On n'aime pas les voyages en bateau, on se sent comme piégé au milieu du bleu de l'océan, en plus on ne sait pas nager alors ça fait vraiment peur. Il n'y a pas de place pour se dégourdir les pattes.

Quel soulagement d'avoir enfin mis griffes à terre. Bientôt, on quittera Ishtar et sa mauvaise odeur de poisson salé mais pour l'instant on trottine tranquillement sous la lune. Elle sera bientôt pleine et mes coussinets en fourmillent d'impatiences.

On sent quelque chose, des odeurs qui me dérangent la truffe, on s'arrête devant un humain-qui-sent-le-loup-et-bien-d'autres-fumets. L'alcool qui pique et des odeurs que l’auteure ne décrira pas…

Il se pavane devant nous, je montre les crocs, que nous veut-il, ce loup ? Il nous parle, il n’a pas l’air agressif, il titube. Finalement je me couche, curieuse et amusée par son comportement, en le regardant droit dans les yeux. Ses yeux qui virèrent momentanément au jaune.

« Wouf… » Essaies-tu de m’impressionner ? Pas de ça avec moi, louveteau ! » D’un aboiement amusé, je lui signifiais ma pensée.

Il nous parle à nouveau. On ne comprend pas tout mais son ton était doux, je pouvais sentir un peu de crainte dissimulé, on l’impressionnait autant que ça ?

Je lève la truffe au ciel un court instant, la lune brille à travers le feuillage, si je voulais l’attraper cette nuit je ne devais pas trop traîner avec un loup solitaire. Au fait, était-il vraiment seul ? Je balaye les alentours en grondant légèrement, mais aucune autre présence n’est à signaler.

Je reste allongé en le regardant accroupit, on veut savoir ce qu’il veut avant de repartir.

Alors que le chien montrait les crocs, Jack reprit sa teinte d’yeux normale. Il ne voulait pas chercher la bagarre inutilement. Puis le chien géant finalement s’allongeât. Il était joueur visiblement. Voulait il qu’il l’attrape? Humm… trop tôt pour une telle tentative. Finalement accroupie, il garda sa main tendue vers le canidé en penchant légèrement la tête sur le côté avec un sourire.

« N’aies pas peur… tu n’as rien à craindre de moi mon p’tit pote…

Lui souffla t’il. A son « Wouf » qui vue sa taille était plutôt puissant, il eut un mouvement de recul et alcool couplé au fait qu’il soit accroupit fit qu’il tomba en arrière avant de rouler comme un « culbuto » pour se remettre sur son séant restant assit en riant.

« Hahaha! Tu m’as bien eu ptit malin! »

Dit il avant de voir que le chien regardait la lune. Il y’a quelques années encore, Jack la fuyait. Mais aujourd’hui il n’en avait plus peur. Il savait se maîtriser à présent. A son tour il leva la tête avec un léger sourire triste en la regardant.

« Tu regardes la lune mon ami?… c’est vrai qu’elle est si belle… il y a de nombreuses années de ça maintenant, je la craignais et la haïssait plus que tout…la pensant responsable de ma malédiction…mais aujourd’hui je n’en ait plus peur… j’ai appris a aimer la contempler de nouveau… même si elle me rappelle encore de bien tristes souvenirs… »

Philosophe t’il un peu tout en se confiant à ce chien qui s’en moquait certainement comme de son premier os rongé. Mais au final, il n’avait jamais confié ça à personne après tout. Puis le chien grogna et Jack regarda autour de lui sans rien voir ni entendre. Il pencha de nouveau sa tête sur le côté perplexe.

« Qu’est ce qui t’arrives mon grand? Y’a que nous ici? T’as sentis quelqu’un d’autre? »

Lui demande t’il avant de fouiller rapidement dans sa besace.

« Ou alors t’as la dalle peut être? »

Dit il en sortant de la dite besace un morceau de lard séché qu’il tend devant lui avec un sourire.

« T’en veux? J’ai pas grand chose sur moi mais je pense qu’un bon bout de lard séché te feras plaisir hein? Franchement j’ai un peu la flemme de chasser du gibier pour toi là tout de suite…»

En serait il seulement capable sans avoir les yeux totalement en face des trous? Pas sûr…

« C’est que là j’ai un peu les yeux en couilles d’hirondelles tu comprends mon p’tit pote?

Oui. Il faisait la conversation à un chien comme s’il parlait a un autre être humain. Quelqu’un qui passerait par là le prendrait sans doute pour un fou a faire un tel monologue…

Il était ridicule, a roulé boulé sur la terre ainsi. Jouait-il à un jeu ?

Mais il finit par se rasseoir et se confia, tous les mots ne sonnaient pas clairement dans mon esprit. Mais je les gardais en mémoire pour plus tard. Plus sérieux, il n’avait plus cet air de louveteau endormi.

Faisait-il partie de ces loups ayant été des humains avant ? Ça expliquerait pourquoi il n’avait pas senti qu’on n'était pas juste un chien. Son flair manquait visiblement d’analyse.

Puis surprise, il nous tend un morceau de viande salé, il croit qu’on a faim. On a toujours plus ou moins faim, j’en déglutis d’avance.

On rampe vers lui pour ne pas l’effrayer. Et du bout des canines je lui prends des mains. J’en fais qu’une bouchée. En a-t-il d’autres ? Reniflant bruyamment, je le passe au crible jusqu'à le pousser de ma grosse truffe. Pour en arriver à la conclusion que sa besace était vide à présent.
Chasser ? Très peu pour moi, les lapins commençaient déjà à regagner leurs terrier à ce moment de la nuit, ce serait une vrai torture, plus épuisant qu'autre chose.

Un maître ? Croyait-il qu’Azriel me suivait partout où j’allais ? Je savais très bien me débrouiller toute seule, merci !

Je finis par capituler, et l’humain-loup s’allongea, il se confia de nouveau et je suivis du regard la colline dont il parlait. Un nouvel endroit à découvrir ? Toucher la lune ? Je me relevais brusquement, ces derniers mots résonnant dans mon esprit. Je m’ébrouais pour me débarrasser des aiguilles de pin prit dans ma fourrure et avant de disparaître entre les arbres, je me retournais vers lui en attendant qu’il se lève à son tour pour me suivre.

Il y avait tant d’impatience dans mes coussinets que je pris un peu d’avance, trottinant à bon rythme pour ne pas trop le semer. J’ignorais si la route était longue ou courte, mais en quelques bons, je fus arrivée au sommet dégagé de la colline. C’est vrai qu’on voyait bien la lune, elle semblait si proche, j’en jappais de joie en sautillant sur place. Peu à peu, de la brume bleutée apparut comme par magie autour de moi et au fur et à mesure qu’elle s’épaississait, mon corps changea. Ma fourrure disparut, mes membres s’affinèrent. De quatre pattes, je passais à deux et je perdis quelques têtes. Mes longs cheveux blonds tombèrent en cascade dans mon dos nu. Et ma peau pâle à demi dissimuler par le brouillard sombre sembla briller sous la lumière argentée de Céléae.

Je m’immobilisais en regardant le ciel.

« Tu avais raison, on a vraiment l’impression qu’on peut l’attraper d’ici. Et pour répondre à ta question, non, je ne me suis pas enfui. » Riais-je l’esprit encore embrumé par l’euphorie de ma transformation.

Lune veillait avec soin à garder le brouillard autour de moi, ne prenant pas encore forme à mes côtés. Prête à me protéger car redevenir humaine me rendait toujours vulnérable pendant un moment.

Perdue à contempler la Lune, je sursautais au contact du tissu posé sur mes épaules... Nues ? Me ramenant violemment dans le présent, j'avais froid et je me sentais plutôt ridicule.

-Holy ! Tu t'es encore coupé à moi...

Lune bougonnait dans mon esprit alors que la Brume disparaissait peu à peu laissant place à un Corbeau au plumage noir et bleuté qui vint se poser sur mon épaule.

Plus que gêné, le visage empourpré, je resserrais un peu plus le manteau du loup autour de moi.
Mais ce qu'il dit me fit rire et j'en oubliais mon inconfort.

"Ahahah, je ne suis ni une déesse, ni une nymphe... Je suis seulement moi et j'obéis aux caprices de Céléae, si j'ose dire. Dis-je en regardant l'astre argenté. Je suis désolé pour tout ça... Généralement je suis plutôt gentil comme chien..."

Sans crier gare, je ne pus retenir un bâillement. Je me sentis épuisée tout à coup, ce qui était le contrecoup normal d'une métamorphose...

"Jack ? Enchantée, je m'appelle Holy.
Oui elle est belle, comme toujours... Belle et capricieuse hein... Et je suis épuisée. Exprimais-je avec un second bâillement. Peut-être devrais-je rentrer à l'auberge..."

Je jetais un coup d'œil en arrière et blêmi en me rendant compte de la distance parcourue... Autant dormir sur place, dans le froid et l'inconfort du sol...

Je rougis, encore une fois. Évidemment, qui ne serait pas touché par un tel compliment…

« Oh eh bien, non en effet, je ne t’ai pas dévoré. Tu as eu de la chance ! » Taquinais-je dans l’espoir de changer de sujet.

Je me souvenais de tout ce qu’il m’avait confié. J’avais l’habitude de connaître les secrets les plus enfouis des gens. Bien que d’ordinaire c’était avec mes pouvoirs que je les apprenais… Cette méthode s’avérait tout autant efficace. Ce loup n’avait pas dû avoir une vie facile. Les mordus étaient souvent sauvages et incontrôlables. Celui-ci semblait plutôt équilibrer de prime à bord.

« Ne t’inquiète pas, tout le monde a ses propres démons. Certaines personnes ont juste besoin d’un petit coup de pouce pour apprendre à les gérer, d’autres y arrive simplement au fil du temps. Tu sembles être de cette catégorie-là. »

M’empourprant une énième fois, je resserrais encore un peu plus le manteau autour de moi. Cette fois-ci ce fut à mon tour d’arquer un sourcil, tout en faisant un pas de côté afin de pouvoir mieux dévisager mon interlocuteur.

« Effectivement, je suis capable de me défendre tout seule, même dans une tenue des plus… Modestes… Et qui me dit que je serais plus en sécurité avec toi hein ? Tu n’as pas l’air d’avoir de meute, je ne sens pas la marque d’un alpha sur toi. Et tu sens le pirate également. Qu’est-ce qui te différencie de ceux qui sont à Ishtar en ce moment même ? »

Bougonnais-je en tentant de faire abstraction de ma situation.

« Et puis… Mes affaires sont quelque part dans la forêt… C’est flou… Ça m’arrive jamais d’habitude… »

J’étais perplexe, d’ordinaire je me retransformais toujours là où je laissais mes vêtements. Pourquoi cette nuit était différente ? L’ennui c’est que je ne pouvais pas reprendre forme canine et que j’allais sûrement devoir marcher des heures dans la forêt avant de tomber dessus…

« Qui sait, je tiens plutôt bien l’alcool à mes heures perdues !» Était-ce un défi ? Surement. Mais mon sourire disparut.

Le souffle court à la seule évocation de tout ce qu'il venait de me dire, la simple évocation des humains d'Ishtar suffit à faire bouillonner la magie dans mes veines. Par peur certainement, peut-être aussi un peu par colère ou fierté. Me prenait-il vraiment pour une idiote ? La magie infusait ma peau sur laquelle des veinures bleutées se dessinaient alors que son regard lourd de sens était fixé sur moi. Pourtant dans un coin de mon esprit je me sentis flatté par tant d’attention.
L'air se brisa en une mélodie sinistre mais alors que le Requiem tonna, la magie disparut d'un seul coup. J’étais beaucoup trop fatigué pour me connecter à la Source.
Ma tête me fit souffrir et la fatigue se fit sentir de plus belle. Mais au moins je n’avais pas perdu le contrôle.

«Tu as raison... Soupirais-je enfin, tout en tentant de garder un semblant d'allure. Tu me fais déjà flipper… Alors là-bas… Brrrrou… Et puis ce n'est pas le moment de foudroyer quelques malfrats ou voyous de bas étage, pas vrai ?
Amène-moi à ta vieille cahute si tu veux… Je rêve d’un lit et d’une bonne fin de nuit de sommeil là tout de suite… »

S’il tentait de me porter, je le laissais faire, non sans montrer les crocs. « Mais je te préviens, si tu tentes quoi que ce soit de déplacer… Je n’aurais aucun scrupule à te transformer en petit tas de cendre… » Ce n’était pas une vraie menace, il était évident que j’avais aucune envie de tuer quelqu’un, surtout pas quelqu’un qui essayait de m’aider. Mais j’espérais au moins que le bluff fonctionnerait.
Plus tard alors que Lune avait pris l’apparence d’un louveteau roulé en boule au creux de mon ventre et que j’étais confortablement installé dans les bras de mon porteur. J’essayais de ne pas penser à la gêne ultime que je ressentais à cet instant. Alors je pris la parole, revenant sur les propos de Jack plus tôt.

« Au fait, qu’est-il arrivé à ton frère loup ? Je ne sens pas son odeur sur toi. Ça doit faire longtemps que tu ne l’as pas vu... Son absence doit te peser, vivre en solitaire n’est pas vraiment inscrit dans notre sang, ta vie de mercenaire semble bien monotone.
Tu sais, c’est pas comme ça que tu remonteras la pente. Évite de me toucher d’ailleurs, j’ai pas envie de savoir tout de suite ce qui te hante… Ma magie à tendance à fonctionner comme ça et ça à l’air vraiment sombre. Je le sens aussi fort que tout le rhum que tu as ingurgité. C’est sûrement pour ça que je suis venue vers toi, quand j’étais… Enfin tu sais, sous mon autre apparence… »

Un vrai moulin à paroles… Je me tus finalement, laissant le silence reprendre place dans la forêt.

« Je… Non tu n'as rien fait… J’ai juste eu peur et… La magie à tendance à vite prendre le dessus, c’est tout. Je suis désolé… Depuis tout à l’heure tu es un vrai gentleman et moi… Enfin, je suis sûrement plus sympa en chien ! Ahah… »

Finalement il était plutôt sympa pour un loup solitaire. Je ne me fis pas prier pour me blottir contre lui. Les nuits restaient froides à Ishtar, l’été était loin d’être arrivé.
Étrangement, je ne ressentis rien, ou presque rien. Une profonde tristesse l’habitait et même sans le voir, je pouvais sentir son loup s’éveiller quelques instants avant de se rendormir. Mais tout en me laissant bercer par le rythme de ses pas, j’écoutais ce qu’il voulait bien me livrer.

« Oh… Ces frères loups… Oui je les connais bien. À vrai dire je les surveille de loin, à chaque fois que je passe à Ishtar.
La pire engeance de loup sur laquelle tu pouvais tomber, j'en suis désolée...
Ils n'acceptent que des "loups au sang pur" dans leurs rangs. Autrement dit pour eux je ne suis qu'une bâtarde au sang impur. Pourtant ma mère descend d'une grande meute de loup Speluncien. Mais mon père est Berger dans les montagnes des Baldors. J'ai pas mal pris de lui. Tu sais donc d’où me vient cette beauté de déesse, maintenant ! Le taquinais-je mais je repris avec une note un peu plus sombre dans la voix. Pourtant, c’est bien le sang de ma mère qui coule dans mes veines...
J’en étais sûre à présent, comment émettre encore des doutes après avoir appris qu'elle m'avait légué une maladie héréditaire ?

Enfin bref... Les frères loups ne sont bon qu'à tuer des vampires sans se poser de questions, mais tout ça, tu dois certainement déjà le savoir. La cause était noble au départ, enfin, plus noble que maintenant en tout cas. Démanteler les Rédempteurs d’homme bête, des fanatiques vampires. Ceux-là aussi n’avaient pas la lumière à tous les étages si tu veux mon avis. Mais maintenant que leur grande mission est accomplie, ils n’ont plus vraiment de but…
Les vampires ont fini par s'installer de moins en moins à Ishtar et la meute avait commencé à se disperser. Sans vampire à tuer elle n'avait plus lieu d'être. Mais depuis quelques années elle tend à s'agrandir de nouveau. Depuis la tentative de réunification du massif par Sobek Elpoemer Grey, le vicomte vampire. Certains loups ont quitté le massif pour pouvoir vivre "libres" hors de la politique vampirique, ce que je pourrais aisément comprendre. Idem pour quelques clans de vampire qui ne voulait rien avoir à faire avec des lycans. Autant dire qu’au croisement de tous les chemins, c’est reparti comme au troisième âge, ahah.
Je ne les aimais pas, et je crois qu’il faudrait être aveugle pour ne pas le remarquer.
Celui que tu as rencontré était une exception, comme quoi ils ne sont pas tous des sauvages… Mais je suis sûre que je le mettrais au tapis sans problème. » Taquinais-je à nouveau en ponctuant ma phrase d’un bâillement. Ce qui devait être vraiment terrifiant.
Je me tus quelques instants, profitant du silence de la forêt et d’une légère somnolence. Avant de reprendre sur une note plus douce.

« J’ai vécu de nombreuses vies à travers des blessures plus ou moins profondes. Je peux ressentir les émotions les plus enfouies. Écouter des fréquences vraiment particulières. C’est difficile à expliquer mais… Je ne peux pas apporter de jugement sur quelque chose que je ressentirais comme ma propre expérience, tu comprends ?
Souvent je peux décider de voir, ou pas. Mais j’ignore pourquoi sur certaines personnes ma magie s’active sans que je lui demande rien… Un nouveau bâillement me coupa avant que je reprenne d’une voix faible, probablement inaudible pour une oreille humaine. Mais j’aimerais beaucoup t’aider, si je suis venue vers toi c’est que Céléae en a décidé ainsi. »

"Oui, tu as le droit. Gloussais-je amusée. Maintenant que je ne doute plus de ta sincérité, Jack et puis, je dois bien avouer qu’on ne m’a jamais fait ce genre de compliment.
Je ne trouvais pas indispensable de préciser que peu de gens avait eu la chance de me connaître sous forme animale.
Profites-en, c'est pas tous les jours que tu auras l'occasion de porter un être divin !" Je devais bien avouer que la situation m’amusait. Qui aurait cru qu'au beau milieu de la forêt Ishtarienne, une rencontre aussi étrange ai pu se produire ?

Ce Grimlog me paraissait bien différent des frères loups que j'avais pu rencontrer. Si de tel lycan étaient dans leurs rangs, alors tout n'était peut-être pas perdu pour cette meute.
J'acquiesçais sans pour autant m'étendre sur le sujet.

"Grimlog semble être une bonne personne."

J'ignorais qui était cette Elle. J'ignorais s'il me parlait vraiment ou s'il pensait à haute voix. Mais Elle semblait avoir été chère à son cœur. La source probable de son malheur...
À demi endormi, je n’eus pas le courage de lui poser plus de questions. Et je ne voulais pas contribuer plus que de raison à raviver de mauvais souvenir. Bien que je n'avais pas l'intention de lâcher l'affaire, après une bonne nuit de sommeil et mes pleines capacités retrouvées…

"On est bientôt arrivé ?" Soufflais-je tout en gigotant afin de trouver une position plus confortable.

Il y avait bien souvent certaines personnes du public. Qui, après un spectacle au cirque venaient souvent me voir pour me complimenter sur ma prestation, sur ma beauté. Mais ce n’était jamais sincère. Déjà parce que ma magie envoûtante faisait son effet, et aussi parce que j’étais embellie par de nombreux atours. Des tenues impressionnantes de ma création, des jeux de lumière…
Alors que ce soir, ma beauté avait été mise à nu, et pas au sens métaphorique.

« Il y a bien PetitTembour qui me dit souvent que je suis jolie… C’est un enfant adorable… La concurrence va être rude ! » M’amusais-je finalement. Tout en riant de la suite de sa phrase
Je regardais d’un œil endormi ce qu’il me décrivait. Jusqu'à finalement voir la vieille cabane recouverte de végétation.

« Ce n’est rien, j’ai toujours rêvé de troquer une chambre dans l’auberge la plus coté d’Ishtar contre une peau d’ours poussiéreuse au milieu de la forêt avec un lycan. » Riais-je alors que je savourais la sensation d’enfin toucher le sol. Je m’étirais longuement en baillant une dernière fois. Puis mon regard alterna entre l’immense fourrure au sol et le coin de la cabane.

« Viens t’allonger, tu as l’air d’avoir encore plus besoin de sommeil que moi. » Dis-je simplement en me roulant en boule dans le manteau du pirate. Seule ma tête dépassait du col en cuir. Lune s’était glissée à l’intérieur pour dormir contre moi.

« Ça me rappelle quand j’étais petite. Avec mes frères, on finissait toujours par s’endormir dans la bergerie, au milieu des moutons. Y’avait pas de meilleurs endroits sur tout Dùralas à cette époque… »

Je me tus, jamais je n’aurais cru que ce souvenir puisse être douloureux. Maman et papa finissaient par nous retrouvaient et riaient aux éclats en voyant cinq petits vers émerger au milieu de la laine immaculée. Sortir de la bergerie était une torture, même avec des capes en laine. Les pieds nus dans la neige, on assumait pourtant toujours les kilomètres qui nous séparaient de la maison. (La distance me paraissait beaucoup plus courte aujourd’hui). Ensuite, maman nous versait du lait de brebis bien chaud dans d’énormes bols…
Les yeux brillants, je rentrais ma tête dans le manteau. C’était ridicule si je me mettais à pleurer maintenant, et puis il était temps de dormir.



J’ouvris les yeux, l’aube ne pointait pas encore le bout de son nez. Pourtant je n’avais plus du tout sommeil. Je me dépliais lentement, faisant fonctionner mes muscles endoloris. Jack dormait toujours. Aussi, pour ne pas le réveiller, je chuchotais doucement l’air d’une berceuse, la magie opéra avec délicatesse. Je finis par lui faire un baiser sur le front comme pour finaliser le charme.

« Toi aussi tu as le droit d'oublier tes peines pour quelques heures. Fais de beaux rêves. »

Mes dons me permettaient d'insuffler des émotions mais aussi d'en prendre. Et puis me concentrer sur la tristesse d'autrui me permettait de fuir mes propres sentiments.
Enfin, je sortis de la cabane, respirant l'air frais de la rosée matinale. Lune s'ébroua, tout en prenant une forme lupine aux ailes de jais. La magie qui parcourait les dessins de sa fourrure et de ses plumes produisait une légère brume bleutée. Elle était la première à pâtir lorsqu'on subissait des défaillances magiques.
Notre énergie retrouvée, je montais sur son dos pour partir à la recherche de mon paquetage dissimuler dans les arbres de la forêt Ishtarienne. La piste ne fut pas si difficile à suivre, et l'aube se leva lorsque je trouvais enfin mon sac de voyage remplis de ma tenue de la veille, ainsi que l'étui de mon ocarinharpe.

« Tu as vraiment laissé l'instrument de musique le plus précieux de Duralas accroché à un arbre ? Tu es vraiment inconsciente ma parole ! Me sermonna Lune, ma conscience...

-je préférais quand tu étais endormie... Et puis je ne pensais pas le laisser aussi longtemps ! »

Aussitôt mes affaires retrouvées, je m’habillais rapidement pour me rendre à Ishtar, le marché s’éveillait à peine mais je trouvais sans difficulté un berger finissant de préparer son étal.

« Je vous achète une bouteille de lait de brebis mon bon monsieur ! »

Un échange de piécette plus tard et un tour à l’auberge Du Vent Salé, je ressortis de la ville pirate sur le dos de mon cerf royal, pour retourner à la cabane dans la forêt. Jack semblait toujours dormir, alors j’en profitais pour me baigner dans la rivière et renouveler ma tenue. Un parfait ensemble Ishtarien, un pentalon léger, fendu sur les cotés, une chemise cintrée par un corset décoré de fines dentelles, des froufrous comme j’aime en porter aux couleurs simples du cuir et du lin. Et de hautes bottes brunes. Plutôt sobre, mais je n’avais rien pus emporter de plus élaborer pour le voyage.
Puis confortablement installé à cheval sur un rondin, je jouais quelques airs à l’ocarinharpe dont les runes gravées dans le bois brillaient d’une lueur bleutée dès que j’en jouais. Alors que le lait de brebis chauffait tranquillement au-dessus d’un feu soigneusement allumé à la sortie de la cabane.

« Il n’y a rien de plus sincère que les paroles innocentes d’un enfant tu sais? »

Répondit le Lycan doucement sentant que le sommeil de la jolie femme qu’il portait  l’envahissait peu à peu.

« Bien que les miennes l’étaient tout autant. Sans être un enfant innocent. »

Sourit il ensuite. Bien que le fait qu’elle puisse avoir un enfant était un peu gênant pour lui. Il devait s’assurer de ce détail de façon subtile.

« Mais tu l’as laissé seul? Avec son père peut être? Sans vouloir t’offenser c’est un choix de prénom un peu étrange?… »

Fait il remarquer innocemment. Et sa remarque le fit rire à son tour. Ce à quoi il répondit d’un ton amusé autant qu’ironique. 

« Je suis désolé Holy. Je n’avais pas prévu d’accueillir une déesse des forêts dans ma vieille cabane cette nuit. Sans cela j’aurais fait un brin de ménage avant tu t’en doutes bien… »

Et à son invitation, il ne se fit pas prier pour s’allonger à côté d’elle, passant seulement son bras au dessus d’elle pour lui tenir chaud, sans rien faire de plus. Bien que ce n’était pas les idées salaces qui lui manquaient à ce moment là. Elle avait quelque chose de particulier par rapport aux autres. Peut être sa ressemblance avec Ludmila. Il ne le savait pas trop, mais il ne voulait pas qu’elle quitte son contact tout de suite. Cela faisait des années qu’il ne s’était pas sentie aussi bien au contact d’une femme et il avait passé la nuit avec beaucoup d’entre elles pourtant…il se contenta d’observer simplement sa chevelure dorée avec un léger sourire qui ne le quittait plus. L’écoutant parler de ses frères et sœurs. Elle était fatiguée et il le savait. Lui aussi d’ailleurs… il se contenta donc de lui dire doucement.

« Nous en parlerons demain si tu veux… tu es épuisée là… il faut que tu dormes… »

Il continua pour sa part de garder le regard rivé sur sa chevelure et de l’observer dormir quelques minutes avant que ses yeux ne se ferment lentement…


Alors que la magie d’Holy opérait et qu’elle lui déposait un baiser sur le front après un murmure, elle put voir son sourire légèrement s’étirer bien qu’il dormait encore. Juste un petit rictus d’aise…
C’est finalement une douce mélodie venant de l’extérieur de la cabane qui le tira de ses songes. Une jolie et douce mélodie. Encore un peu vaporeux, il palpa la peau d’ours ou Holy n’était plus. Sans doute était ce elle qui jouait d’un instrument… se levant alors, il passa la tête doucement par ce qui servait de porte à la cabane et souffla un simple.

« Bonjour… »

Puis sortant de la cabane complètement, il ajouta avec un sourire.

« C’est très beau ce que tu joues. Oh! Tu as trouvé du lait de chèvre? Je vais aller nous chercher quelque chose à manger pour aller avec. Ne prends pas peur quand je vais ressortir de la cabane d’accord? Je n’ai pas envie que tu me transforme en tas de cendres. »

Le ton était mutin mais il retourna dans la cabane pour se déshabiller et se transformer. Pour passer la porte cette fois il fut obligé de se baisser. Car à présent, Holy avait en face d’elle un Lycan aux poils sombres et aux yeux jaunes, musculeux qui s’exprimait d’une voix gutturale avec une démarche lourde.

« Je reviens… »

Plusieurs minutes passèrent avant qu’il ne revienne avec deux beaux lapins dans chaque main. Il tourna ensuite la tête de l’un d’eux d’un coup sec puis fit passer une de ses longues griffes le long de son ventre avant de tirer la peau comme une chaussette puis alla près de la rivière pour les vider avant de revenir près du feu pour le déposer.

« Un brin de toilette maintenant et je suis à toi. »

Dit il de sa voix gutturale en retournant vers la rivière où il reprit sa forme humaine mais nu forcément… il plongea ensuite dans la rivière pour se laver avant de percuter quelque chose. 

« Hummm… Holy? J’ai laissé mes vêtements dans la cabane je crois… »

Dit il avec un sourire contrit.

Je ne répondis pas à sa remarque, bien qu'elle me fasse tout autant sourire.

"Il n'est pas seul, il est avec le cirque, avec qui je vis habituellement... Et il n'a pas de parents, j'ignore s'ils sont morts ou s'ils l'ont abandonné mais il a été adopté par une valeureuse Stryge blanche qui nous l'a confié ensuite. Le Petit c'est lié d'affection pour moi..." Baillais-je avant d'apercevoir la cabane.
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"Je m'en contenterais. Ajoutais-je rapidement par peur de l'avoir contrarié. J'ai déjà dormi dans pire endroit que ça..."
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Étrangement, je me sentis plus en sécurité que gêner par la proximité de l'homme qui avait passé son bras autour de moi. Pourtant c'était bien la première fois que je dormais avec une personne autre qu'un frère de meute. Je décidais de ne pas trop me poser de question, le sommeil me gagnait déjà.

"Tu as raison... Bonne nuit."

Perdu dans le fil de la mélodie, je faillis ne pas remarquer que Jack venait de passer sa tête par la porte de la cabane.
Avant d'en sortir complètement.

"Bonjour, tu as bien dormi ? Lui répondis-je avec un sourire doux. Merci... J'étais flatté, surtout que je ne maîtrisais pas encore totalement l'ocarinharpe, qui était l'instrument magique le plus têtu que j'avais pus rencontrer. Je suis une magicienne, en quelques sortes. J'utilise les sons et les vibrations de l'air pour faire fonctionner ma magie et influencer mon auditoire, si je puis dire."
Il me semblait important de lui préciser que je pouvais influencer ses émotions d'une simple mélodie, même si c'était plutôt délicat à expliquer.
Cependant, je pouvais passer beaucoup de choses, mais certainement pas un amalgame pareil.

"C'est du lait de brebis, rien à voir." Dis-je avec un air bougon. Avant de tiquer sur le "ne prend pas peur lorsque je sortirais de la cabane..."
Je fronçais les sourcils, perplexe en attendant qu'il ressorte. Pour passer le temps je m'attelais à réaccorder mon instrument capricieux.

Le fond de l'air changea, alors que la porte de la cabane s'ouvrit sur un énorme loup bipède. Je blêmis alors que tous mes sens se mirent en alerte. Tout à coup je compris son avertissement, et ce fut en me concentrant sur ses mots que je pus arrêter de montrer les crocs en grondant pour enfin cesser de le foudroyer de mes yeux vairons.
Je n'avais jamais vu de lycan auparavant, c'était plutôt impressionnant. Plus impressionnant que tous les thérianthropes que j'avais rencontrées jusqu'à présent.
Je sursautais lorsqu'il parla d'une voix gutturale. Alors sa conscience ne dissociait pas lorsqu'il changeait ? Un tel niveau de maîtrise était étonnant pour un mordu. Beaucoup de lycan spéluncien de naissance n'atteignait pas cet état de contrôle.
Je reconnaissais son odeur et sa voix, bien que celle-ci soit plus grave et profonde. Ça me rassura.m
Je hochais simplement la tête, trop bousculer pour articuler le moindre mot en le regardant s'éloigner dans la forêt d'un pas lourd.
Il partit le temps qu'il me fallût pour me remettre de mes émotions. Et lorsqu'il revint, ce fut avec deux lapins qu'il vida puis dépeça avec des pattes et des griffes plutôt habiles.

"Je vais finir de les préparer." Lui dis-je simplement en m'approchant du feu après qu'il s'en soit éloigné pour aller à la rivière, par simple précaution.

Je sortis un grand couteau de chasse d'une des sacoches de selles que j'avais retiré du dos de Céléborn. Ce dernier broutait paisiblement le lichen caché sous les aiguilles de pins autour de la cabane. Avant de m'atteler à découper les lapins en morceau, de les assaisonner avec de nombreuses herbes que j'avais dans mes sacs et de les rajouter au lait.
Non sans jeter quelques coups d'œils de temps en temps du côté de la rivière. Pour voir si tout allait bien, évidemment. Me sachant pudique lors de mes métamorphoses, je pris soin d'attendre d'entendre la version humaine plonger dans l'eau avant de lever une première fois les yeux de ma préparation.

"J'arrive... Répondis-je simplement en me levant et m'étirant. Quoique je devrais peut-être te laisser venir les chercher tout seul ?" Dis-je d'un ton espiègle en ressortant de la cabane avec une pile de vêtements dans les bras.
Finalement par bonté d'âme, je déposais la pile près de la berge. Avant de relever les yeux vers lui. L'eau lui arrivait à la taille alors je pris le temps de l'observer. Étant donné que le veille je ne l'avais quasiment pas regardé. On se demande bien pourquoi... Je ne pus m'empêcher de rougir à ce souvenir... Avant que mon regard ne se pose sur une vilaine cicatrice sur son bas gauche. Je m'approchais intrigué, avant de me pencher vers lui afin de pouvoir lui attraper le bras, pile sur la morsure de loup.

"Ça a été douloureux ?" Demandais-je d'une petite voix, empli de tristesse et de compassion.

Même sans user de magie, je pouvais aisément comprendre ce qu'il s'était passé.
Avait-il tué sa compagne, cette femme a laquelle il m'avait comparé cette nuit, dans un excès de folie lupine ?
On ne pouvait imaginer pire scénario.

Voilà qui rassurait grandement Jack! Elle n’était pas mère. Il n’y avait donc possiblement pas de Monsieur Holy qui trainait quelque part et qui aurait pu avoir envie de le tuer si elle lui parlait d’un certain pirate sympathique avec qui elle avait passé la nuit. A la sortie de la cabane il acquiesça avec un sourire.

« Je crois bien ne pas avoir aussi bien dormis depuis… longtemps… »

Répondit il. Puis écoutant ses explications musicales avec un air intéressé, un nouveau sourire se dessina légèrement sur son visage. Encore une occasion de lui glisser un charmant compliment.

« Je ne me souviens pas avoir entendu de quelconque instrument pourtant lorsque ta beauté m’a envoûté? »

Il dit cela avec un regard malicieux. Avant de s’excuser avec une petite révérence digne d’un noble. Ou du moins quelqu’un ayant appris à les faire déjà avec un léger sourire.

« Veuillez me pardonner déesse Holy, je n’ai guère l’habitude de différencier du lait de chèvre ou de brebis d’un simple coup d’œil… »

Et en sortant de la cabane, ce qu’il redoutait un peu se produisit. Il vit bien dans son regard qu’il la terrorisait… si bien qu’il ne quitta pas le seuil de la cabane tout de suite. Il ne bougea pas, la regardant sans montrer le moindre signe d’agressivité. L’air se faisait lourd et il sentait que s’il s’approchait d’elle, elle pourrait simplement commettre une bourde de peur. Et sous cette forme, il devait fortement se concentrer pour se maîtriser. Alors une attaque serait des plus difficiles pour lui à gérer. Bien que sa ressemblance avec Ludmila l’aidait grandement tout en le perturbant… avait elle eut ce regard d’horreur ce soir là avant qu’il la tue… l’avait elle comme le monstre qu’il voyait actuellement dans le regard d’Holy. Si bien qu’il se dépêcha de partir à la chasse. Troublé jusqu’au plus profond de son âme, il lui fallut un moment pour pouvoir se reconcentrer sur ce pourquoi il avait laissé Holy. Trouver de la nourriture. Puis finalement après s’être lavé et demandant à Holy ses vêtements qu’il avait oublié cette dernière se fit taquine. Sauf qu’en fait, ce n’est pas tant que cela le dérangeait qu’elle le voit nu…

« Et bien je disais ça pour toi moi hein… je suis pas pudique. »

Dit il en haussant les épaules tout en se relevant pour commencer à sortir de l’eau sans aucune pression. Si l’on omettait un léger ventre sans doute dû à un léger abus d’alcool, elle pouvait voir que son torse et ses bras étaient musclés. De même que ses épaules. Le temps passé à travailler aux écuries puis à forger ensuite avait endurcit Jack. Il regarda ensuite son bras quand elle lui attrapa avant de répondre d’un ton un peu plus morne.

« Très… c’était le même format que toi en chien sauf que c’était un loup… un vrai je veux dire. Pas sur deux pattes…c’est cette nuit là que… tous mes soucis ont commencé… »

Dit il en posant doucement sa main sur la sienne avec un regard triste mais un semblant de sourire aimable quand même à son égard pour lui retirer délicatement de son bras. Puis finalement il soupira légèrement. Il lui en avait trop dit ou pas assez. Elle voudrait comprendre et c’était normal dans un sens…

« Pour que tu comprenne tout ce qui m’est arrivé, je dois t’expliquer un peu les choses depuis le début… Je devais avoir seize ans quand j’ai trouvé un petit travail comme garçon d’écurie dans une famille noble. J’adorais les animaux et m’occuper d’eux. Le chef du domaine m’avait fait confiance et on m’a appris à être garçon d’écurie. Mais ce monsieur avait une fille de mon âge… des cheveux d’or, de beaux yeux bleus et… »

Il marque une pause en prenant une inspiration. Ça lui coûtait de raconter tout ça, si bien qu’il s’assit près du feu en regardant les flammes le regard légèrement absent.

« Très belle et douce… elle me regardait souvent travailler et aimait discutait avec moi pendant ce temps là… si bien que de fil en aiguille, nous sommes devenus amis… elle m’a apprise à lire, écrire, me comporter en société… moi le petit paysan des alentours de Kastallin… et puis… nous passions de plus en plus de temps ensemble… jusqu’à ce que finalement un soir… nos lèvres ne se touchent… sauf que son père, avait repéré notre manège et fit voler la porte de la grange d’un coup de pied épée à la main. Je crois que je n’avais jamais couru aussi vite de ma vie pour fuir. »

Rit il légèrement.

« c’est là que ce loup m’est tombé dessus… il m’a attaqué et j’ai juste eut le temps de mettre mon bras en barrage de ma gorge pour ne pas qu’il me l’arrache… j’ai finalement réussi à lui planter ma dague dans le cou et le tuer pour fuir encore plus loin jusqu’à Kastallin et nettoyer ma plaie…mais j’étais fou amoureux de Ludmila… et égoïstement je suis retourné la revoir sans savoir que le danger la guettait… nous nous étions cachés dans une cabane de chasse sur le domaine où personne n’allait jamais…et j’ai commencé à être malade… à avoir de la fièvre et à souffrir… elle voulait que j’aille voir un guérisseur mais j’ai refusé pensant à un coup de froid… peut être une semaine après j’ai…je…je… me suis transformé… »

Il prend sa tête dans ses mains.

« Le lendemain je me réveillait nu, plein de sang sur moi et je l’ai… retrouvé près de la cabane… elle… sa famille…tous… je les avais tous tué… »

Sa voix s’étrangle sur la fin de son récit même après toutes ces années. Le poids de la culpabilité était toujours bien présent.

« Voilà pourquoi je me suis retiré de la civilisation suite à ça… je ne me souvenais de rien… rien du tout…et pourtant je savais que je l’avais fait… »

La berceuse avait donc fait effet, tant mieux. 

"C'est que les chèvres sont têtues et belliqueuses, elles n'écoutent jamais rien."
Alors que les brebis étaient adorables, et ça se sentait dans le lait qu'elles produisaient. Mais je n'entrais pas plus dans les détails. 

Si mon côté animal avait surréagi à la vue du lycan, mon côté humain était plutôt fasciné par ce loup bipède. Les émotions complexes qu'il ressentait étaient puissantes et contradictoires comme si tout était amplifié. Ça m'étouffa violemment sur le coup. Je le sentais mal de s'être présenté sous cette apparence mais je le laissais partir, me retenant de lui courir après. J'ignorais comment il pouvait réagir. 
Je ne comprenais pas pourquoi il avait fait tant de manières lorsque les rôles étaient inversés, mais en ce cas je ne dis plus rien. J'écoutais son histoire, le laissant aller jusqu'au bout sans l'interrompre. En m'asseyant à côté de lui près du feu.

Même sans utiliser ma magie, j'eus mal pour lui, la tristesse m'envahit, et la peine aussi.
Avant qu'il ne termine, motivé par un sentiment d'urgence, je le pris dans mes bras. 

"Là... C'est finit... 
Merci de m'avoir confié tout ça... 
Tu m'as demandé de ne pas utiliser ma magie alors je ne l'ai pas fait... Mais je n'en ai pas eu besoin pour comprendre. Le rassurais-je tandis que je contenais ma rage devant tant d'injustice. 
Mais ce fut peiné, les larmes défilant sur mes joues laiteuses, que je repris.
Vous étiez si jeunes... Des enfants fous d'amour, tout simplement.
Ce loup sauvage... S'il n'était pas mort, je serais parti le tuer moi-même... Grondais-je.

Puis reprenant un ton doux. Ce n'était pas de ta faute... Si tu avais été voir une guérisseuse, soit elle aurait reconnu la morsure et elle t'aurait tué sans états d'âme avant ta première pleine lune... Soit elle aurait cru à une simple fièvre, ce qui aurait été plus probable, et tu aurais certainement tué encore plus de personnes, cette nuit-là...
Tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer. La culpabilité ne t'apportera rien de bon...
Au fond tu es encore cet adolescent dans ce cabanon, planté là à regarder ses mains recouvert de sang. Mais tu n'es plus cet enfant..." 

Je ne le lâchais pas, restant ainsi un moment, le laissant mettre ses émotions en ordre. Se remettre de ces douloureux souvenirs remontés à la surface. 
Puis je m'éloignais légèrement de lui, afin de pouvoir le regarder dans les yeux. 

"Mais je ne suis pas elle... Peut-être que je lui ressemble mais... Tu ne me connais pas... Je t'ai entendu quand tu disais que... Enfin j'ai senti que tu cherchais des similitudes entre nous et... 
J'essayais de trouver les mots adéquats. Je connaissais la force des illusions. Et les dégâts qu'elles pouvaient causer lorsqu'elles disparaissaient.
Peut-être que tu en trouves, mais ce n'est que ton esprit qui recherche quelque chose de familier en moi. Je ne peux pas être une béquille pour t'aider à marcher. Tu comprends ?" 

J'étais certainement plus douée avec la musique qu'avec les mots... Est-ce qu'ils étaient difficiles à entendre ? Ou est ce que tout simplement mon discours n'avait aucun sens ? Je me souvenais des mots qu'il m'avait dits la veille. Cela me touchait énormément qu'il la retrouve en moi mais je ne pouvais pas être un cataplasme sur une jambe de bois. 

"Par ailleurs. Repris-je d'un ton plus assuré. Je peux te réapprendre à marcher." La métaphore était nulle, mais l'idée était là, dans les grandes lignes. Je pensais au cirque, et à son passé de valet d'écurie. La ménagerie avait toujours besoin qu'on s'occupe d'elle...

Jack avait raison, Azriel devait un peu trop déteindre sur moi. La vengeance n'était pas dans ma nature. Pourtant.

« Les loups-garous sauvages sont souvent atteints du « mal du loup ». J'ignore si ce nom est correct, mais c'est comme ça qu'on le nomme dans ma famille.
C'est une maladie, qui touche les thérianthropes de naissance uniquement. Si pour un mordu la transformation peut s'avérer chaotique. Pour un thérianthrope d'héritage, ça peut lui être fatal.
C'est héréditaire… Et ça peut se déclencher à n'importe quel moment de la vie du thérian.
D'abord, il devient agressif et ses transformations sont de plus en plus compliquées à gérer. Comme une régression du Contrôle, en quelques sortes. Puis il réussit de moins en moins à reprendre forme humaine. Jusqu'à rester bloqué sous forme animale pour toujours. Seulement, son esprit malade le rend complètement fou, il ne se comporte même plus comme un animal, oubliant le sens de la meute, oubliant les lois de la Chasse. Il ne sait même plus se nourrir et finit par mourir de faim, ou tué, dans le meilleur des cas. Il se met à attaquer tout ce qui bouge.

Un nouveau-né hors de Contrôle ne se serait pas laissé tué aussi facilement. Tu es bien placé pour te rendre compte de la force qu'a un jeune lycan. Ce loup a donc dû faire de nombreuses victimes avant de te tomber dessus… »

J'avais fait de nombreuses recherches sur des cas comme ça depuis la mort de ma mère…
Je l'écoutais me répondre.

« Dans le premier cas… Si elle t'aimait vraiment, elle aurait été dévasté. Elle ne se serait jamais remis de ta perte, et c'est peut-être elle que j'aurai trouvée dans cette forêt cette nuit, qui sait... Elle se serait sacrifiée pour toi. Elle ne t'aurais pas abandonné, malgré la peur ou la douleur.
Je pense qu'elle aurait pu fuir cette nuit-là. Mais qu'elle ne l'a pas fait parce qu'elle t'aimait tant qu'elle ne pouvait pas t'abandonner. »

Je ne connaissais pas Ludmila, mais si elle me ressemblait vraiment… Si elle aimait Jack au point de s'enfuir de chez elle pour vivre cachée avec lui. Le veiller quand il était malade. Alors elle se serait sacrifié pour lui sans aucune hésitation. Malgré la douleur.

« Tu m'as fait peur oui, j'étais pas prête à voir un gros lycan sortir de cette si petite cabane. Pouffais-je afin de détendre un peu l'atmosphère, puis reprenant un ton plus sombre. Mais en fait j'avais plus peur de te faire du mal sans le vouloir… Que vraiment de toi… C'était instinctif… » Je n'entrais pas plus dans les détails. Mais ma magie défaillante et incontrôlable parfois, rendait la moindre de mes réactions imprévisibles.

Je voulais le rassurer, lui dire qu'elle était morte folle d'amour et sans aucun regret. Mais je ne pouvais pas. Il avait raison. Elle n'avait peut-être pas fui, mais elle n'était certainement pas prête à mourir. Vivre avec un tel poids sur la conscience était difficile, mais pas insurmontable. On ne peut pas oublier, mais on peut apprendre à vivre avec. Un jour il devrait la laisser partir pour de bons. S'accrocher aux morts ainsi n'était pas bon pour leurs âmes.

Aussi, je pouvais simplement montrer que j'étais là pour lui et surtout que je ne le voyais pas comme un monstre dépourvut d'âme.

« La déesse de la forêt, Hein... Souris-je à mon tour, contente de le voir tenter un peu d'humour. La métaphore était ridicule… Riais-je finalement pour la suite. Je vis dans un cirque. Et si tu recherche un endroit où vivre… Une meute peut-être ? Un travail honnête aussi. Alors je pourrais bien te trouver une petite place quelque part. Dis-je avec un sourire malicieux. Ce serait déjà un bon pas vers l'avant, n'est-ce pas ? À moins que tu prévoies de passer ta vie à faire des petits travaux de mercenaire ou des combats illégaux dans les bas-fonds d'Ishtar… »

Puis mon sourire disparut, et mon regard s'assombrit à nouveau. Lui parler de moi ? Que devrais-je dire ? Rien. Je ne dis rien. Détournant les yeux vers un point invisible dans le feu que je ravivais avec un bâton qui traînait.

« C'est prêt, on devrait manger tant que c'est chaud ! Oui, Holy, change de sujet… Je remplis deux bols de la préparation qui sentait divinement bon. C'est une recette que ma mère faisait toujours après une nuit de pleine lune. C'est aussi idéal contre la gueule de bois. » Les herbes infusées dans le lait avaient de nombreux bienfaits. Je me rassis, mangeant quelques morceaux de lapin attendri dans le lait, avant de pousser un profond soupir. Déposant le bol à côté de moi, je regardais la cime des arbres en appuyant ma tête contre le tronc posé au sol. Mes jambes ramenées vers ma poitrine, les bras enlaçant mes genoux. Je me plongeais à mon tour dans mon passé tourmenté.

« D'ordinaire, je ne parle pas de moi. Je préfère écouter les autres me raconter leurs blessures… Mais je vais essayer. Je te dois bien ça.
Je fermais les yeux. Quand j'ai quitté ma famille, un bon partit et une vie de bergère toute tracée. J'avais des rêves pleins la tête. Je voulais devenir la ménestrelle la plus connut de tout Dùralas. Je voulais jouer pour les plus grands de ce monde et semer de la joie partout où je passais… J'ai abandonné ma meute pour ça.
Mon maître est mort alors que je n'étais qu'une apprentie au milieu des Montagnes des Baldors. Mais j'étais têtue, et je ne voulais pas rentrer à la maison. Je ne voulais pas vivre comme une bergère, je ne voulais pas me marier.
Alors j'ai continué mon voyage toute seule. Avec la vieille jument de mon maître, nous sommes allées jusqu’à Kastalinn. Et puis je n'avais plus d'argent, j'ai dû me séparer de Pie parce que je ne pouvais pas payer d'écurie pour la garder. Personne ne voulait embaucher une gamine miteuse comme barde dans leur auberge ou leur taverne. Ils ne voulaient embaucher que des jolies blondes qui donnaient envie aux clients de consommer dans leur établissement…
Et puis après avoir essuyé un énième rejet. Azriel m'a trouvé. Il avait besoin d'aide pour créer quelque chose de grand et moi je ne voulais plus être seule. On a fondé le Cirque de l’Éclipse ensemble et aujourd'hui je ne pourrai plus me passer de lui. Il est devenu ma meute. Celle que j'ai choisie. Il croit me protéger, mais en vérité, je crois qu'on se protège tous les deux mutuellement. Même s'il l'avouera jamais, je crois qu'il a toujours autant besoin de moi et moi de lui.

J'ai décidé de devenir cette jolie blonde que les gens voulaient voir dans les auberges, de ne plus jamais laisser un seul homme me rabaisser au rang de paysanne miteuse.
Mais le prix à payer est élevé, quand on vit pour ce qu'on aime.

Je t'ai parlé du « Mal du loup » tout à l'heure. Si je connais aussi bien le sujet, c'est parce que ma mère en est morte. Elle me réclamait dans ses derniers moments de lucidité, et moi j'ai ignoré son appel, trop occuper à sillonner le monde pour ma gloire personnelle.
Ma famille me déteste pour ça, je ne suis plus la bienvenue dans mon ancienne maison. Et je vais sûrement mourir de la même manière qu'elle…
D'après mon père. Ma mère avait parlé d'une sorte de remède dans sa meute à Spelunca, je devrais sûrement m'y rendre mais… Je ne sais pas par où commencer pour les trouver. Et puis, à quoi bon lutter finalement ? Peut-être que c'est comme ça que je devrais mourir, je l'aurais bien mérité. »

Je n'avais pas fait de pause dans mon monologue jusqu'à présent, de peur de ne plus réussir à aller au bout si jamais je m'arrêtais ne serait-ce pour voir les réactions de Jack à côté de moi.

« Voilà, tu connais les grandes lignes de ma vie à présent. Tu es tombé sous le charme du plus beau masque que l'on puisse façonner. Je vis uniquement pour les autres parce que j'ai peur de ce que je suis vraiment. » Conclus-je en tournant mes yeux vairons pour la première fois dans le regard du lycan, mais je retournais bien vite à la contemplation de la cime des arbres, ne réussissant pas à rester dans ses prunelles brunes plus longtemps.