Aucun revirement de situation.La louve était bien morte au sein de la petite brouette que tirait, tractait, poussait, sa Mère depuis quelques jours. Scène pittoresque, à l'image de la mort de Nina, son corps restait inanimé. Un miracle quelconque ne vint pas frapper sa petite personne tirant son esprit disloqué d'entre les morts. Non, absolument rien ne se produisit si ce n'est qu'une inconnue vint couvrir pudiquement le corps mort de la jeune louve au sein des cavernes de Spelunca.
Le trajet fut long, éreintant pour la Mère qui n'était évidemment plus de toute jeunesse...
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Désormais, la Sororité se presse autour de la brouette. Soulevé par le dessous des bras, le corps inanimé de Nina est posé au centre de la pièce. Ses vêtements sont souillés par le sang et la crasse du périple. L’enveloppe charnelle repose sur une multitude d’étoffes toutes aussi douces les unes que les autres. La Mère vient s’asseoir aux côtés de son enfant et enveloppe sa main grisonnante, pâlotte, entre les siennes. Autour du binôme s’activent les Sœurs. Maîtresses du culte, elles revêtissent à tour de rôle leur catalyseur. L’une vient dessiner à la craie un cerclage au sol. L’autre vient extirper d’un petit contenant un pétale de rose qu’elle porte sous sa langue. L’autre vient couvrir ses épaules d’un épais plaid. Toutes s’activent en silence car elles savent que le temps presse. La Mort emporte rapidement les âmes dans son sillage et la traversée Spelunca Stellaraë leur à fait perdre un temps considérable, non négligeable.
La porte d’entrée s’ouvre et se referme instantanément ne laissant pas l'occasion aux curieux de scruter ce qui se trame derrière les épais murs de la maisonnée. Les verrous viennent désormais bloquer l’accès à quiconque voudrait perdre un regard sur ce qui se trame au sein de la bâtisse bâtie sur les corps de leurs ancêtres. Les lourds rideaux sont tirés et les bougies sont toutes allumées laissant les ombres danser au plafond et contre les murs. La dernière arrivante vient pourfendre de ses bottines le sol avec assurance. Sa longue chevelure d’ébène semble flotter derrière elle et épouser chacun de ses mouvements. Elle part à la rencontre du corps inanimé sans sourciller, s’accroupissant à son niveau. Sa dextre se tend et du bout de ses doigts, elle vient effleurer la plaie béante. Sa main se pose avec calme, sérénité, contre la plaie. L'inconnue inspire une bonne goulée d'air. De sa senestre, elle arrache le cordon qui supporte son
pendant noir et vient l’adjoindre sous ses doigts couvant ainsi la quasi totalité de la blessure à l'aide de sa main. L’atmosphère autour des femmes s’alourdit. La Mère muette ne défait pas son étreinte et enlace ses doigts à ceux de son enfant, pleine d’espoir et rongée par la culpabilité.
Sa vision est survenue un poil trop tard : le trajet Stellaraë Spelunca aura eu raison de la vie de son enfant. Ses grands yeux mordorés viennent scruter les environs, appelant silencieusement à l'aide.
Autour d'elles, les Femmes fument, boivent, mangent ensemble. Une doucereuse fumée vient emplir l’atmosphère. L’ambiance, pourtant propice aux retrouvailles, reste démesurément lourde, pesante. Elles se sont réunies en ce jour maudit pour sauver l’une des leurs et aucunement festoyer. Les mélanges soporifiques se multiplient, les coupelles remplies à ras-le-bord passent de mains en mains. Les contenus se déversent doucereusement au sein des gosiers. Les lèvres teintées par le vin se portent sur les écuelles. Les panses se remplissent, les palais goutent aux champignons, aromates, herbes séchés en tout genre et de toutes les provenances. Les odeurs se multiplient, sucrées, salées, indescriptibles mais une en particulier se détache du lot c’est l’odeur du souffre. Elle vient emplir les narines et poumons des jeunes femmes leur signalant la présence de quelque chose qui leur échappe, leur file doucement entre les mains.
Le voyage astral commence. Elles n’en sont qu’aux prémices mais la béatitude fait tomber deux sœurs. Elles se retrouvent agenouillées face au corps sans vie. Les plus faibles sont les premières à céder. Pour ce type d’évènement elles apportent présence, chaleur humaine, soutien mais aucunement leurs pleines capacités pour le Cheminement. La mère-muette les observe avec attention. Elles sont assises pour certaines, debout pour d’autres. Certaines sont blondes, d’autres rousses. Certaines gardent leurs yeux fermés, d’autres leurs yeux ouverts. Il n’y a pas de règle en la matière de marche vers l'entre-deux. Toutes font leur bout de chemin de leur côté, unies par la puissance du lieu car la maison des Knywett a été l’une des premières fondées au centre du désert de Harena et a vu défiler en son sein plusieurs générations de ce qui s’apparente aujourd'hui à des sorcières.
La dernière arrivante referme
enfin sa dextre, englobant pendentif et hémoglobine coagulée au sein de sa paume. Elle se redresse, observe ses Sœurs et opine du chef donnant le la au rituel. La Mère de la défunte se saisit d’un bol et s’applique à déposer l’onguent sur la plaie nécrosée tapotant les pourtours de la plaie, massant la nécrose avancée. La cicatrice sera vilaine, probablement irregardable mais sera à priori refermée à la fin du rituel. Pivoine sauvage et pivoine sanguine de Spelunca oeuvrent à la cautérisation future du trou béant qui vient marquer la centre de la poitrine de Nina-Lou.
Toutes ancrées au présent, elles s’attèlent à visualiser l’Intangible. Les minutes s’écoulent, défilent tandis qu’elles s’appliquent à remonter les souvenirs uns à uns des derniers mois, des dernières années passées sans Nina. Les flashs lumineux se succèdent au sein des esprits. Les femmes fouillent, remontent
les limbes déterminées à récupérer l’âme errante de Nina au travers de ses souvenirs qui se succèdent. Deux nouvelles sorcières s’écroulent au sol. Buste échoué au centre du cercle, leur front vient rencontrer le sol. La violence des images qui accablent et malmènent
l'esprit commun les fait s’agiter. Elles marmonnent, soufflent, des propos incompréhensibles se tentant dans des positions indescriptibles. Les mains des
Echouées viennent s’ancrer au bord du cercle qui s’illumine d’une doucereuse lumière à leur contact. Le cercle scintille, bat au rythme des cœurs effrénés qui le nourrissent, l’enrichissent. Le cercle pulse en rythme, donne le rythme au Cheminement qu’elles mettent en place pour aller récupérer leur consœur qui s’ignore.
Le vent souffle à l’extérieur et s’immisce entre les maisons, frappe aux portes, menace de tout élever sur son passage. La pluie s’adjoint à la danse, vient noyer les pavés, se répercuter à l’infini contre les toitures transperçant les plus précaires d’entre-elles. En la provenance de la Terre, les champignons et autres joyeusetés ingérées permettent d’élever le
Cheminement. La flamme des bougies vacille, tangue et le feu s’élève du cercle, mordant les mains apposées contre. Deux nouvelles consœurs chutent. Le groupe s’amoindri dangereusement et pas l’ombre d’un souffle ne semble s’extirper d’entre les lèvres de Nina qui demeurent démesurément closes.
La Frangine au pendentif sombre franchit le cercle enflammé sans sourciller. Ses yeux restent démesurément fermés tandis qu’elle fredonne d’une voix à peine audible, dans un jargon inconnu. Femme forte, elle ne faiblit pas, sait où elle s’aventure et où elle a mis les pieds en acceptant d’être présente en ce doux jour de résurrection. Son pendentif fermement enserré entre ses cinq doigts, le cordon en cuir venant épouser son avant-bras, elle relève son poing fermé devant son propre visage. Ses cinq doigts fermés s’agitent en un léger arc de cercle tandis qu’elle continue de scander ses propos. Le cercle de feu vient l’accueillir en son centre et ne désemplit pas, les flammes montantes venant pourlécher le plafond. Bonnets de fou et sa poche contenant des spores au gaz psychotrope ou encore liqueur cornedémoniaque, tout coule en son sein par le biais de ses consoeurs. Elles forment un tout, unique, uni, au profit de la vie ce qui lui offre pleines capacités pour voyager, voguer au rythme du voyage spirituel qu’elles mènent
ensemble. Ses yeux se rouvrent, révulsés, laissant entrevoir uniquement le blanc de ses yeux. Ses doigts crispés sur le pendentif se relâchent. Le pendentif vient s’échouer sur la plaie béante et nécrosée au bon milieu du buste de Nina. Le pendant disparaît. Les flammes s’extirpent de la plaie, viennent purifier la plaie. Les paroles chuchotées le sont désormais par l’ensemble du groupe. Les flammes embrassent le plafond, embrassent les murs. Un véritable feu de joie s’élève du corps mort de la jeune louve. La chaleur se diffuse avec violence au sein de la maisonnée. Les flammes viennent embrasser les corps les rassemblant toutes au sein du cercle. Puis lorsqu’elles sont toutes amassées tel un troupeau de brebis égarées au sein du cercle, tout s’éteint plongeant la communauté des Sorcières dans la pénombre la plus totale.
Les souffles irréguliers laissent place à un silence effrayant. Elles se tiennent debout ou assises, de partout au sein du cercle qui semble soudainement trop étroit pour toutes les accueillir. Aucune d’entre-elles n’a cheminé jusque à la Mort. Aucune d’entre-elles s’est affaiblie au-delà de tout entendement car la sœurette au pendentif sombre a emmagasiné suffisamment de souvenirs pour toutes les protéger. Elle est par ailleurs la première à reprendre conscience. Seul le cordon pend à son poignet. Ses yeux reviennent à la normale. Elle recule d’un pas, sonnée par l’expérience, surprise de ne plus trouver son pendentif accroché à son poignet. Doucement, la Ténébreuse vient nouer son cordon à son propre cou, ajoutant un noeud dans le cuir, lui rappelant à chaque tissage sa mortalité. Elle baisse un regard vers Nina et doucement s'accroupit à son niveau.
Assise dans la pénombre, l’une des femmes claque des doigts pour raviver la flamme d’une bougie. La lumière vient éclairer doucement les murs marqués par l’histoire Nina-Lou. Semblants de barbouillages, ils viennent se diffuser le long des murs jusque au plafond et sur tout le pourtour du cercle exposant ce qui semble avoir été une vie de misère. Mais pour le moment, tous les regards sont tournés vers la louve. Les dessins appartiennent au passé et l'ensemble de la Sororité se tourne vers l'avenir....
Un souffle miraculeux s’élève parmi celui des autres. Un souffle paniqué, d’une prise de conscience abrupte et soudaine. Les yeux vairons de la jeune femme s’ouvrent et fixent le visage de la Sorcière penché au-dessus du sien. Un toussotement s’extirpe d’entre les lèvres de la jeune louve: une couleuvre s’en échappe ne laissant plus l’opportunité à Nina-Lou de croire n’importe qui, n’importe quoi, n’importe où désormais.