Le physique d'Azedine se situe à la frontière de l'orc et de l'humain, comme on l'imagine s'agissant d'un hybride entre les deux races.
Par exemple, du haut de son mètre quatre-vingts cinq, il dépasse l'homme moyen, mais rivalise à peine avec ses parents à la peau verte. Sa carrure, quant à elle, est tout à fait solide et bâtie si l'on s'en réfère aux standards humains, mais paraît là encore bien frêle mise à côté d'un orc ordinaire.
En fait, cette double comparaison s'applique pratiquement à tous les éléments de son physique.
Cela dit, puisqu'il faut tout de même produire une description de son apparence, l'on pourrait dire qu'Azedine ressemble à un homme d'une trentaine d'années bien fait de sa personne. Quand on le regarde on comprend qu'il n'a jamais souffert de la faim, ni de maladie. Il a l'air en bonne santé.
Ses cheveux sont noirs et longs. Il les porte toujours attachés, que ce soit en queue, en chignon ou en natte. Ses yeux sont bruns, expressifs et vifs. Son ascendance orc apporte à ses traits doux des angles qui en renforcent l'aspect masculin. Finalement, pour un hybride, il est plutôt bel homme.
Bien entendu, il a la peau verte. Cette dernière tend à prendre une teinte olivâtre tirant sur le brun à la fin des longs mois d'été. Azedine a également les oreilles pointues, mais assez fines, un peu à la manière des elfes. Enfin, ses canines inférieures ressortent et, bien que relativement discrètes (toujours par comparaison), il est difficile de les ignorer.
De manière générale, Azedine veille à soigner son apparence. Certes, il n'est pas riche, mais son aspect est toujours très propre et ses vêtements sont tenus en parfait état. Il se rase de près et entretien sa chevelure avec application.
C'est une discipline héritée du temple au sein duquel il fut éduqué. Azedine espère diminuer les stigmates autour de ses origines en présentant de la meilleure manière possible. Il considère qu'être bien mis est le premier prérequis dans ce sens.
Un raisonnement plein de bon sens et un paramètre vital dans son métier. En tant qu'écrivain public, Azedine doit inspirer la confiance à ses clients. Le demi-orc cultive donc cette allure de lettré peu menaçante, modeste, mais dans le même temps fiable et sérieuse. On peut dire que cela participe à son succès, car il n'a jamais manqué de travail.
Avec l'habitude et l'expérience, il a finit par comprendre quelles attitudes et quelles caractéristiques suscitaient telle ou telle réaction chez ses interlocuteurs. A présent, il en joue pour adoucir ses relations en amont.
Bien que le commun des mortels s'imagine parfois toutes sortes de scénarios sordides, s'agissant des demi-orc et de leur conception (l'allure peu amène des peaux vertes semblant exclure toute possibilité de romance avec un membre de l'espèce humaine), la venue au monde d'Azedine fut le produit de circonstances assez ordinaires (bien que comportant leur lot de drame).
La mère était une jeune éleveuse de mouton. Chaque année sa famille participait à de grands marchés qui permettaient d'écouler la marchandise produite tout au long de l'année.
Mais au delà de leur aspect commercial, de tels rassemblements étaient surtout l'occasion de réunir les membres éclatés d'une même tribus. On en profitait pour faire des rencontres, entretenir les vieilles amitiés, ou bien prendre des nouvelles d'un parent éloigné.
Avec de tels prémices, on comprenait aisément que ces événements fussent d'abord et avant tout ceux des célibataires. Ces grandes mêlées étaient bien souvent la seule occasion, pour les petits peuples du désert, de rencontrer du sang neuf et, pourquoi pas, trouver le partenaire idéal.
Zara, la mère d'Azedine, puisque c'est d'elle dont il s'agit, venait tout juste d'avoir quinze ans. Comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, elle avait le cœur plein de romances et une envie folle de rencontrer le prince charmant. Elle était naïve (étant fort peu habituée à fréquenter le monde en dehors des siens), téméraire et peu éduquée. Une adolescente ordinaire, somme toute.
Sa première nuit de fête, échappée à l'attention de ses parents, fut donc celle de toutes les folies. Elle sympathisa bien vite avec d'autres filles de son âge et toutes décidèrent d'aller à la rencontre de jeunes hommes, enivrées par leur propre hardiesse et bien conscientes que cela dépassait déjà leurs propres limites. Comme la nuit avançait, elles se laissèrent tenter par les liqueurs, les danses et ainsi de suite. Pour la plupart, cela resta innocent (juste un peu canaille). Après tout, la prochaine soirée de ce genre devrait attendre l'an prochain, alors il n'était pas question de refuser quoi que ce soit.
Portée par cette logique un peu folle, Zara releva donc le défi d'approcher les orcs du campement d'à côté. C'était une chose que l'on évitait d'ordinaire. Même si les deux espèces se côtoyaient et commerçaient ensemble, on préférait faire bande à part à l'heure des réjouissances, surtout une fois la nuit tombée. Cependant, la jeune femme n'avait pas du tout envie de contenir son euphorie dans le carcan de vieilles règles moralisatrices. En ce moment, elle ne pensait qu'à s'amuser et impressionner ses nouvelles amies.
Elle sélectionna donc un jeune orc situé un peu à l'écart des autres afin d'engager la conversation. L'échange, qui ne devait durer que quelques minutes, s'éternisa finalement, jusqu'à ce que les autres filles ne se lassent et laissent Zara seule avec l'inconnu. Cela dura encore un moment. Puis, avec un peu plus d'alcool dans le ventre, la jeune femme se laissa guider sous une tente et ce qui devait arriver arriva.
Quelques heures plus tard, son enthousiasme était bien retombé. Zara se sentait un peu confuse, ignorant ce qu'elle devait penser de toute cette histoire. Elle dit adieu à son amant et retourna sous sa propre tente, où elle passa le reste de la nuit comme si de rien n'était.
Le lendemain, elle esquiva habilement les questions sur cette affaire. Ses camarades étaient parties et sa famille crut l'histoire qu'elle inventa pour couvrir ses heures d'absence. A dire vrai, elle pensa s'en être bien tiré. Cette aventure devait être son petit secret, la seule folie qui égayerait son existence ordinaire d'éleveuse de mouton et lui donnerait à rougir encore jusqu'à ses vieux jours.
Malheureusement, elle était bien loin du compte.
Quelques semaines passèrent. La famille était de retour sur la route, quand Zara commença à sentir les premiers signes de grossesse. Inutile de dire que ce fut un scandale total. Pour ces gens, il n'y avait rien de pire qu'une fille mère (à peu de choses près). Mais enfin, on n'y pouvait rien.
Naturellement, Zara cacha jusqu'au bout l'identité du père, expliquant qu'il s'agissait d'un jeune homme issu d'une autre famille d'éleveur. Son père lui laissa une paix relative tant qu'il crut que cela pourrait se conclure par un mariage. Un espoir bien fragile, qui vola en éclat à l'instant où son regard se posa sur le nouveau né. L'enfant, avait la peau verte.
On abandonna donc le petit aux portes de Stellaraë, moyen le moins cruel d'effacer cette erreur du parcours de la jeune mère. Là, il fut récupéré et placé dans un orphelinat géré par les moines d'un culte local lié à la charité. Ce fut le début de l'enfance pour Azedine.
De cette époque, il garda un souvenir douceâtre. Les adeptes du culte faisaient ce qu'ils pouvaient pour s'occuper des enfants avec des moyens limités. Azedine trouva quelques personnes auxquelles s'attacher, lorsqu'il comprit qu'obéir lui apportait la faveur des adultes. Cela dit, il avait bien conscience du caractère précaire de sa situation. Son avenir se limitait à un nombre de choix restreint.
A dire vrai, il se voyait déjà devenir l'un de ces ouvriers payés à la journée qui croupissent dans la misère. Rester au sein du culte était sans doute la seule option décente et honnête dont il disposait. Cela dit, cette chance ne lui fut pas offerte par charité, mais bien parce qu'il afficha des dispositions naturelles à l'apprentissage des lettres.
En effet, à dix ans Azedine maîtrisait déjà le parler de plusieurs langues. Apprises sur les marchés, au contact du peuple hétéroclite de la cité, il se faisait payer des renseignements et autres combines impliquant de savoir causer un peu. Cela lui faisait un peu d'argent de poche, quand il ne se faisait pas chasser de là par la milice ou dépouiller par ses compères moins honnêtes.
Enfin, pour en revenir à ses facultés linguistiques, disons que ses performances étaient d'un niveau courant, voire vulgaire, mais ses maîtres le remarquèrent et cela suffit à ce qu'on lui donne une chance. Comme il apparut ensuite que ce soupçon de talent n'était pas volé, on l'encouragea à persévérer. Azedine, en plus d'une tête bien faite, disposait d'une volonté remarquable et il écoutait les conseils des adultes. La crainte de mal finir chevillée au corps, il étudia donc avec acharnement jusqu'aux premières heures de l'adolescence.
Après quoi son sérieux se marbra d'intérêts nouveaux et qui l'amenèrent toujours plus loin dans la cité. En tant qu'orphelin, il se situait tout en bas de l'échelle sociale, mais Azedine aimait l'idée d'avoir ce qui était réservé à d'autres. Il continua donc de parfaire sa maîtrise des langues afin de séduire les belles filles originaires de contrées lointaines et qui s'ennuyaient de se trouver si loin de chez elles. Les jeunes nobles en quête d'aventure, les étudiantes issues de familles bourgeoises : elles contribueraient toutes à sa motivation, à cet âge (apparemment, le demi-orc avait hérité du tempérament grivois de ses parents sans le savoir). Enfin, cela ne lui apporta jamais que des déconvenues mineures (comme d'avoir à fuir par les toits et y laisser quelques vêtements), sans doute parce qu'il ne se fit jamais attraper.
Cela dit, il continuait tout de même à consacrer l'immense majorité de son temps aux études. L'écriture était une chose, mais restait encore l'histoire, la religion, l'alchimie et le droit. C'était un rythme difficile et bon nombre de ses camarades, à qui l'on avait également offert la possibilité de s'éduquer, abandonnèrent en cours de route. Azedine persévéra pourtant, car contrairement à d'autres, il se moquait d'avoir une situation, un quotidien tranquille ou un bon revenu. Toutes ces choses là avaient du sens quand on prévoyait de se marier, ce qui n'était pas son cas.
Enfin, arrivé à vingt cinq ans, il commença à assister les érudits du temple en tant que copiste. Son activité alternait toujours avec les études et, sur son temps libre, il proposait ses services d'écrivain public au petit peuple. Comme il débutait, cela consistait surtout à rédiger des lettres personnelles.
Ce genre de travail rapportait peu, mais ce fut tout de même un excellent exercice de style. Tout l'enjeu consistait à traduire les intentions d'individus pas toujours à l'aise avec les mots en un propos construit et élégant. Un merveilleux moyen d'accroitre son empathie, en somme.
A ce titre, ce fut aussi à cette époque que son don d'oniromancie se manifesta pour la première fois. Azedine n'en était pas sûr, mais il pensait que cela avait à voir avec le fait de passer son temps imprégné des sentiments des autres. Enfin, il lui fallu plusieurs mois pour réaliser que ces rencontres faites en rêve étaient liées au voile et qu'il ne s'agissait pas juste de simples songes.
La chose l'intéressa évidemment beaucoup et, conformément à son tempérament jusqu’au-boutiste, il décida de creuser le sujet en épluchant les ouvrages de la bibliothèque. Cela dit, son rythme de vie étant ce qu'il était, ses recherches ne purent véritablement aboutir.
C'est arrivé à l'aube de ses vingt-huit ans qu'il décida de quitter le temple pour de bon. Bien-sûr, il aurait pu continuer et même y passer le reste de son existence, mais le cœur n'y était plus depuis un moment. Azedine avait envie d'autre chose, de mener à bien ses propres recherches : de faire sa vie en somme.
Il recentra donc ses priorités sur la compréhension du monde spirituel, tout en continuant d'écrire pour les autres. Sa réputation à Stellaraë était assez bonne, ce qui lui permit d'accéder à une clientèle plus fortunée. Nombre de grands bourgeois se targuaient d'une bonne éducation (tous savaient lire et écrire, parfois en plusieurs langues), mais avoir du style, c'était encore une toute autre chose.
Azedine assurait donc son revenu en comptant fleurette à nombre de grandes dames indifférentes. Son expérience de la gent féminine et sa plume aboutirent plusieurs fois à des échanges enflammés qui, malheureusement, peinèrent a survivre au moment des faits (après tout, il ne lui revenait pas de conclure). Mais enfin, tout ceci lui donna les moyens de réaliser ses objectifs et c'était l'essentiel.
Plus tard, le demi-orc estima qu'il était temps de pousser ses recherches au delà de Stellaraë. Il loua ses services aux nomades du désert d'Harena, ce qui lui permit d'en faire à peu près le tour. Ses rêves l'amenaient souvent à des découvertes qui guidaient la suite de ses déplacements.
En outre, il se mêla aux tribus orc pour la première fois. Ce fut une période étrange, durant laquelle il se demanda souvent si l'un de ces individus, avec lesquels il échangeait, était de sa famille. Cette réflexion valait aussi chaque fois qu'il apercevait une femme nomade en âge d'être sa mère.
Azedine ne savait rien au sujet de ses parents. Sa mère ne laissa aucun signe distinctif sur lui au moment de l'abandonner. Tout ce qu'il avait était une vague description du garde qui l'aurait aperçu tandis qu'elle s'éloignait, juste avant qu'on ne le trouve.
Enfin, retrouver ses parents n'avait jamais été un objectif pour lui. Il avait même renoncé très tôt à cette idée. C'est pourquoi il vécu assez mal d'être submergé par une telle impression et ne pouvoir rien y faire. Cela dit, ses rêveries en furent grandement renforcées et, à la fin de son voyage, il estima avoir fait des progrès significatifs.
Azedine avait trente ans quand il revint finalement à Stellaraë. Bien qu'éprouvant, ce voyage avait transformé son caractère, au point qu'il ne se voyait plus retourner à une vie citadine. Le jeune homme prit donc une carte du monde et s'en alla saluer ses vieux maîtres. Il lui restait encore tant à découvrir, des régions reculées aux confins de l'immatériel.
Sa plume en guise d'allié, il se greffa à un groupe de voyageur et puis, on ne le vit plus. Juste comme ça, ce fut le début de sa vie d'aventurier.