L'Immatériel, L'Intangible, L'Autre-Côté, Le monde des Esprits, sont autant de termes qu'il en existe une multiplicité d'autres pour désigner cet endroit exploré par divers arcanistes qui en tirent des pouvoirs mystiques et mystérieux. Dans cet ouvrage, et au cours de ses chapitres, nous essayerons de proposer au lecteur un aperçu de ce qu'est l'Intangible (l'appellation pour varier, et ce, afin de satisfaire le plus grand nombre, les Académiciens ont une tendance horrible à envoyer des lettres assassines à ceux qui les froissent), les manières de l'exploiter, ses dangers, ses vertus, et même de proposer une carte de sa composition. Ce livre s'appuiera sur le livre de Sœur Yuli Sibly, celui de l'Archimage Hevoria, qui traitait déjà partiellement il y a quelques années du sujet, en essayant au mieux de le compléter avec les nouvelles découvertes concernant l'autre-monde.

Le monde Invisible a été théorisé pour la première fois il y a des siècles en arrière par Aristan Lloyd, archimage de la Cour Vampire Speluncienne, et premier homme à avoir franchi le voile de notre monde pour visiter les contrées oniriques qui existent par-delà le réel. Aristan Lloyd voyait dans l'éther (pour celui-ci l'éther était : "un flux qui s'écoule éternellement dans ce monde, ne se perdant jamais mais se transformant toujours, et qui permet aux forces du vivant de s'écouler inlassablement dans le continuum spacio-temporel") un fleuve sempiternel, inaltérable, qui régirait nos lois physiques et magiques depuis la création de notre réalité pour permettre la continuité de la vie.
Ainsi, Lloyd croyait que rien n'était jamais vraiment né, ni jamais mort, mais que tout circulait à jamais au Monde auquel son éther était lié, et qu'un enfant né aujourd'hui avait pu être hier un arbre qu'un bûcheron abattait. Mais dès lors, l'arcaniste formulait une hypothèse : en s'appuyant sur les mouvements des marées, et plus généralement des eaux de notre Monde, il fallait admettre que l'éther de part son omniscience, sa grandeur, et sa présence en chaque parcelle de chaque chose, mettait un temps plus grand à intégrer à son cycle certaines énergies.

Certains corps dont la composition dans l'éther se serait faite lourde de puissance au fil des temps, se mouvaient lentement dans les flots de l'existence, et créait un mouvement plus lent dans le cours des choses, jusqu'à ce qu'une multitude de corps éthérés ne créent un véritable bouchon, puis une barrière, dans l'énergie du monde. Et lorsqu'une âme stagnait, au moment de sa mort, bloquée par le magnétisme des objets qui gravitaient dans le flux éthéré, elle devait résider quelque part : ce quelque part fut formulé comme étant l'Immatériel.

Il y a plusieurs manières pour Aristan Lloyd d'acquérir un corps éthéré plus grand. Le premier, et le moins objectif, était selon lui de s'adonner à la consommation de sang pur afin de purifier vos canaux et permettre à votre esprit d'exister dans un vaisseau "sain". Cette hypothèse peut aujourd'hui être niée, et est donc caduque. La seconde serait d'acquérir de l'expérience au cours de sa vie, de voir, goûter, ressentir, et faire une expérience empirique du plus grand nombre afin de croître intérieurement et d'être capable de sagesse. Ainsi, même lorsque le corps mourrait, l'esprit conserverait sa perspicacité et ses connaissances, et entamerait son cours dans le fleuve d'éther avec des bases solides, toujours renforcées dans ses futures différentes formes au sein du réel.
La troisième s'appliquerait aux animaux, et créatures divines tels que les Dragons, Calamités, et autres monstres exceptionnels mais également à certains apôtres noirs ; dévorer l'éther d'autrui. Lloyd théorisait que tous pouvaient accéder au rang de monstre sacré, à condition d'absorber suffisamment de carburant pour permettre à l'âme de s'élever d'elle-même. Au moment de la mort, l'esprit ayant ingéré d'autres esprits eux-mêmes en croissance dans l'éther monterait en grade, gagnerait en capacités évolutives, et maturerait dans les flots d'éther afin de revenir dans le monde réel sous une forme plus capable à chasser d'autres âmes.
Chez les Hommes (au sens général non-racé) cette pratique est toutefois dangereuse, car le corps mortel n'est pas fait pour l’éthérophagie et se retrouverait comme un réceptacle trop plein, débordant, ce qui causerait une lente et douloureuse transformation physique et mentale, jusqu'à obtenir ce que Lloyd qualifiait de "Dévoreur". Un dévoreur est une entité profane, résultat de l'éthérophagie d'un corps mortel, et est souvent confondu avec un démon, or, le dévoreur est plus proche de la figure du Wendigo. Les dévoreurs présentent souvent une apparence physique monstrueuse, et des dons les accompagnant, et sont mués par un instinct éternel de prédation constante. Jamais rassasiés, immortels, ils errent dans la mer d'éther à la recherche d'une proie et deviennent alors dangereux dans la mesure où ils pourraient, en puissance, engloutir l'éther tout entier. Fort heureusement, ces aberrations se retrouvent souvent sur la route de courageux aventuriers, et sont pourfendues avant d'atteindre une forme qui ne saurait disparaître.

Résumé de la théorie de l'Intangible d'Aristan Lloyd : Tout corps se développe au fur et à mesure qu'il se transforme au sein de l'éther, et, sans rencontrer de problèmes au cours du processus, il grandira à jamais, jusqu'à créer une masse qui réduira le débit du flux de l'existence. Dans cette réduction du débit existe l'Immatériel, une sorte de mare stagnante pleine des esprits qui attendent de revenir sur notre plan de la réalité.

Toutefois, quelques années plus tard on apportera de nombreuses précisions aux travaux d'Aristan Lloyd, qui bien que fondateurs, souffraient (comme tout essai pionnier) d'un manque de recul qui lui empêchait de voir la pleine grandeur de l'Immatériel ; Aletha Carmina, Duchesse Elfique, s'inscrivit dans les annales en proposant le fait que la contrée des rêves n'était non seulement pas une énorme mare dans laquelle stagnaient les esprits en l'attente du reflux de l'éther, mais elle était une matière organique composée de l'inconscient collectif.

Pour Carmina : "Lloyd ne vit que les fondations de l'édifice titanesque et constamment organique de l'Au-delà. Dans toute l'exactitude de ses théories sur l'éther et son apparenté aux courants terrestres, il oublia que la Lune influençait ceux-ci comme nos pensées et nos existences déforment l'Autre-Monde. Il est désormais avéré que des croyances mineures, telles Kalumbra, la Dame Fortune, ou le Roi Citrouille, sont nées d'inconnus endroits, pour certains ce sont de païennes pratiques, mais il faut à présent reconnaître que nous avons des preuves concrètes que quelque chose les a créé ; ce quelque chose est l'éther lui-même. En conséquent, nous ne sommes pas seulement les pantins éternels des énergies du Monde, mais aussi ses acteurs, nous lui avons inculqué notre tendance à l'évolution."

Au cours de son existence, la Marcheuse Elfique se rendit dans des terres qu'elle décrivit comme imaginaires et volatiles, en constant changement, et s'évertua à les décrire comme partie intégrante de l'Immatériel ; car en effet, là-bas vivaient bien les Esprits défunts, mais aux côtés de couleurs, fleurs, et créatures que nous n'avions jamais connu jusqu'à ses explorations. Ce courant de marche permis (et permet encore) de découvrir de nouveaux savoirs et fut nommé la Marche Surréaliste.

Les Marcheurs surréalistes usaient de doses élevées de psychotropes pour se délester de toute a priori du réel, oublier les sensations intrinsèques à notre monde physique et à leur propre inconscient, pour s'ouvrir pleinement à des contrées qu'ils ne pourraient autrement pas comprendre. Car certains mondes par-delà le voile s'écoutent, d'autres se touchent, tandis que certains s'appuient sur des sens qui ne sont pas nos premiers. C'est ainsi que très récemment, on pu découvrir l'existence des Calamités et se préparer au combat à Ishtar ; les forces des Alliés de la Couronne virent dans des rêves sans sens aucun les formes diaboliques de Natsuhydr et purent ainsi alerter le monde de ce danger jusque-là inconnu.

Carmina découvrit donc que l'Immatériel existait par sa propre volonté, dans un subtil mélange de la notre aussi ; en accordant notre foi et en dirigeant notre éther à l'aide de nos prières, rîtes, ou croyances simples, nous permettions à des pensées de prendre forme et de se manifester physiquement à partir de l'Intangible. Le Roi Citrouille, cité plus haut, est par exemple aperçu à de multiples reprises au travers de Dùralas notamment lors des fêtes de la Convergence, chose qui ne fut répertoriée qu'à partir du moment où de fil en aiguille au cours de l'Histoire on vint à donner un nom à l'affreuse créature qui viendrait supposément manger les méchants enfants en quête de bonbons.
Un exemple aux abords bien niais, mais on compte désormais plus de 50% de disparitions lors des soirs les plus noirs de la Convergence.

Résumé de la thèse de Plasticité Spirituelle d'Aletha Carmina : L'Intangible se nourrit de nos pensées et façonne des pans de terres entières par sa propre volonté. Elle rajoutera l'hypothèse que ceci peut être dû à la surabondance d'éther dans l'au-delà, que l'essence de la magie et des convergences des lignes de vie, de mort, et de temps, tourbillonne inlassablement en un chaos créateur permanent. Pour elle, notre propre réalité pourrait n'être qu'une autre part de ce monde, d'ailleurs. Mais rappelons qu'Aletha se jeta du haut de sa tour, hurlant que nous étions des pions dans un jeu de Dieux en quête de nouvelles vies. Quelle folle !

En ce qui concerne l'étude des manifestations de l'autre-côté sur nos terres, c'est Emile Coursimphone, un autre vampire Speluncien qui a étudié la question. Si le concept pur d'Autre-Monde et ses implications existentielles avaient été couverts, il avait été plus difficile d'établir les liens de causes à effets entre les différents plans.

Pour Coursimphone "Lloyd avait raison lorsqu'il décrivait le flux d'éther comme une Mer infinie, et Carmina l'a très joliment complété à l'aide de ses expériences abstraites en démontrant le caractère non-figé, organique même, de l'Intangible ; alors par induction et comme toute chose qui caractérise un organisme dit "vivant", il est naturel que l'autre-monde se répercute sur le notre par divers moyens. Le premier serait ceux qui s'adonnent à en fouler le sol, le second serait les aléas des courants d'éther qui trop présents par endroits permettent aux esprits d'agir sur notre Monde, et le troisième c'est l'existence de forces assez conséquentes pour projeter leurs propres desseins sur la réalité. Ainsi si nous connaissons l'existence de l'Immatériel, celui-ci connaît la nôtre aussi. Pour paraphraser l'un de mes confrères Abyssal, lorsque nous contemplons les Abysses celles-ci nous contemplent en retour."

Le travail entier de Coursimphone repose sur les voies qu'à l'autre-monde d'agir sur le notre. Lorsqu'il nomme ses premiers vecteurs ; les Marcheurs et Arcanistes s'adonnant aux voyages par delà le voile, il explique qu'en communiquant avec les esprits, les humains agissent et transforment dès lors le flux de l'éther par métonymie. La plus belle exemplification de notre impact sur l'au-delà est pour lui les formes ectoplasmiques humanoïdes que revêtent souvent les esprits lorsqu'ils nous visitent, (prenez la Convergence par exemple) preuve qu'ils apprennent bel et bien de nous en endossant nos caractéristiques. Plus encore ; si les humains se targuent d'apprendre des contrées oniriques, alors le dialogue qui leur apparaît audible en nos langages de la bouche des Esprits n'est-il pas le résultat de l'apprentissage de nos dialectes ?

Les "aléas" du flux d'éther sont pour les arcanistes Vampires des anomalies dans le cours des choses. Comme il existe dans notre réalité des tempêtes, des raz-de-marée, et que naissent parfois des êtres dotés de caractéristiques dites anormales ; membres supplémentaires, maladies, ou dons, il en va de même dans la rivière de l'éther. Prenons par exemple les individus se souvenant de vies antérieures ; ceux-ci sont l'exemple même que le retour des esprits dans notre monde est parfois accompagné d'exceptions dans sa procédure. Coursimphone, par ses expériences menées sur les corps d'éther, a réussi à observer que l'arrivée d'une âme dans un corps matériel au moment de la naissance ou par manipulation magique (magie d'animancie) s'accompagnait de la disparition totale des souvenirs de jadis pour empêcher tout rejet du corps de l'âme. Le contenant (corps) étant une partie organique, pourrait, dans le cas où il identifierait la substance (l'âme) comme étrangère, s'adonner à un processus de désunion comme on le remarque dans le milieu médicomagique avec les greffes.
D'autres aléas existent, comme lorsqu'on recensait l'existence d'un Géant corrompu doté de deux esprits dont l'un commandait à ses pouvoirs.

Gardons le plus intéressant pour la fin ! Qu'en est-il des entités assez puissantes pour agir sur notre Monde d'elles-mêmes, de transgresser la passivité inhérente aux Esprits existant dans l'Au-delà pour venir accomplir leurs propres desseins sur notre Monde. Nous avons déjà abordé les questions de Divinités mineures naissant des cultes que l'on leur apportait, et nous nous pencherons cette fois-ci sur le culte des Amants de Dame Fortune puisque Coursimphone lui-même reprend cet exemple lorsqu'il parle de son troisième vecteur d'agissement d'un monde sur l'autre.
La Dame Fortune est l'incarnation de la providence, des événements fortuits, et du hasard. Or, elle n'est recensée ni étudiée dans aucune civilisation jusqu'à des époques post-PlagenHust, où son culte commence à s'observer notamment chez les populations les plus précaires ; sorcières, voleurs, et plus généralement paysans. Emile Coursimphone propose que jadis cette "Déesse" était une force de l'au-delà comme une autre, et qu'elle a grandit en puissance (la légende voudrait qu'elle eût dévoré un Dragon, et cela s'établit parfaitement dans le schéma d'évolution des âmes) jusqu'à être capable de se donner la forme d'une noble au visage voilé et d'influencer les flux d'éther pour donner l'illusion de manipuler le destin.
Il est certain pour l'analyste des âmes que tout chez cette entité eut été des ruses afin de faire croître son culte et en conséquent sa propre emprise sur notre monde, puisqu'on sait que les Hommes insufflent par leur croyance une tangibilité aux âmes. La face voilée serait pour masquer son apparence de Dévoreur, résultant de l'absorption de l'âme d'un Dragon, et, si elle a accès au flux d'éther alors il est très probable qu'elle puisse en effet influer des événements en distillant rêves, visions, et changement d'attitudes chez les mortels pour répondre aux prières de ses adeptes. En d'autres termes, cette entité n'était en aucun cas une Divinité auparavant, mais l'est devenue en se jouant des règles de l'Immatériel. Ce qui prouve encore une fois que des entités assez intelligentes, peuvent transcender par leur volonté seule, les règles des deux mondes.

Résumé de la thèse de la Volonté de l'Immatériel d'Emile Coursimphone : L'Intangible agit de lui-même sur le monde des vivants, par un procédé long d'apprentissage de notre propre rapport à son royaume, et ce par trois façons ; nos explorations là-bas, les aléas providentiels du flux d'éther, et par les âmes assez puissantes pour comprendre les tenants et aboutissants des deux mondes et les exploiter à leur avantage.

Il serait incomplet de se lancer dans l'analyse poussée des contrées oniriques, sans établir, auparavant une approximative carte spatiale dudit endroit. Rappelons que grâce aux travaux de Dame Carmine nous savons que ce Monde est en constant changement, et ne pourra jamais être cartographié précisément. Toutefois, il existe des topos récurrents dans les rêves des Marcheurs, et au fil du temps, un arcaniste Nain du nom de Talvis Rêvecœur a été à même de rassembler les témoignages, interroger les différents spécialistes, pour établir une topologie que l'on considère aujourd'hui comme universelle à défaut de la précision qui ne pourra jamais être atteinte lorsqu'on travaille sur un sujet aussi... Et bien... Pas de ce monde.

Talvis Rêvecœur est parti des thèses de Lloyd pour dénommer tout premièrement la "Rivière d'éther". La rivière d'éther est le noyau de l'Immatériel, et paradoxalement, le seul endroit totalement hermétique aux Marcheurs. Pour lui, "il s'agit d'un fleuve gargantuesque, fait de magie pure, de l'essence même de la vie, c'est lui qui accompagne les âmes tout au long de leurs vies, donne la magie aux différents personnages, et vient chercher les esprits au moment de leur mort. Mais c'est également cette rivière qui irrigue les plans de l'Intangible et abreuve leurs sillons. C'est une force naturelle et neutre, qui permet au bien comme au mal de subsister (si tant est que l'on considère le manichéisme), et de manière plus nuancée permet même à ses ennemis naturels d'exister comme à ses enfants les plus innocents ; l'éther est la source littérale de toute chose."

Au cours des recherches, il estime donc naturellement que ce flux est au "cœur" littéral de l'Intangible, et qu'il sillonne parmi les différents plans sans jamais pouvoir être approché par les vivants, ceux qui ont essayé ont été absorbés dans son courant, mais aussi des Esprits qui ont décidé de se manifester par-delà ses frontières. Fantômes, Divinités Mineures, et autres acteurs de l'Immatériel, ne peuvent plus accéder au fleuve des âmes, et c'est avec beaucoup de poésie et de vérité que Talvis dit que seules les âmes innocentes, en attendant que l'on leur attribue un nouveau rôle dans l'univers, peuvent y résider éternellement.
Il n'y a pas grand chose à dire de plus sur la marée d'éther qui régit les lois de l'au-delà et de notre monde. C'est l'objet de convoitise de bien des magiciens, qui voient en lui -à raison- une source infinie de puissance, mais également des Dévoreurs qui pourraient se repaître de l'univers entier en plongeant leurs crocs dans la rivière éthérée. Fort heureusement on en approchera jamais sans que notre âme y soit de nouveau intégrée.

Le premier pays onirique, et celui dont le plus d'initiés font la connaissance est sans doute l'Infini. L'Infini est un plan entièrement embrumé de nuages blancs qui semblent ne jamais se finir et au travers desquels même les yeux elfiques les plus clairvoyants ne sauraient voir. Cette terre nécessite une ouverture des sens totale, et demande aux Marcheurs de se laisser choir aux volontés des murmures spirituels afin d'en pénétrer les secrets. Une fois l'esprit vidé, et les pensées canalisées vers un but précis, l'opacité des brumes se retirera, et vous verrez, sentirez, toucherez, ce que les Esprits veulent vous montrer.
L'Infini est un bac à sable pour les pensées des âmes dérivant le long du Fleuve d'éther, et Rêvecœur théorisera que ce sont ces mêmes émanations psychiques qui donnent aux Marcheurs la capacité à voir se façonner devant eux les brumes de l'Infini. Il faut néanmoins être prudent lorsqu'on déambule à l'aveugle dans l'inconnu, toutes les entités ne sont pas porteuses d'apprentissages ou curieuses de dialoguer avec un vivant. Parfois, au cours d'expéditions malchanceuses, il n'est pas rare qu'un arcaniste s'ouvre aux desseins de forces sinistres et vengeresses. Alors on raconte que le manteau blanc se mue en la plus froide des nuits, et que de l'opacité se révèlent les bouches affamées des morts qui désirent avidement goûter de nouveau à la vie, emportant avec eux les imprudents à subir les tourments éternels de l'Infini.
Mais jamais personne n'en est revenu pour en témoigner de pareille façon ! C'est juste une légende !

Le second plan qui revient le plus fréquemment sont les Limbes ou "Entre-Deux" ; le royaume le plus proche du nôtre, que Talvis situe juste au-dessous de la Rivière éthérée. Décris à de nombreuses reprises dans les Tragédies des ères passées, il est dans la légende l'endroit où Olfée partira chercher sa bien-aimée Eunyce sans grand succès puisqu'ils s'y retrouveront tous deux pris au piège.
Les Limbes sont également l'endroit dont la plupart des sorcières noires de Dùralas tirent leurs effrayants pouvoirs, et ce pour la simple raison que l'endroit est un parfait mélange entre notre monde et celui des disparus. Talvis a mis le plus de temps, par sécurité, à s'aventurer dans les Limbes et voilà ce qu'il y a découvert : "Nous pouvons accéder aux Limbes par les plus obscurs recoins de Dùralas. La tanière du Srathen serait un point d'accès à ce royaume, tout comme les grottes distordues qui serpent sous Spelunca et certaines Fosses des Mers Maudites trop profondes pour être explorées. Dans ces ténèbres nagent les forces qui permettent aux sorciers de palabrer avec les démons, et de clore leurs pactes abjects. L'endroit doit être évité à tout prix car seuls y résident les âmes colériques qui ont d'elles même déserté l'éther et son fleuve tranquille. Dans les Limbes tout n'est qu'illusions, mensonges, et dangers, une obscurité perpétuelle y règne seulement combattue par les fausses lumières des Dévoreurs y ayant établi leur trône."
Ce n'est pas un lieu conseillé même aux adeptes les plus expérimentés, donc. Les sorcières et autres fanatiques de goétie n'y sont conviés et protégé que sous la tutelle d'entités noires qui souhaitent non pas goûter à la vie, comme certains esprits dont on pourrait comprendre la rage alimentée par la tristesse, mais qui souhaitent l'annihilation pure et simple des forces chaudes du monde tangible. Les Limbes sont un exemple fascinant de paradoxes ; si obscur et pourtant si proche de notre monde, il demeure l'un des plans où on peut admirer le plus d'engeances déformées par l'éther ; démons, Dévoreurs, Divinités mineures, ont élu domicile en les ténèbres de l'Entre-Deux car c'est là-bas où les fils du destin apparaissent le plus clairement. En gardant un regard omniscient sur le passé, le futur, et le présent, les adversaires du monde physique planifient sa chute en silence, en ordonnant leurs plans retors aux oreilles de ceux d'entre nous assez stupides pour céder à leurs promesses. Car il faut comprendre que les tactiques terroristes des Limbes ne laisseront personne en vie une fois leurs plans mis à exécution, pour les esprits affamés qui nagent dans ces eaux troubles la Terre n'est qu'un continent à noyer pour mieux s'abreuver de ses habitants. Engloutir le monde, c'est aussi faire déborder le flux d'éther juste au-dessus des Limbes, et si ses résidents savent ne pas pouvoir y accéder, ils se délectent du jour où le trop-plein d'Esprits dans l'Immatériel leur permettra de chasser dans les eaux débordantes de la mer spirituelle.
Talvis préconise d'ailleurs qu'on s'interdise d'aller dans les Limbes, tout comme la plupart des intellectuels, mais il y aura toujours des âmes trop curieuses.

Ces deux plans de la réalité immatérielle constituent à eux seuls un vaste territoire qui occupe généralement les différents types d'adeptes de l'au-delà sans qu'ils n'aient à visiter la partie la plus incompréhensible du royaume éthéré. La dernière région décrite par Talvis Rêvecœur dans les derniers souffles de son existence, alors que la fièvre lunaire l'emportait, tient plus de la légende que du domaine de l'avéré, même si on remarquera que Carmina aura aussi décrit ce que le nain décrira comme les "Lumières-Mortes".

Les Lumières-Mortes seraient : "Un fleuve d'éther par-delà le fleuve d'éther. Une terre si éloignée de la nôtre qu'à mon retour mon esprit se retrouvait grandit de plusieurs siècles. Dans les Lumières-Mortes rien n'a de sens, et même les langues que l'on y entend semblent provenir de contrées bien lointaines à Dùralas. J'y ai vu des couleurs nouvelles, des monstres constitués de minerais vivants, des plantes pensantes, tout comme des objets rois de royaumes habités par des fantômes. Si mon esprit cartésien commande à mon cerveau que ce n'est qu'une supercherie de l'Infini, j'ai pourtant bien vu, sous mes pieds, la rivière d'éther qui bifurquait loin des terres où les Lumières semblent vouloir imiter celle de notre soleil. Je dis bien imiter, car ce qui brille là-bas est malsain, prédateur, et semble distordre chaque figure qu'il illumine jusqu'à créer ces aberrations inconcevables. Les Lumières-Mortes peuvent donc être deux choses ; soit il s'agit d'un plan qui rassemble tout ce que notre esprit ne pourra jamais envisager, soit il s'agit d'une terre où tout ce qui est mort par-delà la mort pourri et se désagrège en ces incompréhensibles spectacles. Je dois avouer ne pas en être ressorti indemne, car partout où je trouve des miroirs, quelque chose semble y bouger, imperceptible sauf à mon égard. Je deviens fou de penser qu'une entité m'ait suivi jusqu'ici, et jamais plus la lumière du soleil ne me semblera la même. Méfiez-vous de la couleur orange !"
Bien que ce texte extrait d'une missive de Talvis à ses enfants puissent porter à sourire par son caractère surréaliste, il se rapproche d'une description de Carmina comme cité plus haut. Sans entrer dans une citation de ses mots, car elle était adepte de l'écriture automatique, Carmina fera vers la fin de sa vie elle aussi un voyage qu'elle intitulera "La Danse de l'Orange" où elle parlera d'un rayon lumineux qui pourtant ne dégage aucune chaleur, et de la manière que celui-ci a de dévorer progressivement tout ce qu'il illumine.

Pour beaucoup, les Lumières-Mortes sont l'essence même de l'Immatériel car ce territoire fabulé renfermerait le réel secret des âmes disparues, et dans son incompréhensible poésie nombreux voient la perfection des royaumes oniriques. Toutefois il n'a jamais réellement été mentionné au-delà de Talvis et d'Aletha, et si l'existence de ce plan venait à être confirmée alors il faudrait d'avantage d'études à son sujet pour pouvoir affirmer quoi que ce soit à son propos. Reconnaissez qu'une lumière orange qui chasse les gens est un concept pour le moins abstrait.

Après avoir abordé les différentes conceptions, ainsi que la topographie générale de l'Autre-Côté, il va de soi qu'il serait à présent bienvenu de recenser les différents types d'entités que l'on peut croiser là-bas.

Dans ce chapitre, on croisera les données des différents arcanistes s'étant adonné à l'exploration des terres immatérielles plutôt que d'en citer un en particulier ; car d'Arristan Lloyd, le fondateur jusqu'à l'aventurier nain Talvis Rêvecœur, tous dépeignent une multitude de rencontres plus fantastiques les unes que les autres. Tout d'abord il convient de tracer une ligne entre la définition admise pour nos bêtes et leur catégorisation et celles qui parcourent les contrées oniriques ; les premières peuvent être regroupées et classifiées en espèces et familles tandis que les secondes sont analysées en fonction de leurs types de manifestations, étant donné leur manque de forme physique dans l'au-delà pour la plupart. Ici, nous essayerons donc de recenser et décrire prioritairement les manifestations physiques dans notre monde des entités intangibles avant de voir les exemples uniques au Monde Intangible.


Rentrent dans la catégorie des "Murmures" toutes les choses issues des pans de l'Infini, cette réalité modelée par les pensées de la rivière d'éther, qui s'échouent dans la mer de nuages blancs. Si l'Infini décrit par Talvis Rêvecœur se déforme par la volonté des âmes défuntes pour communiquer aux voyageurs leurs visions et expériences empiriques, alors les Murmures sont quant à eux l'extension des échos de ces mêmes pensées, des reflets spectraux issus de l'éther et de leurs anciens propriétaires.

La catégorie des Murmures regroupe en ce sens autant de descriptions possibles et imaginables allant du feu-follet que l'on croisera communément dans les Marais d'Hukutav, aux Spectres de la Convergence, en passant par les esprits frappeurs. Car c'est dans leur qualité même d'échos de volontés disparues que réside la description commune à cette nombreuse famille ; les Murmures exécutent la volonté des morts sur nos terres, selon les états d'âme de la conscience qui les a engendrés, et ne parviennent à maintenir bien longtemps leur présence chez les vivants, car lorsqu'on les aperçoit, ils sont déjà bien loin de la rivière d'éther et se désagrègent déjà.

Nombreuses sont les histoires qui parlent des Murmures sans jamais en référer sous le terme précis ; les voyageurs égarés qui racontent comme des feux-follets les ont aidés à regagner la route exemplifient cela. Très certainement, un proche, ou esprit bienveillant, s'adonnant aux souvenirs au sein même de la rivière d'éther envoi sa volonté se réverbérer tout le long de l'éther, celle-ci passe alors dans l'Infini et prend petit à petit la forme d'un spectre bleuté qui apparaîtra à la personne concernée avant de lui apporter l'amour -littéralement- envoyé par le défunt. Une application poétiquement scientifique des sentiments, mais qui peu à l'inverse s'avérer des plus cruelles.
Lorsqu'un endroit où une âme a brutalement disparu -dans le cas d'un meurtre, d'une trahison, ou grand chagrin- semble se venger de ceux qui s'y aventurent (on citera les esprits nommés "vengeurs" ici à très juste titre) c'est également la colère des morts qui vient se matérialiser en notre monde.

Dans la balance de la puissance des Murmures, un écho issu de la haine sera toujours plus grand que celui issu de la joie, c'est parce qu'un cri résonne toujours plus fort qu'un tendre murmure. De nombreux moines prônent ainsi la paix de l'esprit pour le bien des vivants, de soigner ses sentiments afin de partir en paix, et vous comprenez désormais pourquoi.


Deuxième grande catégorie des Esprits dérivés du Fleuve d'éther, les Songes regroupent les manifestations mentales et non physiques qui s'aventurent dans nos Terres. On a longtemps ignoré les Songes, tant leurs apparitions sont infiniment plus subtiles et dissimulées que celles de leurs cousins Murmures, mais de récentes études menées par les arcanistes Spelunciens (notamment suite aux retombées de la présence des Laboratoire Faust en Château-Rouge) ont conclu à l'existence à part entière de cette catégorie.

Les Songes existent par le même principe que les Murmures, dans la mesure où ce sont également des échos de la Rivière d'éther envoyés par les âmes disparues en un ultime fruit de leurs sentiments vis-à-vis des vivants, mais on théorise qu'ils seraient les conséquences d'âmes issues de magiciens, et autres liés plus intimement à l'éther. Dans notre monde les Songes se manifestent sous al forme de visions, rêves, ou présences invisibles. Ce sont également eux qui sont responsables des possessions des esprits des vivants, lorsque le phénomène n'est pas l’œuvre d'une entité démoniaque des Limbes.
Il arrive souvent qu'un magicien disparu, encore une fois ayant vécu des derniers instants d'une violence inouïe, ou simplement à l'âme malfaisante, projette une dernière fois son aura par-delà la rivière d'éther dans l'optique de prendre possession d'une âme vivante plus faible. Dans le cas où cette tentative désespérée de parasiter un vivant échouerait, le Songe possesseur va s'échouer dans les Limbes où il deviendra soit le repas d'un autre ou se transformera à son tour en entité prédatrice. C'est pour cela qu'il convient de faire toujours appel à des professionnels dans la chasse aux entités lorsqu'elles se manifestent de manière néfaste.

Les Songes sont une catégorie très intéressante, et on leur attribue le plus d'échange avec les Marcheurs dans l'Immatériel, car ils peuvent communiquer des émotions et visions variées là où les Murmures échouent bien souvent à parler ou communiquer autrement que physiquement. Ce sont les Songes qui modèlent les brumes toujours changeantes de l'Infini, grâce à la puissance arcanique jadis détenue par leurs propriétaires, et les meilleurs alliés de ceux qui cherchent guidance et conseils de la part des Esprits.


Les Murmures et Songes composent à eux seuls la quasi-totalité des manifestations intra ou extra Immatériel. Ils prennent ainsi des formes aussi variées que leur permet leurs vastes capacités, attribuées selon la force d'esprit de ceux qui décident de projeter leur écho au travers de la rivière d'éther pour influer sur le réel. Néanmoins, pour les âmes qui chutent ou choisissent délibérément de se plonger dans les Limbes, au plus près des vivants, l'absence de la protection de l'éther engendre une faim insatiable pour maintenir la flamme de l'âme et les déformations qui s'en suivent se font de plus en plus fortes.

Les premiers et plus grands représentants des noirs recoins de l'Intangible sont sans aucun doute les Dévoreurs. Bien qu'on les estime tout de même relativement rares, on ignore si les plus rusés d'entre eux ne se dissimuleraient pas aux recherches, attendant patiemment dans l'ombre le jour où ils seraient assez puissants pour fouler notre Monde sous une enveloppe charnelle rendue possible par l'absorption massive d'autres entités éthérées.

Il faut bien comprendre le principe, l'essence, des Dévoreurs ; ils sont l'antithèse naturelle à ce qu'est l'éther. Jadis des Murmures ou des Songes échoués dans les ténèbres des Limbes, car ils ont rejeté le courant d'éther, sous n'importe quel prétexte, ces entités ont été forcées de soutenir leur essence en absorbant d'autres corps éthérés et sont ainsi devenus des Dévoreurs, des ennemis (le terme est ici à prendre au sens d'opposer à, plutôt qu'une quelconque forme d'animosité envers le flux vital) naturels de l'éther. Bien que tout cela soit avéré, on ne peut que supposer sur les manières qu'ont les Dévoreurs à chasser les âmes ; peuvent-ils sortir des Limbes pour aller dans l'Infini comme on sait qu'ils peuvent charmer les vivants en leur conférant aide et pouvoir ? On ne sait que ce que certains arcanistes, dont Lloyd, ont fait l'expérience. Le mage speluncien a jadis croisé la route d'une entité, qui se riait et se moquait de tout, et elle lui avait confié vouloir devenir le fleuve qui serait la parfaite déformation de la Rivière en une ultime profanation du sacré fleuve de vie.

Les Dévoreurs sont dotés d'apparences et de compétences aussi variées que leurs cousins éthérés ; bien que celles-ci soient toujours prédatrices et bien plus puissantes. Car croyez bien que tous les esprits déchus ne deviennent pas des Dévoreurs, la plupart est d'ailleurs seulement le repas de l'un d'entre eux, et le peu qu'il existe sont rendus farouches par la force gigantesque qu'ils tirent de la consommation d'éther. Comme s'il existait un équilibre parfait, la propension à se désagréger sans nourriture des Dévoreurs est contrebalancée par les formidables outils dont ils disposent pour s'adonner à leur prédation impie.
Un Dévoreur est à éliminer sans réflexion préalable, car c'est un prédateur qui usera de sa connaissance de la nature humaine (au sens large) pour vous berner. Ils ne ressentent ni joie, ni tristesse, ni colère, ni calme, seulement une faim éternelle.


Nous disions plus haut que les Dévoreurs restent peu nombreux, extrêmement rares même, pour cause de difficultés à subsister hors de la rivière d'éther, de chasser avant d'être chassé, mais également car l'ingestion d'une âme n'est pas donnée à tous les corps d'éther.

De nombreux arcanistes noirs, rompus aux rites impies des âmes, voient en l'ascension au statut de Dévoreur une joie qui s'apparente à la canonisation chez les races pieuses et s'y adonneront extatiquement. Un écueil qui a coûté la vie à des centaines, si ce ne sont des milliers, d'esprits dérangés, habités par les illusions farfelues que murmure le chaos du côté sombre de l'éther à leurs personnes généralement jeunes, seuls, pucelles, et que le monde semble exaspérer. Ceux-là deviennent des Viciés lorsqu'ils ne meurent pas dans le procédé.

Ingérer de l'éther est similaire à boire de l'énergie bleue chez les Technophiles, une folie théorique et avérée, plutôt qu'un simple jugement. On interdit aux arcanistes de la faire non pas parce que c'est contre nature, mais surtout car les probabilités d'en ressortir plus forts sont aussi rares que survivre à boire du poison.
Ainsi lorsqu'un jeune adolescent est retrouvé dans sa chambre, drapé dans les mêmes vêtements qu'ils portaient depuis deux semaines, accroupis face à un tableau d'une Ombre qu'ils jugent le plus proche de leur colère adolescente, et qu'il transpire à grosses gouttes : ne croyez pas qu'il fait là l'expérience de l'excès d'hormones en son organisme. La plupart du temps, désirant devenir un Dieu Noir que tous sauront enfin apprécier à sa juste valeur, il a absorbé une âme, et se verra bientôt réduit à un état bestial loin de l'idée même de Thérianthrope et plus proche du Vampire oméga ; un Vicié.

Les Viciés sont les âmes assez fortes pour encaisser l'éther pur qui a parcouru le temps d'un instant leur système, mais trop faibles pour l'assimiler correctement. Il se produit alors un paradoxe dans le tissu de la réalité où une engeance de l'autre-monde et un vivant coexistent au même endroit ; là où un dévoreur aurait fait disparaître toute trace de l'éther pour se l'approprier, le Vicié subira le processus inverse. Son organisme se verra corrompu par l'énergie de l'intangible, ses os se déformeront, ses membres s'agrandiront, et il ne sera plutôt que capable de grogner, hurler, et dévorer toute chair fraîche qui passerait par là. Ce processus appelé "Viciation de l'âme" a donné son nom à la créature produite.

Tous connaissent l'histoire de Darque Sasouqué, adolescent Stryge Noir tristement célèbre pour avoir massacré un régiment entier d'assassins qui le pendait au même arbre chaque jour à l'aide du même caleçon. Jusqu'au jour où ce dernier craqua. Pas le caleçon. Darque Sasouqué.


Il a précédemment été question d'entités qui grâce à la croyance des foules, ou leur simple et gargantuesque puissance, sont devenus dans l'Immatériel ce qu'on nomme habituellement Divinités Mineures.

En réalité, lesdites Divinités Mineures ont été nommées "Transcendés" par Lloyd qui ayant compris le processus qui les menait à pareil statut préférait ne pas leur attribuer un caractère divin. Parmi elles sont les Esprits tels que le Roi Citrouille, le Croque-Mitaine, et certains affirmeraient même les Bêtes Divines comme le Kraken et le Srathen.

Tout d'abord il faut savoir qu'être un Esprit de la rivière d'éther n'est pas requis pour accéder au stade de transcendé, un mortel peut donc très bien y parvenir, mais que le processus varie beaucoup trop et n'est pas entièrement compris pour être théorisé académiquement. On sait qu'il est nécessaire la croyance populaire, à l'état de vénération, crainte, ou sacrificielle (cette dernière aidant grandement, puisqu'elle regroupe la puissance délivrée par l'ingestion d'âme sans en comporter le caractère direct), des pensées assez puissantes pour donner forme à une seule entité au sein de l'éther. Naît alors un être issu de l'imaginaire collectif, une entité faite intégralement de croyances, qui vivra à jamais jusqu'à ce que son mythe ne soit plus dans l'inconscient collectif.
Dans le cas où c'est un esprit vivant qui se voit Transcendé, Aletha Carmina propose la thèse suivante : "Combien n'ont pas entendu les histoires glorifiant la beauté du Nord, Selsya Åsa, ou vantant la fourberie du Kalevala lors de ses assauts sanglants contre des équipages pourtant entraînés ? Une partie de leur puissance peut provenir du processus de transcendance de l'âme, et il ne serait pas étonnant de voir leurs âmes devenir des Transcendés, si elles ne le sont pas déjà. Peu importe qui, tant qu'il marque les esprits des masses, se verra accordé un grand pouvoir."

Bien que non avérée, cette proposition n'est pas sans logique. Anciennement on comptait les légendes de fées des eaux, sirènes des mers, esprits sylvestres, et aujourd'hui nous connaissons les nymphes, abyssales, et dryades qui foulent nos terres, les héros et antagonistes de l'histoire ne seraient-ils pas les prochains à orner nos légendes dans la continuité des choses ? Surtout lorsque l'on est familier aux thèses de plasticité de l'Intangible de Coursimphone, cette théorie prend une ampleur effrayante de vérité.

Maintenant que nous avons vu et analysé l'Immatériel dans ce que nous espérons convenir au lecteur par sa (trop grande ?) complétude, pourtant condensée ici pour éviter d'avoir à se heurter à une véritable encyclopédie indigeste, il va de soi que l'analyse des procédés et écoles des arcanes spirituelles est l'étape suivante à ce procédé d'explication des grandes lignes qui forment l'Autre-Monde.

Depuis Lloyd, et déjà à son époque, de nombreuses divergences existaient quant à ce qui devait être fait des Esprits, de l'Intangible, et on appréhendait différemment l'inconnu que représentait alors (et encore aujourd'hui) cette terre onirique. Pour les académiciens Spelunciens, le savoir de l'au-delà devait s'acquérir par le biais de la méditation et du rêve, et cette philosophie magique a donné naissance à la bien connue caste des Marcheurs Spirituelles.

Les Marcheurs Spirituelles n'ont pas de classe ou de race particulière, car même le plus prosaïque des Guerriers peut s'aventurer à parler aux Murmures et Songes qui habitent l'intangible et plus d'un à noué des pactes hérétiques avec les Dévoreurs des Limbes ; est dit Marcheur tout individu capable de sciemment préparer et exécuter une déambulation dans les différents endroits de l'Immatériel. Avec ou sans but.
La Marche démarre toujours par l'entrée en un stade propre à chacun dans ses manières, mais similaire dans son but ; vider ses pensées de parasites, s'isoler dans l'éther, canaliser son âme pour la préparer au début d'un voyage. On aura bien entendu pris soin auparavant de tracer une quelconque forme de cercle d'incantation afin de protéger physiquement son corps de manifestations hostiles que l'on pourrait rencontrer en route, et certains adeptes d'Aletha Carmina répandaient également dans les pièces où ils rêvaient des vapeurs psychotropes pour faciliter et accentuer l'abandon des sens aux visions de l'Intangible. Ce qui n'est sans rappeler historiquement les sabbats sorciers et leurs onguents, ou les chamans et leurs fumées initiatiques, que l'on considère aujourd'hui comme les pionniers de la Marche. Une fois cela fait, il vous faudra appeler aux âmes mortes. Versets récités, répétition mentale, ou encore la contemplation d'un feu devraient vous mener à ce but, si tant est que vous y êtes naturellement prédisposé. Veillez à conserver avec vous un objet qui vous servira d'ancre, car il est aisé de perdre son âme par-delà les limites du réel, et il serait insensé de risquer de ne jamais retrouver son corps physique car vous deviendrez dès lors des proies de choix pour les forces des Limbes.

Une fois en état de transe, vous sentirez votre esprit happé par ce qui s'apparente au sommeil. L'instant d'après c'est l'Infini qui s'ouvre à vous, et de là libre à vous de communier avec les échos éthérés de votre choix. C'est cela que l'on appelle la Marche, l'art de s'adonner à une projection de son âme au sein même de l'Immatériel pour apprendre au plus proche des Esprits.

Cependant, la Marche est sujet à discussion et méfiance car elle découle directement de rîtes païens (et appelle à la consommation de substances), et certains s'y opposent. Imaginez la tête de votre paternel, non-initié, qui entre dans vos appartements et vous découvre alors assis au milieu d'un cercle tracé à la craie, le visage peint, les yeux blancs, et drapé dans des vapeurs d'herbe elfique.... Oui hein ?
Alors pour ceux qui désirent communiquer avec l'Intangible de manière plus sobre, il existe le don de Voyance ou l'Oreille Rêveuse.

Ces deux dons sont communs, notamment chez les Elfes et les Abyssaux, qui entendent et voix régulièrement les Murmures et Songes sans forcément grande concentration ; les voix des habitants par-delà le Voile murmurent alors secrets, et instillent visions en leurs yeux et oreilles, c'est ce qu'on appelle le Don de la Voyance, et l'Oreille Rêveuse.
Néanmoins ces pratiques demeurent vastement plus faibles en matière qu'une Marche traditionnelle, car cette dernière procure une synesthésie complète et offre à l'âme ainsi qu'au corps une expérience forte et riche. À vous de voir.

Mais les principales divergences de méthodes émergèrent au sein de la Cour Speluncienne elle-même, les étudiants de Lloyd voyant dans sa Marche passive une perte de temps, certains voulaient s'approprier le pouvoir même des corps éthérés et commencèrent à soumettre les âmes au travers de magies plus sombres, sans être intrinsèquement mauvaises, afin d'agir plutôt que de contempler ; sont nés alors les Manipulateurs d'Âmes.
Ces derniers délaissaient les visions des Songes pour se servir plutôt de leurs capacités à distiller illusions et pièges dans le réel, tout comme ils appréciaient les bras invisibles apportés par les Murmures.

Pour Manipuler le rituel est sensiblement le même que pour Marcher, mais il faut cependant projeter une forme de soi plus prédatrice et chargée d'une volonté de domination dans l'au-delà. L'exercice est impossible pour tout néophyte car il requiert une maîtrise parfaite d'un Marcheur afin qu'il ne se perde pas, ou pire, qu'il tombe sur un esprit plus puissant que le sien, ce qui l'entraînerait vers une errance éternelle dans les terres dangereuses de l'Intangible.
Un vivant peu capturer l'essence d'un écho d'éther, ou même d'un corps tout entier, et le piéger dans un réceptacle (les cartes d'un arlequin, le sceptre d'un mage, ou tout autre qui sera à votre goût) pour conserver sa force pour quand bon vous semble. Une autre caractéristique de la Manipulation est l'art de regarder et décortiquer un esprit pour en tirer le don d’obliquité, de clairvoyance ; grâce à la matière instable d'éther de laquelle est composé un corps de l'intangible, le Manipulateur accède aux lignes qui serpent le monde par-delà le voile et peut apercevoir plus ou moins justement les lignes du présent, du passé et du futur, qui composent la barrière entre notre monde et l'Autre. De là, un Manipulateur avancé peut prédire l'avenir ou plus simplement retrouver ses clés.

Mais avec toute pratique vient ses dérives, et lorsque les Manipulateurs se sont opposés à la Marche de Lloyd, une nouvelle caste d'arcanistes spirituels s'est opposée à la simple utilisation des Esprits jugée encore trop peu puissante ; des académiciens ont voulu puiser dans l'énergie des Limbes, en suivant les murmures du Srathen, les commandements de Divinités telles que la Dame Fortune, ou en s'aventurant jusqu'aux recoins les plus tordus de notre Monde. Ils ont eu accès à un pouvoir bien plus grand ; ils se sont liés aux âmes prédatrices des Dévoreurs.

Longtemps confondus avec des démons, les Dévoreurs promettent et accordent des dons exceptionnels à ceux qui acceptent de leur vendre leur âme ; démonologistes, sorcières, et apôtres noirs découvrirent dans les ténèbres du monde onirique la télékinésie, l'art de contrôler les flammes, ou pire encore, celle de corrompre un corps vivant en liant à lui une âme défunte. Grâce, ou plutôt à cause, de leurs pactes divers, les Usurpateurs sont nés.
On les dit usurpateurs car leurs forces ne viennent pas d'eux-mêmes mais d'entités, et une autre hypothèse vient de la première d'entre elle à reconnaître cette application de la magie, une sorcière du nom d'Irina l'Usurpatrice. Cette dernière s'est lié avec un Dévoreur, et a accompli toute sa longue vie (très longue) les volontés du diable contre des pouvoirs phénoménaux, toutefois, Irina s'est lentement changée en Dévoreur elle-même, et lorsqu'elle a perdu son âme on dit qu'elle livra un millier d'esprits innocents à celui à qui elle était liée.

Les Usurpateurs sont des parias, et on doit les mettre à mort au plus vite, car leur alliance avec les entités des Limbes n'est que le fruit d'un égoïsme notoire et n'apporte que chaos et destruction au monde réel comme à l'Intangible.


Bien que nous soyons sûrs de nos découvertes jusqu'ici l'autre côté du voile demeure une terre de mystères et drapée d'autant d'inconnu que d'intrigants savoirs. Dans ces lignes nous avons couvert une grande surface des écrits qui sont considérés comme la base de toute étude académique des Esprits, mais l'on estime n'avoir exploré que la moitié des terres intangibles. Les Lumières-Mortes sont un bel exemple de ce qui nous restera impossible à appréhender dans l'autre monde, tant l'éther est supérieur à notre condition de mortels, et produira ainsi des reflets bien trop incompréhensibles du réel pour être conçus par notre esprit. De plus, et si l'on brûle de savoir ce qui se trame et découle de la rivière d'éther, la source de toute magie et vie, demeurons conscients des dangers qui nagent là-bas et prévenons-nous en avant de tenter une quelconque forme d'interaction.

De nos jours la science des âmes demeure un domaine peu exploité par les mages Dùralassiens, presque négligé et pourtant omniprésent et intermagiquement lié à toute autre discipline arcanique, c'est pourquoi la rédaction de cet ouvrage semblait nécessaire ; d'aucuns pensent l'Immatériel comme une faille dans l'espace-temps, ou encore un portail, mais il n'en est rien. L'immatériel est une contrée où nage l'éther qui a jadis formé ce Monde, donné vie à toute magie, et où les âmes attendent patiemment qu'une nouvelle forme leur soit accordée en la réalité, c'est le firmament de l'occulte et le garant des mythes disparus. Comme nous l'avons vu avec les Transcendés, il est intimement lié aux habitants de Dùralas et à son Histoire ; en lui demeureront à jamais inscrites les légendes des uns, les prouesses des autres, tandis que les horreurs de certains l'entacheront. Cela est naturel pour l'éther, et même créateur, l'éternelle opposition et confrontation des forces donne lieu à des changements, des évolutions, et c'est seulement en ayant conscience des conséquences de nos actes que nous pouvons envisager le libre-arbitre. Pour beaucoup les terres oniriques de l'Au-delà sont des aides précieuses à comment envisager le réel, une mine d'or d'enseignements du passé afin de rendre le présent meilleur. Pour d'autres, les terres spirituelles ne sont qu'un terrain de jeu infini de puissance et grandeur.

Dans tous les cas, l'Intangible au moment même où vous lisez ses lignes se modifie et se distord, façonne de nouvelles terres. Et vous ? Quelle place occuperez-vous au sein des rapports entre les corps matériels et l'éther ?