L'équipage du Ruby s'était octroyer quelques jours de vacances depuis la création de la boutique. C'était la première fois depuis la récupération du vaisseau car, il fallait bien le dire, c'était la première fois que leurs finances le permettaient. Le séjour fut sympathique pour l'équipage, une île paradisiaque et du rhum en suffisance. Mais, pour Charlotte, rien ne valait l'aventure et les jeux de pouvoirs qu'il pouvait y'avoir à Ishtar. Qui plus est, elle en avait plein le dos de devoir se farcir toujours les mêmes têtes, raison pour laquelle, une fois rentrée au port, elle s'en alla boire un verre à la Digue du Fût avec Kerol pour seul compagnon. Autant dire toute seule vue le peu de conversation de l'homme-requin, mais au moins elle allait pouvoir boire comme une barrique sans avoir à craindre le chemin du retour ni les regards gênants de son équipage.


L'ambiance régnait à la Digue du Fût. L'établissement était presque plein et la matriarche y retournait avec plaisir, surtout depuis qu'elle n'avait plus à faire semblant d'être quelqu'un et qu'elle commençait à l'être réellement. Saluant quelques têtes connues de l'endroit, elle finit bien vite par se diriger vers le comptoir où elle avait hâte de commander son vin elfique. C'était bien l'avantage d'être stationné dans une ville aussi commerciale, adieu la piquette locale. Une vision d'horreur stoppa cependant son entrain. Dans un coin de l'établissement, un Krhumpi dans une main et des dés dans l'autre, se retrouvait le fameux Morgan. Morgan était un inconnu avec lequel la matriarche avait commit un casse plutôt osé au bout d'une soirée plus qu'arrosée, bien trop arrosée selon elle. Si bien qu'elle avait finit par descendre le tenancier de l'endroit et s'enfuir avec le dit Morgan pour finir par le quitter sous un baiser volé. Le malaise était complet.  Elle tenta de se faire discrète sous son large chapeau mais la présence de l'homme-requin couplé à ses vêtements plus que voyants n'aidaient pas. Elle fit donc semblant de ne pas le voir, du moins jusqu'à arriver au comptoir.

- Salut Gueguen! Tu m'mettras un bon litron du vin elfique que j'aime tant, et un p'tit tonnelet de rhum pour mon acolyte!

Pendant que le tenancier s'activait, la matriarche réfléchit à c'qu'elle allait bien pouvoir faire de ce fantôme du passé. Tout d'abord, elle était honteuse de l'état d'ébriété dans lequel elle s'était retrouvé mais il y'avait pire. L'inconnu qui lui avait plut dans ce moment d'égarement l'avait connue le visage lisse et pure de toute imperfection. A présent, elle qui était si fier de sa beauté devais ce coltiné cet lorgnette ridicule entourés par les horribles cicatrices qui allaient avec. La chose était quelque peu exagérée mais pas dans l'esprit de Charlotte.

- Hey voilà m'dame! Annonça le tenancier sortant la matriarche de sa réflexion.

Arf, déjà! Pensa-t-elle. Bon, allez, en souvenir de cette soirée...

Elle fit alors signe à Kerol de se diriger vers la table en question, ce qu'ils firent tous deux. En déposant, sa cruche devant le demi-abyssal elle dit alors :

- Le vin elfique, il parait qu'c'est bon pour la chance, finit-elle par dire en souriant.

Elle s'installa ensuite à la table sans trop demandé l'avis de Morgan, un peu gênée elle-même de la situation, puis finit par dire.

- Alors Morgan, j'pensais bien jamais te r'voir pour tout t'dire, qu'est-ce que tu d'viens d'puis cette fameuse soirée?...

Kerol était toujours debout comme un niais, observant son lointain cousin d'un oeil de poisson mort.

- Ah, oui, j'te présentes Kerol, assied-toi mon grand... C'est un discret, t'inquiètes pas...

La matriarche, d'habitude si sûr d'elle, avait du mal à regarder le matelot dans les yeux. Le dossier que celui-ci avait contre elle l'a mettait dans une position de faiblesse évidente vis à vis de sa réputation au sein de la faction et d'Ishtar. Elle espérait ainsi pouvoir se débarrasser de cette inquiétude en lui rendant service, lui qui n'avait pas l'air d'avoir tant changer de situation depuis leur rencontre. Un homme qui a quelque chose à perdre était toujours moins enclin à la trahison.

– L’a pas l’air bin méchant, en plus de ça l’a de bons goûts ! Dit Morgan avec vigueur en reconnaissant sa boisson favorite dans le tonneau de Kerol. Bas t’sais, pas grand-chose, j’continue mes affaires. Tant qu’la bourse est pleine, pourvu qu’le rhum coule à flot ! Dit-il d’un ton enthousiaste. Mais dit moi … j’ai la vague impression qu’ces dernières aventures étaient mouvementées. J’espère qu’ces roublards ont coulés par l’fond rejoindre Nadsûhydr, s’en prendre à une si belle sirène.

Charlotte ne put s'empêcher d'être touché par ce compliment. Un léger sourire se dessina sa bouche tandis qu'elle se demandait pourquoi elle croyait plus à la sincérité de ce jeune homme qu'à celle d'un autre. Les compliments venu des hommes, elle en avait pourtant l'habitude depuis bien des décennies.

– Vous v’nez d’amarrer ? Demanda le jeune homme.

Charlotte tourna la tête vers Kerol et lui dit alors, comme si il ne s'agissait point la d'un ordre :

- Veux-tu bien nous laisser seuls s'il-te-plait? Désolé l'ami...

Le requin fit un signe affirmatif de la tête et s'exécuta, rejoignant le bar, pendant que la matriarche rejoignait à nouveau le regard du sang mêlé. Un contraste étrange s'opéra alors dans sa façon de parler, elle avait laisser tomber, le temps d'une conversation, cet accent de pirate et pris celui qu'elle apprise au bout de bien des leçons d'orthophonie. Celui, en somme, qui mettait le plus en avant sa féminité, fait pour charmer la noblesse et inutile devant la bande de marins affamées qu'elle avait l'habitude de commander.

- Un peu d'intimité ne me fera pas de mal... Oui, répondit-elle enfin, nous revenons d'un voyage de plaisance, les affaires vont mieux depuis la dernière fois...

Elle sortit alors une longue et fine pipe de l'intérieur de sa veste. Tandis qu'elle la rembourrait d'herbes, elle s'expliqua sur ses mésaventures.

- J'ai réussit à récupérer mon vaisseau!... Enfin, comme tu as put le constater, précisa-t-elle en faisant tapoter l'embouchure de la pipe sur la machinerie qui avait remplacé son oeil, ce ne fut pas à n'importe quel prix.

Allumant finalement cette fameuse pipe, elle tira une longue bouffée de fumer avant de continuer.

- J'ai rencontré du beau monde, recruter un équipage fantastique et puis la guerre est arrivée. Oh, pas de grandes pertes, mais ce n'est jamais très drôle... Enfin, il se trouve que c'est un peu grâce à toi au final si j'ai put m'en sortir. Je pourrais peut-être te rendre la pareille, genre glisser quelques recommandations du côté de l'Ombre des Côtes... A moins que tu ne préfères rester sur terre?

Il suffisait presque de regarder Morgan pour comprendre qu'il avait la mer dans le sang, sans même parler de ses origines Abyssales. Du moins, c'était l'impression dont se souvenait Roseline de cette fameuse soirée trop alcoolisée. Elle fut d'ailleurs heureuse de constater que le bougre n'avait pas tant été enjolivé par les effets de l'alcool.