C'est pas vrai, on ne peut pas boire un verre tranquille dans ces étendues d'eau glacée sans recevoir de la visite. En plein dans ma gueule de bois, des fous nous attaqués et maintenant qu'on fêtait notre survie, des chevaux à nageoire semblaient persuadés qu'on était une mangeoire mobile. À peine eu-je le temps de finir mon verre, celui qu'on m'a servi, pas celui qu'on m'a appliqué, que la capitaine plongeait déjà vers les attaquants. Mes autres compagnons se jetèrent aussi dans la mêlée. Je ne pouvais pas rester immobile à les regarder faire. Même si je n'avais rien contre ces bestioles, je ne comptais pas me laisser couler, la nage risquait d'être difficile dans mon état.

Je rassemblai donc mes pouvoirs et cherchai des alliés dans les profondeurs. Les sensations qui remontaient étaient sensiblement différentes que celles que je ressentais sur la terre ferme. Pas de bipèdes ou de quadrupèdes et difficile de jauger la puissance de ce que j'allais ramener rien qu'à la masse. Dans l'eau, ça pouvait tout et rien dire. Je décidai donc de me focaliser sur la férocité de ce que je sentais et de faire revenir la créature qui m'inspirait le plus. Mes pouvoirs concentrés pour atteindre la cible depuis le navire jusqu'aux profondeurs, je la sentais arriver. Quelle forme aurait-elle ? Un poisson ? Un monstre ? On le saura bientôt.

Soudain, des bras, bien trop pour une quelconque créature humanoïde, enserrèrent l'un des chevaux de mer et l'entrainèrent vers le fond. Je devais encore travailler sur l'obéissance des revenants auxquels je n'étais pas habitué. Tout ce que j'avais pu voir étaient des tentacules et beaucoup de bras. Il m'avait semblé apercevoir une gueule cauchemardesque avec des dents acérées mais je préférais me dire que je l'avais imagine dans cet enchevêtrement de membres. Jetant un coup d'œil alentour, je me rendis compte que je venais de mettre hors d'état de nuire le dernier ennemi qui nous assaillait. Le combat n'aura pas duré longtemps, chacun ayant une capacité exceptionnelle à mettre au service des autres. Peut-être que le reste de l'aventure sera plus calme et que je n'aurai pas à subir d'autres désagrément physiques.

EPSILON

Le combat se termina sans grands dommages. Ma créature avait fait son travail et était certainement entrain de dépecer le dernier attaquant dans les flots quand je mis fin au fil magique qui nous reliait, le laissant reposer de nouveau en paix. Tandis que je reprenais mes esprits après la surprise de la forme de ce que j'avais fait remonter, les autres membres d'équipage remontèrent le pachyderme et les poissons qu'on avait abattu. On ne mourrait pas de faim ce soir au moins. Alors que je regardais ce manège apparemment bien rodé, je me fis invectiver de façon peu polie.

"Tout le monde va bien? Dis le cornu, c'était toi la grosse bestiole? Tu es au courant qu'elle aurait pu bouffer Ara ou même couler le navire?"

On sentait la personne qui connaissait son sujet. Au moins, elle avait compris que l'attaque venait de moi, même si elle semblait extrêmement novice en matière de nécromancie. Qui ne l'était pas en même temps ? Tout le monde semblait considérer cet art comme une magie pervertie et honteuse. Restait que cette magie qu'on méprisait nous avait bien servi.

- Si je l'ai remonté, c'est que je la contrôlais. Ton bateau et Ara vont bien, pas la peine de râler... Répondis-je en levant les yeux au ciel.

Tout le monde avait l'air de s'affairer. La plumée s'occupait de l'humain apparemment fragile qui aurait pu être un de mes revenants si je ne l'avais pas vu parler et agir indépendamment. Les matelots commençaient à s'occuper des vivres qu'ils avaient remontés de l'eau et le navire poursuivait sa route tranquillement. À un moment, un cri descendit du haut du mât pour annoncer la proximité de la terre. En tournant mon regard vers cette plage qui s'approchait petit à petit, je me rendis compte que nous n'étions pas au bout de nos aventures. Puis, soudain, une phrase me fit tiquer et me retourner si brusquement que la douleur revint dans ma blessure en un lieu indicible.

-Bon, les amis, ça m'embête mais, nous, les Pirates, on fait payer un péage de cent pièces d'or à ceux qui s'aventurent en mer pour Wystéria. Vu nos mésaventures, j'imagine qu'on ne m'en tiendra pas rigueur si je ne vous demande que la moitié. Bon, ce n'est agréable ni pour vous ni pour moi alors par ici la monnaie et on n'en parle plus."

Je vis avec consternation tous nos camarades s'acquitter du prix, dérisoire certes, mais ridicule en les circonstances. En quel honneur exigerait-on une taxe ? Pour éviter de se faire attaquer ? On était arrivés. Pour une protection ? Ma tête est malade, demandez à mon... Non, il était hors de question que je paye pour un voyage aussi peu organisé. Je m'approchai de la capitaine, puis haussai les épaules devant elle.

- Tu sais ce qui n'est pas agréable ? C'est que si j'avais voulu me faire cette fracture, j'aurais pu le faire gratuitement. On va considérer que tu me dois cinquante pièces d'or pour dommages et intérêts. Ça tombe bien que ce soit exactement la somme que tu veux nous extorquer non ? On est quittes ?

Un sourire narquois mais pas dénué d'avertissement jouait sur mes lèvres. Elle pourrait me jeter à l'eau ou me faire attaquer par tout son équipage mais elle avait eu un aperçu de mes pouvoirs. Se risquerait-elle à tomber avec moi ou allait-elle être raisonnable ? Pour l'instant, je ne pouvais lire la réponse sur son visage mais je l'aurai bien assez tôt.

EPSILON