Dougal savait les Skarniens très pernicieux, mais il fut tout de même surpris que les trois derniers geôliers se jetèrent sur lui pour le planter en divers parts de sa cuirasse. Il ne portait pas ses équipements habituels de gardien-en-chef, puisqu'il avait quitté son armure bien trop de mois durant, à vouloir partir en vadrouille un peu partout à Dùralas, mais son expérience lui offrit de quoi esquiver les assauts de ses adversaires et parer les autres coups d'estoc trop hasardeux des abominables rats humanoïdes. Ils n'étaient pas très habiles et leur arme n'avait aucune raison de faire jalouser les aventuriers en herbe.

L'humain frappa du pommeau une des créatures, la faisant reculer jusque dans les serres de l'aigle blanc de Stellaraë, sous, ce qui semblait à Dougal, les jérémiades du compagnon animalier du stryge. L'animal aurait sans doute voulu déchiqueter les abominables bestioles, mais Dougal ne le lui souhaita pas ; ce serait dommage que la majestueuse bête se salisse avec cette viande avariée.

Acculés face aux deux gardiens, les skarniens hésitèrent pour la suite des opérations et jetèrent un regard en arrière pour trouver une échappatoire et alerter leurs petits amis de la bande monstrueuse d'intrus. Hélas, leurs deux ennemis les prenaient en tenaille et rien n'aurait pu leur permettre de fuir, même pas leurs foutus passages secrets. Les abominations pestèrent et piaillèrent, puis se mirent en tête de faire le maximum de bruit possible. Erreur fatale puisque Dougal les en empêcha. S'il ne pouvait pas leur couper la tête à tous les deux, nul doute qu'il trouverait un moyen de les empêcher de l'ouvrir trop grande, leur gueule abjecte.

Fermant un court instant les yeux, avant de les clouer au mur, l'ancien rôdeur laissa le pouvoir de son insigne royal l'imprégner augmentant sa force de frappe, mais aussi sa vitesse. Il était déjà vif, mais un peu ne lui ferait pas de mal, loin de là !

Un juron mâché siffla entre les dents du sourire acéré de l'humain, qui pesta intérieurement contre sa manœuvre ratée offrant l'occasion aux deux monstruosités de mettre un peu plus de poudre dans leur plan explosif et forcément pas du tout enviable pour les espions de la Garde. Une erreur telle que celle-là pourrait coûter énormément aux deux intrus et pour la population stellaroïse. Dougal s'en serait mordu les lèvres s'il n'avait pas eu besoin de se concentrer encore plus sur la résolution de ce conflit.

De son côté, le prédateur du stryge ne se fit pas prier et offrit à l'un des hommes-rats une finalité à laquelle il n'aurait jamais pensé, même pour ses victimes. La moitié des problèmes des deux gardiens étaient alors résolue et le capitaine se mit en travers du chemin du dernier rescapé pour lui offrir un mur en guise d'échappatoire et plus si affinité, comme une belle lame en travers des yeux pour rendre justice au coup échoué de l'attaque précédente de l'humain. Ce dernier bondit sur le skarnien pour l'écraser de tout son poids et le plaquer au sol. Si le stellarois ne parvenait pas à éliminer son adversaire avec son couteau de chasse, c'était que la malchance habitait ses bottes.

Pendant un court instant, Dougal fut tenté d'interroger la bestiole répugnante et l'avait même mise en condition pour jouer de ses méfaits auxquels il s'était habitué après plusieurs années à officier en tant que "rôdeur de la Garde". Mais après une bonne inspiration, l'humain se rendit compte que c'était inutile et que quand bien même le skarnien accepterait de leur révéler des informations non viciées par quelque mensonge ou sournoiserie, ça ne les avancerait à rien. De toute manière, ces créatures abjectes devaient périr.

Le prisonnier parut soulagé que les créatures abominables gisent à terre, belles et bien mortes. Celles-ci en particulier n'avaient peut-être pas été directement responsables de ses souffrances, mais elles en auraient fait autant que leurs comparses si elles avaient été à leur place. Peut-être avait-il transposé son envie de vengeance sur ces engeances, trouvant un peu de justice réconfortante en lui. Les séquelles étaient néanmoins fort prononcées aussi bien physiquement que mentalement et on pouvait imaginer en partie les vices dont il avait souffert...

Baldwin prit en charge le sauvetage de l'hybride jusqu'à Stellaraë en le plaçant sous la responsabilité de son compagnon animalier, roi des animaux. Il serait emmené jusqu'à Stellaraë où la Garde prendrait soin de lui, l'aidant à récupérer des forces et combattre ses traumatismes, même s'il aurait besoin de Magnésie pour surmonter toute cette épreuve.

Dougal observait le passage presque dérobé, du moins à leurs yeux, et se maudit d'avoir humé l'air ; l'odeur pestilentielle qui lui avait violenté les narines, descendant même dans sa gorge confirmait qu'un important lieu de rassemblement skarnien se trouvait au bout. Mais puisqu'il ne s'agissait que d'un petit couloir, ils ne devraient pas débarouler sur toute l'armée. Peut-être ?

Cette voie était, tout de même, préférable à la voie principale qui les ferait sûrement arriver sur un poste de garde ou quelque chose équivalent. Autant tenter le coup et s'en remettre aux dés du destin, espérant pour ne pas tomber sur un échec critique et une filouterie des plus désagréables d'une quelconque entité malicieuse et fort peu bienveillante envers les "races civilisées", plutôt que de se présenter en toute politesse devant plusieurs dizaines d'abominables hommes-rats désireux de faire la peau à ces visiteurs impromptus. Présenté comme ça, Dougal hésitait.

Baldwin était déterminé à prendre ce passage presque secret et à faire face aux curiosités qui les attendraient durant le trajet ou lorsqu'ils en sortiraient. Pour lui aussi, ça lui semblait préférable à la certitude d'un commité d'accueil.

Baldwin n'avait rien à en redire et de toute manière il ne pouvait pas toujours occuper la place du gardien héroïque !

Les deux gardiens s'engagèrent donc dans le petit tunnel qui fut plutôt banal, relativement sombre et sans trop d'embuches mis à part quelques irrégularités sur le sol et le plafond qui manquèrent de faire trébucher ou d'offrir des bosses sur l'instant douloureuses. Étrangement, à mesure qu'ils avançaient, l'odeur ne se faisait pas plus forte et Dougal sentit même qu'à certains moments, elle était curieusement plus douce. Le rôdeur se demanda s'ils n'avançaient pas vers une sorte de sortie, mais si ses sens ne le trompaient pas, les deux gardiens avançaient pourtant dans une direction similaire à celle que semblait suivre l'allée principale. Cette dernière pouvait aussi bifurquer à un quelconque instant, tout pouvait être possible dans les cavernes, mais sans preuve du contraire le bout du chemin était équivalent.

Après plusieurs dizaines de pas, les espions purent sortir du tunnel, en se contorsionnant un petit peu et furent surpris de tomber sur l'un des garde-manger des skarniens qui, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, entreposait des denrées d'une qualité plutôt normale telles qu'on aurait pu en trouver dans un village ou une ferme. Il y avait même des amphores de lait et de vin. Les pillages des skarniens leur avaient offert de quoi festoyer régulièrement comme de petits seigneurs.

Si l'une de ces immondices s'était trouvée dans la même pièce, Dougal l'aurait charcuté comme s'il avait souhaité donner son cadavre en pâture aux cochons. Cette vue le révulsait et l'énerva à un niveau de haine assez prononcé. Ces créatures répugnantes tuaient, massacraient et torturaient pour leur plaisir et en profitaient pour piller tous les produits alimentaires et consommables qu'ils pouvaient trouver, alors que ces engeances pourraient se contenter de pain moisi et autres consommables douteux.

Dougal tenta de relativiser en se disant qu'ils auraient pu aussi prendre du plaisir à brûler ces marchandises sous les yeux effarés de leurs victimes.

Le rôdeur prit une grande inspiration et s'avança vers les caisses ouvertes, ce que les skarniens semblaient consommer présentement. On y trouvait de la viande, des fruits et légumes, du pain, du fromage. Rien de bien compliqué à empoisonner, surtout que la viande ne serait presque pas cuite pour garder son aspect saignant.

Le garde-manger n'était pas forcément très grand, moins qu'un grenier, mais suffisamment pour indiquer qu'ils se trouvaient dans un premier campement skarnien. Les odeurs "douces" des denrées se mêlaient d'une manière assez abominable avec les horribles relents propres aux hommes-rats. Une grande troupe permanente n'était pas loin et les bruits de fond qu'on entendait confirmaient cette hypothèse.

Trois voies descendantes permettaient de quitter l'entrepôt alimentaire : droit devant eux, à gauche et enfin à droite. Des odeurs et des bruits différents s'en échappaient, ce qui permettait de supposer plusieurs choses selon les éléments observés :
- Un espace d'entraînement ou un entrepôt d'armes les attendait par la voie de droite ; une odeur de sueur de skarnien s'en dégageait et des bruits de métal s'entrechoquant ou frappant de la pierre ou du bois venaient jusqu'à leurs oreilles.
- Un air plus frais comme une aération ainsi que des ricanements provenaient du chemin de gauche ; il y avait un petit comité d'accueil et Dougal soupçonna qu'ils puissent rejoindre un poste de garde et la voie principale qu'ils avaient commencé à emprunter avant de libérer l'hybride.
- Droit devant eux, un espace sans paroi ; le garde-manger était situé sur une esplanade qui donnait sur ce qui pouvait être le campement des hommes-rats ; la luminosité était très faible, mais de nombreux points lumineux se dressaient un peu partout dans la pénombre. La voie qui permettait de rejoindre cet endroit était séparée de leur point d'observation par une petite paroi, sécurisant alors un peu l'accès lors de la descente.

Les choix ne leur manquaient pas, mais Dougal préféra donner une leçon aux skarniens, une de celles dont il espérait qu'ils ne puissent se relever ; du poison dans la boisson et la nourriture. De toute manière, maintenant que ces marchandises avaient été conservées par ces abominations, il aurait été préférable de les brûler entièrement plutôt que de les récupérer ; qui sait ce qu'ils avaient pu leur faire ? poison pour toutes créatures non skarniennes ? maléfice dont ils connaissent le secret ? Non, il valait mieux ne pas tenter le sort.