L’Orc zieutait du coin de l’œil le contenu de sa chope, ça n’avait rien d’un contenant finement travaillé, les Orcs avaient plutôt pour habitude de faire dans le simple et l’efficace. La choppe était rustique, ferrée grossièrement, et suffisamment large pour tenir dans la main d’un peau-verte. Dranosh écoutait attentivement les propos de sa camarade qui l’accompagnait depuis de début dans sa chasse aux voleurs. L’orc but une gorgée de leur boisson traditionnelle, boisson qui avait tordu l’estomac de plus d’un voyageur de passage au campement. Prenant note des propos de sa camarade, Dranosh hocha la tête.

« Je n’aimerais pas être à leur place s’il tombe sur Targar. »

L’Orc pivota légèrement pour faire face à son interlocutrice.

« La nuit n’est pas comparable avec le jour, il n’y a pas beaucoup de routes sûres quand le soleil se couche. »

Entre les pilleurs et les requins des sables, il était difficile de progresser en sécurité. Les Orcs avaient l’habitude de parcourir les étendues sableuses de jour comme de nuit, mais était-ce aussi le cas pour les humains ?
Dranosh se gratta le front quelques instants concernant l’idée des cartes. Il n’avait pas de carte sous la main, mais il connaissait le coin comme sa poche. Il poussa la chope et du bout du doigt, il fit mine de dessiner les environs.

« Nous, on est là. Il y a plusieurs petites oasis, mais la plus importante est vers le Nord, à deux heures d’ici. »

De tout ce qu’il pouvait connaître, c’était bien le seul endroit assez proche pour se retrouver et cacher du bétail, s’était aussi l’oasis la plus facile à atteindre, car la route était sûre. L’Orc reprit une gorgée de Mash’Kar, la boisson l’aidait à réfléchir un peu. Il ne ferait pas nuit avant plusieurs heures, et si l’hypothèse de la fuite à la fraîche était la bonne, alors les deux Orcs avaient un peu de temps devant eux. Plus Dranosh prenait le temps de réfléchir sur le vol de bétail, plus il se disait qu’il n’aurait jamais le fin mot de l’histoire.

« Toi qui voyage par-delà le désert, toi qui a vu ce que je n’ai jamais imaginé, sais-tu pourquoi ces humains s’en prennent à nous ? »

La question pouvait être sensée, Dranosh ne connaissait pas beaucoup les Hommes ni les autres races d’ailleurs. Il ne connaissait que le désert et ses recoins, mais… jamais il n’était allé après les dunes, et peut-être que, cette mission serait la première fois où il aurait l’occasion de voir autre chose. Pour l’Orc il était important de savoir pourquoi des gens venaient perturber son clan, pourquoi s’en prendre au bétail de la tribu. Il plongea son regard intensément dans celui de l’Orque qui lui faisait alors face.

« Notre peuple ne quitte pas le désert, si ce n’est des chasseurs solitaires comme toi, nous ne sommes pas hostiles, je ne comprends pas... »

Le peau-verte lorgna sa boisson, quittant le regard de sa camarade, il grommela quelque chose.

« La guerre des Clans a décimé bon nombre des nôtres, de braves et honorable Orcs, et maintenant ça... »

Il but une nouvelle gorgée.

Sirotant sa choppe du bout des lèvres, Lashgob suivit les indications de l'orc avec attention. Il lui indiqua de multiples lieux où étaient annotés des oasis, s'attardant sur le dernier. De toute évidence, s'ils ne devaient retenir qu'un lieu, ce serait celui-ci. À deux heures de route. La planque où se terraient les deux derniers roublards et la moitié de leur butin.

- Toi qui voyage par-delà le désert, reprit-il après un moment avant de lever son regard vers elle, sais-tu pourquoi ces humains s’en prennent à nous ?

Étonnée par la naïveté de cette question, Lashgob fronça les sourcils et lentement baissa son godet. Il y avait des bandits dans toutes les civilisations et de toutes les races, frappant qui semblait le plus vulnérable à leur portée. La bande de Salomon ou les gangs d'Ishtar en étaient de parfaits exemples. Quoiqu'à vrai dire, les deux étaient majoritairement composés d'humains...

- Tout les orcs ne sont pas honorables non plus, répondit sombrement Lashgob avec amertume. Et si cela peut te consoler, les humains se volent au moins autant - si ce n'est plus - entre eux.

S'adossant à la table où était posée la carte après y avoir déposé sa choppe, elle énonça à haute voix la question qui planait silencieusement : quelle serait la suite des évènements à la tombée de la nuit ?

- Du coup Dranosh, quels sont tes plans pour la suite ? Aller toi-même alpaguer ces petits malins sur le chemin de leur repaire ou laisser... Targar... le réaliser en ton nom ? Si j'ai bien cerné celui-ci à la façon dont tu en parles, cela calmerait les ardeurs d'autres fripouilles.

Une autre question se soulevait d'ailleurs. Si il lui demandait de se joindre à lui pour tomber sur le râble de deux malheureux roublards au beau milieu du désert, était-il vraiment nécessaire qu'elle répondre positivement ? Dubitative, elle s'efforça de conserver une expression aussi neutre que possible, consciente de ne pas présentement être affublée de son masque extravagant.

L’orc grommela quelque chose suite aux propos de sa camarade.

« Certains des nôtres ont du sang sur les mains, certains clans se fichent des règles et du mal qu’ils peuvent répandre… Notre peuple à bien assez souffert avec la guerre des Clans, sans parler des incursions Tréorcs sur notre territoire… Notre clan se porte bien, mais nous n’avons plus autant de Trog’har qu’avant. La plupart sont encore trop jeunes pour connaître la guerre, il mérite une enfance digne.  »

À travers la voix de Dranosh, les mots avaient un certain poids. L’héritier Gronarah était bien placé pour connaître l’état de sa tribu. La majorité des nobles guerriers n’étaient plus, et les jeunes générations n'étaient pas encore assez habiles pour mener à bien certaines tâches. Bien que son père mena la tribu à la victoire pendant la guerre, il allait maintenant falloir plusieurs années avant que les esprits soient de nouveau apaisés.
Les Tribus majeures vivaient en “paix”, mais c’était les tribus mineures qui posaient véritablement le plus de problèmes, sans oublier les Tréorcs et maintenant les humains. Repensa à tout cela coupa net la soif de l’Orc qui, du dos de la main écarta la choppe sur sa droite. Alors qu’il commençait à broyer du noir sur les vies perdues, la question de sa camarade le sortit de sa tourmente, il releva doucement la tête.

« J’irai. Targar a bien assez à faire ici pour devoir courir à l'extérieur du Campement. S'il doit commencer à gérer les petits problèmes de toutes les Tribus... Le pauvre n'a pas fini.  »

Sans rajouter à cela que trouver les coupables était une mission que son père lui avait confiée, et il devait les trouver, quand bien même cela le conduirait au bout du monde.

« Et, en dehors du campement, pas de règles. Il faut montrer à ces voleurs que les Orcs ne sont pas aussi paisibles qu’ils le pensent, les nôtres seront protégés.  »

Une fois au milieu des dunes, Dranosh ne comptait pas agir avec autant de civilité qu’il en avait fait preuve au sein du campement principal. Après tout, pourquoi devrait-il se comporter autrement pour des voleurs humains ? Un voleur peau verte se faisait au mieux couper une main et au pire la tête, pourquoi prendre des pincettes avec de la vermine capable des pires coups-bas ? L'Orc comptait bien faire passage un message en s'occupant personnellement de cette histoire.

« Je partirai au crépuscule, si tu veux te joindre à moi c’est avec plaisir, sinon, bonne chasse.  »

L’Orc se redressa de toute sa hauteur, et après un dernier hochement de tête en guise de salut, il quitta l’endroit.


À la tombée de la nuit, le vent était plus frais. L’Orc se tenait immobile à la porte sud du campement, Fork à ses côtés. Dranosh attendait de voir si sa camarade comptait le rejoindre ou non pour clore cette histoire pour de bon.

Dommage que Targar ne soit pas de la partie, songea l'orque. Vu son tempérament l'affaire aurait été expéditive et envoyé un message fort à quiconque serait tenté d'imiter ces idiots. La violence était parfois un mal nécessaire et simplifiait bien des équations...

- J'peux pas te laisser aller débusquer deux fripouilles seul, déclara Lashgob en esquissant un sourire. Je viendrais avec toi. Puis t'auras besoin d'aide pour rapporter le bétail.

Là-dessus la technophile observa Dranosh s'écarter de la tenture les abritant du soleil. Celui-ci était un peu moins carré que son père, jugea-t-elle en silence comme il s'éloignait. Mais de peu. En revanche il était assurément beaucoup plus civilisé. Plus doux, auraient même dit certains. La brochette de voleur attrapée aurait droit à un jugement, sans doute expéditif, mais qu'importe. Ils ne seraient probablement pas mutilés ou exécutés. Assurément ils n'avaient pas conscience de leur chance.

- Bon c'est pas tout...

Parlant toute seule, Lashgob renfila son casque et tourna les talons à son tour. Quitte à aller baguenauder dans le désert la nuit, autant le faire avec une petite laine sur le dos. Ainsi que les cartouches de combustible pleines.


C'est son harnachement la partie de son harnachement dissimulé par un épais capuchon en fourrure qu'elle retrouva le guerrier près des dernières tentes du camp. Sans s'être donné rendez-vous, un individu de sa taille était facile à repérer par-dessus les tentures parmi les plus modestes. Aussi se dirigea-t-elle vers lui avant de remarquer la présence de son énorme loup à ses côtés. Celui-ci ne poserait-il pas de problème vis à vis du bétail à ramener de l'oasis ?

- T'as pas peur qu'il effraye les animaux lors du trajet de retour ? Interrogea-t-elle en désignant le prédateur de l'index.

Pour sa part, Lashgob avait pour seul compagnon l'une de ses araignées mécaniques, accrochée à son dos sous l'épaisse fourrure lui conservant les épaules au chaud. De toute façon elle n'avait aucun talent équestre et ne risquait pas de chevaucher quelque monture que se soit...

Également, sans le mentionner, une corde était enroulée sur le côté de sa hanche. Quitte à ramener de l'oasis les voleurs vivants et en un morceau, autant éviter d'avoir à leur courir après durant tout le trajet.

Reposée après une bonne sieste, la technophile était prête à entamer la traverser dés maintenant. Deux heures aller, trois heures retour avec le bétail et les prisonniers. Cela laissait une bonne marge de temps pour les trouver dans l'oasis et rentrer avant que le jour ne se lèvre et transforme le désert en fournaise.

Sa camarade Orque ne mit pas longtemps à le rejoindre, Dranosh patienta tout juste quelques minutes, tout juste le temps de réorganiser son équipement et d’accrocher ce qu’il ne voulait pas porter au harnais de son loup. Même si cela ne se voyait pas vraiment sur son visage, il était content d’être accompagné. Non pas qu’il craignait de ne pas être mesure de gérer cela tout seul, mais l’Orc devait bien avouer qu’il était agréable d’avoir quelqu’un pour assurer ses arrières, et encore plus lorsqu’il s’agissait d’une membre de sa Tribu.

- Le bétail est habitué à la présence de nos loups, les humains ont des chiens pour leurs troupeaux, nous des loups. Ces humains ont quand même eu beaucoup de chance ne pas attirer l’attention près de l’Oasis, il faudrait peut-être changer de loup…

Fork releva la tête en regardant son maître, puis la jeune Orque, il avait visiblement compris le sens de la phrase. Dranosh avait dit cela en plaisantant, les loups étaient avant tout des compagnons pour les siens, et quand bien même le bétail était habitué aux gros canidés, cela n’en faisait pas pour autant les gardiens officiels.

- Tu sais que je plaisante mon ami. Et toi, même si tu es des nôtres par adoption, tu n’as jamais désiré de loup pour t’accompagner ?

La question était logique, au même titre que les autres Orcs, elle avait le droit d’avoir un loup pour l’accompagner, comme l’ensemble des Gronarah. Il n’y avait pas d’arrière-pensées derrière la question de Dranosh, après tout c’était aussi son droit de ne pas en avoir ou… peut-être l’avait-elle perdue ? L’Orc espérait simplement que sa question ne réouvre pas de vieilles blessures.

- La nuit nous camouflera, allons-y.


Le trajet se fit sans encombre, les deux Orcs échangèrent quelques mots pour que la route paraisse moins longue. Fork, lui, avait pris de l’avance sur les deux bipèdes. Le grand loup ouvrait la voie, en cas de problème il était le plus qualifié pour disparaître discrètement au milieu des dunes. Le loup fut le premier à atteindre les abords de l’Oasis, tout semblait calme à l’horizon.
Lorsque Dranosh arriva aux côtés du loup, il posa un genou au sol et contempla l’oasis. L’endroit était connu pour ne pas être habité, il était très rare que quelqu’un vienne jusqu’ici, et pourtant l’Orc voyait bel et bien plusieurs torches allumées. Il fallait bien avouer que si l’objectif était d’être discret, les torches n’étaient clairement pas une bonne idée. Le peau-verte repensa aussi à l’objectif des voleurs, ceux qui attendaient sagement là, attendaient retour du premier groupe qui s’était rendu au campement principal.

- Toi qui as parlé à l’un d’eux, une idée de leur nombre ?

Ils étaient trois contre un nombre indéterminé, mais cela n’inquiétait pas l’Orc. De ce qu’il avait pu voir au campement, les voleurs n’étaient pas assez stupides pour tenter de combattre. En se rendant ils avaient une chance de finir vivants, en cas d’affrontement leur destin serait entendu plus sombre. Dranosh espérait que le chef des voleurs serait ici avec les autres, il avait fui le campement et Targar n’était malheureusement pas parvenu à lui mettre la main dessus, il devait forcément être dans le coin s’imagina le peau-verte.

- On devrait s’approcher en douceur, et les éliminer un à un, jusqu’à leur chef. Dès que tu es prête, on y va.

Maintenant qu'ils n'étaient plus dans le campement principal, les règles de bonnes courtoisies n'étaient plus, ils allaient pouvoir régler ça à la manière des Orcs.

- ...même si tu es des nôtres par adoption, tu n’as jamais désiré de loup pour t’accompagner ?
- Nah, répondit-elle en secouant négativement la tête. J'ai pas le truc avec les bêtes et j'saurais pas m'en occuper. Ce serait un foutoir sans nom.


- Toi qui as parlé à l’un d’eux, une idée de leur nombre ? interrogea Dranosh.

Lashgob effectua une grimace. Elle connaissait leur nombre et, à plusieurs reprises, le lui avait communiqué. Les voleurs n'étaient que deux. Ou du moins, ils auraient dû. Le nombre de torches laissait penser davantage d'ennemis. Pourtant, le coco qu'elle avait interrogé la lame sous la gorge avait été à la fois loquace et sincère. Le ton de sa voix paniquée ne laissait nul place au mensonge. Ce sous-fifre n'avait peut-être pas connaissance des plans de ces complices...

- Au moins deux, fut tout ce que Lashgob put répondre en plissant le nez de frustration.

Elle détestait les plans qui se ne déroulaient pas comme prévu. Néanmoins, s'adapter à tout problème nouveau avait quelque chose d'excitant. Fut-il un problème inopiné et particulièrement indésirable.

Et il se trouvait que, justement, elle possédait une solution potentielle à cet imprévu.

- Je vais de ce côté m'occuper d'éventuelles sentinelles, indiqua-t-elle en examinant son compagnon imposant et son familier, tout deux peu discrets. Attends mon signal.

Là-dessus, la technophile alla se fondre dans la végétation aussi discrètement que son attirail et sa jambe de métal le lui permettrait. Puis, une fois certaine d'être hors du champ de vision de son futur chef de clan, elle activa le camouflage optique de sa panoplie, se fondant littéralement dans les ombres.

Les deux sentinelles du camp ne virent jamais ce qui les avait agressées. L'une comme l'autre reçurent un coup de massue à l'arrière du crâne, assené par quelques fantômes venus de leur dos, avant de finir ligotés dans la végétation. Satisfaite de sa prestation, Lashgob s'accorda un instant pour souffler dans l'ombre d'un eucalyptus comme son camouflage arrivait à terme. Elle avait vu juste : il y avait plus que deux individus à cette oasis. Et le bétail émacié, parqué dans un coin, portait la même marque que celui du marché. Il s'agissait de leurs voleurs.

Néanmoins, leurs vigies étaient au pays des songes à présent et Dranosh pouvait approcher sans risquer les alerter. Relevant son masque, elle leva les mains en porte-voix et poussa un lent hululement, s'efforçant d'imiter un loup tel que celui accompagnant l'orc. Il comprendrait le "signe".

Aussi, avant qu'il ne se présente, elle se tourna vers les quelques tentes et se figea sur place : l'un des humains sortait en s'étirant. Il se gratta distraitement l'entre-jambe avant de faire quelques pas, allant se soulager dans la nuit. La technophile s'autorisa à respirer à nouveau. Il n'avait pas remarqué que...

- Job, héla l'homme à moitié endormi. Amène-toi et va dormir, j'arrive pas à fermer l’œil autant te remplacer.

- Au moins deux.

Le grand Orc plissa les yeux dans l’espoir de distinguer un peu mieux le campement. Peut-être bien qu’il y avait deux voleurs, du moins c’est l’information que sa camarade avait obtenue. Il n’avait pas obligé sa partenaire à répéter simplement pour le plaisir d’entendre sa voix, mais bien parce qu’il trouvait le nombre de torches un peu trop élevé à son goût. Les quatre coins de la petite Oasis étaient éclairés, et il y avait de grosses taches sombres ressemblant à des tentes, du moins c’était ce que laissait penser la distance. Dranosh hocha la tête lorsque Lashgob se proposa d’y aller en première.

- Beaucoup de lumière pour deux. Fais attention à toi.

L’Orc ne doutait pas des compétences de sa sœur de Clan en matière de combat. Cependant, il ne comptait plus le nombre de braves combattants tombés sous les coups de plusieurs adversaires. Ce soir, il ne souhaitait pas que ce nombre grandisse. La jeune Orque disparue bien vite de son champ de vision, si bien qu’il aurait eu raison de la penser capable de disparaître. Un simple regard a son compagnon suffit à faire passer un ordre, le grand loup releva la tête et suivie la guerrière.


Le loup se faufila à son tour dans les ombres, même s’il n’était pas en mesure de voir l’Orque, il pouvait comptait sur son flaire pour remonter la piste. Fork avait contourné les zones de lumière afin de mieux se dissimuler. Il avait finalement retrouvé un contact visuel avec la camarade son maître, cependant elle était une certaine distance de lui.

Dranosh entendit le signal, et s’avança vers le campement aussi discrètement que le lui permettait sa stature. Sachant les sentinelles neutralisées, il emprunta un chemin plus direct que sa partenaire et il arriva bien vite au niveau d’une tente qu’il contourna. Au même moment un type en sortit en bâillant, l’homme sembla appeler l’un des siens, mais il ne risquait pas d’obtenir de réponse. Dranosh se figea un instant, craignant que ses bruits de pas le fassent repérer. Le voleur avait eu la bonne idée de venir se soulager dans le buisson que Fork utilisait comme couverture.
Le grand loup grogna avant de recevoir l’affront ultime en pleine gueule.

L’homme sursauta et renfila ses frusques aussi vite que possible tout en reculant, même s’il n’avait pas vu précisément ce qui se cachait dans le buisson, il avait entrevu la lueur dans le regard de la bête.

- Job ! Bordel tu guettes comme un aveugle ! Tu ne vois rien du to…

L’homme n’eut pas l’occasion de finir sa phrase, Dranosh avait plaque sa large main sur son visage pour l’empêcher de continuer son vacarme. Il aurait été aisé pour lui d’éliminer l’humain d’un coup sec, mais, prit d’un élan de générosité il se contenta de lui frapper le haut du crâne pour l’envoyer dans le domaine des songes. Le type sonné s’écroula lourdement dans le sable qui étouffa le bruit de l’impact. Mais il était trop tard, l’homme avait beuglé tellement fort qu’il avait réveillé ses compagnons de tente.

- Cesse donc de gueuler Mika, tout l’désert va t’entendre…

La vision encore embrumée par le réveil, l’homme ne remarqua la silhouette de l’Orc qui lui faisait face au dernier moment. Lorsqu’il réagit, il porta la main à son arme.

- Orc ! Un Or…

Cette fois ce fut Fork qui coupa court à la phrase en se jetant de tout son poids sur le voleur. L’animal et l’homme roulèrent dans le sable, écrasant quelque peu la tente sur leur passage. Un troisième voleur sorti de la deuxième tente, cette fois il tenait son arme déjà en main, assez grand pour un humain, il toisa Dranosh.

- T’aurais mieux fait de passer ton chemin, peau-verte.

Outre le fait de ne pas comprendre tout ce que racontait le type, Dranosh ne s’inquiéta pas outre mesure, car aussi grand que l’humain pouvait être, il n’avait pas remarqué la présence d’une deuxième peau-verte, dans son dos.

Le loup géant l'avait suivi un instant, mais s'était finalement écarté pour s'embusquer quelque part pendant qu'elle s'occupait des vigies. Lashgob avait mis un instant à réaliser que l'animal parvenait à la suivre grâce à son flair, passant outre son camouflage. Une faculté qu'il faudrait qu'elle garde en mémoire avant que cela ne lui joue des tours...

- Orc ! Un Or…

Embusquée de l'autre côté du campement, toujours invisible aux yeux de tous, Lashgob s'abstint d'intervenir. Dranosh était un orque. Nul humain ne pourrait rivaliser avec lui à mains nues.

L'autre individu qui s'extirpa de ses couvertures, une courte lame au poing, c'était une autre histoire. Là encore, elle ne doutait pas que le Gronarah en vienne à bout. Qu'il le fasse en le laissant en un seul morceau par contre...

- T’aurais mieux fait de passer ton chemin, peau-verte.

Se dressant derrière l'homme après s'être rapprochée à petit pas, son camouflage commençant à s'étioler avec de discrètes étincelles bleues, Lashgob ne perdit pas un instant. Elle lui assena un puissant coup de poing dans les reins et, avant qu'il ne comprenne ce qu'il lui arrivait, le frappa de l'autre gantelet. Du tranchant de la main, elle le happa à la jonction de la mâchoire et l'oreille. C'est avec un cri étranglé qu'il s'affaissa en échappant son surin, sonné à défaut d'être assommé sur le coup. Mais sans s'encombrer de subtilité, elle attrapa par les cheveux le malheureux et acheva son travail d'un coup de genoux à l'arrière du crâne. Pour lui, la lumière s'éteignit à tous les étages dans un glas métallique.

Il s'effondra en avant comme une poupée de chiffon, face contre le sable. Dans sa miséricorde, Lashgob le tourna néanmoins sur le dos en le poussant du pied, qu'il ne s'étouffe pas misérablement.


- Voila qui fait cinq, déclara-t-elle à Dranosh avec un reniflement. D'où ils sortent tous ces peaux-roses ? Ils devaient être deux !

Puis, s'attardant sur ces individus inconscients et re-songeant aux deux autres qu'elle avait caché sous un buisson, elle réalisa que tous étaient des hommes.

- Le gredin a dit que "Martha" serait ici, gardant la moitié du bétail. C'est un nom de femelle ça.

Tournant son visage masqué vers la troisième et dernière tente d'où personne n'était sorti et où, selon toute vraisemblance, la harpie chargée de garder les animaux se terrait.

Grognant, Lashgob prit l'initiative de se diriger jusqu'à ladite tente. Révélant sa lame de poignet au clair, elle posa la main sur la toile, déterminée à affronter quiconque lui sauterait dessus. Impossible qu'elle dorme encore après le raffut réalisé par ses complices.

D'un mouvement sec, l'orque écarta la tenture, prête à frapper... et s'immobilisa, toisant de toute sa hauteur et plongeant dans l'ombre une femme accroupie et au regard terrifié. Des cheveux blancs comme la neige du Baldor. Un faciès tanné par le soleil mais plus ridé qu'un fruit desséché. Des mains squelettiques et tremblantes, levées devant elle en vaine tentative de se protéger. Cette vieille ne représentait pas une menace pour eux. Aussi, Lashgob se contenta de baisser le bras en rangeant sa lame, puis se tourna de côté pour révéler sa découverte à son camarade d'aventure.

Une fois tous les assaillants au sol, c’est naturellement que les deux peaux-vertes se dirigèrent vers la dernière tente, celle dont personne n’était encore sorti. Sa camarade entra la première, sa lame prête à être utilisée. L’Orque se ravisa bien vite et d'un pas sur le côté, elle laissa Dranosh mieux entrevoir l'intérieur de l'abri. Il posa ses prunelles sombres sur une vieille femme, plus vieilles que toutes celles qu’il avait pu croiser jusqu’alors, même les grands sages du Clan ne semblaient pas être aussi marqués par le temps. Dranosh croisa le regard de sa congénère et se racla la gorge.

- Martha ?

La vieille femme releva la tête, mais ne baissa pas les mains pour autant, il s’écoula plusieurs secondes sans qu’elle ne réponde.

- Martha ?
- Non… répondit la femme en se recroquevillant un peu plus sur elle-même.
- Qui être ?
- Li… Livonia…

L’Orc ne rajouta rien et il se recula. La vieille femme resta immobile, mais elle baissa progressivement les mains, comprenant que les deux peaux-vertes n’étaient pas une menace pour elle. Dranosh se tourna vers sa camarade, parlant en Harénien.

- Soit elle ment, soit il y a une autre personne dans le camp.

Comme pour répondre à sa question, Fork grogna de plus belle alors qu’il s’apprêtait lui aussi à entrer dans la tente. L’animal fit volte-face et se lança à toute vitesse derrière une personne à cheval. L’Orc ne perdit pas une seconde et rappela son compagnon, le loup bien que très rapide ne pouvait tout simplement pas rivaliser avec un cheval à pleine allure. Dranosh regarda la cavalière s’éloigner jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans l’obscurité de la nuit. La poursuivre bêtement dans le noir n’était pas une solution, et ça, le peau-verte le savait, même s’il connaissait bien le désert, s’aventurer de nuit restait périlleux.

- Dans cette direction, c’est la mort, ou la capitale.

Dranosh se doutait que la prochaine étape de son voyage serait la cité de Stellaraë. Il y était déjà allé par le passé afin de commercer avec les humains, principalement pour échanger des peaux contre des ressources que l’on ne pouvait pas obtenir au milieu des dunes sableuses.

Le bétail encore présent au campement était en bien piteux état, la majorité des bêtes étaient déjà inertes sur le sable, et celles encore debout ne tarderaient pas à les rejoindre. L’orc se demandait même s’il n’était pas plus charitable d’achever les bêtes encore vivantes plutôt que de les laisser à une fin longue et douloureuse. Il y avait aussi quelques chevaux appartenant sans doute aux voleurs, ceux-là au moins semblaient en meilleure santé, peut-être suffisamment pour être utiles, mais pas pour lui en tout cas. Dranosh posa un lourd regard sur sa partenaire.

- Je dois continuer, jusqu’à la capitale, j’aurais des réponses là-bas.  Tu devrais prendre les chevaux, rentrer au campement avec la vieille femme. Tu ne peux pas me suivre jusqu’à l’autre bout du désert, nos routes doivent se séparer.

C’était une évidence d’ailleurs, même si sa camarade était d’une grande aide, il ne pouvait lui demander ni l’obliger à le suivre. Elle avait son propre chemin à suivre, et celui-ci n’était pas de suivre les pas du fils de Morosh.

- Je vais rester là pour abréger les souffrances du bétail, puis poursuivre ma route, je laisserai les humains au désert.

- Li… Livonia…

Après quelques secondes, Dranosh se tourna vers elle. Son expression trahissait son scepticisme.

- Soit elle ment, soit il y a une autre personne dans le camp.
- Ce serait surprenant, ton fami...

Sa déclaration fut coupée comme le loup géant lui donnait raison. L'animal s'élança derrière une ombre quittant l'oasis au galop. Lâchant un juron dans sa barbe, Lashgob ne put que constater la fuite du voleur - ou a priori la voleuse. Où qu'elle se soit terré durant leur assaut, elle s'était bien débrouillée pour qu'aucun d'eux trois, loup inclut, ne la remarque. Rapidement, l'orc rappela son compagnon, jugeant la poursuite futile.

- Dans cette direction, c’est la mort, ou la capitale.
- Sans eau et à l'aveugle en pleine nuit ? Le désert va prélever son dû.

S'étirant la nuque, Lashgob défit les attaches de son casque avant de l'accrocher à sa hanche, ressentant l'air frais sur son visage. Elle revint à la petite vieille, debout près du feu et leur lançant des regards effrayés en se nouant nerveusement les doigts. Pour sûr, qu'elle soit complice ou victime, la vue de deux peaux-vertes ayant neutralisé cette bande de gredins avait de quoi en imposer. Elle ne semblait néanmoins pas avoir d'arme cachée. Et si elle était lanceuse de sorts, ce n'était pas flagrant...

- Je dois continuer, jusqu’à la capitale, j’aurais des réponses là-bas, déclara soudainement Dranosh en attirant leur attention à toute deux. Tu devrais prendre les chevaux, rentrer au campement avec la vieille femme. Tu ne peux pas me suivre jusqu’à l’autre bout du désert, nos routes doivent se séparer.

Quelques longs instants, elle observa le Gronarah en silence. Avant de hausser les épaules.

- Toi qui vois. J'ai rien à faire à Stellaraë donc, en un sens, ça m'arrange.

Du bras levé, elle indiqua à la femme les chevaux. Après l'avoir dévisagée avec de grands yeux apeurés, celle-ci clopina dans leur direction sans rien dire.

- Je la remettrais aux gardes. Ils trancheront quant à son sort, si c'est une voleuse ou pas. Mais pour...
- Je vais rester là pour abréger les souffrances du bétail, puis poursuivre ma route, l'interrompit Dranosh en devançant sa première question avant de récidiver avec la seconde. Je laisserai les humains au désert.

Une fois encore, Lashgob haussa les épaules. Elle n'était ni juge ni bourreau. Les ramener au camp ou les passer au fil de la lame ne l'importaient que peu. Ou plutôt si, dans le premier cas cela signifiait se les coltiner sur tout le retour. Seule, à priori...

- Toi qui vois, approuva-t-elle une fois encore, bien heureuse qu'il tranche à sa place. On se reverra sûrement, à ton retour.

Suivant la petite vieille, la technophile prit la direction des chevaux et, après avoir aidé la petite vieille à monter en selle, attacha la bribe à la selle d'un autre. Après avoir grossièrement relié tous les autres entre eux via une corde, elle reproduit l'opération, tout les équidés étant reliés au premier qu'elle escalada.