire. Non pas qu’il regrettait ses papilles d’avant… Il ne le pouvait pas puisqu’il ne s’en souvenait plus. Il se demandait plutôt quel goût cela pourrait avoir pour un mortel.

Discrètement, il versa le contenu d’une petite fiole dans sa soupe, un liquide rougeâtre vint parfumer son breuvage dont il se reput enfin avec appétit, réchauffant au passage son petit corps gelé.
La pluie… Il ne se souvenait plus bien de ce qu’il faisait au-dehors, dans la tempête rare du désert. Ses absences ne l’inquiétaient plus, peut-être avait-il laissé quelques cadavres sur son passage, où s'était-il tourné en ridicule. Il ne le saurait jamais, l’Autre ne lui disait rien lorsqu’il le questionnait, le Corps lui appartenait pendant ces moments-là, c’était tout ce qu’il devait savoir.

Aeden était par moment Aeden, et puis des fois il ne l’était plus.

Il ne comprit pas tout de suite que la question lui était destinée. Parce qu’il se sentit observé, il leva au bout de quelques secondes seulement ses prunelles pourpres dans celles de son camarade d’infortune. Ou de fortune, si on admettait qu’un repas offert dans une taverne était un luxe rare et appréciable. Il le regarda d’abord avec dédain, bougon d’avoir été ainsi dérangé dans ses lentes réflexions interminables et dénué d’intérêt. Puis il fut curieux, curieux d’une telle question. Curieux de cette créature qui lui ressemblait étrangement.

« Ce sceau n’est qu’un verrou, gardant la prison de mon Esprit… Me repaître de la souffrance humaine reviendrait à m’intéresser à la condition du bétail, cela ne m’apporterait ni puissance, ni plaisir. Il lâcha cela comme s’il s’agissait d’une évidence. Sans animosité aucune, se demandant presque comment il pourrait en être autrement. Quel intérêt pourrais-je y trouver ? Quel intérêt y trouves-tu, toi ? »

À présent, il voulait comprendre. Ce Salem irradiait une certaine forme de magie et rendait le vampire curieux.

« Aeden. C’est mon nom. »

Les marques sur son corps, étaient certainement invisibles pour un œil inattentif, mais Aeden les voyaient et les détaillaient avec attention. Que cela pouvait-il signifier ?

Les effluves de panais et de choux vinrent embaumer les narines du jeune homme qui ne pouvait qu’apprécier les saveurs hivernales de son goûteux mets. Mais cette odeur n’était rien à côté de cette sublime sensation d’euphorie que pouvait procurer le sadisme du mercenaire. Il pensait pouvoir rencontrer quelqu’un de semblable, notamment quand son compagnon ajouta le fluide carmin dans son repas. Ce curieux mélange qui rendait aussitôt le bouillon brunâtre fut accompagné des paroles du buveur de sang, qui se présenta dès lors.

« Ce sceau n’est qu’un verrou, gardant la prison de mon Esprit… Me repaître de la souffrance humaine reviendrait à m’intéresser à la condition du bétail, cela ne m’apporterait ni puissance, ni plaisir. Il lâcha cela comme s’il s’agissait d’une évidence. Sans animosité aucune, se demandant presque comment il pourrait en être autrement. Quel intérêt pourrais-je y trouver ? Quel intérêt y trouves-tu, toi ? »

« Aeden. C’est mon nom. »

Salem y connut une certaine déception et ne cacha pas ses émotions puisqu’il souffla effrontément face à la réponse négative. Sa posture redevint même droite lorsqu’il comprit de quel bois était fait ce fameux Aeden, se disant que si sa nuque se retrouvait trop proche il finirait par être son repas. Il fronça les sourcils puis son visage s’adoucit lorsqu’il s’adonna à la réflexion. Pourquoi aimait- il la souffrance ? Cela semblait si naturel qu’il ne put répondre sans y réfléchir.

Hmmm… Oh je vois tu es donc de ce bord… Quelle déception. Mais pour être honnête je ne saurai répondre. De la même manière que le feu me donne chaud, de la même manière que l’eau me rafraîchit, être en présence d’une âme torturée par ses démons et brisée de tout espoir me prodigue une sensation de bien-être. Il s’agit même d’une jouissance si grande que je ne sens plus être le même, je me sens animé par cette dernière, si bien qu’elle me semble être ma raison de vivre.

Sa peau tremblait d’excitation rien qu’en évoquant le sujet. Étant donné qu’il était rarement en compagnie de vampire et qu’il voulait comprendre cette entière apathie dont Aiden faisait part, il se permit de lui poser de nouvelles questions.

Mais de ton côté je ne comprends pas pourquoi tu éprouves un si fort désintérêt, j’aurais pensé que tout prédateur prenne plaisir à chasser. Le loup, le renard, l’ours, de ce que je sais, prennent toujours un vilain plaisir à voir leur proie se débattre. Cela ne t’excite vraiment pas de voir ta proie se débattre avant meme de gouter à ton repas? Et je ne parle pas de faim, je parle vraiment de pur sadisme.

Il remarqua le regard pourpre tanguer vers son corps et se sentait comme une proie analysée par son prédateur. Il se demanda si son petit discours avait peut-etre chauffé d'un coup le vampire. Dans le but de se défaire de l'intéret d'Aeden, bien que ce dernier ne faisait que regarder les tatouages de l'humain, Salem lui demanda d'un ton assuré.

Ai-je l’air si appétissant? Je peux t’assurer que vu comme mon corps a été altéré, mon sang ne doit pas être le plus grand cru.

C’était la première fois qu’il rencontrait un humain pareil… Totalement en désaccord avec la nature profonde de ces créatures, certes égoïstes, mais nourrissant toujours ce besoin de vivre les uns avec les autres. Cet individu-là considérait ses congénères comme de vulgaires jouets. Une pensée qui aurait pu faire sourire l’Autre, mais cet Aeden là ne put s’empêcher de ressentir une certaine tristesse pour ce pauvre être rendu fou par ses relations avec la vie.

Aeden se souvenait de l’immense souffrance qu’il avait ressentie durant les jours où tout son corps avait semblé prendre feu et de la manière dont Elle avait savouré chaque minute, de chaque heure jusqu’à la fin de sa mutation vampirique, jusqu’au moment où il avait totalement assimilé le virus. Elle espérait qu’il ne survive pas et lui aurait très largement préféré mourir que de devoir vivre dans son état actuel.
Il voyait certes plus de couleurs qu’avant, il sentait plus d’odeurs également, pourtant le monde lui semblait être devenu fade et insipide. Pourtant il ressentait ce profond besoin de survivre, toujours un jour de plus.

« Je ne suis ni un loup, ni un renard, ni un ours. Et rien en ce bas monde ne saurait réanimer mon cœur gelé. Rien excepter le goût sucré de la vengeance. Et voir Sa tête rouler sur le sol de son palais. Sentir la vie s’éteindre peu à peu entre mes mains n’est qu’un plaisir fugace, un carré de chocolat, tout au plus.
Je ne suis pas attiré par ton sang, mais par la magie qui fourmille sur ta peau. Qu’es-tu au juste ? Un sorcier ? Un rat de laboratoire ? Si c’est le cas, j’en ai connu des plus appétissants. »

Car il n’y avait pas que le sang dont se nourrissait le vampire, le mage magievore chassait une essence plus rare que le liquide vermeil facilement récupérable.