Le soleil commençait à poindre dans l'horizon de la ville de Stellarae comme Redaka, connu de tous sous différentes pseudonymes dont le plus récurrent était Rouge pour ses activités au sein des Fils de la Lune.

Bien entendu, on n'invoquait Rouge que sur des tchats ultra sécurisés et à l'aide de phrases courtes. Un nom, une date, un prix. Le oui ou le non suivait dans les trois lunes à venir.

Son existence légale quant à elle était des plus troublantes de ce qu'on pouvait attendre d'un Djöllfulin approchant de la trentaine. Si tant est qu'on estimait les modes de vies périphériques comme normaux. Il avait mené des études de civilisations, aimant à comprendre pourquoi le monde était devenu une pareille catastrophe, pour finalement entrevoir la liberté existentielle seulement possible grâce à des activités peu conventionnelles. D'une famille particulièrement pauvre des mondes en bordure galactique, il avait vécu sa jeunesse en paria, parfois malgré la bonne volonté des autres, et pour cause, avant que l'âge ne lui apprenne à tranquilliser sa rage, Redaka avait été farouchement sauvage.

Dans la petite campagne de sa planète échouée du système 4, de l'enfance à l'adolescence, il ne faisait que peu de bruit. Il lisait, suivait ses cours avec désintérêt, et aimait à disparaître parfois jusqu'au soir tombé ce qui n'inquiétait que peu ses parents.
Ceux-là accordaient une confiance aveugle à leur fils, unique, puisqu'il démontrait une maturité parfois troublante en ses résultats scolaires et façon d'appréhender les choses de la vie. Son père avait été agréablement surpris lorsque son fils, enfant de coeur pour s'attirer les cadeaux de l'église, lui avait glissé que le prêtre local était "un gros porc". Sa mère rougissait toujours des compliments de ses professeurs.

Redaka avait toujours rêvé de partir. Dès qu'il eut terminé son cursus d'état obligatoire, et face à l'effrayante possibilité de rester coincé en un monde composé de bars miteux, ragots de village, et étroitesse de pensée, il annonça son désir de visiter les autres systèmes. On ne lui apporterait qu'une aide bien maigre, annonça son père. Il savait. Il devrait revenir dès qu'il pouvait, fut la seule condition de sa mère. Il essayerait.

Âgé d'à peine dix-huit ans Redaka gagna la capitale. Dès son arrivée, il employa très vite son pseudonyme en ligne pour se présenter à autrui, surtout lorsqu'il s'agissait de vendre de la came ou de contribuer à un cambriolage. Le jour, il suivait les cours qu'il n'était pas possible de sécher, la nuit, lorsqu'il n'était pas occupé à se gorger de fêtes où chaque personnalité lui semblait plus exubérante que la dernière, il s'associait à de questionnables personnages.

Redaka ne s'était jamais menti sur les entorses -parfois fractures ouvertes- à la morale dont il faisait preuve. Il savait que l'honnêteté des sentiments seule menait à une vie épanouie, et ainsi il ne rencontrait pas de culpabilité à exercer le crime, tant qu'il se savait en tort.
Et que lui, comme ses parents à l'autre bout de la galaxie, touchaient un revenu qui plus jamais ne leur ferait connaître la soif, le manque, ou même l'incapacité de répondre à un caprice. Ce n'était pas une vie de luxe, mais, inconsciemment ou pas, le Djöllfulin se forgea un entourage qui vivait aussi sauvagement que lui.

Drogues, sexe, et conversations métaphysiques sur la suprématie de l'anarchie sur tout autre concept civilisationnel le menèrent naturellement à un jour rencontrer des individus qui le formèrent aux voies des Fils de la Lune.
Un homme notamment, qui s'éprit très profondément de la tignasse fine et plus blanche que l'albâtre de Redaka. De sa façon de -par des entraînements physiques des plus poussées et où on hésitait pas à insulter les recrues pour les motiver- regarder le Monde comme s'il désirait le bouffer.

Ainsi naquît Rouge. Il n'était pas très fort, surement pas vaillant, et parfois fort malhabile. Mais de l'équipe entraînée par les recruteurs assassins, comme au sein de ses promotions académiques, il fut l'un des rares survivants. Certains abandonnaient, d'autres échouaient, et parfois, sans que l'on puisse directement l'accuser et le soupçonner, connaissaient des fins tragiques.

Au fil des années, il accumula divers travails, souvent guidés par les besoins des contrats, et celui qui autrefois présentait parfois une naïveté naturelle plus prononcée que ses camarades devint un modèle d'efficacité redoutable. Le bar du club où il travaillait à Dùralas I n'avait plus aucun secret, soit-ce la longue liste de mixtures, comme le microcosme social qui, inlassablement, finissait par lui livrer ses secrets les plus sombres. De gré, ou par des caresses et des regards bien placés.

Le soleil commençait à poindre à l'horizon, donc. Un par un les bâtiments rectangulaires voyaient sur leurs fenêtres se réverbérer une lumière délicieuse, et malgré le vent matinal froid Redaka se sentait particulièrement en forme. L'intérieur de son appartement, un T3 dans le centre-ville, était rempli de bouteilles et un homme -dont son seul souvenir était l'odeur de whisky et cigare- dormait dans son lit. Sur le balcon, il roulait une cigarette où il glissait quelques têtes de chanvre préalablement broyées, et sortait son téléphone. Ignorant les notifications, il activait les commandes vocales, en s'assurant que derrière lui la porte-fenêtre était bien fermée.

S.T.Y.X. était venu à lui un jour, et les deux avaient au début essayé mutuellement d'attenter à la vie de l'autre. Redaka avait réussi à débusquer certains data centers contenant des nœuds importants de l'élusif androïde désincarné, et cela semblait avoir suscité l'approbation de son némésis, qui, après lui avoir accordé que ni son historique ni ses recherches étaient "cringeos" lui avait proposé un partenariat.

Après tout, Styx avait besoin de mains, et Rouge savait parfois la vie d'assassin fort solitaire. Au fond, le robot, l'androïde, ou quoi qu'il fut, était la seule âme dans tout Staralàs qui le connaissait réellement. Ni barman, ni streap-teaseur, ni étudiant écervelé, mais pas seulement un tueur à gages.

D'un bond, Rouge se levait, dévoilant à l'horizon un corps avec pour seul habit un léger caleçon noir ; son mouvement était félin, précis, et comme il plantait son regard sur le bruit de mouvements qu'il avait perçu à l'intérieur de chez lui, il murmurait.