On peut l'assommer deux fois mais pas trois...

En pleine patrouille, Urua était tombé comme un bleu dans une embuscade de rongeurs. Pas de chance. Ce jour-là, il s'était décidé à s'aventurer plus près des marais, lieu assez actif en terme d'attaques de voyageurs, contrebande de marchandise en tout genre et banditisme hétéroclite. Avançant avec prudence, les grosses pattes velues s'engluant dans le sol poisseux, Urua allait au pas, guettant des signes inquiétants. Il n'aimait pas ces environs. Le silence et l'absence de presque toute vie le mettait mal à l'aise. Pourtant, il était de son devoir de surveiller les frontières entre le territoire de la Garde Zéphyr et ces contrées malveillantes.

Sans faire attention à l'absence soudaine de tout son, qui aurait du lui mettre la puce à l'oreille, sans mauvais jeu de mots, Urua continua d'avancer dans un piège que les hommes-rats avaient tendu à son intention. Il faut dire qu'un lion énorme se baladant sur deux pattes passait rarement inaperçu. Ce dernier n'eut pas le temps de sortir ses armes de métal, aussi sortit-il celles que la Nature lui avait si généreusement offert. Ses griffes acérées jaillirent de ses coussinets et un sourire carnassier découvrit ses crocs luisants de salive à l'idée d'exterminer des individus d'une race aussi ignoble.

Urua ne se complaisait généralement pas dans la violence mais certaines circonstances valaient bien d'y prendre plaisir. De plus, l'exaltation de Diagoras lorsqu'il se rendit compte de qui étaient leurs adversaires était contagieuse. Entre souris et rats, la paix ne régnait pas. C'est ainsi qu'ils se taillèrent un chemin parmi les rangs de soldats peu expérimentés, à coup de rapière, de dents et de griffes. Ils avaient maintes fois combattu les Skarniens et étaient parfois tombés sur presque plus forts qu'eux mais ce jour-là, c'était de la rigolade et ils paraissaient danser plutôt que combattre.

- Je vous jure, à quoi sert le privilège blanc s'il ne s'applique pas en temps de confinement ?!!!! JE DETESTE CE PAYS, JE DETESTE LES NAINS, JE VOUS DETESTE AUSSI LES HOMMES-RATS !!!!! HAAAAAAA

Surpris, Urua regarda dans la direction de la tête qu'il venait juste d'arracher en pensant qu'elle arrivait encore à émettre de tels sons. Mais il ne s'agissait pas d'un rat mort-vivant. Un individu pâle, bien vêtu, trop bien pour un tel paysage, et paraissant passablement démoralisé venait de se matérialiser en plein milieu du carnage, abattant plusieurs Skarniens en quelques instants, puis s'affala sur un tronc moisi. Laissant Diagoras taillader les deux derniers adversaires encore présents, qui luttaient pour leur survie face à la furie du Mouss'Queterre, Urua s'approcha de l'intrus avec prudence. Il ne savait pas encore s'il allait devoir le combattre ou le consoler.

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On peut l'assommer deux fois mais pas trois...

Le pauvre homme, enfin vampire, semblait dans un état d'agitation plutôt avancé. Il semblait aussi perdu que le Löwen quant à l'attitude à tenir. Urua se méfiait toujours des buveurs de sang, tout comme ces derniers éprouvaient des difficultés à se sentir en paix aux côtés des mangeurs de viande.

- Bonjour je s'appeler S-T-Y-X ! Comprends-tu le langage humain ?

Le malheureux ne devait plus avoir toute sa tête. Sa cohérence en pâtissait et sa diction était des plus aléatoires. Plus de doute, Urua se disait qu'il lui fallait aider cette âme en peine. Il fixa donc gentiment la main qui se tendait vers lui et avança sa paume pour une poignée de main régulière, tout en répondant très lentement pour être sûr que son interlocuteur ait le temps de comprendre ses paroles.

- Bonjour, je suis Urua. Je te comprends. Tout va bien ?

Les phrases étaient courtes et simples. Il n'y avait pas de raison qu'il ne comprenne pas.

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On peut l'assommer deux fois mais pas trois...

L'individu sembla se remettre très rapidement de son état quand il entendit Urua parler. La démonstration de magie consistant à remettre sa tenue en ordre en soufflant simplement dessus en disait long sur son potentiel intellectuel et sur sa modestie. La conversation précédente n'était donc qu'un malentendu. Peut-être n'avait-il jamais croisé un changeur de forme et pensait-il qu'il se trouvait face à une espèce rare et primitive. Urua ne lui en tiendrait pas rigueur, c'était une erreur commune. La plupart des gens se reprenaient assez vite mais d'autres continuaient de le sous-estimer. Principalement ceux qui voulaient le réduire à l'état de tas de poil saupoudrés sur de la bouillie de lion.

- Navré, je me laisse souvent aller à la panique quand je rencontre un si beau Lowën. Je suis Sobek Elpoemer Grey, Styx pour les intimes, Roi des Vampires et Lycans de Spelunca, Messie d'Adam à ses heures perdues. Que fait donc un si beau mâle alpha aux canines longues, et duuuuuures, en ce lieu de désolation ?

Urua serra la main qui lui était tendue, heureux qu'on s'adresse à lui aussi galamment mais circonspect quant à la quantité de compliments. Ça cachait peut-être quelque chose, des intentions, une demande, des idées plus malveillantes. Il ne se détendit pas totalement mais rendit son sourire à l'étranger tout en conservant la main minuscule dans son épaisse paume. Lorsqu'il la libéra, Styx entreprit de se faire une pipe, se la bourrant avec soin.

- Je patrouille. C'est mon travail en tant que Garde Zéphyrien. Ce serait plutôt à moi de demander ce qu'un Vampire qui se prétend roi de Spelunca fait aussi loin de son territoire et aussi proche du nôtre.

La question, qui aurait pu paraître agressive, fut adoucie d'un sourire. Bien que dans le cas d'un énorme lion, le sourire revenait plutôt à découvrir d'acérées canines propres à rayer des heaumes.

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On peut l'assommer deux fois mais pas trois...

Le Löwen ne parvint pas à décider si la surprise soudaine de son interlocuteur était valorisante ou non. D'un côté il était heureux d'avoir enfin été pris au sérieux et non comme une bête sauvage à peine pourvue d'intelligence, de l'autre, cela donnait une bonne idée de la façon dont le vampire considérait ceux de sa race. Un comportement qui n'augurait rien de bon en une personne qui se targuait de diriger le massif de Spelunca où vivaient tant de ses congénères. Il devait se heurter à une certaine résistance s'il agissait ainsi sur son territoire. Surtout s'il tombait sur le clan dont était issu Urua. Ils ne supportaient déjà pas la race des buveurs de sang, alors devoir obéir à un représentant de cette race devait les avoir mis en rage.

- Pour ce qui est de ma présence ici, je vous répondrais bien placidement que j'aime, comme tout individu, les promenades. Ce serait un mensonge, bien évidemment, et je vais vous confier un secret, si vous acceptez d'étendre votre propre description au-delà du terme de "patrouilleur" que je pense ne point vous décrire justement. La prestance d'un homme en dit long sur lui, et vous semblez un spécimen Dùralassien exceptionnel, sans nul doute bien plus dangereux que moi. La Garde Zéphyr n'ignore sans doute pas la menace que constituent ces rongeurs, un véritable fléau, qui s'étend sur le pays tout entier. Mon territoire y compris. En homme de science je cherche à percer le secret de leur provenance afin de prémunir mes sujets de leurs attaques. Je ne sais pas vous, mais je suis d'avis que si on parvient à comprendre un phénomène, alors on fait une grande avancée dans la lutte contre ce dernier. En d'autres termes, je ne viens pas là découper des hommes-rats pour le plaisir, mais bel et bien en quête de les éradiquer totalement. Un projet aussi long que fastidieux, et dans lequel un allié ne serait pas de refus. D'autant que je ne sais pas si c'est très apparent, mais mis à part quelques sortilèges, et un esprit particulièrement rapide, bien que juste au-dessus de la moyenne, je ne suis pas un combattant au sens strict du terme.

Le lion avait emboité le pas à l'individu habillé comme s'il était invité à un bal. Il avait écouté avec attention et observé les réactions de ce dernier. Tout en lui criait la bonne éducation mais il restait quelque chose de malaisant sur lequel Urua ne parvenait à mettre la griffe. Il s'écoutait parler, cela ne faisait aucun doute mais beaucoup de personnes ayant cette loquacité étaient des gens biens. Mais alors qu'était-ce ? La vraie raison de sa présence en ces terres ? Elle paraissait légitime. Mais comme il l'avait si bien dit, les Skarniens parsemaient Dùralas. Pourquoi venir jusqu'à Hukutav pour les étudier et les exterminer ? Quoiqu'il en soit, Urua n'allait pas refuser quelques renforts, d'où qu'ils viennent pour s'occuper des hommes-rats qui causaient déjà assez de soucis à la Garde Zéphyr. Il réfléchirait à son intuition et surveillerait ses arrières tout de même mais l'idée d'aller nettoyer la zone lui plaisait. De plus, Diagoras observait toute la scène depuis un repli dans l'armure de son compagnon, prêt, comme toujours, à intervenir si quoi que ce soit sortait de l'ordinaire. Il était encore moins confiant que le Löwen, ce qui pouvait s'avérer utile dans certains cas.

- Nous cherchons aussi à nous débarrasser de cette vermine. Ce sera avec plaisir que je vous aiderai. Mais d'après le carnage que nous venons de traverser, je vous avoue douter moins de vos capacités que vous n'avez l'air de le faire.

Le vouvoiement était revenu naturellement dans la conversation après que les deux interlocuteurs aient réalisé qu'ils ne se trouvaient pas en présence d'un simple d'esprit. Malgré ses questionnements, Urua était content d'avoir rencontré quelqu'un d'aussi raffiné. On en trouvait rarement dans les sous-bois et les zones désertes qu'il traversait habituellement lors de ses missions hors de la forêt.

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