[795] Le casse de la Grange Agrothoa (PW Corbeau) [TERMINE]

Il y a presque quelques mois que la Jötunn à quitter le village en laissant sa progéniture derrière. Svetlana se rappelle que de bribes de la dernière soirée avec elle. Mais une chose est certaine, sa fuite fut le commencement de la disgrâce de l’adolescente. Une disgrâce qu'elle ne comprend pas. Les tatouages Jötunns ont cristallisé une rancune chez les femelles agrothoas. Toutes leurs haines passives s'est transposé sur Svetlana. Celle que l'on voyait comme un modèle de débrouillardise et de précocité, n’est plus qu’une enfant dévoyée, un vilain petit canard. Elle se trouve plus brimé et rejeté par les matrones que par les autres enfants qui l’admirait ou la jalousait à une époque. L’héritage de sa matrone est pourtant une valeur fondamentale des Agrothoas. Chacune transmet à ses enfants un bijou, un objet ou un récit témoignant son affiliation. N’est-ce pas la fierté de toute matrone d’exhibé les éléments de sa descendance ? Alors, pourquoi la mettre ainsi de côté ? Des questions dont Svetlana ne trouve pas vraiment la réponse. Déçu par ses modèles, elle antagonise les matrones.

« Toutes des jalouses, toutes des ennuyeuses, toutes des lèvres-fripées … »

Les insultes n’en finissent pas quand elle s’éloigne de la tribu, surtout après le repas commun où on hésite pas à l’humilier en lui exigeant de se placer avec les enfants moins âgés soit disant pour les surveiller. Assise sur un immense rocher, la jeune géante rumine en jetant des pierres dans le décor. Elle a comme une envie de fendre un crâne avec sa hache. Un truc de mâle mais, d'après eux, c'est très relaxant.

Il y a presque quelques mois que Popa est mort. C'était l'hiver, il était triste, il avait bu, il est sorti chasser et il n'est pas rentré. Corbeau l'a attendu, puis évidemment, il l'a cherché, en vain. Avec les tempêtes de neige qui transforment les montagnes en hiver, les traces de pas disparaissent en quelques heures, et on ne distingue rien au delà de quelques mètres. Alors ce n'est qu'a la fin de l'hiver que Corbeau a retrouvé ce qu'il restait de son père. Un corps gelé, aussi mort qu'on peut l’être, à moitié dévoré par les bêtes qui ont eu sa peau.

Corbeau a pleuré un peu, puis il a fait ce que lui a appris son père, il s'est mis au boulot pour faire ce qu'il y avait à faire, tout seul. Il a pris une peau pour emballer les restes, il a creusé le trou qu'il a pu dans la terre encore glacé, a coté de celui ou Popa a mis Maman, il a posé Popa au fond, rebouché, et trainé des pierres aussi grosse qu'il a pu par dessus pour que les bêtes ne viennent pas finir les restes. Et puis il est retourné à la hutte. Pour survivre dans les montagnes il y a toujours des choses à faire, et sans Popa pour en faire la plupart, Corbeau allait avoir du boulot, beaucoup de boulot.

Et deux mois plus tard, Corbeau sait que survivre tout seul dans les montagnes, c'est un boulot qu'il n'est pas capable de faire. Il croyait savoir chasser, mais ses collets sont souvent vides parce qu'il les place au mauvais endroit, souvent cassés parce qu'il ne sait pas en fabriquer des nouveaux mais seulement les réparer. Il croyait savoir s'occuper de la hutte, mais Popa ne lui a pas appris à réparer la toiture, il croyait connaitre les plantes qui soignent, mais rien ne ressemble plus à une feuille qu'une autre feuille...

Et deux mois après la mort de Popa, Corbeau a froid, faim, mal au ventre, et se traine péniblement à travers la montagne a la recherche de quoi survivre, tout en ayant déjà compris au fond de lui qu'il ne trouverait pas.

Dans les montagnes de Kanaan, on ne survit pas tout seul.

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Svetlana s’arrête de maltraiter ce décor. La coude sur son genou et la paume supportant le poids de sa tête, elle réfléchi. Une chose très rare pour un géant. Cette solitude forcée l’amène à des discussions intérieures. Des questionnements dont elle a rarement les réponses sur le départ de sa mère, des plans nouveaux pour redorer sa réputation, les derniers potins du village, sa garde-robe ou même des coup-bas contre les matrones. Tout traverse son esprit. Une nouvelle habitude lui donnant un regard nouveau, s’éloignant rapidement de la pensée générale de la tribu.

Cette méditation est interrompue par une silhouette familière apparaissant au loin. De toute sa hauteur, la géante regarde un petit homme progressé, mal en point, et plus maigrichon qu’auparavant. Elle dévale son rocher. Une créature de deux mètres dix atterri lourdement sur le pauvre individu. Un large sourire sur le visage, elle penche sa tête vers la sienne.

« Cela fait un bail, ‘Orti ! »

-Lana ?

D'abord persuadé d'avoir pris une avalanche sur le coin de la gueule, Corbeau fait rapidement le point sur la demi tonne de muscles qui vient de lui tomber dessus. Cela fait un moment maintenant qu'il n'a pas croisé la géante en montagne, probable qu'elle aussi avait des obligations chez elle. Ou mieux a faire que trainer a coté d'une demi portion d'humain. En tout cas, comme a chaque fois qu'il retombe dessus, la géante semble avoir encore grandi, c'est a se demander si elle s’arrêtera jamais.

Et comme à chaque fois, elle a aussi amélioré ses décorations, en tout cas elle n'avait pas ses tatouages la derniére fois...

-Ouais, ça fait un bail.

La géante relâche Corbeau de son étreinte d'ours, avant de tourner un regard surpris vers l'ado, dont le ventre se met soudain à émettre de bruyants gargouillis contrariés.

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Le petit humain ne semble pas avoir un bon moral. Elle s'assoit en tailleur. Une posture qu’elle prend souvent pour réfléchir. La géante comprend vite les difficultés du jeune humain. La vie sans tribu est atroce d’après les matrones. Son ami n’est pas du genre à mendier. Elle pourrait lui donner des os qu’elle garde pour grignoter, mais le petit peuple ne les mange pas. Il faut un mouton. Mais les mâles les protègent farouchement, elle n’a pas envie de les vexer. Cela réduirait ses chances à l’avenir.

« Hum… »

Il ne reste que la grange pour nourrir les nourrissons. Mais il n’y a que des petits morceaux de viandes séchées, c’est pas bon et c’est clairement pas suffisant pour un géant en pleine croissance. C’est mieux que rien, se dit elle. Cela lui remontra le moral peut être le moral.

« Je connais un endroit avec du manger, si tu veux. Cela ne casse pas une patte à une limace mais bon… tu as le ventre qui grrrrrh fort. »

Contrairement à Corbeau, la géante n'a pas bougé un poil depuis leur précédente rencontre à l'automne dernier. Enfin, elle a peut être pris encore quelques centimètres vers le haut, et encore accrue son avance sur un ado que la privation n'a pas aidé. Et suivant son exemple, il se laisse tomber au sol en face d'elle. Espérant secrètement qu'elle a de quoi faire un pique nique.

Il hésite un instant à s'interroger sur ce que les géants appellent limace, vu que, de son point vu ça semble plutôt curieux de tenter de leur casser les pattes, puis s'abstient, depuis le temps il s'est habitué aux expressions souvent curieuses et frisant l'absurde de Lana. Et puis, il a très faim, et la perspective de trouver à manger, même à manger de géant, retient toute son attention. D'autant qu'en y réfléchissant, la ou il y a manger pour des géants, il doit y avoir vraiment beaucoup à manger...

-C'est vrai ? J'ai rien mangé depuis trois jours a part des racines... J'ai l'impression que tous les lapins ont appris à éviter mes collets, je trouve plus rien dedans. C'est loin ton endroit ? On peut y aller maintenant tout de suite ?

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Hum. La Grange. Mais c’est dangereux pour les petits peuples. Un bébé pourrait te battre, imagine une Grrrrande. »

Svetlana tapote sa tête avec son index comme pour démontrer ses mots. En effet, son état est critique. Si peu de muscles. La géante se demande comment il tient encore debout.

« Tu es sur de vouloir mourir pour de la nourriture pour bébé ? »

Même si sa situation inquiète l’agrothoa, elle voudrait pas qu’il meurt aussi brutalement. Son expertise a été très utile à Lana. Elle sent qu’elle peut encore apprendre beaucoup du petit peuple… surtout depuis sa disgrâce injuste. Elle regarde le jeune humain avec compassion. La géante propose une alternative. Sortant de son pagne quelques os de moutons, elle lui tend.

« Sinon j’ai ça ! je sais que t’aime pas. Moi j’adore. »

Corbeau attrape l'os que lui tend la géante. Un os qu'elle doit broyer et déglutir sans efforts mais qui ne nourrira clairement pas l'humain. Enfin, pas l'os en tout cas, heureusement il y a quand même un truc à manger la dedans... Coinçant l'os dans la fourche d'un arbre, Corbeau force brièvement sur le levier improvisé, et, poussé par la faim, réussit à briser l'extrémité de ce qui doit être une patte. Et utilisant l'os comme une paille il s'empresse d'aspirer la délicieuse moelle contenue à l'intérieur. Un délice oui, mais bien trop léger pour son estomac affamé et qui maintenant réclame bien plus, et bruyamment.

-Je crois que la nourriture pour enfants m'irait bien. Ce que tu manges est beaucoup trop dur pour moi, je n'ai pas tes dents de géantes.

Corbeau voit bien que la géante reste dubitative, et pressentant que l'étape suivante va être de lui ramener un tas d'os, il cherche rapidement un moyen de la convaincre d'applique la première idée. S'il y a une grande de nourriture pour les jeunes géants, il veut la voir.

-Réfléchis, tu l'as dit toi même, je suis tout petit, donc ils me verront même pas passer, surtout si tu fais diversion !

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Svetlana regarde curieusement le jeune humain consommer sa friandise. Il fait n’importe quoi ! Sa mine se déconfit en constatant qu’il a complètement détruit la friandise pour ne manger que le cœur. C’est révoltant. Un tel gâchis et pas un seul signe de reconnaissance. Parfois son attitude trahit sa vie dans les forêts sauvages. Si elle ne le connaissait pas, la géante aurait frappé son crâne fort. De plus, le petit d’homme tente de justifier son acte idiot.

« Humpf ! T’as qu’à remplacer tes dents par des cailloux. »

À présent, la géante a bien moins envi de coopérer. Elle mérite une reconnaissance pour sa charité. Un concept très peu usé envers les étrangers par ses homologues. La tribu passe d’abord. Toujours assise, Svetlana croise les bras. Les sourcils froncés, elle tourne la tête de droite à gauche en écoutant la proposition de Morti.

« Une bonne Grrrrande voit même les rats qui entrent dans la Grange. Je n’ai pas envi de me faire piétiner pour toi. »

Dernière édition par Corbeau le Mer 3 Nov 2021 - 17:58, édité 1 fois

-Remplacer mes dents par des cailloux? C’est pas bête. Une fois je suis allé avec Popa au marché. Et il y’avait un homme qui avait des dents de fer ! Il devait sûrement pouvoir manger même des cailloux…

Sentiment de tristesse et de joie mêlée. Le souvenir de ce jour au marché, du monde, de la découverte, de la gorgée de bière offerte par Popa et le goût délicieux du pâté à la viande brûlant et fondant dans la bouche, et la sensation cruelle de savoir que ce jour n’arrivera plus jamais.
Ragaillardi par la moelle qui lui fait comme un repas complet après ses longs jours maigres, Corbeau retrouve les réflexes de survie que lui inspire la mine renfrognée de la géante à ses côtés. Elle tient clairement sa survie entre ses mains, il ne faut surtout pas la mettre de mauvais poil.

-Merci pour les os. Tu sais, si je me fais attraper tu n’auras qu’à faire comme si tu me connaissais pas? Comme ça tu n’auras pas de problèmes avec les grandes. Et si tu veux en échange de me conduire à la grange je t’apprends à utiliser un appeau !

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Morti’ daigne finalement lui offrir des remerciements. Cependant, le petit homme insiste encore. Il a vraiment une sacrée volonté… ou est-il simplement désespéré. Selon Svetlana, il faut ne pas avoir le choix pour risquer sa vie dans le but d’obtenir un peu de viande séchée. Cessant de bouder, elle cède finalement.

« On n’arrête pas un géant qui a faim. C’est peut-être pareil pour le petit peuple… Je t’autorise à embêter les grandes alors, mais je veux savoir un truc : Comment tu veux être enterré ? Avec tes vêtements ? Oh ! Et tu as d’autres objets étranges qui vont plus te servir ? Juste au cas où… bien sûr. »

La géante lâche un sourire innocent. La mort des géants dans sa tribu est une chose assez fréquente et encadré pour éviter les conflits. Ils sont quasiment tous enterrer pour fertiliser les terres de pâtures, seuls les chefs morts pendant leur règne ont un traitement différent. Cette mortalité touche aussi bien les males qui se disputent inutilement ou luttent contre des créatures violentes que les matrones qui accusent des pertes en razziant certains villages ou en mettant bas. Comme dans l’essentiel de la société, les modalités sont différentes selon le sexe. Un géant est enterré avec tous ses biens, là où une géante offre un héritage à ses filles. L’agrothoa ne considère pas Morti’ comme un géant ni comme une géante donc elle prend le modèle connu de celui des capturées, où ses biens – si elles en possèdent – reviennent à leur matrone. Svetlana s’assure ainsi d’être gagnante dans tous les cas. Des biens si cela échoue, du savoir, si cela réussi. D’ailleurs, elle revient sur la proposition de l’humain.

« Au fait, un appeau ? C’est quoi ? »

-Tu pourras prendre tout ce qu'il reste dans la cabane si tu veux. Tu sais ou elle est non ? Tu m'as déjà accompagné presque juste à coté.

De toute façon Corbeau ne se voit pas vraiment y retourner, le toit s'est presque effondré, les outils qu'il a laissé la bas sont inutilisable et il n'a pas su les réparer. Il a essayé d'y vivre et ça n'a pas marché, Corbeau a fait une croix sur la demeure familiale, alors si la géante la veut, qu'elle la prenne, ce n'est pas cher payé pour avoir un repas.

D'ailleurs le môme est même prêt à payer un peu plus pour avoir de quoi se remplir le ventre au plus vite.

-Un appeau ? C'est un truc qui sert à attirer des animaux pour les capturer, c'est un peu comme une sorte de flute, un instrument de musique ou tu souffles, mais au lieu de faire de la musique tu imites un cri d'oiseau, et hop, il vient en croyant que tu es son ami. Regarde.

Et sortant un petit objet en terre de son sac, Corbeau le porte à la bouche, appuie fermement ses doigts sur les trous pratiqués sur l'objet, et émet une trille gazouillante imitant à s'y méprendre le cri d'amour de la grive, l'un des oiseaux les plus gouteux des montagnes.

-Bon, la évidemment ils ne sont pas encore revenus de migration, mais quand ils seront la ils arriveront en courant de partout, et y'a plus qu'a leur donner des coups de bâtons avant de les plumer et de les manger..

A cette idée, le pauvre garçon en salive déca pendant que son estomac gargouille de plus belle.

-Tiens, on y va ? Je te montrerais en route.

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Tout ?! »

Svetlana idéalise beaucoup ces lieux. Elle les voyait si haut quand elle était petite. Aujourd’hui, elle a simplement besoin de tendre le bras pour l’atteindre. N’étant jamais entré à l’intérieur, la jeune agrothoa a laissé son imagination faire de cette cabane un lieu de savoir et d’érudition. Là où la technologie apparait, la science transparait. Sa vision enfantine l’influence encore accroissant sa fascination pour les outils du petit peuple. La géante n’a aucune idée de ce qu’elle pourra y trouver, mais elle est quand même satisfaite. Il vaudrait mieux s’éloigner le jour où la déception remplacera l’enthousiasme. Elle répond avec un grand sourire.

« C’est noté ! »

Corbeau en vient ensuite à l’appeau. Après avoir attisé l’intérêt de Svetlana pour son objet, il effectue une démonstration des plus douteuses. L’esprit binaire de la géante reste très sceptique. Un truc qui marche qu’à moitié, c’est comme un géant qui ne gagne que la moitié de ses combats : c’est nul. Elle essai donc de lui trouver une autre fonction. Malheureusement, l’instrument est bien trop petit pour être un élément de décoration pertinent. La structure est pourtant intéressante. Il pourrait servir de modèle pour des décoration plus ambitieuse. L’humain gargouille de nouveau. Il faut croire que son estomac est aussi éloquent que sa bouche.

« Mouais. Il ne doit avoir pas beaucoup de Grrrandes à coté de la Grange, là. On entre dans le village, c'est facile. Mais la Grange est au centre. Fais attention, les enfants qui court partout sont surement les plus dangereux pour toi. Si tu vois un Grrrand, fuit avant qu'il t'écrase. »

Svetlana tente tant bien que mal de le soutenir, mais il est difficile d’être optimiste en voyant son gabarit. Sa seule chance est d’agir comme un rat. La géante doute, néanmoins, qu’il est la même vivacité…

Deux heures de marche plus tard, lente et pénible pour Corbeau, de plus en plus énervée pour Lana, obligés d'attendre et de piétiner, et les deux comparses atteignent la lisière de la forêt d'ou l'on peut observer les abords du village géant. Prévenu par Lana du danger qu'il pouvait y avoir pour un humain à roder dans les parages, c'est la première fois que Corbeau s'aventure si prés. C'est à la fois très impressionnant, et pas du tout...

Vu d'ici, le petit village sur la colline semble assez anodin. bâti sur une butte entourée de pâturages gagné sur la forêt, il est constitué de maisons simples en bois bruit et aux toits recouverts de torchis, pas d'étages, pas de murailles, pas de clôtures, pas de décorations ou de sculptures, rien de plus qu'un village tribal de pauvres éleveurs. En tout cas à première vue. Et puis on se rend soudain compte de l'échelle des batiments. On réalise que les portes doivent faire trois mètres de haut, que les bancs posés à l'entré sont haut comme des tables, et que les planches et les parois des maisons sont fait de troncs de chênes massifs... Ce n'est pas un simple village tribal, c'est un village de géants !

Au milieu des autres, une maison se distingue par sa forme unique et son gigantisme, il est facile de deviner que c'est la qu'on se réunit en groupe ou qu'on stocke quelque chose...

-La grange, c'est ce bâtiment la ? Tu crois qu'il vaut mieux attendre la nuit pour essayer d'y aller ? Ou alors je te suis ?

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Le retour ne lui a jamais parut aussi long. Les petites jambes de Morti’ ralentissent beaucoup le duo. Elle se dit qu’elle aurait mieux faire de le porter. Mais, la tatouée a peur de le briser entre ses doigts tellement celui-ci parait fragile. On n’est jamais à l’abris d’une maladresse. Usant de sa patience, elle suit son rythme. Svetlana arrive finalement dans son environnement familier. Entendant les questions de l’humain qui s’agite, la géante se pose un instant.

« Oui, tout le monde travaille donc personne n’est autour. Cela dépend si tu veux risquer d'être bousculer par un enfant qui passe, un mâle qui butine ou une femelle qui porte de l’eau. Tu me dis que t’as faim, c’est toi qui dois me dire si tu veux attendre ou charger. Y a ma maison pas loin, au fait. Celle-là. »

L’Agrothoa pointe du doigt une petite demeure, comparer aux autres, situé en périphérie du cœur du village.

« Ma mère n’avait pas une grande écurie, donc c’est moins grand. Mais si tu veux attendre la nuit pour te cacher, c’est le mieux. »

Svetlana n’attend pas un acte de bravoure d’un aussi petit gabarit. Même si un géant ne fait pas grande différence entre courage et attitude suicidaire, la tatouée est de ceux qui savent évaluer les menaces importantes. Le petit peuple a de bonnes raisons d’être lâche quand elle y pense, cependant cela n’a rien d’attirant.

-Bon, je vais tenter d'y aller maintenant. De toute façon ça a l'air calme, et je suis plutôt discret, ça devrait bien se passer.

Et puis, Corbeau a de nouveau les crocs, et maintenant qu'il voit le village et cette grange qui semble bien moins gardé que ce qu'il craignait, tout parait terriblement simple et accessible. Il n'y a qu'a se glisser de buisson en buisson, longer discrètement les murs des maisons, se planquer dans cette réserve de bois, et hop, un sprint jusqu’à la grange, le plan est parfait. Et avant de manquer de courage ou de se poser trop de questions, Corbeau passe à l'action.

Et globalement, le plan s’avère plutôt fonctionnel, l'ado se faufile effectivement sans se faire repérer jusqu'au village, se plaque contre le mur d'une maison, puis d'une autre, arrive en vue de la grange, se prépare à prendre son élan pour filer jusqu'a l'objectif. Quand soudain une main plus grosse que sa tête jaillit de la fenêtre sous laquelle il s'est terré, l’attrape par une épaule et le soulève soudain de terre pendant qu'une voix de gamin de trois cent kilos se met à hurler !

-MAMAN ! MAMAN ! VIENS VOIR J'AI ATTRAPÉ UN NABOT !

Réflexe de survie oblige, Corbeau plante immédiatement ses dents dans la main qui l'a chopé, sans faire autre chose que pincer un cuir beaucoup trop épais, provoquant malgré tout un cri de surprise mêlé de peur, et entrainant dans la foulée une riposte tout a fait disproportionné quand la main le balance tête la première vers le mur, et l'y assomme net.

Dommage. Jusqu'ici le plan marchait...

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Haussant les sourcils, la géante ne retient pas son ami. Un tel acte de bravoure serait très virilisant pour un géant, mais de la part du petit peuple, cela est juste ridicule, ou mignon à la limite. Svetlana tente de le suivre du regard au loin mais le perd quand il se faufile entre les maisons. Inquiète, elle fait mine de se promener comme si de rien était dans le village. La jeune agrothoa entend soudainement des cris. Elle se rue vers la source du trouble. La géante y voit un enfant pleuré et Corbeau inerte au sol. Cela a été rapide. Elle a sous-estimé la fragilité du petit peuple. Lana porte l’inanimé sur son épaule. Puis, elle approche de l’enfant en pleurs.

« Il s’est passé quoi ?
-OUUIINN ! I… I… IL MORDUUUHH !
-Oh c’est villain. Il faut le punir. Très méchant ! »

Elle met Corbeau sur ses genoux, baisse son pantalon puis frappe le malheureux petit humain sur les fesses. L’enfant cesse de pleurer. Au fur à mesure des claques aux fesses, l’enfant se met à rire aux éclats. Une matrone apparait attirée par les pleurs. Celle-ci fixe la scène, perplexe.

« Svetlana ? Fais quoi ?
-Je m’entraine.
-Moi aussi, veux faire des fessées, maman !
-Non, non, non. Quand tu seras grand.
-Mais…
-D’où vient ce bébé malade ?! Mort ?!
-Calme toi ! Je ne l’ai pas volé. C’est un humain qui trainer.
-Erk ! Mais où t’as cherché ça ! Toujours bizarre. Ne joue pas trop longtemps. Puer très fort après.
-Oui.
-Et toi, va jouer plus loin ! Suit pas le mauvais exemple. »

Voyant qu’il n’y a rien à signaler, la matrone retourne dans sa cuisine. Elle ignore complètement l’enfant qui boude à nouveau, car il ne peut pas se venger. Svetlana est une nouvelle fois vexé par cette réflexion. Tentant d’y passer outre, elle transporte Corbeau jusqu’à sa cabane. Elle ne savait pas s’il était encore en vie avant de voir ses fesses rougir à cause de ses coups. Soulagée, la géante lui offre un endroit où dormir. Dommage, elle le pensait le petit peuple plus malin. A cause de lui, tout le monde va croire qu’elle s’amuse avec des cadavres d’humains.

Difficile de dire ce qui brule le plus, la douleur aux fesses ou l'humiliation due à la fessée en public, même devant des géants inconnus, mais que ce soit l'un ou l'autre, ça fait mal, très mal. Et a coté de ça se retrouver jeté en vrac dans une hutte de géants barbares passe tout à fait inaperçu. Et puis Corbeau est un coriace, un grand, un dur, et plus du tout un sale môme qui pleure à tout bout de champ, roulé en boule sous son lit parce que son père lui a encore mis une baffe pour lui dire de faire attention. Alors Corbeau se relève, serre les dents, remonte ses braies, et ne pleure pas, se contentant de lancer un regard méchant à Lana qui est en train de surveiller l'extérieur.

-C'était pas sympa ! T'aurais pu taper moins fort !

Prenant un peu de temps, Corbeau fait le tour de l'endroit du regard, s'attardant sur un décor aussi spartiate que celui de sa propre maison, mais notant malgré tout des touches de couleur étranges et les objets disparates qui indiquent clairement que Lana est passé par ici. Voir habite la en fait...

-C'est ta maison ici ?

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« C’est mérité. Ne pas mordre n’importe quoi est la première chose que l'on apprend quand on est petit… Et tu avais l’air tout mort. »

La géante réalise ses propres contradictions. S'il était mort, pourquoi avoir tenté de le récupérer ? Qui plus est de cette manière. Svetlana essaie de déterminer ce qui la pousse à l'aider autant. L’accaparement de son héritage n’est pas une justification suffisante. Plus elle y réfléchi, plus elle a l’impression de perdre son temps. Chez les Géants, commencer à réfléchir, c’est déjà trop réfléchir. Il faut dire que c’est son seul ami - ou son animal de compagnie, suivant le point de vue - , en ce moment. Il y a bien une autre géante avec qui elle s’entend encore, mais leurs centres d’intérêt sont trop divergents pour qualifier sa compagnie d’enrichissante. Contemplant l’activité dans le village, Svetlana se languit des discussions mondaines dont on la prive. Morti’ semble repérer les lieux et lui offre une distraction parfaite pour oublier sa triste condition : Parler de son intérieur.

« Oui. La décoration commence à être toute vieille. Faudrait la refaire. Et, je pense pas que ton petit machin sera assez. Il manque de trucs jolies, ici. Il me faut pleins d’objets en fer ! Le bois, c’est pour les petites, maintenant. Les murs aussi ont besoin de nouveau. Mais sans maman, c’est trop dur de faire des bonnes couleurs. J’ai pensé au sang de moutons, mais ça perd trop rapidement son rouge. Et je ne sais pas faire la couleur de mon clan… tiens ! Tu pourrais m’aider ? »

Après son corps et sa progéniture c’est le soin porté à la cabane d’une matrone qui déterminé sa qualité. Évidemment, Lana s’accroché toujours à ce rêve même si elle est rejeté par ses pairs.

Faire de la couleur ? Corbeau à bien quelques vagues idées, essentiellement piqués à des marchands à qui il revendait des produits leur servant à fabriquer des teintures. Mais quand aux techniques précise de fabrication, c’est vague…

-Je sais que pour faire du noir il faut du charbon. Pour le jaune je crois que les teinturiers utilisent le soufre. C’est cette pierre jaune qu’on trouve la haut sur les pentes du volcan. Mais l’air sent très mauvais et brûle les poumons. Pour le rouge il faut des scarabées. Tu sais ? Ceux qui vivent sous l’écorce des chênes, plus bas dans la montagne. Quand j’en ramène beaucoup on me les achète. Je pense qu’ils doivent les broyer…

Dis? Tu aurais à manger ici ? Ou alors tu ne pourrais pas m’emmener à la grange en faisant croire que je suis mort ? Comme ça je serais dans le garde manger ! Bonne idée non ?

Parce que parler décoration et couleurs pourquoi pas. Mais qu’en attendant Corbeau crève toujours de faim, et que même s’il a moins faim maintenant qu’il est installé au chaud dans une hutte, la proximité probable d’une réserve de nourriture toute proche. Presque à portée de la main ! Enfin, juste de l’autre côté de cette rue pleine d’horribles enfants géants avide de sang et de violence.

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Svetlana écoute attentivement les descriptions du jeune humain. Sa mère ne lui as jamais réellement partagé ce savoir. Elle semblait porter plus d’importance à l’héritage des Jötunns. La jeune adolescente a les yeux qui brille, jusqu’à ce que Morti’ étale son idée saugrenue.

« Errrkk !! Les petits morts vont pas dans la Grrange. C’est dégueu. »

Maintenant qu'elle prête plus attention à son physique, Svetlana ne peut plus s’empêcher de le comparer aux morts nés dans son village. Des événements très fréquents pour les femelles de la tribu. De même que la mort lors des couches. Quand cela arrive à une matrone, c’est une tragédie. Par contre à une femelle d’écurie, c'est simplement une perte. Dans l’imaginaire de la tribu, un mort né est un enfant trop faible pour grandir. On s’attend à des pertes lors des accouchements, donc les matrones réfléchissent en nombres. Cette livraison de petits cadavres permettent, comme le fumier, de fertiliser les sols au Printemps. Mais, manger ce genre de viande est un tabou absolue. C’est la frontière entre les Berzerks et les Géants civilisés et c’est comme manger la propre chaire de sa tribu – donc pour un Géant l’attaquer symboliquement. Et tous ce qui entrent dans la Grange est fait pour être manger plus tard. L’association qu’en a fait le petit orphelin lui aurait coupé l’appétit si elle ne venait pas de manger.

« Rrrr ! Tu mérite une autre fessée. »

Après cet avertissement, Lana tient à lui proposer une solution. Jusqu’ici son ami meurt de faim alors qu’il n’a sûrement besoin que du tiers de sa nourriture journalière. Une nouvelle idée lui vient.

« J'ai pas envi que tu meurs sans faire des couleurs. J'vais y aller. Pas bouger ! »

Bien sur, la jeune géante ne va pas se mouiller directement. Cependant, elle connaît bien la personne à amadouer pour se salir les mains à sa place.

Les géants sont décidément une espèce à la culture vraiment incompréhensible. A moins que ce ne soit l’absence de culture? Qu’est ce qu’ils peuvent bien stocker comme nourriture dans leur grange s’ils n’y mettent pas aussi la viande salée ou fumée. Enfin, au point ou en est Corbeau, même des racines ou des légumes crus seraient une bénédiction bienvenue. Mais pendant que Lana discute, l’ado a fait le tour de la hutte du regard sans rien trouver de pertinent à se mettre sous la dent. Autant pour la vision qu’il avait des villages géants avec des ordures et des reliefs de repas traînant partout. Quelle tristesse…

-Je reste ici tout seul à t’attendre ? Mais tu te souviens de ce que je mange hein ? Pas juste des os… Et… tu m’as dit que tu habitais avec ta maman non ? Elle risque pas de revenir ici pendant que tu seras parti et me tomber dessus ?

Une perspective on ne peut plus inquiétante pour l’adolescent, surtout au vu des problèmes que lui ont causés la rencontre d’une simple môme, hors de question de se retrouver coincé dans un espace fermé avec une géante adulte avide de sang humain.

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Au pas de l’entrée de sa demeure, la géante se retourne pour lui répondre d'un ton sec.

« Ma maman ? Si les petits l’attiraient, je t’aurais capturer bien avant. Dans la Grange, y a pas d'os. C’est du manger pour les bébés j’ai dit ! Prépare des couleurs, sinon je donne rien. »

Même si elle donne l’impression d’être exigeante, la géante s'estime en droit de cumuler les bénéfices pour un seul effort. Les géantes savent très bien optimiser contrairement à ceux que l'on pourrait penser. Avoir le plus de calorie, en peu d’efforts est une compétence très utile pour une future matrone dont l’enfantement et l’éducation – c’est relatif pour un géant, il faut l’admettre – prennent la plupart de leur temps et énergie. L’adolescente part donc du côté des pâturages, laissant un humain dans sa cabane.

Elle trouve tout de suite, Ra, une autre marginal du village qui s’est coupé les cheveux courts. On ne sait pas réellement pour quelle raison mais cela a beaucoup déplu chez les matrones. Cependant , cela n’a pas l’air d’en souffrir loin de là.

« Toujours en train de jouer avec du caca ?
-Grrr ! Moi, surveiller ce mouton.
-Pourquoi faire ? Laisse les mâles faire ça.
-Méchantes bêtes partout, faut être prêt !
-Mais il est tout mort. C’est celui que Mamibobo a dit de pas manger.
-Oui et moi le garder, jusqu’à ce que la terre le mange. »

Lana soupire préférant éviter un débat sur l’inutilité de sa tâche, pour en revenir à son objectif initial.

« Tu as vu des mâles tout près ?
-Où ça ?
-Tout près !
-Me rappelle plus.
-…
-Partir le matin sans moi.
-Même les copains ?
-Oui. Suis triste. »

Elle qui pensait amadouer un homologue pour s’emparer de sa nourriture. Les mâles Agrothoas ont toujours de la nourriture sur eux lors des périodes délicates où les montons ont besoin d’être déplacé. Parfois la plupart sont obligés de sauter le repas commun du milieu de journée. Et les friandises des mâles est bien plus garni. Il faut bien nourrir les futures bras armés de la tribu. Son premier plan tombant à l’eau, Svetlana se rabat sur autre chose.

« Tu veux manger pour te remonter le moral ? On pourrait aller à la Grange ?
-Pas besoin. ».

Ra tend son sac de vivre qui est remarquablement aussi rempli que celui d’une jeune mâle. La blonde ne masque pas son étonnement.

« Comment tu as fait ?!
-Prendre, comme tout le monde.
-Tu vas être puni, si on le voit.
-M’en fiche.
-On échange.
-Non.
-Si, sinon je préviens les Grrrandes !
-Grrrrrrr… »

Ra se fait toujours avoir par le chantage de son amie. Svetlana se demande même comment elle peut continuer à lui parler sans animosité. Troquant son sac d’os avec un sac de petites viandes, la géante repart satisfaite. Cela était bien plus simple qu’elle aurait pu imaginer. Espérons que Ra oublie vite ce raquette. Lana fait à nouveau éruption dans sa cabane.

« Morti’ ! La jolie Lana est rentrée. »

La géante semble se sentir plus joyeuse à savoir que quelqu’un dépend d’elle. L’instinct maternelle certainement. Svetlana est du genre précoce.

Pas grand chose à faire dans la hutte une fois Lana partie. Par principe, et parce qu'on ne sait jamais tant qu'on a pas vérifié par soi même, Corbeau fait quand même une fouille méthodique des lieux, des fois que, malgré les dires de Lana, il y ait quand même un truc à manger planqué ou oublié dans un coin sombre ou sous un meuble. Mais à part se mettre à suçoter du vieux cuir, il n'y a rien a becter. Il n'y a qu'a attendre en tournant en rond et en continuant à mourir de faim qu'un géant fasse irruption dans le coin pour le bouffer, ou qu'il finisse par s'effondrer terrassé par la faim... Bon, et évidemment, avec beaucoup de chance, Lana pourrait aussi finir par revenir avec à manger. Mais connaissant Lana, qui irait parier sur cette fin la ?

Et puis la porte s'ouvre sur la jeune géante un grand sourire aux lèvres et un sac de cuir à la main, un sac de cuir qu'elle jette à l'ado qui s'empresse de l'ouvrir. Et la ! De la viande ! Des lanières de viande séchées parfaitement comestibles et au combien appétissantes ! Lana a réussit ! C'est pas encore aujourd'hui que Corbeau va mourir de faim !

-Merci !

Et le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Regardant le petit humain se repaitre de mets pas vraiment délicats, la géante s’affale sur le lit. Elle visualise tout son intérieur en pensant aux meilleures combinaisons de couleurs possibles. Il lui faudrait déjà aménager son écurie – pour la définition, un coin ou une pièce stockant le matériel et les femmes capturées. Sa mère l’a tellement négligé que Svetlana se voit obligé de le préparer avant sa majorité. Il ira demander des conseils aux anciennes en temps voulu. Morti’ lui a promis beaucoup de choses pour cet encas, l’Agrothoa compte bien récupérer son due. Elle se redresse brusquement.

« Tu mange lentement. Dépêche. On a beaucoup de couleurs à faire, et de l’appeau à faire, et, et une cabane à piller ! »

On dit qu’il ne faut jamais faire attendre une dame, alors une géante, encore moins...

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